Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre X

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Livre I. — Partie I. [1325]

CHAPITRE X.


Comment messire Hue le Despensier corrompit le roi de France et tout son conseil par dons, afin qu’il ne renvoyât la roine en Angleterre.


Sur ce la bonne dame avoit jà prié moult de chevaliers bacheliers et aventureux, qui lui promettoient que très volontiers ils iroient ; et ordonnoit la dame tout secrètement son affaire et ses pourvéances : mais oncques si secrètement ne le put faire ni écrire aux barons d’Angleterre, que messire Hue le Despensier ne le sût. Lors se douta-t-il que par force le roi de France la renvoyât en Angleterre. Si s’avisa que par dons il attrairoit si le roi de France et son conseil qu’il n’auroit aucune volonté de la dame aider ni de lui porter contraire. Adonc, envoya par messages secrets et affaitiés de ce faire, grand plenté d’or et d’argent et joyaux riches, et espécialement devers le roi et son plus privé conseil ; et fit tant en bref terme que le roi et tout son conseil furent aussi froids d’aider à la dame comme ils en avoient été en grand désir ; et brisa le roi tout ce voyage, et défendit, sur peine de perdre le royaume, qu’il ne fut nul qui avec la roine d’Angleterre se mît à voie pour li aider à remettre en Angleterre à main armée. Dont plusieurs chevaliers et bacheliers du dit royaume en furent moult courroucés ; et s’émerveillèrent entre eux pourquoi si soudainement le roi avoit fait cette défense ; et en murmuroient les aucuns ; et dirent bien que or et argent y étoient efforcément accourus d’Angleterre et que François sont trop convoiteux.