Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCLXX

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 677-679).

CHAPITRE CCCLXX.


Ci commence la chevauchée que le duc de Lancastre et le duc de Bretagne firent au royaume de France.


Nous nous souffrirons un petit à parler, car la matière le requiert, du duc d’Anjou et du siége de Derval, et parlerons de monseigneur de Lancastre et du duc de Bretagne qui étoient arrivés à Calais[1] à trois mille hommes d’armes et six mille archers, et bien deux mille d’autres gens. En celle route avoit largement de purs Escots bien trois cents lances qui servoient le roi d’Angleterre pour ses deniers. De toutes ces gens d’armes et de l’ost étoit connétable messire Édouard, le sire Despensier, un des grands barons de toute Angleterre, frisque, gentil et vaillant chevalier et grand capitaine de gens d’armes ; et l’avoit le roi d’Angleterre pourvu de cel office ; et étoient maréchaux de l’ost le comte de Warvich et le comte de Suffort. Là étoient, des barons d’Angleterre, le comte de Staford, le sire de Persi, le sire de Ros, le sire de Basset, le sire de Latimer, le sire de Boursier, le sire de la Poulle, le sire de Manne, le sire de Gobehen, fils au gentil seigneur dont cette histoire ci en devant fait bien mention, messire Louis de Clifort, le sire de la Ware, messire Hue de Cavrelée, messire Gautier Huet, messire Guillaume de Beauchamp, fils au comte de Warvich, messire Guillaume Helman, monseigneur Mathieu de Gournay, messire Thomas Fouque, le sire de Wiles, le sire de Willebi, messire le chanoine de Robersart et plusieurs autres bons chevaliers que je ne puis mie tous nommer. Encore y étoient des capitaines : messire Jean de Montagu, messire Richard de Pontchardon, messire Simon Burlé et messire Gaultier d’Éverues.

En ce temps étoit capitaine de la ville de Calais messire Tamwore[2], et de Guines messire Jean de Harleston, et d’Ardre le sire de Gommignies. Quand le duc de Lancastre et le duc de Bretagne, et cils seigneurs et leurs gens, se furent rafraîchis en la ville de Calais, et toute leur ordonnance fut prête, et leurs charrois chargés, et leurs chevaux ferrés, ils se partirent un merquedi au matin, bannières déployées, et passèrent devant Guines et Ardres, et aussi devant le chastel de le Montoire que Hondecourt, un chevalier de Picardie, gardoit. Mais les Anglois ne s’y arrêtèrent oncques pour assaillir ; ainçois passèrent outre, et s’en vinrent loger sus celle belle rivière qui queurt à Hosque. Là se tinrent ils une nuit ; et comprenoit leur ost jusques à Balinghehen et jusques à l’abbaye de Liques. Quand ce vint au matin, ils se départirent, et puis se mirent au chemin, et chevauchèrent au dehors de Saint-Omer.

En la ville de Saint-Omer étoit le vicomte de Meaux atout grands gens d’armes. Bien vinrent courir aucuns Anglois, et une compagnie d’Escots, jusques aux barrières ; mais rien n’y forfirent, ni jamais n’eussent fait ; ainçois en reportèrent leurs chevaux des sajettes et des viretons des arbalêtriers. Si s’en vinrent les Anglois loger celle seconde journée sur les mons de Herfaut et, allant de jour, passèrent devant Therouane où le sire de Sempy et le sire de Brimeu, messire Lyonnel d’Araine et le sire de Poix, et bien deux cents lances de François, y étoient. Si passèrent les Anglois outre sans rien faire, et chevauchèrent en trois batailles moult ordonnément ; et ne alloient le jour non plus de deux ou de trois lieues, et se logeoient de haute nonne ; et tous les soirs se retrouvoient ensemble, et point ne se déffoucquoient mais attendoient moult courtoisement l’un l’autre. La première bataille étoit des maréchaux ; la seconde des deux ducs, du duc de Lancastre et du duc de Bretagne ; et puis cheminoit tout le charroi qui portoit et menoit toutes leurs pourvéances ; et puis l’arrière garde faisoit le connétable ; et se joignoient toutes ces batailles ensemble, ni nulle ne s’en deffoucquoit ni issoit de son pas ; ni aussi, nul chevalier ni écuyer, tant fût appert ni bon homme d’armes, n’osât courir ni faire issue de ses compagnons, si il ne lui fût commandé et accordé des capitaines de sa route, et par espécial des maréchaux.

Si très tôt que le roi de France sçut que cils deux ducs et leurs gens étoient entrés en son pays et chevauchoient, si envoya chaudement en Bretagne après le connétable et le seigneur de Cliçon et les bons chevaliers et écuyers qui là se tenoient, que ils s’en retournassent en France ; car il les vouloit grandement ensonnier ; et par espécial le roi remandoit le seigneur de Cliçon, le vicomte de Rohan, monseigneur Jean de Bueil, monseigneur Guillaume des Bordes et monseigneur Louis de Saint-Julien et aucuns chevaliers et écuyers bretons ables et bien travaillans ; car il vouloit faire poursuivir les Anglois. Et vouloit bien le dit roi que messire Bertran son connétable, et le duc de Bourbon et le comte d’Alençon, demeurassent dalez son frère le duc d’Anjou, tant que aucune fin se fût approchée de ceux de Derval. Or avint, entrues que cils qui mandés étoient du roi mirent le temps et les jours de retourner de Bretagne, en France et d’avoir leur établissement et savoir leur ordonnance où chacun devoit aller, employèrent aussi leur temps grandement le duc de Lancastre et le duc de Bretagne, et leurs gens, d’entrer en France et de courir le pays six lieues de large à deux ailes de leur ost, pour plus largement trouver vivres et pourvéances ; car ils n’en prenoient nulles des leurs, mais qu’ils en sçussent recouvrer des nouvelles où que fût.

  1. Le duc de Lancastre arriva à Calais dans le cours du mois de juillet.
  2. Stamworth.