Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CLXXXVIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 490-491).

CHAPITRE CLXXXVIII.


Comment le comte de Montfort se partit de devant Auray et s’en vint prendre place sur les champs pour combattre monseigneur Charles de Blois.


Entre Rennes et Auray, là où monseigneur Jean de Montfort séoit, a huit lieues[1] de pays. Si vinrent ces nouvelles au dit siége que messire Charles de Blois approchoit durement, et avoit les plus belles gens d’armes, les mieux armés et ordonnés que on eût oncques mais vus issir de France. De ces nouvelles furent le plus des Anglois qui là étoient, qui se désiroient à combattre, tous joyeux. Si commencèrent ces compagnons à mettre leurs armures à point et à fourbir leurs lances, leurs dagues, leurs haches, leurs plates, haubergeons, heaumes, bassinets, visières, épées et toutes manières de harnois ; car bien pensoient qu’ils en auroient mestier, et qu’ils se combattroient. Adonc se trairent au conseil les capitaines de l’ost du comte de Montfort, premièrement messire Jean Chandos, par lequel conseil en partie il vouloit user, messire Robert Canolle, messire Eustache d’Aubrecicourt, messire Hue de Cavrelée, messire Gautier Huet, messire Mathieu de Gournay et les autres. Si regardèrent et considérèrent ces barons et ces chevaliers par le conseil de l’un et de l’autre et par grand avis, qu’ils se retrairoient au matin hors de leurs logis et prendroient terre et place sur les champs, et là aviseroient de tous assents pour mieux en avoir la connoissance. Si fut ainsi annoncé et signifié parmi l’ost, que chacun fût à lendemain appareillé et mis en arroi et en ordonnance de bataille, ainsi que pour tantôt combattre. Celle nuit passa ; lendemain vint, qui fut par un samedi[2], que Anglois et Bretons d’une sorte issirent hors de leurs logis et s’en vinrent moult faiticement et en ordonnance arrière du dit châtel d’Auray, et prirent place et terre, et dirent et affermèrent entre eux, que là attendroient-ils leurs ennemis.

Droitement ainsi que entour heure de prime, messire Charles de Blois et tout son ost vinrent, qui s’étoient partis le vendredi, après boire, de la cité de Rennes, et avoient cette nuit jeu à trois petites lieues d’Auray[3]. Et étoient les gens à monseigneur Charles de Blois les mieux ordonnés et les plus faiticement et mis en meilleur convine de bataille que on pût voir ni deviser ; et chevauchoient si serrés que on ne pût jeter un esteuf entre eux, qu’il ne chéît sur pointes de glaives, tant les portoient-ils proprement roides au contre mont. De eux regarder proprement les Anglois prenoient grand’plaisance. Si s’arrêtèrent les François, sans eux desréer, devant leurs ennemis, et prirent terre entre grands bruyères, et fut commandé de par leur maréchal que nul n’allât avant sans commandement, ni fît course, joûte, ni empainte. Si s’arrêtèrent toutes gens d’armes et se mirent en arroi et en bon convine, ainsi que pour tantôt combattre ; car ils n’espéroient autre chose et en avoient grand désir.

  1. Froissart se trompe souvent sur la distance des lieux et sur leur position. Auray est à plus de vingt lieues de Rennes. La géographie aujourd’hui encore dans l’enfance, était bien plus inconnue alors.
  2. Vingt-huit septembre, veille de Saint-Michel, comme on le verra ci-après.
  3. Charles de Blois passa cette nuit à Lanvaux ; mais il n’y vint pas de Rennes en un jour, comme le dit Froissart ; la marche eût été trop forte ; il s’arrêta à Josselin où il fit la revue de ses troupes, et se rendit de là à Lanvaux le vendredi 27 de septembre.