Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CXXIV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 172-173).

CHAPITRE CXXIV.


Comment, à la requête du comte de Flandre, les Gantois n’eurent nuls vivres de Hainaut ni de Brabant, et comment on traita pour leur paix.


Pour l’amour du jeune seigneur d’Enghien, c’est vraie chose, se défit le siége de devant Gand ; et s’en partit le comte et s’en retourna à Bruges ; et donna congé pour celle saison à toutes manières de gens d’armes, et les envoya ens ès garnisons de Flandre, ens ou chastel de Gavres, en Audenarde, en Tenremonde, en Courtray, et partout sur les frontières de Gand. Et manda le comte aux Liégeois, pour ce que ils confortoient les Gantois de vivres et de pourvéances, que plus ne les assiégeroit, mais que ils ne voulsissent en Gand envoyer nuls vivres. Ceux du Liége répondirent orgueilleusement aux messages qui envoyés y furent, que de ce faire ils auroient avis et conseil à ceux de Sainteron, de Huy et de Dignant. Le comte n’en pot autre chose avoir. Toutefois le comte de Flandre envoya devers ses cousins le duc de Brabant et le duc Aubert, baillif de Hainaut, de Hollande et Zélande, grands messages de ses plus sages chevaliers, qui leur remontrèrent de par lui, que la ville de Gand se tenoit en son erreur et en sa mauvaisté, par le grand confort que les gens de celle ville avoient de leur pays, de vivres et de pourvéances qui leur venoient tous les jours, et que ils y voulsissent pourvoir de remède. Ces deux seigneurs, qui envis eussent ouvré ni exploité à la déplaisance de leur cousin le comte, s’excusèrent moult bellement aux chevaliers, et leur répondirent que en devant ces nouvelles ils n’en avoient rien sçu, et auroient tel regard que on y mettroit attrempance. Cette réponse suffit assez au comte de Flandre. Le duc Aubert, qui pour le temps se tenoit en Hollande, escripsit devers son baillif en Hainaut, messire Simon de la Lain[1], et lui envoya la copie des les lettres, et par escript les paroles et requêtes de son cousin le comte de Flandre ; et avecques tout ce il lui manda et commanda étroitement que il eût tel le pays de Hainaut que il n’en ouït plus nulles nouvelles à la déplaisance du comte son cousin ; car il s’en courrouceroit. Le baillif obéit, ce fut raison ; et fit faire un commandement général parmi la comté de Hainaut, que nul ne menât vivres à ceux de Gand ; car si ils étoient sur le chemin vus, sçus, ni trouvés, ils n’auroient point d’aveu de lui. Un tel cri et défense fit-on en Brabant : ni nul n’osoit aller en Gand, fors en larrecin, ni mener vivres ; dont ceux de Gand se commencèrent à ébahir ; car ces pourvéances leur affoiblissoient durement. Et eussent trop plus tôt eu grand’famine ; mais ils étoient confortés des Hollandois qui oncques ne s’en vouldrent déporter, pour mandement ni pour défense que le duc Aubert y pût mettre.

En ce temps, par les pourchas et moyens des consaux de Hainaut, de Brabant et du Liége, fut un parlement assis et accordé à être à Harlebecque de-lez Courtray. Et se tint le parlement ; et y envoyèrent ceux de Gand douze des plus notables hommes de la ville ; et montroient tous généralement, excepté la ribaudaille qui ne désiroient que la riote, que ils vouloient venir à paix, à quel meschef que ce fût. À ce conseil et parlement furent tous les consaulx des bonnes villes de Flandre, et mêmement le comte, et aussi de Brabant, de Hainaut et du Liége y eut gens. Là furent les choses si bien taillées et touchées que, sur certain article de paix, les Gantois retournèrent en leur ville. Et advint que ceux de Gand qui paix désiroient à avoir, voire les sages et les paisibles, se trairent devers les hôtels des deux plus notables et riches hommes de Gand, qui à ce parlement eussent été, sire Gisebrest Grutte et sire Simon Bete, et leur demandèrent des nouvelles. Ils se découvrirent trop tôt à leurs amis ; car ils répondirent : « Bonnes gens, nous aurons une belle paix, si Dieu plaît. Ceux qui ne veulent que bien demeurent en paix ; et on corrigera aucuns des mauvais de la ville de Gand. »

  1. Oncle du célèbre chevalier Jacques de la Lain, dont Georges Châtelain nous a laissé l’histoire.