Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre LXVIII

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CHAPITRE LXVIII.


Comment le roi de France, averti du fait des Anglois, rescripsit à la cité de Nantes, et comment il en fut content.


Vous entendez bien comment les Anglois chevauchoient le royaume de France et prenoient leur chemin pour venir en Bretagne ; et disoient et maintenoient que le duc de Bretagne et le pays si les avoient mandés, quoique autrement ils eussent bien cause de faire guerre pour la matière et occasion du roi d’Angleterre leur seigneur ; mais pour le présent, ils se nommoient soudoyers au duc et au pays de Bretagne. Le roi Charles de France, qui régnoit pour ce temps, comme tout informé de ces matières et comme sage et avisé qu’il étoit, douta les périls et incidences qui de ce pouvoient naître et venir, et regarda que si le pays de Bretagne avecques les Anglois lui étoient contraires, sa guerre aux Anglois en seroit plus felle et plus dure. Et par espécial il ne vouloit mie, quoiqu’il fût mal du duc, que les bonnes villes de Bretagne lui fussent ennemies ni ouvertes à ses ennemis ; car au cas que ce se feroit, ce lui seroit un trop grand préjudice. Si envoya moyennement et secrètement lettres closes, douces et débonnaires et moult gracieuses, devers ceux de Nantes qui est la clef et le chef de toutes les bonnes villes de Bretagne, en remontrant qu’ils s’avisassent, et que tes Anglois qui cheminoient par son royaume se vantoient et affirmoient qu’ils les avoient mandés, et se tenoient leurs soudoyers. Et au cas que ils avoient ce fait et vouloient persévérer en ce mes-fait, ils étoient atteints et enchus de foi mentie, de obligation brisée, de sentence de pape encourue sur eux et de deux cent mille florins de peine que il pouvoit loyaument atteindre sur eux, au cas qu’ils voudroient briser les traités jadis faits, accordés et scellés, requis et priés par eux, desquels il avoit les copies et eux aussi, c’est à entendre les royaux[1] ; et que toujours leur avoit-il été doux, propice et ami, et aidés et confortés à leurs besoins ; et que ils ne fissent pas tant qu’ils eussent tort ; car ils n’avoient nul certain titre ni article d’eux trop avant plaindre de lui, pour eux bouter si avant en une guerre que de recevoir ses ennemis ; mais bien s’avisassent et conseillassent loyaument, et s’ils avoient été mal enortés et conseillés par foible conseil, tout ce leur pardonnoit-il bonnement, au cas que ils ne se vouisissent mie ouvrir contre ses ennemis les Anglois ; et les vouloit tenir en toutes leurs franchises jurées, et les renouveler en tout bien, si il besognoit.

Quand ces paroles et offres que le roi de France offroit et présentoit à ceux de Nantes furent lues et entendues, si regardèrent sus ; et dirent bien les plus notables de la ville que le roi de France avoit droit et cause de remontrer tout ce qu’il disoit, et que voirement avoient-ils juré et promis, escript et scellé, que jamais ne seroient ennemis au roi de France, ni aidans à ses ennemis. Si commencèrent à être sur leur garde ; et renvoyèrent secrètement devers le roi de France que de ce il ne se souciât en rien ; car jà les Anglois à main armée, pour gréver, ni guerroyer le royaume de France, ils ne mettroient ni soutiendroient en leur ville ; mais vouloient, si il besognoit, être aidés et confortés des gens du roi, et à eux ils ouvriroient leur ville, et aux autres non. Le roi de France, qui oyoit bien tous ces traités, s’en tenoit bien à leur parole ; car voirement à Nantes ont ils toujours été bons et loyaux François. Et de tout ce ne savoit encore rien le duc de Bretagne qui se tenoit à Vennes ; mais cuidoit bien que ceux de Nantes dussent demeurer de-lez lui, et ouvrir leur ville aux Anglois quand ils venroient. Or retournerons aux Anglois qui étoient logés assez près de Sens en Bourgogne, en laquelle cité, pour la doute d’eux, avoit grand’garnison de gens d’armes, et s’y tenoient le duc de Bar, le sire de Coucy, le sire de Saint-Py et le sire de Fransures, et leurs routes.

  1. Les originaux signés par le roi.