Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XL

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CHAPITRE XL.


Comment les Espaignols partirent du siége de Pampelune, et comment les Anglois arrivèrent en Navarre ; et comment ils s’y maintinrent.


Le roi de Navarre, qui se tenoit à Saint-Jean du Pied des Ports, étoit durement courroucé de ce que les Anglois séjournoient tant à venir ; car son pays étoit en très grand péril. Et bien vous dis que Pampelune eût été prise et conquise des Espaignols, si n’eût été le sens et la bonne garde du vicomte de Castelbon, qui en étoit capitaine atout deux cents lances de Gascons ; mais le sens de lui, et la bonne ordonnance, le garda de tout périls. De la ville de Tudelle en Navarre étoit capitaine messire Perducas de la Breth ; de la cité de Mirande étoit capitaine le comte de Pallas, et avec lui messire Roger son frère ; d’une autre forte ville en Navarre que on appelle Arques, étoit capitaine un chevalier de Casteloingne qui s’appeloit messire Raymond de Bages. Sur la fiance de ces capitaines se tenoit le roi de Navarre à Saint-Jean du Pied des Ports ; mais tout le plat pays étoit rifflé, ni nuls n’y tenoient les champs fors les Espaignols. Et cuidoient bien que par long siége la cité de Pampelune se dut rendre ; mais ils n’en avoient nulle volonté ; car le vicomte de Castelbon et le sire de l’Escun et Guillaume de Pans et Hortingos en soignoient grandement, et tant que les Espaignols se commencèrent tous à tanner, car l’hiver leur venoit, et étoit environ la Saint-Andrieu. Si leur commençoient vitailles à faillir ; et si n’eût été le vicomte Roquebertin qui les rafraîchit de gens d’armes et de soixante sommiers de vitaille, ils se fussent partis très la Toussaint. Le roi de Navarre envoya un sien chevalier, qui s’appeloit messire Pierre de Bascle, devers les Anglois, en priant que ils se voulsissent délivrer, et que trop longuement mettoient à venir selon ce que besoin lui touchoit et qu’ils avoient eu en convenant ; le chevalier exploita tant que il vint en la marche de Bayonne ; et trouva les Anglois devant un châtel qui s’appeloit Pouillac, et fit son message bien et à point, et tant que messire Thomas Trivet dit que, ce fort conquis par traité ou autrement, il n’entendroit jamais à autre chose si seroit allé en Navarre ; et que sur cette parole le chevalier pouvoit bien s’en retourner : il retourna. Depuis ne demeura que deux jours que le château se rendit par traité ; et s’en partirent ceux qui dedans étoient, et fut rafraîchi de nouvelles gens d’armes. Ce châtel pris, le pays demeura assez en paix : encore y avoit aucuns petits forts qui se tenoient, moûtiers et églises, et qui hérioient le pays quand ils pouvoient, mais ils n’avoient nulle grand’puissance : si ne vouldrent mie les Anglois plus séjourner, mais dirent qu’ils vouloient aller en Navarre et lever le siége de Pampelune et combattre les Espaignols.

Messire Thomas Trivet et messire Mathieu de Gournay et toutes leurs gens s’en retournèrent à Dax, et là séjournèrent par quatre jours et se rafraîchirent. Au cinquième jour ils s’en partirent et prirent le chemin de Navarre ; mais messire Mathieu de Gournay retourna en la cité de Bayonne avec ceux de sa délivrance, pour garder le pays et reconquérir cet hiver aucuns petits forts qui se tenoient Bretons.

Tant exploitèrent messire Thomas Trivet et sa route que ils vinrent à Saint-Jean du Pied des Ports et là trouvèrent le roi de Navarre qui les reçut à grand’joie. Si se logèrent les chevaliers en la ville, et les gens d’armes sur le pays au mieux qu’ils purent. Le roi de Navarre en devant ce avoit fait un très grand mandement par son pays, que toute manière de gens vinssent devers lui et se assemblassent devant la cité de Mirande. Nul n’osa désobéir au commandement du roi ; et se pourvéirent et appareillèrent parmi Navarre chevaliers et écuyers, et toutes autres gens, de lances et de pavais, et s’ordonnèrent pour venir devant Pampelune combattre les Espaignols.

Nouvelles vinrent en l’ost que les Anglois, atout grand’puissance, étoient avecques le roi de Navarre à Saint-Jean du Pied des Ports et que ils se trouvoient bien vingt mille hommes d’armes parmi les archers pour eux venir combattre. Adonc se mirent les capitaines ensemble pour conseiller quelle chose ils feroient ; si ils attendroient le roi de Navarre ou si ils se retrairoient. Là eut grand conseil et longuement parlementé. Et vouloient aucuns des capitaines que les Anglois et Navarrois fussent attendus, et les autres disoient non, et que ils n’étoient pas si forts que pour attendre telle puissance, et que par long siége ils étoient trop travaillés. Ce parlement fut longuement tenu : finablement un certain arrêt fut donné du déloger tout bellement et retraire en leur pays. Et ce qui plus les inclina à ce faire, car bien disoient plusieurs vaillans chevaliers et écuyers usés d’armes que point ne faisoient leur honneur, ce fut que le roi Henry de Castille, étant en son pays puis quinze jours, avoit remandé son fils et ne vouloit plus que le siége se tînt devant Pampelune. Si se délogèrent les Espaignols[1]. À leur département ils boutèrent les feux dedans leurs logis et se retrairent devers le Groing et devers Saint-Domminghe en Castille. Quand ceux de Pampelune, qui étoient moult astreints, virent le délogement, si en furent tous réjouis ; car ils n’avoient pas toujours été à leur aise.

  1. L’infant D. Jean se retira de Navarre en Castille, dans le commencement de novembre.