Les Cinq/Prologue/8. Extraits authentiques

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VIII

EXTRAITS AUTHENTIQUES


Ce fut seulement au commencement de janvier 1847 que la princesse-marquise (on appela tout de suite ainsi notre Domenica) fit son apparition dans le monde parisien. Les travaux exécutés à l’hôtel Paléologue avaient pris les cinq derniers mois de la précédente année. Vous n’eussiez pas reconnu la vieille maison si triste. Elle était digne en tout maintenant de cette charmante Domenica.

On s’occupa d’elle beaucoup. Il y eut « sensation ». En écrivant, j’ai sous les yeux des journaux de l’époque et je demande la permission d’en citer quelques lignes choisies. Cela nous épargnera bien des pages.

Je commencerai par le Miroir des salons, où Mme la baronne de Vatenville rédigeait alors avec tant d’éclat les articles « élégants ».


« … Il y a eu un début au premier bal de l’ambassade d’Autriche, plus qu’un début : un lever de soleil !

» Tous les autres astres pâlissaient, même la ravissante duchesse de Dino, née de Sainte-Aldegonde (satin bleu, tablier de brocart d’argent, couronne de pensées, sidérées de diamants), même la blonde princesse de Beauvau, dont les toilettes sont comme ses yeux : indescriptibles ! même la duchesse d’Istrie (lilas senti profondément et relevé par des imprévus roses) ; même Mme la princesse de Chimay (Mlle Pellaprat) à qui on avait envie de tendre la main pour la retirer de son bain de pierreries. Heureusement qu’elle sait nager.

» Mais où étaient donc « ces messieurs » ? Auprès de Mme J. de Castellane, correcte comme un pli de la tunique de Rachel ? Non. Auprès de Mme de Nanzouty, la grâce habillée de poésie ? Non. Auprès de la duchesse de Praslin, dont le bonheur a comme un voile de tristesse ?

» Non, non, non, « ces messieurs » étaient ailleurs : le comte d’Orsay, le païen d’Althon-Shée, le chrétien Montalembert, M.  de Châteauvillard, sir Lytton Bulwer, lord Seymour, Morny, le mystérieux, dont le brillant Walewski connaît seul la généalogie, tous les héros de la mode s’étaient tournés du côté de l’aurore…

» Boréale ? Orientale plutôt. Est-ce une beauté ? Éblouissante ! Une fortune ? Absurde, impossible, écrasante ! Ces chiffres-là ne s’écrivent pas. On parle de huit zéros. Je dis huit en vous suppliant de n’y pas croire.

» L’âge ? Dix-huit ans. Le nom ? Il y en a deux : celui du premier pape avec celui des derniers empereurs d’Orient.

» Et de la grâce à pleines corbeilles ! Et de l’esprit ! Et de tout ! Jusqu’à de la naïveté !

» Vous jugez : le reste s’éclipsait. Il n’y en avait que pour la princesse Domenica Paléologue, marquise de Sampierre !

» Toute en tulle blanc sur satin pâleur (nouveau vert-d’eau de la maison Godonèche.) Par devant, rêves et bouillons en treillis, étoilé chacun d’une marguerite de diamants à cœur d’émeraude. Côtelures de petites émeraudes, le long des quilles, avec attaches de marguerites. Sa berthe n’était qu’une guirlande de fleurs en diamants. Dans ses cheveux noirs comme le jais, un feu d’artifice de pierreries. Théophile Gautier a dit : « C’est la symphonie en blanc-majeur ! » Cette créature de lumière semble respirer des rayons…


Vous voyez que, dès cette époque reculée, le style n’était pas inconnu en France.

Voici, sur le même sujet quelques « échos » du Corsaire de Satan :



» Ce qu’il y a de remarquable dans le genre de beauté de la princesse-marquise, c’est son air d’extrême jeunesse. Vous la prendriez pour une petite demoiselle : très-bien nourrie. Son mari porte assez haut ses millions, c’est un joli homme d’Italie.

» La charmante princesse, malgré son sourire enfantin, a déjà donné un héritier à monsieur le marquis. On la dit pour la seconde fois dans une position intéressante. »



» On parle d’une grande fête orientale que la marquise Domenica doit donner, vers la fin du carnaval, dans les salons et jardins d’hiver de l’hôtel Paléologue. La chasse aux invitations a déjà commencé.

» M.  le marquis est un danseur, ce qui ne l’empêche pas d’aimer la science. Il s’est rendu hier acquéreur de la bibliothèque spéciale de feu le docteur P…, le célèbre professeur d’accouchements.

» Il paraîtrait qu’un goût tout particulier l’entraîne vers l’étude de la tocologie. On prétend, en effet (nous n’y avons pas été voir), que M.  le marquis suit incognito les cours d’accouchement à la clinique de l’École de médecine. C’est drôle.



» Un revenant : — au bal de l’ambassade d’Autriche, nous avons serré la main du vicomte Jean de Tréglave qu’on avait fait mourir violemment, en Italie, cet été.

» Le vicomte est muet sur son aventure. Sans doute une affaire d’amour.

» Cela fait deux affaires d’amour dans la famille. En revoyant le cher vicomte, on se demandait, en effet, où pouvait bien être Laurent de Tréglave, car, ordinairement, Pollux ne quitte jamais Castor.

» Pollux voyage. Voici l’histoire qui se raconte : Il était une fois une orpheline, belle comme le jour, mais dont la naissance s’environnait d’un nuage. La nécessité l’avait réduite au métier un peu compromettant de somnambule. Un jeune gentilhomme français la découvrit, l’aima… L’épousa-t-il ? Peut-être.

» Et voilà pourquoi Castor était sans Pollux au bal de l’ambassade… »