Les Colonies françaises à Marseille

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Les Colonies françaises à Marseille
Revue des Deux Mondes5e période, tome 35 (p. 804-835).
LES
COLONIES FRANÇAISES
À MARSEILLE

Aux Expositions universelles, ces manifestations trop grandioses pour être vraiment pratiques et trop générales pour rester précises, on sera de plus en plus amené à substituer des Expositions particulières ou locales consacrées à une branche déterminée et limitée de l’activité nationale : une exposition n’a sa raison d’être que si elle est destinée à constater le chemin parcouru dans une voie donnée et à préparer des progrès nouveaux. C’est ce que Marseille a compris et réalisé dans son Exposition coloniale. Donner à la France le spectacle des magnifiques résultats obtenus, depuis 1900, dans son empire colonial, marquer, en même temps, la part qui, dans cet essor, revient à Marseille, et définir les concours réciproques que l’expansion coloniale et la prospérité marseillaise peuvent encore attendre l’une de l’autre, c’est l’objet que se sont proposé les organisateurs de l’Exposition de 1906. En 1900, le sérieux travail de nos colonies disparaissait sous l’amoncellement des bibelots ; il fallait le découvrir derrière la profusion des « attractions » sensationnelles. À Marseille, les colonies seules sont admises : elles s’épanouissent à l’aise, chacune dans son palais, sur le large emplacement de l’ancien champ de manœuvres. Mais, avec elles, Marseille y pénètre : l’Exposition est née de la collaboration de notre grand port méditerranéen et des colonies : elle est, tout ensemble, marseillaise et coloniale ; Marseille a voulu y paraître dans sa gloire de métropole de l’empire colonial français : l’Exposition est une démonstration. Sans doute, les inévitables « attractions, » tobogan, montagnes russes, danse du ventre, y occupent une place, mais cette place est relativement discrète : ne faut-il pas attirer la foule, amuser les badauds et les enfans ? Et leur présence n’enlève pas à l’Exposition son caractère éducatif et pratique. Disons tout de suite, pour n’y pas revenir, que le cadre est charmant et l’aménagement général très heureux. Comme voies d’accès, les larges avenues du Prado, avec leurs épais ombrages de platanes, sillonnées de tramways dont Paris aurait profit à imiter la bonne organisation et les prix démocratiques ; comme fond de tableau, les collines brûlées, mais si éclatantes de lumière quand elles reflètent les ardeurs du couchant, qui entourent la ville, et ferment sa rade ; comme décor, de belles allées fleuries et ombragées où s’élèvent, dans la verdure, les palais coloniaux aux architectures originales et variées, assez rapprochés les uns des autres pour former un ensemble très vivant, assez éloignés pour ne pas choquer, les yeux par l’incohérence de leurs styles et le disparate de leurs aspects ; à quelques minutes, la mer, cette Méditerranée qui porta jadis les galères de Phocée et qui fut la grande route du commerce de tous les temps, vient doucement mourir au pied des collines couronnées de pins, sur les rochers de la Corniche ; et, fondant les couleurs trop crues dans l’éclat de ses rayons, le bon soleil de Provence jette à profusion sa joie et sa lumière sur ces palais de toutes les civilisations, sur ces vêtemens de tous les climats, ces hommes de toutes les races et ces peaux de toutes les nuances.


I

Le premier projet de l’Exposition est né à Marseille, de la rencontre de deux hommes dont l’activité s’exerce avec une égale autorité et un pareil bonheur, dans les domaines les plus différens ; l’un, le docteur Heckel, directeur de l’Institut et du Musée colonial de Marseille, met au service de l’expansion coloniale la grande compétence scientifique et le zèle professoral que les savans de tous les pays s’accordent à lui reconnaître ; l’autre, M. J. Charles-Roux, ancien député, directeur de la compagnie Transatlantique, président du comité de Madagascar, a été l’un des initiateurs et reste l’un des plus actifs ouvriers du grand mouvement colonial qui est l’un des faits capitaux de l’histoire de notre pays en ces trente dernières années. Marseillais d’origine et Marseillais de cœur, M. J. Charles-Roux est un créateur et un réalisateur ; son esprit d’initiative, son expérience d’homme d’affaires et d’homme public ont contribué dans une très large mesure au succès de l’Exposition. Autour de ces deux têtes, les bonnes volontés se sont empressées, nombreuses, ardentes à concourir à la réussite de l’entreprise ; mais celles-là seulement qui portaient le cachet d’origine provençale ont été agréées : l’œuvre devait rester et est restée marseillaise. La Société de géographie de Marseille et son vénéré président, M. Delibes, l’Université d’Aix-Marseille et notamment MM. Paul Gaffarel et Paul Masson, bien connus, l’un par ses nombreux travaux de géographie et d’histoire coloniales, l’autre par son bel ouvrage sur le Commerce français dans le Levant, le Syndicat d’initiative de Provence, toutes les sociétés scientifiques ou coloniales de la région ont contribué à l’effort commun. Le 28 octobre 1902, le Conseil municipal votait le principe d’une Exposition et accordait une subvention ; le Conseil général des Bouches-du-Rhône en faisait autant de son côté. Le gouvernement n’intervenait que pour donner à l’entreprise le caractère officiel et nommait le commissaire général, M. J. Charles-Roux, le commissaire général adjoint M. Heckel, le directeur et les directeurs adjoints ; mais, en dehors de cette formalité, le pouvoir central n’intervenait pas : Paris ignorait Marseille. Le comité marseillais et les gouverneurs des colonies agissaient de leur propre et libre initiative.

Le projet de Marseille trouva auprès des gouverneurs des colonies l’accueil le plus empressé et le concours le plus actif. Grâce à la création des grands gouvernemens coloniaux, il n’était plus nécessaire de s’adresser à de nombreux fonctionnaires ; il suffisait de s’entendre avec cinq hauts potentats qui manient des budgets énormes et administrent de vastes empires, les gouverneurs généraux de l’Algérie, de l’Afrique occidentale, de Madagascar, de l’Indo-Chine et le résident général en Tunisie ; il se trouvait heureusement que tous, avec des caractères différens et des méthodes personnelles, étaient des hommes de mérite, ardemment dévoués à leur œuvre ; MM. Jonnart, Roume, le général Galliéni et après lui M. Augagneur, MM. Beau et Pichon, comprirent la portée de la manifestation coloniale préparée à Marseille et prirent à cœur d’un assurer le succès.

Le gouvernement, qui n’avait pas été à la peine, ne fut pas non plus à l’honneur ; l’inauguration eut lieu sans pompes officielles, sans éloquence ministérielle ; nos hommes d’État, si empressés d’ordinaire à célébrer l’inauguration d’un groupe scolaire ou de la statue d’une célébrité cantonale, ne parurent pas officiellement à Marseille. On raconte volontiers, sur la Canebière, qu’entre le modéré M. Chanot, maire antiflaissiériste (pardon pour ce néologisme de la langue politique ! ) et le très radical et socialiste M. Estier, président du Conseil général, le gouvernement, craignant d’être compromis par les uns ou de paraître le prisonnier des autres, préféra s’en tirer par l’abstention. Mais rien ne réussit comme le succès et le Président de la République vient de venir à Marseille. Sa visite, en avril ou en mai, alors que le succès était encore incertain, aurait été acclamée avec enthousiasme ; sa venue tardive a été accueillie avec satisfaction, comme une consécration de la réussite complète de l’Exposition. La visite du Président a été, pour une grande partie de la presse parisienne, une occasion de découvrir l’Exposition. Est-ce parce qu’un pays où les journaux de la capitale n’arrivent qu’à onze heures du soir ne saurait intéresser la presse boulevardière ? Ou bien faut-il croire, comme on le raconte volontiers, qu’il ne suffit pas de les mériter pour obtenir les éloges de certaines feuilles dont le Comité marseillais aurait négligé de stimuler le zèle ? Toujours est-il que, grâce au silence et à l’indifférence d’une grande partie de la presse quotidienne, la France a ignoré jusqu’à ces derniers jours l’Exposition de Marseille. Bien mieux, Paris exhibe, au grand Palais, une déplorable contrefaçon de Marseille, une « Exposition coloniale » où il y a de tout, excepté des colonies. Il est caractéristique, en même temps que pénible, de constater qu’à l’étranger, l’effort de la grande cité provençale et de nos colonies a été mieux compris et mieux apprécié ; les Allemands[1], les Anglais, les Italiens sont venus en grand nombre ; leurs journaux ont discuté et, en général, célébré en termes très flatteurs cette imposante manifestation de notre énergie nationale ; ils ont constaté, parfois avec une nuance de dépit, quels progrès nos colonies ont su réaliser dans ces dernières années et quelle place tient aujourd’hui, dans le monde, l’empire colonial français. Le célèbre professeur et voyageur Schweinfurth, de Berlin, a récemment visité Marseille et exprimé, en même temps que son admiration pour le goût parfait qui a présidé à l’aménagement de l’Exposition et pour le grand effort scientifique dont elle est la preuve, son étonnement « du silence de la presse parisienne sur un événement aussi national que celui-ci. » Les étudians de l’Université commerciale de Cologne avaient trouvé, l’hiver dernier, à Marseille, lors du voyage d’étude qu’ils y firent, un accueil empressé et sympathique ; la Gazette de Cologne en prit texte pour consacrer des articles très exacts et très élogieux à l’Exposition ; le Deutsche Kolonialblatt, journal officiel édité par les soins du département colonial du ministère des Affaires étrangères, publiait, dans son numéro de juin, un article très sympathique qu’il terminait en ces termes : « L’Exposition coloniale offre une image complète de l’importance de l’Empire colonial français. Elle permet de se faire une idée du développement considérable, tant économique que civilisateur, que les intérêts coloniaux français ont acquis au cours de ces dernières années et enfin elle exercera, à n’en pas douter, une profonde influence sur les rapports réciproques que les colonies entretiennent avec leur mère patrie. » La Gazette de Voss, dans un article daté de Paris, et l’Ostsee Zeitung, ayant lourdement dénigré l’Exposition, une note, dont le ton révélait l’origine officielle, leur fut envoyée pour rétablir la vérité et rendre justice à Marseille et à l’œuvre coloniale de la France. Le grand journal de Brème, la Weser Zeitung, dans une série de « Causeries, » étudiait en détail l’Exposition, louant à bon escient ou critiquant sans acrimonie, et concluait : « A vouloir jeter un coup d’œil d’ensemble sur les quatre pavillons que je viens de critiquer pour en tirer une leçon, il nous faut avouer, et non sans envie, que l’on doit s’incliner devant le sérieux de ce travail colonial. La France ici ne parle pas seulement aux Français, mais au monde tout entier : ces quatre pavillons suffisent à eux seuls pour assurer à l’Exposition coloniale une portée internationale. Nous avons trop l’habitude de considérer l’Angleterre comme l’alpha et l’oméga en matière coloniale, comme la puissance coloniale par excellence. C’est le plus grand titre de gloire de l’Exposition coloniale de Marseille de démontrer pratiquement qu’en France aussi on sait coloniser et que, nous autres Allemands, nous pouvons encore apprendre énormément de la France si nous voulons seulement nous en donner la peine. » Il est curieux d’enregistrer ces jugemens, ou ceux que, sur le même ton d’éloges, a publiés la presse anglaise : ils sont flatteurs pour notre amour-propre national ; mais, si on les met en parallèle avec le silence des journaux français, ils sont de nature à nous faire appréhender que, plus peut-être que la France elle-même, le commerce et l’expansion étrangères ne profitent des leçons que Marseille offre au monde.


II

Il appartenait à Marseille, notre premier port colonial, de prendre l’initiative d’une Exposition coloniale. Ici, on se sent tout près de ces pays qui, à Paris, nous paraissent si lointains ; Marseille est vraiment la porte de l’Orient ; en présence de ces grands paquebots qui partent pour les pays d’outre-mer, ou qui en arrivent, tout chargés des produits exotiques, on a l’impression très vive de la présence prochaine, par de la quelques jours de navigation, de ces terres où l’activité européenne s’est développée si prodigieusement ; mais, plus encore que sa position géographique, c’est son histoire et c’est l’évolution de sa vie économique qui invitaient Marseille à préparer cette grande manifestation de l’énergie de la France au dehors.

Toute l’histoire de Marseille est une histoire coloniale. Colonie, elle-même, des Phocéens, c’est elle, à son tour, qui, avant Jules César, colonise et civilise la Gaule. Au milieu du monde romain, elle reste grecque par la langue, par les mœurs et par les traditions. Au moyen âge, ses marchands sillonnent hardiment la Méditerranée ; dès le temps des croisades, les Marseillais trafiquent dans le Levant et tout le long des côtes musulmanes ; ils commencent, avec les pays barbaresques, ces relations d’échanges dont le développement a fini par provoquer l’intervention de 1830 : c’est surtout à l’initiative des Marseillais que la France doit d’avoir été amenée à conquérir l’Algérie et à protéger la Tunisie ; c’est grâce à eux encore qu’elle est de beaucoup au premier rang pour le commerce avec le Maroc. Le XIXe siècle a recueilli les fruits du patient et obscur labeur des négocians marseillais. Dans les Echelles du Levant, ils ont fondé peu à peu la prépondérance française, courant toute la Méditerranée et jusqu’au fond de la Mer-Noire, comme leurs ancêtres Phéniciens ou Grecs, trafiquant partout, ouvrant des comptoirs, étendant leurs affaires et leurs relations. Longtemps les « mers du Ponant, » les Océans, furent réservés, par privilège royal, à l’activité des marins français des côtes de l’Atlantique ; les Marseillais réclamèrent la liberté des mers et, dès qu’ils l’eurent obtenue, ils se hâtèrent d’en profiter pour sortir de ce cul-de-sac de la Méditerranée, trop étroit pour leurs entreprises audacieuses. Au XVIIIe siècle, pour le commerce des Antilles, après Bordeaux et Nantes, Marseille, malgré sa situation défavorable, se fait une place considérable au troisième rang, qu’elle dispute au Havre. Les vaisseaux de Georges Roux, dit Roux de Corse, vont chercher les produits des Iles, le cacao, le café, le coton, le sucre ; pendant les grandes guerres du règne de Louis XV, les Marseillais arment des corsaires qui pourchassent rudement le commerce anglais : « Je ressemble à M. Roux, de Marseille, écrivait Voltaire à d’Alembert le 10 août 1776, qui fit la guerre aux Anglais, en 1756, en son propre et privé nom. » Voltaire se vantait, car, tandis qu’il prenait légèrement son parti de la perte de « quelques arpens de neige, » les négocians de Marseille protestaient de toute leur énergie contre le désastre du traité de Paris. André Brüe, le créateur de notre colonie du Sénégal, d’Entrecasteaux, le grand navigateur, sont des Marseillais ; Provençal aussi cet admirable bailli de Suffren et tant d’autres vaillans marins qui auraient donné à la France l’empire des mers et des colonies si le cœur du roi avait été à la hauteur de l’énergie des sujets ; Marseillais, enfin, ce terrible Victor Hugues qui fut proconsul de la Convention dans les Antilles et arracha la Guadeloupe aux Anglais. Il faut lire, dans l’excellent livre de M. Paul Masson, publié à l’occasion de l’Exposition et sur lequel nous aurons à revenir, toute cette histoire de l’activité marseillaise et de l’expansion des Français au dehors, pour saisir sur le vif les causes profondes et le vrai caractère des grandes guerres du XVIIIe siècle, de ce duel de géans qui commence avec Colbert pour finir par Waterloo et dont, en un certain sens, la Révolution n’est qu’un épisode. Quel historien réussira jamais à retrouver et à mettre en pleine lumière les liens mystérieux qui font de la Révolution une revanche de nos victoires navales dans la guerre d’Amérique ? Après le traité de Versailles (1783), la flotte française est maîtresse des mers ; le commerce et les colons français se répandent sur tous les continens. Mais surviennent 1789 et 1793 : Marseille est ruinée, Toulon livré aux Anglais, la flotte détruite ; d’Orvilliers émigré meurt de misère, d’Estaing et Kersaint sont guillotinés, Kerguelen emprisonné ; toute l’œuvre coloniale, si laborieusement créée, achève de s’écrouler.

Au XIXe siècle, les négocians marseillais sont à la tête du grand mouvement qui fonde le nouvel empire colonial français. Fortuné Albrand, dès 1815, attire l’attention de ses compatriotes sur Madagascar où, beaucoup plus tard, les agens de la maison Roux de Fraissinet et, parmi eux, Alfred Rabaud, allaient ouvrir la voie à l’intervention française. Sur la côte occidentale d’Afrique, les Marseillais créent des comptoirs où ils vont chercher l’huile de palme et les arachides que consomme leur industrie du savon ; c’est à l’initiative de la maison Victor Régis que la France doit d’avoir été amenée à s’établir au Dahomey : longtemps avant la prise de possession, les factoreries y avaient fait flotter le pavillon tricolore. A Obock et à Djibouti, l’esprit entreprenant des Marseillais devance de très loin l’occupation officielle, et il n’a pas tenu à eux que, depuis longtemps, la France se soit installée à Cheik-Saïd ; en Abyssinie, des Marseillais, les premiers, nouent des relations d’amitié et de commerce avec le négus ; à Zanzibar, Alfred Rabaud devient l’homme de confiance du sultan. Ainsi, partout, le négociant a précédé le soldat et l’administrateur ; l’action du gouvernement n’est venue que plus tard, souvent trop tard ; elle a été, en général, lente à émouvoir, parfois maladroite, et elle a souvent laissé perdre, par ignorance ou pusillanimité le fruit des longs et patiens efforts des négocians français. En Algérie, après la conquête, les Marseillais, les premiers, ont eu l’audace de tenter des expériences de colonisation : c’est la « période héroïque » où le pire danger n’est pas dans les incursions des Arabes, mais dans le mauvais vouloir des gouverneurs. Si, au Sénégal, les Bordelais ont presque complètement supplanté les Marseillais, la Compagnie française de l’Afrique occidentale en Guinée et les maisons Mante frères et Borelli, et Cyprien Fabre au Dahomey font presque tout le commerce. Madagascar est une des colonies préférées des Marseillais ; plusieurs compagnies et de nombreux particuliers y font de l’agriculture, de l’industrie, du commerce ; en revanche, ils ont peu d’intérêts au Congo où l’activité marseillaise n’est guère représentée que par M. Fondère et la Compagnie des Messageries fluviales du Congo. En Indo-Chine, ils n’ont pris qu’une faible part à l’expansion française : l’Afrique reste leur domaine de prédilection. « Le Provençal, écrit M. Paul Masson, aventureux et indiscipliné, partisan de l’action isolée, est certainement l’un des Français qui répugnent le moins à courir le monde et à s’établir en pays inconnus. Ce qui n’empêche pas le Marseillais de vieille souche d’être souvent l’homme le plus singulièrement casanier du monde, incapable de s’aventurer même dans les quartiers de sa ville qui ne lui sont pas familiers. » Colons ou négocians, armateurs ou industriels, les Marseillais regardent vers la mer ; ils sont, avec les Bordelais, les plus actifs intermédiaires entre la France et ses colonies ; tout le commerce colonial de Lyon, qui a pris tant d’ampleur, en ces dernières années, passe par Marseille, associant dans une même œuvre les deux grandes cités de la vallée du Rhône. On pourrait presque dire qu’avec leurs qualités et leurs défauts, les Marseillais forment comme la transition naturelle entre le monde colonial et la métropole. Des Marseillais, comme MM. Eugène Etienne, — un Marseillais d’adoption, — et J. Charles-Roux, un Marseillais de vieille roche, ont été, au Parlement, les défenseurs de l’expansion coloniale, en un temps où il y avait quelque mérite à l’être et où les « coloniaux » étaient en butte aux violentes attaques de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite. Ainsi l’histoire et les intérêts de Marseille sont étroitement liés à l’expansion coloniale française ; elle peut à bon droit revendiquer le titre qu’elle ambitionne de métropole coloniale de la France.


III

Cette activité coloniale, Marseille en a largement profité ; si elle reste le premier port méditerranéen, c’est à son commerce avec les colonies françaises qu’elle le doit ; elle fait, avec elles, un quart au moins de ses échanges totaux ; c’est chez elles qu’elle trouve les matières premières indispensables à ses industries : c’est ce que prouve l’étude du mouvement commercial marseillais en ces dernières années. L’Exposition est la démonstration et, pour ainsi dire, la réalisation schématique de ce double fait : d’un côté, que la part du commerce colonial est considérable dans l’activité générale de Marseille, et, de l’autre, que Marseille devient de plus en plus une grande ville industrielle dont les colonies sont un des principaux débouchés.

Le commerce de Marseille a été surtout, durant une longue période de notre histoire, un commerce de comptoirs qui ne cherchait pas à s’enfoncer dans l’intérieur des terres et se contentait de servir d’intermédiaire entre les pays exotiques et la mère patrie : ce genre de trafic était d’ailleurs le seul possible en un temps où la pénétration européenne n’était pas commencée et où, dans la Méditerranée par exemple, les États musulmans occupaient toutes les côtes. Cependant, à mesure que la colonisation européenne envahissait le globe et que le commerce anglais, puis le commerce allemand et le commerce américain, prenaient le développement que l’on sait, Marseille risquait, en restant fidèle aux erremens traditionnels de ses négocians, de subir une irrémédiable décadence ; mais le Marseillais est comme Ulysse, artificieux et plein de ressources ; il a su modifier à temps ses méthodes de travail et d’activité ; pour rester une grande place d’importation et d’exportation, il est devenu un grand centre de production et de manutention ; non content de fournir les matières premières aux industries de la France centrale, il s’est fait industriel lui-même et il a choisi précisément ses industries parmi celles dont les colonies, où il avait l’habitude de trafiquer, pouvaient lui fournir les matières premières. Cette évolution du négoce marseillais est un des grands faits économiques de ces cinquante dernières années ; elle a eu une influence décisive sur notre expansion coloniale. Les statistiques de la Chambre de commerce sont à cet égard des plus démonstratives : en 1866, le département des Bouches-du-Rhône n’employait que 6 744 chevaux-vapeur fournis par des machines à vapeur et 2 322 fournis par des forces hydrauliques ; en 1905, il utilise 53 238 chevaux fournis par des machines à vapeur, 4 353 fournis par des forces hydrauliques et 2 900 produits par des moteurs à gaz. Voici un tableau qui fera ressortir le même fait d’après le mouvement de fonds provoqué par l’industrie marseillaise :


Francs.
En 1830 117 359 225
— 1840 180 669 270
— 1860 326 213 007
— 1880 578 481 140
— 1900 782 079 861
— 1905 1 037 473 594[2]

Marseille, dont on a l’habitude de ne considérer que l’activité maritime et commerciale, est devenue une de nos plus grandes villes industrielles, et c’est surtout à cette transformation qu’elle doit d’être restée l’un des plus grands ports du monde[3]. Mais il faut bien voir que la transformation industrielle est liée intimement à l’expansion coloniale et aux échanges avec les colonies : si arides que soient les nomenclatures et les statistiques, il est nécessaire d’en donner quelques-unes pour mettre en lumière cette vérité capitale.

Parmi les industries marseillaises, la minoterie est l’une des principales ; une centaine d’usines y sont occupées. Les blés russes, argentins, indiens affluent à Marseille, ainsi que les fèves, les maïs ; c’est elle aussi qui reçoit les blés durs d’Algérie et de Tunisie dont les industriels marseillais ont trouvé le moyen de transformer la farine en semoules et en pâtes alimentaires ; soixante fabriques de ces pâtes prospèrent à Marseille et emploient annuellement environ 3 millions d’hectolitres de blés durs. Marseille réexporte chaque année de grandes quantités de farine en Algérie, Tunisie, Maroc ; ainsi, c’est elle qui achète les blés de nos colonies et elle qui nourrit colons et indigènes. Les rizeries marseillaises alimentent les noirs du Sénégal avec du riz provenant en grande partie d’Indo-Chine. Trois grandes brasseries emploient les orges des colons algériens. Les industries des corps gras, savonneries, stéarineries, huileries, sont celles qui ont pris à Marseille le plus magnifique développement : Marseille achète les huiles d’olives de Tunisie et d’Algérie[4], qui sont loin de suffire à ses besoins ; elle achète les arachides du Sénégal et de Pondichéry[5], les sésames de Guinée, les graines de lin d’Algérie, les palmistes de la Côte d’Ivoire et du Dahomey, le coprah de nos possessions d’Océanie et d’indo-Chine dont on fabrique un produit nouveau, la végétaline, très employée aujourd’hui dans la cuisine. Toutes ces huiles entrent surtout dans la confection des savons que Marseille exporte ensuite dans le monde entier. Les colonies, en retour, offrent aux savonneries de Marseille un débouché considérable : sur 23 000 tonnes de savon expédiées par mer en 1903, 17 000 ont été aux colonies. Les bougies, les huiles y sont également très demandées. Les grands travaux de Chevreul et de M. Berthelot sur les corps gras ont ouvert de nouvelles voies à l’activité des Marseillais et les ont aidés dans leur lutte contre la concurrence américaine ; ainsi se lient, dans une étroite solidarité, les efforts en apparence les moins coordonnés de notre énergie nationale : le travail du savant arme l’industriel pour la lutte et l’usinier, à son tour, fournit le fret des bateaux et fait vivre le colon.

Les raffineries de Marseille travaillent nos sucres coloniaux de la Réunion et de la Guadeloupe, ses confiseries et ses chocolateries les emploient ; un jour prochain, sans doute, nos colonies se mettront en mesure de vendre aux industriels marseillais les cacaos qu’ils achètent en Amérique du Sud. Les peaux des bestiaux tués en Algérie, en Indo-Chine, à Madagascar, viennent en grande partie à Marseille pour y être tannées. Les phosphates et les marbres d’Algérie et de Tunisie, les alfas, les tabacs, les laines d’Algérie trouvent à Marseille un marché ; l’industrie du caoutchouc commence à s’y développer. Il est superflu de continuer cette nomenclature et de montrer comment, en retour, les colonies offrent à tous les produits de l’industrie marseillaise un débouché dont l’importance apparaît mieux à mesure que les colonies se développent et que, dans le reste du monde, les concurrences se font plus âpres. Les Compagnies marseillaises de navigation trouvent, elles aussi, dans le fret colonial, une ressource dont l’importance va toujours grandissant, et ce sont elles, aujourd’hui, qui ne suffisent plus, soit à l’exportation, soit à l’importation, aux besoins de notre empire d’outre-mer. Il est singulièrement édifiant de constater qu’en 1905, sur 2 170 grands bateaux à vapeur entrés à Marseille sous pavillon français, 1 262 (jaugeant 1 116 743 tonneaux) venaient d’Algérie, 74 de Tunisie, 18 du Sénégal, 24 de la Côte occidentale d’Afrique, 17 d’Indo-Chine, 11 des établissemens français d’Océanie, 4 de la Réunion et de l’Inde française. De même, en 1905, sur 2 332 vapeurs sortis de Marseille, 1 061 (jaugeant 935 272 tonnes) étaient à destination de l’Algérie, 158 de la Tunisie, 20 du Sénégal, 25 de la Côte occidentale d’Afrique, 10 de la Réunion, 8 de l’Indo-Chine, 14 des établissemens français d’Océanie, 1 de la Guyane française, 1 de Saint-Pierre et Miquelon. Plus de cinquante navires, profitant du monopole qui leur est assuré, font journellement le va-et-vient entre l’Algérie-Tunisie et Marseille, et les colons se plaignent que les Compagnies, abusant de leurs privilèges, ne font pas assez d’efforts pour donner satisfaction à leurs besoins. Presque toutes les Compagnies marseillaises de navigation sont destinées spécialement au commerce avec les colonies françaises ; presque toutes les lignes de navigation ont leur point terminus dans une colonie française ou la desservent en passant. Ainsi, conclut M. Paul Masson, « la flotte marseillaise est, par excellence, la flotte coloniale de la France. » La prospérité du port de Marseille est étroitement solidaire de celle des colonies : industrie, commerce maritime, colonisation, ces trois fondemens de l’activité économique et de la fortune de Marseille sont indissolublement unis ; c’est ce que l’Exposition coloniale a parfaitement réussi à rendre manifeste. Marseille fait environ 50 pour 100 du commerce total de la France avec ses possessions lointaines ; elle a réussi, malgré la part de plus en plus active que Bordeaux, le Havre, Dunkerque prennent au commerce colonial, à maintenir sa position très loin en avant de tous ses concurrens ; elle est bien le grand port colonial de la France.


IV

Marseille, port colonial, gigantesque mère Gigogne qui abrite sous ses ailes la croissance de tout un peuple de colonies, qui aide leurs premiers pas, subvient à leurs besoins, reçoit et utilise les produits de leur travail ; Marseille qui, du haut de Notre-Dame de la Garde, envoie un adieu aux « coloniaux » qui partent et un salut joyeux à ceux qui reviennent après un long exil ; et, à côté de Marseille, toute la Provence avec son histoire et ses traditions, ses beaux sites et ses vieilles ruines, sa civilisation et ses arts, c’est d’abord ce qui apparaît quand on entre à l’Exposition par la grande avenue centrale : Massalia, une statue monumentale due au sculpteur Constant Roux, accueille le visiteur ; majestueusement assise à la proue de sa galère, d’une main elle tient une rame, de l’autre une branche de cet olivier qui signifie la paix et les arts de la paix, mais qui, ici, rappelle encore la cueillette chantée par Mistral, l’huile, les savons, toute l’industrie : nous sommes à Marseille où l’idéal n’est jamais loin du réel, ni la poésie loin du négoce ; le Marseillais n’est ni un théoricien, ni un « intellectuel, » et la spéculation métaphysique ne trouble guère sa rêverie par les belles nuits d’été, mais il aime les arts et, quand il a réalisé son rêve de fortune, il sait leur faire une large place, parmi les embellissemens de sa vie. Ainsi les Grecs d’autrefois, revenus de leurs courses à travers la Méditerranée, se plaisaient à parer les temples de leurs dieux et à orner, des œuvres de leurs sculpteurs et de leurs peintres, l’intérieur paisible de leurs fraîches maisons. Ainsi Athènes, Bruges, Florence, Amsterdam, ont vu le génie des arts se développer en même temps que le génie du négoce.

Pénétrons dans le grand Palais que l’on appelle, assez improprement, Palais de l’Exportation, et où l’on a rassemblé tout ce que Marseille produit avec les matières premières coloniales et tout ce qu’elle exporte aux colonies. Si nous tournons à gauche, nous sommes à l’Exposition de l’Art provençal ; si nous prenons à droite, toute l’histoire scientifique, industrielle et commerciale de la matière grasse se déroule sous nos yeux. Là, les peintures vénérables, les meubles cossus, les faïences chatoyantes ; ici, la fabrication des huiles et des savons depuis l’antique pressoir à bras jusqu’aux usines modernes ; là, Pierre Puget et Fragonard, les vieux imagiers et les maîtres faïenciers ; ici, Chevreul et Berthelot, les chimistes et les industriels. Le savon fait pendant à l’art : c’est la signature de Marseille. Constatons-le sans aucune ironie, parce qu’il est naturel et significatif qu’il en soit ainsi, que le savon ni l’huile ne font tort aux arts et que la fortune de Marseille est fondée sur la matière grasse, de même qu’on disait jadis que « toute Flandre est fondée sur draperie, » ou qu’ « Amsterdam est bâtie sur des carcasses de harengs. »

L’exposition des corps gras est instructive même pour les profanes. Voici des moulins de tous les temps et de tous les pays, depuis la meule que tourne l’esclave antique, en chantant sa mélopée gémissante, jusqu’aux usines où peine le prolétaire d’aujourd’hui ; une belle carte oléicole du bassin de la Méditerranée ; des panneaux décoratifs qui représentent la cueillette des produits oléagineux dans tous les pays : olives en Provence, sésame aux Indes, arachides au Sénégal. Les colonies sont chez elles dans ce temple de l’huile et du savon ; ce sont elles qui, de toutes parts, apportent la matière première : la prospérité du Sénégal est dépendante de l’industrie qui emploie l’arachide.

C’est une très heureuse idée que les organisateurs de l’Exposition ont eue de créer cette section de l’art provençal, que la Ville et le Département ont subventionnée, que les musées et les particuliers ont garnie d’œuvres de premier ordre et où le visiteur se repose de toute cette industrie et de tout ce commerce, en admirant ce que l’art de tous les temps a apporté de charme et introduit d’idéal dans la vie provençale. Autour des Papes, à Avignon, une école d’art se développe et produit ces fresques, d’un style encore un peu raide, mais déjà si expressif, qui décorent le palais des Papes, Notre-Dame des Doms et la chapelle Saint-Martial ; l’Exposition nous les montre relevées à l’aquarelle par Denuelle. Les archives communales ont prêté le fameux Livre Rouge, registre richement enluminé des premières délibérations des échevins de Marseille, sur lequel leurs successeurs prêtaient serment, symbole vénéré des libertés marseillaises. Tout Paris, l’année dernière, a admiré, à l’Exposition des primitifs, les chefs-d’œuvre du « maître d’Avignon » et des artistes contemporains du roi René, qui fut peintre lui-même et qui sut faire de sa cour un foyer de haute culture, de poésie et d’art. Le portrait du bon prince angevin, qui fut si provençal de cœur et d’esprit, évoque la vieille Provence au seuil de la première salle où l’on admire surtout quatre tableaux du XVe siècle, le Couronnement d’épines, la Descente de Croix, l’Ascension, la Pentecôte, prêtés par M. Paul Révoil. Des vieux peintres d’Avignon aux artistes contemporains, on peut suivre, de salle en salle, toutes les époques de l’art provençal ; le XVIIIe siècle, surtout, avec Fragonard, Vanloo et Joseph Vernet est richement représenté. Nous ne saurions, dans cette rapide promenade à l’Exposition coloniale, nous attarder plus longtemps aux œuvres d’art, ni aborder la question disputée de savoir s’il y a ou non une école provençale et quels en seraient les caractères. Oserons-nous dire que cet ensemble de traits communs qui contribuent à former ce que l’on appelle une « école » ne nous est pas apparu ici avec évidence, au moins dans la peinture ? Au contraire, si l’on s’arrête aux vitrines où les collectionneurs provençaux et les musées ont réuni une incomparable collection de faïences de Moustiers, de Goult et de Marseille des XVIIe et XVIIIe siècles, on a bien l’impression d’être en présence de traditions continues et de procédés techniques spéciaux. Ici, l’industrie devient de l’art, du plus délicat et du plus exquis. Notre incompétence nous oblige à n’en rien dire de plus ; mais point n’est besoin d’être connaisseur pour voir que les 433 numéros du catalogue des faïences correspondent à des œuvres de premier ordre qui semblent bien être la partie la plus originale de l’Exposition de l’Art provençal. Faïences, meubles, objets d’art de toute sorte ressuscitent à nos yeux ce que pouvaient être, à la belle époque du commerce colonial, à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle, la vie d’un riche Marseillais qui, au soir d’une carrière de rude labeur, de lointaines navigations, d’entreprises hardies et risquées, venait goûter le repos, dans son hôtel de la ville ou parmi les pins et les oliviers de sa maison des champs, entouré de tout ce que le confort et les arts ajoutent au charme de l’existence.

Cette vie marseillaise, nous la retrouvons sous deux de ses aspects, à la campagne et sur la mer, dans « le Mas de Santo Estello » que le Syndicat d’initiative de Provence a eu la bonne pensée de reconstituer et de meubler de tous les ustensiles tels qu’au pays de Mireille s’en servaient les ménagères du bon vieux temps, et dans le Palais de la Mer, où l’on a très heureusement résumé toutes les connaissances nécessaires aux navigateurs. Ici, tandis que le public s’ébahit devant les formes fantastiques des animaux des grands fonds, les spécialistes admirent l’une des plus belles expositions internationales d’océanographie qui aient jamais été réalisées. Les travaux de M. le professeur Thoulet, du Prince de Monaco et des derniers explorateurs des régions polaires antarctiques permettent à la France d’y tenir un rang honorable, sans réussir cependant à égaler les résultats obtenus par les océanographes d’Allemagne ou d’Angleterre.

Le caractère démonstratif, éducatif, que les organisateurs ont voulu et su donner à l’Exposition apparaît dans ce Palais de la Mer et, partout, il ne cesse d’accompagner le visiteur. Il n’est pas un pavillon colonial qui ne montre, peinte en grosses lettres sur ses murs, une série de chiffres ou de dessins qui permettent d’apercevoir d’un coup d’œil les dimensions, la population de la colonie, le développement des différentes branches de son commerce, les progrès de la colonisation, de l’industrie, de la navigation. L’on emporte ainsi, d’une promenade à travers les palais et les pavillons, une impression beaucoup plus nette que celle que laisserait l’entassement, si prodigieux soit-il, des richesses coloniales ; le visiteur peut oublier les chiffres, il garde le souvenir des proportions, il prend conscience du magnifique essor des colonies françaises.

Le caractère didactique de l’Exposition de Marseille apparaît mieux encore dans les belles publications dont le Comité organisateur a décidé qu’elle serait l’occasion. Exposer, non pas dans de simples catalogues ou dans des rapports que personne ne voit, mais dans des livres sérieusement et scientifiquement écrits par des hommes spécialement compétens, tous Marseillais d’origine ou d’adoption, le développement de l’empire colonial de la France en lui-même et dans ses rapports avec l’activité économique de Marseille, telle est l’idée qui a guidé la commission des publications que préside M. Delibes et dont MM. Clerc et P. Masson sont les vice-présidens. Ils ont voulu que leurs livres fussent l’explication historique et documentaire des faits dont l’Exposition est l’illustration : publications et expositions s’éclairent et se complètent les unes par les autres. Treize volumes in-8o vont être édités par la maison Barlatier ; neuf ont déjà paru. Trois sont consacrés aux progrès des colonies françaises de 1900 à 1906 ; le premier contient une très remarquable introduction : la Colonisation française au début du XXe siècle, par M. Paul Masson ; l’Algérie par MM. Nicollet et Valran, professeurs au Lycée Mignet ; la Tunisie, par M. E. Toutey. Le tome II comprend l’Afrique occidentale par MM. Léotard, secrétaire général de la Société de géographie, Teisseire, Rampal, Gasquet, Samat ; le Congo, par M. de Gérin-Ricard ; la Côte des Somalis, par M. P. Roubaud ; Madagascar par M. H. Bardon ; la Réunion, Mayotte, Comores, par M. A. de Duranty. Le tome III comprend l’Indo-Chine, par M. Paul Girbal ; l’Inde, par M. Pierre Roland ; Nouvelle-Calédonie et établissement d’Océanie, par M. Henri Barré ; la Guyane par M. Henri Pelissier ; les Antilles par M. R. de Bévotte ; Saint-Pierre et Miquelon par M. Darboux. — Nos richesses coloniales font l’objet de quatre volumes, deux consacrés à l’Industrie des pêches aux colonies et deux, non encore parus, traitant l’un : les ressources végétales et la mise en valeur des produits végétaux dans nos colonies ; l’autre : les découvertes minérales et ï extension des exploitations minières. Un volume est consacré à l’Organisation sanitaire aux colonies, par le docteur Georges Treille ; un autre le sera au Mouvement de la législation coloniale dans les colonies et les pays de protectorat, et un à l’enseignement colonial en France et à l’étranger. M. Paul Gaffarel, avec la compétence qui lui appartient, nous a donné une très utile et très complète Histoire de l’expansion coloniale de la France depuis 1870 jusqu’en 1905 ; un autre volume, dû à la collaboration de plusieurs professeurs et érudits marseillais[6], relate les aventures et les exploits des Voyageurs et Explorateurs provençaux. M. Paul Masson, enfin, dans Marseille et la colonisation française, a montré, avec une précision qui n’exclut ni les vues générales ni les aperçus nouveaux, comment, à travers toute notre histoire, la vie et l’activité de Marseille ont été étroitement liées avec l’expansion de la France au dehors. Nous ne croyons pas faire tort à ses collaborateurs en disant que le livre de M. Paul Masson est peut-être le plus original de cette collection qui, dans son ensemble, fait tant d’honneur à l’initiative marseillaise ; elle constitue l’inventaire le plus complet qui ait été dressé des ressources, des populations, des besoins de nos colonies, et elle est appelée à rendre les plus réels services à ceux qui ont la charge de diriger pratiquement l’expansion de la France outre-mer.

Le ministre des Colonies et M. J. Charles-Roux ont voulu que l’Exposition de Marseille apportât encore à ses visiteurs un enseignement d’un autre genre, et ils ont décidé de consacrer le pavillon du ministère des Colonies à une exposition de peinture et de sculpture coloniales, ou du moins orientales. Les grands romantiques, Delacroix, Henri Regnault, Decamps, Fromentin, Chassériau, ceux à qui les ciels d’Afrique révélèrent un coloris nouveau et aussi ceux qui peignirent l’Orient comme Hugo le chanta, sans l’avoir vu, simplement parce qu’ils avaient de la lumière dans l’œil et de l’exotisme dans l’imagination, sont représentés ici par quelques-unes de leurs bonnes toiles. Un grand hall est réservé aux orientalistes contemporains, qui exposent quelques morceaux excellens. La liberté de la Grèce et la conquête de l’Algérie ont déterminé, dans l’art français, un admirable renouveau : verrons-nous un mouvement semblable au romantisme sortir de la colonisation moderne ? Il n’apparaît pas que la réponse nous soit donnée sur les murs du Pavillon du ministère des Colonies ; les jeunes gens qui partent, grâce à des bourses de voyage, pour étudier et pour tenter de rendre, par la brosse ou l’ébauchoir, l’âme, les formes et les couleurs des pays coloniaux, nous la rapporteront peut-être, quelque jour, de leurs lointaines méditations sous les grands arbres des pays chauds ou dans les mornes steppes du Soudan saharien. Il était nécessaire, en attendant, de ne pas laisser passer inaperçu l’heureux effort fait par les créateurs de l’Exposition de Marseille pour associer les beaux-arts à cette grande manifestation de la vie nationale et pour hâter la formation et l’éclosion d’un art colonial qui chercherait ses inspirations dans les mœurs et dans les monumens des peuples d’Asie ou d’Afrique et qui emprunterait sa lumière au ciel des tropiques.


V

« À l’Exposition coloniale, nous disait, là-bas, un « colonial, » ce que l’on voit le plus, c’est Marseille, et ce qui apparaît le moins ce sont les colonies. » Exagération qu’excuse le soleil marseillais et qui méconnaît ce que nous avons précisément essayé de montrer, à savoir que l’intérêt et la nouveauté de l’Exposition consistent beaucoup moins dans l’entassement de produits coloniaux que dans la démonstration concrète de ce que le travail des colonies peut apporter de prospérité à la métropole et, réciproquement, des réformes, des institutions nouvelles, des travaux, que les colonies attendent de celle-ci. Mais, cet enseignement une fois tiré d’une tournée à travers les palais et les pavillons, il faut reprendre la visite en détail pour constater les progrès de chacune des grandes sections de notre empire colonial. Ici la tâche du chroniqueur devient plus difficile : il ne saurait retracer, même imparfaitement, les résultats de six années d’efforts ; il risque soit de descendre dans trop de détails, soit de passer sous silence des faits considérables. Il doit se contenter d’aperçus généraux et, s’il vient à s’attarder à l’une de nos colonies, se résigner à en négliger d’autres.

Une simple promenade à travers l’Exposition permet d’apercevoir les grandes lignes et les traits caractéristiques de l’œuvre coloniale de ces six dernières années. C’est d’abord l’organisation des grandes unités administratives, des grands gouvernemens que l’on serait tenté d’appeler des vice-royautés : ce sont, sans parler de l’Algérie et de la Tunisie, presque métropolitaines, l’Indo-Chine, l’Afrique occidentale, Madagascar, le Congo. Les dimensions des palais sont la figuration exacte des proportions relatives des différentes parties de l’empire colonial français. L’Indo-Chine et l’Afrique occidentale s’imposent par leur masse, tandis que nos vieilles colonies, ces « Iles » jadis si florissantes, semblent s’effacer pour laisser le premier rang aux nouvelles venues. La Réunion et les Antilles n’ont pour elles toutes qu’un petit pavillon, d’ailleurs très élégant et aménagé avec autant de science que de goût ; la Guyane, la Nouvelle-Calédonie, Tahiti se partagent un bâtiment dont le médiocre intérêt révèle le désarroi économique et financier dont souffrent, sinon la Guyane, du moins nos colonies du Pacifique.

Organisation administrative, mise en valeur économique par l’étude détaillée des richesses naturelles et par l’exécution de travaux publics, tel apparaît encore le résultat de ces dernières années. Le corps des fonctionnaires coloniaux s’est complété, amélioré, spécialisé. De bons gouverneurs généraux, heureusement maintenus longtemps dans leur charge, ont fini par créer des traditions politiques et administratives ; ils ont pu profiter de leurs expériences, porter remède à bien des abus, combler bien des lacunes. Partout ils ont inauguré, vis-à-vis des indigènes, une politique de plus en plus préoccupée d’étudier, pour les respecter, tout en tirant parti d’elles, les lois, les coutumes et les traditions des peuples que nous avons assumé la tâche de gouverner. Le développement des services d’enseignement et surtout des écoles techniques pour les indigènes a marché de pair avec l’application de nouvelles méthodes d’administration.

Un grand palais central, six ou sept pavillons, des annexes, des boutiques, une maison annamite, un théâtre, toute une ville aux architectures compliquées, étranges, mais puissantes et bien choisies pour donner l’impression d’une civilisation très antique et très raffinée : c’est l’exposition de l’Indo-Chine. La disposition et la multiplicité de ses palais est un premier enseignement : l’Indo-Chine est une, elle a un gouvernement général, elle est un empire d’environ dix-sept millions d’habitans : un grand palais central en fait foi ; le gouvernement général y a réuni les échantillons et les documens statistiques qui concernent l’ensemble de la colonie et qui témoignent, de son activité et de ses progrès. Quelques chiffres, qui s’étalent sur les murs, mettent en un relief saisissant le merveilleux essor économique de l’Indo-Chine en ces dernières années et rendent sensibles les résultats de l’œuvre de MM. Doumer et Beau et de MM. Guillaume Capus et Henri Brenier, directeur et sous-directeur des services de la colonisation, de l’agriculture et du commerce. Voici quelques-uns de ces chiffres : nous les citons sans commentaires, tant leur éloquence est persuasive :


Budget, général de l’Indo-Chine pour 1904 73 513 000 fr. (33 415 piastres).
Chemins de fer en exploitation (1904) 1 180 kilomètres.
Capitaux engagés Capitaux français 422 658 000 fr.
« (1904). Capitaux étrangers. 122 050 900 fr.
Total 544 708 900 fr.
Exportation du riz (1904) 976 410 tonnes.
— café — 146 348 kilogr. contre presque rien en 1899.
Importation française de cotonnades (1894) 1 090 tonnes (1904) 4 385 tonnes
— étrangère — (1894) 2 890 — (1904) 204
Exportation de poivre en 1904 5 343 —
— de caoutchouc 177 — (exploitation commençante)
Production de soie — 1 250 000 kilogrammes, etc.

Mais l’Indo-Chine, en même temps qu’elle est une, est aussi multiple : elle se compose de pays très divers ; ils ont chacun leur individualité qui s’accuse dans une différence de races que de longs siècles d’histoire ont accentuée et qui se révèle, à l’Exposition, par la bigarrure des architectures, depuis le pnôm cambodgien jusqu’au pavillon aux toits étages du Laos. Unis sous l’autorité suprême, mais lointaine, de la France, ces divers pays gardent leurs mœurs, leurs traditions, leurs croyances, leur conception particulière de la vie sociale. L’une des impressions que réussit adonner l’Exposition, c’est celle de l’antiquité et de l’originalité des civilisations indo-chinoises : notre civilisation est jeune en face de celle des Cambodgiens, descendue de l’Inde, de celle des Annamites qui ont reçu, il y a tant de siècles, la haute culture chinoise, de celle des Laotiens dont les origines se perdent sur les hauts plateaux du Tibet. Ici des centaines de générations mortes parlent par la bouche des vivans, et les nouveaux venus, si supérieurs que puissent être, à certains points de vue, leurs méthodes de travail et leurs procédés de gouvernement, ne sauraient se dispenser de prêter l’oreille aux voix vénérables de ces ancêtres dont le respect a pris, chez les peuples d’Extrême-Orient, la forme et l’importance d’un culte. Et quelle diversité de types ! Outre les grandes races annamite, cambodgienne, thaï, les montagnes du Laos cachent des populations très diverses, encore mal connues, rameaux détachés de quelque grand peuple détruit ou fugitif ; chassées jusqu’au fond de la péninsule indo-chinoise par des invasions, éloignées de la mer par des peuples plus guerriers ou plus nombreux, ces tribus vivent isolées, souvent sans rapports les unes avec les autres ; les Annamites les appellent en bloc les Khas, au sens où les Romains disaient « les Barbares ; » elles n’ont ni la même organisation sociale, ni les mêmes besoins économiques que les Annamites qu’elles considèrent comme leurs pires ennemis et dont elles redoutent la domination. Quand nous employons des soldats annamites pour faire la police parmi ces peuplades, nous commettons une double erreur, nous employons les hommes des plaines et du littoral dans des montagnes dont le climat leur est nuisible, et surtout nous blessons les sentimens d’une partie de nos sujets et nous allons directement à l’encontre du but que nous poursuivons. On parle beaucoup aujourd’hui, — et avec raison, — de « politique indigène » et l’on cherche à trouver des élémens de prospérité pour notre empire d’Indo-Chine dans le développement des anciennes races et l’accroissement de leur capacité de production ; mais il faut bien voir que la « politique indigène » est délicate à pratiquer et demande de la part des gouvernans beaucoup de tact et de prudence, surtout lorsqu’on est en présence de populations aussi anciennement civilisées, qui ont l’habitude de regarder vers la Chine comme vers le foyer de toute science et de tout progrès et qui vivent sur des terres dont la richesse pourrait un jour tenter la convoitise de voisins puissans et victorieux.

La première condition, pour bien gouverner nos sujets, asiatiques ou africains, est de bien connaître les populations différentes que nous confondons trop souvent sous cette vague appellation d’indigènes. Nos administrateurs commencent à être au courant de la vie sociale, des aspirations et des besoins des Annamites ou des Cambodgiens avec lesquels ils sont en contact dans les villes ; mais ils ont beaucoup moins pénétré les mœurs des tribus des plateaux de l’Annam ou du Laos. Beaucoup d’entre elles ont appris à se défier des hommes des vallées et des plaines, et elles ne descendent pas volontiers de leurs nids d’aigle ; ces populations clairsemées n’auront peut-être jamais un grand rôle dans l’essor économique de l’Indo-Chine, mais leurs traditions et leurs mœurs offrent, au point de vue ethnographique et historique, un très grand intérêt ; elles occupent d’ailleurs les rives du Mékong, le royaume de Luang-Prabang, c’est-à-dire les régions frontières entre le Siam et nos possessions ; nous aurions donc profit à nous attacher ces tribus, au caractère doux et pacifique, chez qui les châtimens corporels sont inconnus et dont quelques-unes ignorent jusqu’au mot qui signifie voler, et à favoriser leur multiplication. Elles sont décimées par les épidémies, soixante-dix pour 100 des enfans périssent, la plupart enlevés par la petite vérole. L’éducation hygiénique devrait être l’un des premiers articles du programme d’une « politique indigène ; » or, le Laos n’a actuellement que quatre médecins pour plus d’un million d’habitans !

L’Exposition de Marseille aura beaucoup contribué à nous révéler ces populations si intéressantes, puisque c’est à l’occasion de l’Exposition que M. Armand Raquez, — un voyageur qui sait être aussi un savant et un psychologue, — a parcouru les régions les moins connues du Laos et recueilli des documens précieux sur les races et les mœurs du pays. L’exposition du Laos est faite de ses collections d’ethnographie, d’histoire naturelle et d’art qui, il faut l’espérer, viendront ensuite enrichir l’un de nos musées coloniaux. M. Raquez lui-même est commissaire de la section du Laos ; il dit volontiers le charme des pays laotiens et l’attrait de ces populations, leurs costumes pittoresques, leur caractère craintif et bienveillant, leurs mœurs policées et douces. Au théâtre indo-chinois, tandis qu’au premier étage une troupe annamite interprète un drame où le tigre donne une leçon de pitié à la férocité des passions humaines, au rez-de-chaussée dansent et chantent trois petites Laotiennes, délicat et gracieux échantillon de la race. Drapées dans leurs écharpes aux tons discrets et passés, fines comme des bronzes antiques, fragiles comme des bibelots d’étagère, Sao-Boun, Sao-Deng, Sao-Si dansent d’après des rites millénaires, avec des gestes lents, souples, décens, dont chacun a une signification presque sacrée, tandis que la flûte de bambou les accompagne sur un mode très doux. Nous sommes au Laos, bien loin des bamboulas nègres ou des danses du ventre qui, dans les ksour d’Algérie, allument une flamme de convoitise dans les yeux noirs du nomade. Voici la chanson de Sao-Si : c’est l’éternelle élégie d’amour, le tendre appel de la bien-aimée qui soupire en attendant la venue du bien-aimé et qui conte aux étoiles sa mélancolie :


Grand astre de la nuit, dis-moi pourquoi les étoiles brillent si fort ce soir, alors que mon cœur est plein de tristesse ? Pourquoi ?

Mon bien-aimé n’est pas là, dis-tu ! Va donc lui dire que je pense à lui et prie-le de venir jusqu’à moi.

Seule, je suis triste et je me lamente. J’ai devant mes yeux le doux éclat de son regard et les traits gracieux de son visage que j’aime.

S’il ne peut me donner sa soirée, qu’il vienne une seconde, que je le voie durant un court instant, et la joie remplacera la tristesse de mon âme.

Je suis orpheline sur cette terre ; je ne trouve pas de quoi pourvoir à mes besoins et je cherche un cœur généreux qui veuille soulager ma misère.

O jeune homme ! resteras-tu indifférent ?

Je suis ici comme un exilé sur le bord d’un fleuve.

Je voudrais être joyeuse comme les autres filles du village. Viens donc, ô jeune homme, prendre mon cœur et toute mon âme pour la mêler avec ton âme.


Le thème est vieux comme le monde, mais combien, ici, l’expression en est vibrante et poétique ! Voici encore, — pour nous reposer des statistiques, — une petite fable dialoguée que les trois Laotiennes miment et récitent avec des intonations de psalmodie, des gestes menus et expressifs :


LE CHŒUR. — En ce temps-là, il y a bien longtemps, Nang Méo vint dans une maison habitée.

THAO SAMON. — Que venez-vous faire ici, ma chère Nang Méo ?

NANG MEO. — Je suis venue chez vous pour demander l’aumône d’un peu de poisson. Je n’en ai point et j’ai faim.

THAO SAMON. — Est-il vrai ?

NANG MEO. — C’est ainsi.

THAO SAMON, s’adressant à SOULINGSA. — Eh bien, Soulingsa ; allez donc quérir des gens du voisinage pour qu’ils enlèvent cette importune.

NANG MEO. — Ma chère mère, vous n’avez donc pas pitié de moi ? Vous voulez me faire mal alors que je viens seulement vous demander un peu de poisson.

SOULINGSA. — Si tu ne veux pas sortir de bonne volonté, l’on t’expulsera de force. L’autre jour, tu as volé des poissons à mon père.

NANG MEO. — C’est votre dernier mot ? S’il en est ainsi, je m’en vais.

SOULINGSA. — C’est notre dernier mot.

LE CHŒUR. — En ce temps-là, il y a bien longtemps, Nang Méo vint dans une maison habitée.


C’est la Cigale et la Fourmi !

Ces exemples traduisent bien l’impression de civilisation antique et raffinée, polie et artistique qui émane aussi bien des montagnes laotiennes que des villes de l’Annam ou du Cambodge, comme de toute cette Asie dont la France a assumé la belle, mais difficile tâche de gouverner un large morceau. Nulle part la « politique indigène, » souvent et très bien définie par M. Beau, ne demande plus de ménagemens, plus de conscience et plus d’art, et n’exige des fonctionnaires plus zélés et plus prudens. Nous sommes en présence d’une, ou plutôt de plusieurs civilisations, qui se sont endormies dans leurs traditions et leurs coutumes millénaires ; si nous cherchions à les réveiller trop brusquement, elles s’éloigneraient de nous avec défiance ; mais quand nous aurons travaillé longtemps à l’amélioration matérielle et morale de leur condition et de leur vie, comme elles sont assez intelligentes pour comprendre leur intérêt et nos bienfaits, elles viendront à nous avec tout leur cœur. Il importe aujourd’hui de prendre garde à l’évolution curieuse et inattendue qui commence à s’opérer dans les rangs supérieurs de la population annamite : mieux que tous nos efforts, les victoires japonaises et surtout les édits de l’impératrice de Chine pour la réforme des examens, ont fait comprendre aux plus éclairés des mandarins et des lettrés annamites l’utilité d’une direction européenne ; ils commencent aujourd’hui, spontanément, à nous demander l’instruction française et scientifique : « Puisque la Chine se transforme, pourquoi, se demandent-ils, l’Indo-Chine ne se transformerait-elle pas, elle aussi ? » N’imposons pas, mais donnons volontiers et largement notre civilisation et nos méthodes. Il est en notre pouvoir, aujourd’hui, d’opérer nous-mêmes, en Indo-Chine, la transformation inévitable qui a renouvelé le Japon, qui est en train de transfigurer la Chine et qui, dans quelques années, aura créé un Extrême-Orient nouveau où l’Indo-Chine française pourra, si nous savons adopter une bonne méthode et l’appliquer avec discernement, jouer le rôle de grande puissance.

Ces belles espérances que confirme avec tant de force, en montrant les résultats déjà acquis, une promenade à travers l’Exposition de Marseille, sont la meilleure réponse à la déplorable formule : « Lâchons l’Asie, » que certains publicistes n’ont pas craint de propager. Le moment où elle atteint une pareille prospérité, où ses échanges avec la France s’accroissent, où son rôle en Extrême-Orient grandit, n’est pas celui où il faut nous préparer à « lâcher » l’Indo-Chine, mais bien celui où il faut nous mettre en mesure de la gouverner mieux[7], de mettre en valeur ses ressources, de la défendre contre toutes les convoitises du dehors et tous les découragemens du dedans.


VI

Des palais délicatement ouvragés où s’abritent l’art compliqué et la civilisation vieillie de l’Indo-Chine française, si l’on passe à la construction, — d’un style barbare, mais puissant, qui rappelle les monumens de Tombouctou et les tatas des tyrans soudanais, — où l’Afrique occidentale étale avec orgueil les magnifiques espérances de son essor économique, le contraste est complet et l’antithèse saisissante. Ici le Français, le blanc, travaille sur table rase ; tout est à créer ; les populations, très clairsemées, appartiennent pour la plupart à ces bons peuples nègres du Soudan, facilement gouvernables et qu’il suffit de bien traiter pour en faire de fidèles sujets ; pas de villes, pas de routes ; une organisation politique et sociale rudimentaire ; l’administrateur, le commandant de cercle éprouve partout cette joie profonde de créer, de voir, presque aussitôt après l’effort, grandir les résultats. M. Roume disait récemment la satisfaction qu’il avait éprouvée lorsque, naviguant sur le Niger, il voyait partout les villages se relever de leurs ruines, les terres naguère en friche se couvrir de moissons, des cultures nouvelles prospérer, la vie fleurir là où les Ahmadou et les Samory avaient semé la mort et la destruction. L’honneur de ces résultats revient d’abord, — l’Exposition ne le rappelle peut-être pas assez, — aux soldats qui, au prix des pires souffrances, ont dompté et détruit ces potentats sanguinaires et rendu possible l’œuvre de colonisation. Aujourd’hui la « paix française » règne du Sénégal au Tchad, d’Alger au Dahomey, sur d’immenses régions dont plusieurs possèdent des ressources naturelles admirables, et qui n’attendent que la voie de communication qui les reliera au reste du monde. Tout l’art des organisateurs de l’exposition de l’Afrique occidentale, MM. Gabelle et Max Robert, a tendu à montrer d’une part les « possibilités économiques » de l’Afrique occidentale et, d’autre part, les moyens de les transformer en réalités ; ils y ont parfaitement réussi ; leur exposition est une révélation et leur foi en l’avenir inspirerait confiance aux plus pessimistes.

L’Afrique occidentale a aujourd’hui 1 200 kilomètres de chemin de fer. Avant qu’ils soient ouverts et que l’amélioration des voies navigables ait été entreprise, seuls les produits chers, comme l’ivoire et le caoutchouc, valaient la peine d’être transportés à des d’homme jusqu’à la côte. L’achèvement de la ligne de Kayes au Niger, l’ouverture des premiers tronçons des lignes de pénétration de la Guinée, de la Côte-d’Ivoire et du Dahomey commencent à permettre l’exportation des produits agricoles de l’intérieur et l’essai de nouvelles cultures. 6 000 tonnes d’arachides attendaient dernièrement à Kayes que les bateaux de mer vinssent les transporter à Marseille où leur huile alimentera les savonneries ; les riz du Niger descendent maintenant à Saint-Louis et y font concurrence à ceux d’Indo-Chine que Marseille y expédie. Aujourd’hui, sur le passage des locomotives, une ère de pacification et de prospérité s’ouvre pour les parties naturellement riches de cet immense domaine, le Fouta-Djalon, le Haut-Niger, certaines parties de la Boucle du Niger et du Dahomey. « Les rives du Niger vont se transformer en une immense rizière, disait dernièrement M. Ponty, lieutenant-gouverneur du Haut-Sénégal et Niger, tandis que les champs de coton fructifieront en arrière et que tous les produits jadis inutilisés, par suite des difficultés de transport, viendront s’entasser aux escales pour partir vers l’Europe. » Mais l’outillage, nécessaire à la mise en valeur économique d’aussi vastes contrées et à l’achèvement de l’œuvre de civilisation et de paix si heureusement conduite par la France, est encore rudimentaire : chemins de fer et voies navigables sont, en Afrique, les outils par excellence de la civilisation. « Ces vastes contrées, hermétiquement fermées par la nature, disait M. Roume en mai 1906, les ressources de la science et des capitaux modernes nous permettent maintenant de les ouvrir, en aménageant les rares points d’accès maritimes naturels, en corrigeant, là où cela est possible, les défectuosités des voies fluviales, mais surtout en créant des voies de pénétration artificielle, des chemins de fer… Tandis que, dans la plupart des autres pays, un état de civilisation, souvent même des plus avancés, a pu s’établir indépendamment de la création des chemins de fer, chez nous aucun progrès notable, dans une direction quelconque, ne peut être obtenu sans cette création. » Pousser jusqu’au Haut-Niger la ligne de Guinée, conduire celle de la Côte-d’Ivoire au-delà de la zone des forêts équatoriales, continuer celle du Dahomey, amorcer de nouveaux tronçons, relier par un fil télégraphique Tombouctou, Bourem, Niamey, Zinder, pour être en mesure de communiquer directement avec l’Algérie lorsque la métropole aura réalisé le projet de ligne télégraphique transsaharienne étudié par M. l’ingénieur Etiennot, aménager enfin la baie du Lévrier pour l’exploitation des pêcheries du banc d’Arguin, tels sont les principaux articles du programme que M. Roume compte-réaliser grâce à l’emprunt considérable que la colonie se propose de contracter.

2 277 000 kilomètres carrés, 10 millions d’habitans, 1 200 kilomètres de chemins de fer achevés, 1 200 en projet, un emprunt de 63 millions contracté en 1903, un autre de 100 prévu pour 1907, l’un et l’autre gagés sur les ressources de la colonie, un budget passé, sans heurts, sans difficultés, de 24 millions en 1903 à 36 millions en 1906, un commerce extérieur passé, de 1895 à 1904, de 78 777 000 francs à 155 952 000 francs[8] ; la pacification succédant à la guerre perpétuelle, la civilisation substituée à la barbarie d’un Béhanzin, d’un Rabah ou d’un Samory, des cultures nouvelles préparant les élémens d’un trafic considérable : tels sont les résultats que les données statistiques et les collections du palais de l’Afrique occidentale montrent aux visiteurs de l’Exposition. Dans l’histoire coloniale de tous les peuples il n’est peut-être pas d’œuvre plus belle, ni plus humaine ; et il n’en est peut-être pas, dans notre propre histoire, dont les résultats promettent d’être plus avantageux pour la métropole.

C’est une impression de même nature, quoique moins vive, que l’on emporte d’une visite au pavillon du Congo. Là aussi le perfectionnement de l’outillage économique, la réorganisation administrative, l’amélioration des voies de communication préparent, dans un avenir prochain, le moment où les colonies qui constituent le gouvernement général du Congo subviendront à leurs besoins et à leurs travaux par leurs propres ressources. Les prévisions budgétaires pour 1906 sont arrêtées à 5 920 000 francs. Le commerce général a été en 1904 de 21 193 603 francs (dont 9 058 140 francs à l’importation et 12 135 463 francs à l’exportation) contre 16 916 319 francs en 1903. Le Congo a, dans le caoutchouc, un élément inépuisable de richesse ; il est au début d’une ère de très brillant développement économique.

Madagascar, pour son immense surface, n’a que 2 600 000 habitans environ ; cette pénurie d’hommes et la médiocre fertilité d’une grande partie de son sol empêchent son essor d’être aussi rapide qu’on l’avait espéré. Le beau palais qu’elle a construit à Marseille est un témoignage de ses efforts, de ses progrès et des résultats qu’elle a déjà acquis sous le gouvernement du général Galliéni. Les chiffres, ici, bien qu’avec de moindres proportions, ont la même signification qu’en Afrique occidentale ou en Indo-Chine. Le budget qui était de 10 830 000 francs, en 1896, est, en 1905, de 48 185 000 francs ; depuis 1903, la métropole a pu supprimer sa subvention et c’est au contraire la colonie qui contribue aux dépenses militaires. Les importations, en 1904, ont été de 26 419 000 francs et les exportations de 19 350 000 francs ; la part de la France dans le commerce est depuis longtemps prépondérante ; un régime douanier presque prohibitif a évincé la concurrence anglaise et américaine ; seule l’Allemagne réussit à maintenir et même à améliorer ses positions. En 1896, sur un commerce de 17 millions et demi de francs, la France n’entrait que pour 7 391 000 francs ; en 1904, sur un chiffre d’affaires de 45 776 000 francs, elle participe pour 35 925 000 francs. Madagascar est bien une colonie française dont l’essor profite à la France.

Des expositions, si intéressantes, que l’Algérie et la Tunisie ont installées dans deux palais charmans, il faudrait, pour sortir des banalités, parler trop longuement pour que nous puissions le faire ici ; nous n’en voulons retenir qu’un seul enseignement positif. L’activité économique de l’Afrique du nord est si étroitement mêlée à celle de la métropole que, pour faire ressortir cette liaison intime, il faudrait passer en revue toutes les branches de l’activité métropolitaine et coloniale. Il suffit de citer un chiffre : le commerce de la France avec l’Algérie, qui était, en 1834, de 5 millions de francs, était, en 1905, de 589 millions. Ajoutons-y le commerce de la France-Algérie avec la Tunisie : 102 669 000 francs en 1904, et nous arrivons à cette constatation d’une importance capitale : la France fait, avec ses colonies de l’Afrique du Nord un commerce qui atteint 700 millions de francs ; un nombre toujours croissant de ses nationaux s’y fixent et s’y enrichissent ; des capitaux considérables y fructifient ; la vie algérienne et tunisienne, tout en gardant son originalité et son autonomie partielle, n’a jamais été plus étroitement mêlée à la vie économique de la métropole.


VII

Ainsi Marseille, à une époque bien choisie, où les résultats de plusieurs années de labeur et d’essais commençaient à se dessiner, donne à la France une synthèse de son essor colonial ; elle lui en retrace l’histoire et les péripéties et lui en met sous les yeux les bénéfices matériels et les avantages de toute nature. Elle a réuni chez elle toutes les colonies et elle les a conviées à dire leurs succès, leurs espérances, leurs besoins. Rarement spectacle plus réconfortant a été offert à une nation, et j’imagine que, s’il reste encore des adversaires de toute colonisation, la constatation d’un pareil succès serait de nature à les convertir, si l’évidence elle-même ne trouvait toujours des incrédules. Colonies de fonctionnaires, colonies sans colons, s’en va-t-on encore volontiers répétant, comme si, durant la période d’organisation et de mise en valeur, les bons fonctionnaires n’étaient pas les premiers et les plus nécessaires artisans du succès et comme si, dans des pays déjà surpeuplés, comme l’Indo-Chine, il était nécessaire d’établir de nombreux colons français. Il n’y a pas qu’une manière de coloniser : celle des Russes en Sibérie en est une, celle des Anglais dans l’Inde en est une autre. Si l’Algérie est un pays de peuplement français, l’Indo-Chine a besoin, avant tout, pour prospérer, d’une bonne politique indigène : c’est le travail de ses propres habitans qui doit faire sa fortune et assurer aux maisons françaises qui y font du commerce, de l’industrie ou de l’agriculture, des bénéfices rémunérateurs. Nous colonisons pour les autres, dit-on encore parfois. Les chiffres que nous avons cités, pour montrer l’heureux développement des échanges entre les colonies et la métropole, apportent à cette objection, un peu vieillie, la meilleure des réponses. La France fait aujourd’hui, avec ses colonies, plus d’un milliard de commerce, c’est-à-dire autant qu’avec sa meilleure cliente, l’Angleterre : notre vie économique est de plus en plus liée au travail des colonies. Presque toutes nos industries demandent chaque jour davantage leurs matières premières à nos colonies, et elles y sont assurées d’un débouché toujours plus important pour leurs produits fabriqués : nous l’avons montré à propos de Marseille, mais nous pourrions le dire de tous nos principaux ports, de Lyon, de Paris, de nos grandes villes manufacturières. L’activité de nos ports, nos lignes de navigation, nos industries, notre commerce trouvent un aliment nouveau dans nos possessions lointaines à l’heure où nous avons à lutter contre une concurrence internationale de plus en plus formidable.

Chacune de nos grandes colonies est apparue à Marseille ce qu’elle est en réalité, une individualité de plus en plus autonome et complète, douée de tous les organes nécessaires à la vie, mais rattachée, autant par ses intérêts que par ses origines, à l’ensemble de la vie nationale. Chacun de ces grands morceaux de l’empire français a sa place et est appelé à jouer son rôle dans la partie du monde où il gravite : l’Indo-Chine participe à la vie de l’Extrême-Orient, Madagascar à celle de l’Océan indien : ils sont, pour ainsi dire, dans des milieux différens, les représentans de la civilisation et de l’activité françaises. L’existence de ces colonies prospères est, pour la France, un élément de stabilité économique et même politique ; à l’heure où il se produit, grâce à la rapidité des communications, une sorte d’unification des méthodes de production et d’échange et où les pays de civilisation européenne se font concurrence avec des produits similaires et de qualité sensiblement équivalente, il n’est pas indifférent, pour une grande nation, de trouver, dans des possessions qui s’étendent presque toutes sous des climats étrangers, une réserve de matières premières et un marché toujours ouvert. En nous mêlant à la vie politique et commerciale des principales régions du globe, nos colonies nous rendent un autre service : elles contribuent à maintenir chez nous, malgré nos discordes intérieures, une stabilité relative et une certaine continuité de vues ; les colonies sont ainsi, pour la métropole, un perpétuel enseignement et un utile exemple ; elles lui apprennent la nécessité de faire passer, avant les querelles politiques et religieuses, le souci de rester forts ; elles l’arrachent à la séduction des rêveries humanitaires pour la placer en face de la réalité de la concurrence internationale et de la lutte pour la vie ; elles lui enseignent l’efficacité souveraine et la nécessité bienfaisante de l’effort. On essaye, dit-on, d’acclimater aux colonies, en Indo-Chine notamment, sous couleur de propagande républicaine, le régime de la suspicion et de la délation politique ; si une pareille tentative réussissait, les nouvelles colonies françaises, si prospères, si pleines de vitalité, auraient fait leurs premiers pas vers la décadence et la ruine. Aussi ne croyons-nous pas terminer par un souhait mesquin ou partial les réflexions que l’Exposition de Marseille nous a suggérées, en disant, comme le vieux Caton répétait qu’il faut détruire Carthage, qu’il faut préserver les colonies de la politique et supprimer les sénateurs et les députés coloniaux.


RENE PINON.

  1. Le voyage se trouve aujourd’hui facilité grâce à la création, par la Compagnie P.-L.-M., de voitures directes de 1re et de 2e classes de Francfort-sur-le-Mein à Marseille et à la Côte d’Azur, par Bâle et Besançon.
  2. Enquête industrielle faite à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1906. Rapport de M. Adrien Artaud (Marseille, Barlatier, 1906).
  3. Le tonnage de jauge net de tous les ports français, entrées et sorties réunies, s’élevait, en 1904, à 34 millions de tonneaux ; Marseille, avec son mouvement de 13 352 000 tonneaux, en représente les deux cinquièmes, 39 p. 100. Au point de vue de la valeur de ce commerce qui dépasse 9 milliards de francs, Marseille en représente le 24 p. 100.
    Voici maintenant la comparaison du mouvement de Marseille avec celui des plus grands du continent européen :
    TONNAGE DE JAUGE NETTE (ENTRÉES ET SORTIES RÉUNIES)

    1904 Hambourg 19 221 273 tonneaux de jauge.
    — Anvers 18 713 410 —
    — Marseille 13 352 500 —
    — Gênes 12 070 697 —
  4. 3 546 000 kilogrammes en 1903.
  5. L’huilerie marseillaise a employé, en 1903, 494 000 tonnes de graines.
  6. MM. Barré, Clerc, Gaffarel, de Laget, Pellissier, Perrier, Teisseire.
  7. Il se pose actuellement, en Indo-Chine, un certain nombre de problèmes administratifs extrêmement délicats qu’il ne nous est pas possible d’aborder ici les monopoles, notamment celui de l’alcool, alimentent pour une très forte par le budget ; mais la perception de cet impôt soulève les plus grosses difficultés. Une nuée de fonctionnaires des contributions indirectes, généralement mal préparés à une besogne qui, parmi les populations indigènes, demande beaucoup de tact et de mesure, s’est abattue sur le pays. La manie de la régularité et de l’uniformité, dont le Français n’arrive pas à se départir, a fait créer des douanes jusque sur le Mékong et le long de la frontière siamoise du Luang-Prabang, au risque de provoquer l’émigration de nos sujets sur la rive siamoise du fleuve. Nous ne pouvons qu’indiquer ici ces erreurs d’application. Il faut que les indigènes soient intéressés au développement économique de l’Indo-Chine bien loin d’en être les victimes. Dût le budget en souffrir, l’organisation des douanes doit être révisée et des adoucissemens doivent être apportés au régime des monopoles.
  8. Situation du commerce extérieur :
    Importation « Exportation « Totaux «
    Colonies 1895 1904 1895 1904 1895 1904
    fr. fr. fr. fr. fr. fr.
    Sénégal 28 268 054 49 846 739 12 435 887 29 920 893 40 703 941 79 767 632
    Guinée 5 072 903 14 802 063 5 230 376 13 675 236 10 303 279 28 477 299
    Côte-d’Ivoire. 2 999 596 15 583 382 3 706 451 10 286 743 6 706 047 22 870 125
    Dahomey 10 542 220 10 681 238 10 521 868 11 156 009 21 064 088 21 837 247
    Totaux. 46 882 773 90 913 422 31 894 582 65 038 881 78 777 355 155 952 303