Les Complaintes (Mercure de France 1922)/Complainte de Lord Pierrot

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Les Complaintes (Mercure de France 1922)
Les ComplaintesMercure de FranceI. Poésies (p. 132-135).


COMPLAINTE
DE LORD PIERROT


Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot,
Filons, en costume,
Présider là-haut !
Ma cervelle est morte.
Que le Christ l’emporte !
Béons à la Lune,
La bouche en zéro.

Inconscient, descendez en nous par réflexes :
Brouillez les cartes, les dictionnaires, les sexes.

Tournons d’abord sur nous-même, comme un fakir !
(Agiter le pauvre être, avant de s’en servir.)


J’ai le cœur chaste et vrai comme une bonne lampe ;
Oui, je suis en taille-douce, comme une estampe.

Vénus, énorme comme le Régent,
Déjà se pâme à l’horizon des grèves ;
Et c’est l’heure, ô gens nés casés, bonnes gens,
De s’étourdir en longs trilles de rêves !
Corybanthe, aux quatre vents tous les draps !
Disloque tes pudeurs, à bas les lignes !
En costume blanc, je ferai le cygne,
Après nous le Déluge, ô ma Léda !
Jusqu’à ce que tournent tes yeux vitreux,
Que tu grelottes en rires affreux,
Hop ! enlevons sur les horizons fades
Les menuets de nos pantalonnades !
Tiens ! l’Univers
Est à l’envers…

— Tout cela vous honore,
Lord Pierrot, mais encore ?

— Ah ! qu’une, d’elle-même, un beau soir sût venir,
Ne voyant que boire à mes lèvres, ou mourir !

Je serais, savez-vous, la plus noble conquête
Que femme, au plus ravi du Rêve, eût jamais faite !


D’ici-là, qu’il me soit permis
De vivre de vieux compromis.

Où commence, où finit l’humaine
Ou la divine dignité ?

Jonglons avec les entités,
Pierrot s’agite et Tout le mène !
Laissez faire, laissez passer ;
Laissez passer, et laisser faire ;
Le semblable, c’est le contraire,

Et l’univers, c’est pas assez !
Et je me sens, ayant pour cible
Adopté la vie impossible,
De moins en moins localisé !

— Tout cela vous honore,
Lord Pierrot, mais encore ?

— Il faisait, ah ! si chaud, si sec.
Voici qu’il pleut, qu’il pleut, bergères !
Les pauvres Vénus bocagères
Ont la roupie à leur nez grec !


— Oh ! de moins en moins drôle ;
Pierrot sait mal son rôle ?

— J’ai le cœur triste comme un lampion forain…
Bah ! j’irai passer la nuit dans le premier train ;

Sûr d’aller, ma vie entière,
Malheureux comme les pierres. (Bis.)