Les Complaintes (Mercure de France 1922)/Complainte du Roi de Thulé

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Les Complaintes (Mercure de France 1922)
Les ComplaintesMercure de FranceI. Poésies (p. 149-151).


COMPLAINTE DU ROI DE THULÉ


Il était un roi de Thulé,
Immaculé,
Qui loin des jupes et des choses,
Pleurait sur la métempsychose
Des lys en roses,
Et quel palais !

Ses fleurs dormant, il s’en allait,
Traînant des clés,
Broder aux seuls yeux des étoiles,
Sur une tour, un certain Voile.
De vive toile,
Aux nuits de lait !


Quand le voile fut bien ourlé,
Loin de Thulé,
Il rama fort sur les mers grises,
Vers le soleil qui s’agonise,
Féerique Église !
Il ululait :

« Soleil-crevant, encore un jour,
Vous avez tendu votre phare
Aux holocaustes vivipares,
Du culte qu’ils nomment l’Amour.

« Et comme, devant la nuit fauve,
Vous vous sentez défaillir,
D’un dernier flot d’un sang martyr
Vous lavez le seuil de l’Alcôve !

« Soleil ! Soleil ! moi je descends
Vers vos navrants palais polaires,
Dorloter dans ce Saint-Suaire
Votre cœur bien en sang,
En le berçant ! »


Il dit, et, le Voile étendu,
Tout éperdu,
Vers les coraux et les naufrages,
Le roi raillé des doux corsages,
Beau comme un Mage
Est descendu !

Braves amants ! aux nuits de lait,
Tournez vos clés !
Une ombre, d’amour pur transie,
Viendrait vous gémir cette scie :
« Il était un roi de Thulé
Immaculé… »