Les Deux Frères (Sand)/22

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Calmann Lévy (p. 245-259).



XXII


Je n’avais pas entendu les premières paroles échangées entre eux sur le sentier. Le premier mot que je recueillis fut une déclaration très-nette de la comtesse.

— Parlons franchement, disait-elle, brutalement même, pour trancher la situation. Je vois bien ce que vous a dit la baronne et dans quel lacet elle veut m’engager. Il y a longtemps d’ailleurs qu’elle me parle de votre amour et qu’elle vous révèle le mien. Cette révélation est une supposition toute gratuite, fondée sur sa propre appréciation. Berthe vous aime et vous aimera toute sa vie dans le sens qu’elle m’attribue, elle ne peut comprendre le genre d’affection que j’ai pour vous ; vous la comprendrez, vous qui savez mieux analyser le cœur humain. Mon amitié pour vous, ma haute estime, mon admiration, je dirai même ma vénération pour votre caractère, vous les connaissez, vous n’en douterez jamais ; mais on veut qu’à ces sentiments si purs et si élevés il s’en joigne un plus intime, qui consiste dans le désir d’appartenir à l’homme que l’on admire. — Eh bien, ce sentiment-là n’a jamais existé et n’existera jamais en moi. Vous seul au monde méritiez de me l’inspirer, et, si je l’éprouvais, je ne rougirais pas de l’avouer à un homme tel que vous ; mais, je vous l’ai dit l’autre jour, la mère a tant souffert en moi qu’elle a tué la femme. L’épouse n’a que des souvenirs amers, l’amante n’a jamais eu le loisir et la santé morale qui auraient pu la développer. Vous l’avez compris, mon brave Salcède, puisque vous ne m’avez jamais dit un mot ni adressé un regard empreint de volupté. Sachez bien à présent qu’à cet égard je suis morte de mort violente, mes sens se sont glacés dans les larmes, et je ne sens rien en moi de ce qu’il faut pour donner du bonheur comme l’entend ma pauvre Berthe. Je ne sais que chérir avec la franchise d’une chasteté inaltérable, et, de moi à vous, après les accusations portées contre nous, s’il n’en avait pas toujours été et s’il n’en devait pas être ainsi pour toujours, je mériterais, sinon d’avoir été condamnée par mon mari, du moins d’avoir été soupçonnée. Allons, cher Salcède, ôtons cette chimère de l’esprit de notre amie ; aidez-moi à la détromper.

Et, comme Salcède semblait accepter son arrêt sans dire un mot, soit qu’il craignît de se trahir, soit qu’il reconnût la haute raison de madame de Flamarande, elle ajouta :

— Faisons mieux, ôtons au monde tout prétexte de railler notre amitié et de l’empêcher de se montrer au grand jour. Je vous avoue que, pour moi, un simple sourire autour de nous serait une flétrissure dont je souffrirais mortellement. Ce que je vais vous proposer me permettra de vivre une grande moitié de ma vie entre vous, Gaston et Roger sans que personne en soit surpris. Épousez madame de Montesparre.

— J’y ai pensé, répondit Salcède ; mais elle exigerait l’amour, et je n’ai pour elle que l’amitié la plus loyale et la plus fervente, celle que vous m’accorderiez…

— Et dont vous ne vous contenteriez pas ? reprit la comtesse.

— Je l’avoue. Donc, la baronne…

— Attendez, Salcède ! Vous dites pourtant que vous y avez pensé, et moi, je vais vous dire pourquoi cette pensée vous est revenue souvent avec une sérieuse autorité. Vous avez fait mon long malheur sans le vouloir. Je ne peux pas m’en plaindre, et vous n’avez plus rien à réparer envers moi. Au contraire, c’est à moi de vous bénir, moi qui ai accepté comme un dédommagement qui m’était dû le sacrifice volontaire et gratuit de votre jeunesse. Il n’en va pas de même avec madame de Montesparre. Vous avez accepté, vous, son dévouement absolu et le sacrifice de sa réputation. Elle est si bonne qu’on l’aime, elle n’a plus ni mari ni enfant, on lui pardonne, et pourtant c’est une grande injustice qu’elle subit, c’est une véritable humiliation qu’elle endure sans se plaindre de passer pour votre maîtresse, elle qui n’a jamais commis la moindre faute. Si son fils vivait encore, il aurait à peu près l’âge des miens. Elle serait dans une perpétuelle inquiétude de le voir devenir tout à coup triste ou furieux comme l’était dernièrement Roger. Et quelle compensation aurait-elle à son malheur ? Comment se justifierait-elle après avoir montré à tout son entourage ce dévouement sans bornes dont vous avez été l’objet ? Vous n’êtes pas libre de le méconnaître plus longtemps, Salcède, vous lui devez une réparation éclatante et vous pouvez la lui donner à présent que Gaston est en possession de son intelligence et de sa volonté. Cette union ne vous sépare pas de lui. Berthe est fixée en Auvergne, elle n’est pas forcée de se partager. Elle vivra avec vous, elle vivra tantôt ici, tantôt au Refuge, qui sera pour elle une Arcadie. Nous serons tous libres et heureux ainsi, car vous l’aimerez de plus en plus, cette charmante femme qui vous adore et que vous serez fier d’avoir réhabilitée…

— Assez, madame, répondit Salcède, je ne veux pas descendre dans votre estime et dans celle de Gaston, qui pense comme vous et qui me l’a fait comprendre, je ferai mon devoir. J’épouserai madame de Montesparre. Dois-je aller le lui dire ?

— Non, elle serait humiliée peut-être, inquiète tout au moins, de devoir son bonheur à mon influence. Dites-lui seulement que je vous ai démontré les impossibilités d’un mariage entre nous, et montrez-vous calme et satisfait comme doit l’être un homme de bien et un philosophe aussi sérieux que vous l’êtes. Dans quelques jours, quand je serai partie avec Roger…

— Dans quelques jours ?

— Oui, j’ai reçu tantôt une lettre de mon notaire. Il faut que je m’occupe des affaires de la succession. M. de Flamarande a fait un don considérable à sa maîtresse, et nous accepterons cette spoliation en silence ; mais la fortune est très-entamée, et il faut aviser à la liquider. Donc, je pars avec Roger afin d’agir en son nom, si Gaston persiste à ne pas hériter.

— Il persistera, mais ne vous en affectez pas ; mon mariage avec Berthe facilitera les moyens de vous rapprocher plus souvent et plus longtemps de lui. Quant à son sort, ne vous en inquiétez pas non plus. Gaston ne peut être heureux qu’à la condition de suivre les inspirations de son cœur ardent et de son imagination exaltée. Dieu merci, ces inspirations sont toujours empreintes d’un héroïsme si entier qu’il a les apparences du calme et de la gaieté. Le fond de sa résolution, c’est qu’il aime Charlotte et ne veut pas la voir se transformer en femme du monde. Elle sera la châtelaine de Flamarande sans perdre le charme de sa simplicité rustique. Quant à lui, il restera ce qu’il lui plaît d’être, un parvenu intelligent et laborieux, devant tout à lui-même et ne subissant aucun joug de convention. Je vous prédis qu’il n’endossera jamais un habit noir, et qu’aucun salon de Paris ou de province ne le verra jamais. Prenez-en votre parti. Vous l’avez adoré tel qu’il était, adorez-le toujours tel qu’il veut être.

— C’est fait, répondit la comtesse ; j’accepterai tout et ne vous ferai pas de reproche d’en avoir fait un ange et un sage.

Ils causèrent encore en s’éloignant, et j’allais m’éloigner aussi lorsque j’entendis revenir madame de Flamarande, qui marchait vite et qui, descendant seule le sentier, venait droit sur moi. Je n’eus que le temps de quitter mon banc et de me jeter dans le fourré. Elle vint à ce banc, s’y laissa tomber comme si elle était épuisée ; puis, couvrant son visage de son mouchoir, elle fondit en larmes. J’entendis le râle de ses sanglots étouffés qui pénétrèrent mon cœur d’admiration et de pitié.

Elle aimait donc Salcède et elle se sacrifiait à Roger ! Elle se sacrifiait avec une fermeté enjouée qui avait ôté toute espérance au marquis, et maintenant elle souffrait avec l’énergie d’une âme généreuse qui sait cacher ses ardeurs refoulées sous les dehors de la prudence et de la raison. Elle me parut sublime, et je fus honteux de l’avoir mal jugée, honteux et repentant au point d’aller tomber à ses pieds en lui disant :

— Madame, madame, pardonnez-moi ! Vous êtes une sainte, et je suis un misérable !

— Quoi donc, Charles ? me dit-elle tressaillant de surprise. Vous me trouvez dans un de ces accès de migraine nerveuse auxquels je suis sujette depuis longtemps. Ne vous en inquiétez pas. Cela va se passer ; mais vous, d’où venez-vous ? Pourquoi nous avez-vous quittés et de quoi vous accusez-vous ?

Ma confession générale eût été longue, et je n’avais besoin d’en dire qu’un peu pour expliquer mon repentir.

— Je vois, lui dis-je, que madame a encore du chagrin, et j’en suis certainement la cause. Roger persiste à se tourmenter, et j’aurais dû lui épargner ces tourments en lui montrant plus tôt la déclaration de son père.

— Au fait dit la comtesse comme éclairée par une réflexion qui ne lui était pas encore venue, vous me disiez que M. de Flamarande vous avait repris cette pièce…

Mais, voyant que j’avais le cœur brisé, l’excellente femme, habituée à toujours oublier ses propres déchirements pour adoucir ceux des autres, ajouta vite, comme pressée de me trouver une excuse :

— Vous avez craint la précipitation de Roger et vous avez pensé que M. de Salcède, étant le plus désintéressé dans l’affaire, devait seul recevoir un dépôt aussi précieux. Quant à moi, vous avez craint à Ménouville de me donner des espérances que mon mari ne réaliserait pas. Vous êtes scrupuleux à l’excès et peut-être un peu formaliste ; mais, quel qu’ait été votre motif, Charles, il n’a pu être que très-bon, et je ne comprends pas que vous nous quittiez quand nous sommes si heureux relativement au passé et si reconnaissants envers vous.

— Heureux ! et pourtant madame pleure encore.

— Ce n’est rien, Charles, absolument rien ! On peut subir des crises intérieures d’une certaine intensité qui se dissipent et s’effacent devant la joie de la conscience. Je vous jure que Roger n’a pas cessé d’être adorable pour son frère et pour moi. Vous allez les voir ensemble, et justement voici la cloche du dîner. Donnez-moi votre bras, mon ami. Je suis un peu brisée par cette migraine. Vous allez dîner avec nous, et Roger vous fera renoncer à l’idée de nous quitter.

J’étais tellement brisé moi-même que je ne sus pas résister à la touchante bonté de ma pauvre maîtresse, et je l’accompagnai au château, où tout le monde me fit bon accueil, sauf Roger, qui me tendit pourtant la main, mais d’un air préoccupé et sans me questionner sur les motifs de ma disparition.

Je vis que M. de Salcède avait déjà parlé à la baronne, non de sa résolution de l’épouser, mais des bonnes raisons que la comtesse lui avait données pour le faire renoncer à sa main. Il était plus pâle qu’à l’ordinaire ; cependant rien ne trahissait en lui la douleur d’une déception qu’il avait sans doute prévue et acceptée d’avance, et qu’il subissait avec une douce et noble résignation. Madame de Montesparre ne pouvait se défendre de l’observer avec une secrète angoisse mêlée d’espoir et de crainte. Roger, toujours gai à la surface, me parut pourtant un peu agité intérieurement. Il avait évidemment senti dans l’air quelque projet qui ne lui souriait pas, quelque décidé qu’il fût à tout accepter. Il voulait sans doute en avoir le cœur net, car il se remit à taquiner la baronne sur ses distractions, lui demandant si c’était qu’elle daignait enfin s’apercevoir de son martyre et si elle songeait à couronner sa flamme. La baronne, au lieu de rire comme de coutume de ses madrigaux, lui répondit avec un peu d’humeur, et Roger, étonné, se tourna tout à coup vers Salcède, qui probablement lui avait légèrement poussé le coude ou le genou. Roger sourit et lui dit tout bas :

— C’est différent, mon cher marquis.

Et il cessa ses plaisanteries.

Gaston parla peu, comme il avait coutume de faire quand il n’était pas stimulé par une vive émotion. Il avait toujours son costume villageois et passait dans la maison pour ce qu’il désirait de paraître toujours, l’élève de M. de Salcède et le futur successeur de Michelin. Il gardait donc la réserve qui convenait à son rôle. L’abbé Ferras, à qui l’on n’avait certainement pas reproché ses révélations anticipées à Roger, causa beaucoup avec M. de Salcède des diverses traductions de l’Iliade et de certaines éditions rares d’autres livres classiques. Il semblait que rien ne fût changé autour de lui, et son unique préoccupation me parut être de supplier Roger, au cas où il se déferait de la bibliothèque de Ménouville, de ne pas aliéner certains ouvrages précieux.

— Je vous les donne d’avance, répondit Roger, à moins que Gaston ne les réclame, car nous avons fait un marché bizarre. Il ne veut rien de ce qui est à moi, et moi, j’ai juré que tout ce qui est à moi serait à lui.

On parlait librement de Gaston devant les domestiques. C’était pour eux un absent, un inconnu.

Après le dîner, M. de Salcède prit le bras de Roger, et sortit avec lui et Gaston. Madame me prit à part avec la baronne et voulut me consulter sur les lettres d’affaires qu’elle avait reçues dans la journée. Ces lettres étaient plus graves qu’elle ne le pensait. Le comte de Flamarande n’avait pas testé, mais il avait signé à sa maîtresse des billets pour une valeur considérable, et sa succession était diminuée d’un bon tiers. En outre, il laissait quelques dettes sérieuses. Le notaire appelait madame de Flamarande à Paris et l’engageait à se hâter. Je vis tout de suite qu’elle n’avait pas assez apprécié l’urgence de son départ, et je dus lui conseiller de l’effectuer dès le lendemain matin. Elle s’y résigna avec chagrin, mais sans discuter. Elle devait emmener Roger, qu’elle voulait faire émanciper, afin de la dispenser de prendre des résolutions contraires à ses désirs.

Madame de Montesparre commanda tout de suite sa voiture et ses chevaux pour le jour suivant de grand matin, afin de faire gagner aux voyageurs le chemin de fer à l’heure voulue. Elle parlait d’accompagner son amie à Paris ; mais Roger, qui rentrait en cet instant, lui dit d’un ton affectueux et sérieux en lui baisant la main :

— Non, chère madame, il faut rester chez vous, il le faut !

Il ne voulut pas s’expliquer, mais je vis au front radieux de Roger que M. de Salcède, en le priant amicalement d’être moins familier avec la baronne, lui avait fait volontairement deviner ses projets. Roger en était si heureux, que je vis combien madame de Flamarande avait deviné juste en refusant de lui donner un nouveau rival. La joie de Roger éclaira aussi madame de Montesparre, qui ne parla plus d’aller à Paris.

Quand Gaston fut mis au courant des motifs de ce prompt départ, il eut un moment de tristesse. Il s’était flatté de rester avec sa mère et son frère quelques jours de plus ; mais il s’exécuta avec courage et promit d’aller à Paris avec Salcède au commencement de l’hiver. Puis, comme nous étions bien en famille au salon, il embrassa passionnément sa mère et son frère et leur dit adieu. Il ne voulait pas les revoir devant témoins le lendemain matin ; il craignait qu’ils ne vinssent à se trahir en lui témoignant trop d’affection.

On alla se coucher de bonne heure ; Salcède resta au salon avec la baronne pour la préparer, je crois, à de plus sérieuses ouvertures après le départ de madame de Flamarande ; Roger suivit sa mère chez elle pour l’entretenir vraisemblablement du même objet. Il me dit à peine bonsoir et ne m’adressa pas un mot pour m’engager à rester attaché à la famille.

Le lendemain, même froideur et même silence. Enfin, pendant qu’on attelait les chevaux, il me demanda d’une voix brève si je retournais à Paris avec eux.

— Non, lui répondis-je, j’y retourne de mon côté, je quitte votre service, vous le savez bien.

— Tu sais, toi, reprit-il, sans trouver un mot pour me retenir, que tes cent mille francs sont toujours chez Salcède ?

— Je les refuse.

— Alors donne-les aux pauvres, ni moi ni Gaston n’accepterons ce cadeau.

Et il se détourna pour embrasser Salcède, qui arrivait avec la comtesse et la baronne. Il lui donna cette accolade avec une effusion bien éloquente ; son aversion pour moi jusqu’au dernier moment ne le fut pas moins.

Blessé jusqu’au fond du cœur, je m’enfonçai dans le jardin et j’allai me jeter sur ce banc ombragé où je m’étais assis la veille à l’endroit le moins fréquenté du parc. Je me rappelai seulement alors que c’était juste en cet endroit-là qu’avait eu lieu la violente explication entre MM. de Flamarande et de Salcède dans la fatale nuit qui avait brisé leur existence. De là, peu d’instants après, je vis passer la voiture qui emportait ma dernière consolation, mon dernier espoir en ce monde ; tout était consommé. J’avais sacrifié jusqu’à mon honneur pour cet enfant qui me payait en mépris. Je ne pleurai pas, je restai pétrifié et n’ayant plus conscience de moi-même.

Quelqu’un s’assit près de moi sans que je l’eusse entendu venir et prit ma main glacée dans les siennes.

— Gaston ! m’écriai-je sortant comme d’un rêve.

— Non, Espérance Michelin, répondit-il en souriant. Il n’y a plus de Gaston. Oublions ce personnage ; mais vous, voyons ! vous êtes souffrant ou désespéré. Pourquoi ne suivez-vous pas ma mère, qui n’a jamais, méconnu votre attachement ?

— Roger…

— Oui, Roger, je sais ! Roger ne peut pas vous pardonner de l’avoir rendu coupable à ses propres yeux. Il a tort, il faut savoir tout pardonner à un homme qui a de grandes qualités. Il en reviendra ; le temps arrange tout.

— Roger a raison, je ne mérite pas qu’il me pardonne jamais. Je suis plus coupable que vous ne pensez.

— Je ne veux pas le savoir. Moi aussi, je me suis méfié de vous un instant. M. Alphonse m’a dit, en me parlant de vous : « L’homme est méticuleux, bizarre, méfiant et malheureux ; mais il est aimant et sensible. Son désintéressement orgueilleux frise l’héroïsme. » Cela me suffit pour vous plaindre et vous aimer. Qu’allez-vous faire à présent ?

— Mourir d’ennui et de chagrin, n’importe où.

— Non. Il faut venir vivre de travail utile et d’amitié paisible à Flamarande. Je ne suis pas aussi aimable que Roger ; mais, ayant été moins gâté je suis peut-être plus patient. Vous m’avez beaucoup aimé aussi dans mon enfance, vous m’aimerez encore, et je vais devenir votre filleul en épousant Charlotte ; vous voilà mon seul parent officiel. Je sais que M. de Salcède, qui a acheté encore beaucoup de terres autour du Refuge, et qui compte faire bâtir, avait l’intention de vous offrir la régie de ses propriétés au cas où vous quitteriez celle de Ménouville. Venez prendre possession. Allons, venez ! M. Alphonse et la baronne se sont décidés, au dernier moment, à accompagner madame de Flamarande et Roger jusqu’au chemin de fer. Ils déjeuneront certainement ensemble en rentrant ici. Moi, je ne peux pas rester plus longtemps sans travailler. Venez ; si vous êtes las, nous déjeunerons dans quelque buron de la traverse. Vous paraissez faible, prenez mon bras. La force va vous revenir ; il ne s’agit que de vouloir… Allons, Charles, la volonté est tout !