Contes et fables/Les Deux Marchands

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Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky.
Contes et fablesLibrairie Plon (p. 66-68).
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LES DEUX MARCHANDS

FABLE


Un pauvre marchand partant en voyage laissa tout son fer chez un riche marchand.

Quand il revint, il se présenta chez le dépositaire, pour reprendre sa marchandise.

Mais le riche marchand avait tout vendu, et, pour se tirer d’affaire, il lui dit :

— Il est arrivé malheur à ta marchandise.

— Et qu’est-il arrivé ?

— Je l’avais entassée dans le grenier, où il y a beaucoup de souris, et celles-ci ont rongé tout ton fer ; je les ai vues ; si tu ne me crois pas, viens voir toi-même !

Le pauvre marchand n’entama pas de discussion, et dit simplement :

— Il n’y a pas à regarder, je le crois ; je saurai désormais que les souris mangent le fer… Adieu !

Et le pauvre marchand s’en alla.

Dans la rue, il aperçut un petit garçon qui jouait ; c’était le fils du riche marchand ; il le caressa, le prit dans ses bras et l’emporta chez lui.

Le lendemain, le riche marchand rencontra le pauvre, et lui conta son malheur ; il lui apprit qu’on lui avait volé son fils, et lui demanda s’il n’avait rien vu ni entendu à ce sujet.

Le pauvre répondit :

— En effet, comme je sortais de chez toi, hier, j’ai aperçu un épervier qui s’abattait sur ton fils et l’emportait.

Le riche marchand se fâcha et dit :

— N’as-tu pas honte de te moquer de moi ? Est-ce qu’on a jamais vu un épervier emporter un enfant ?

— Non, je ne ris pas ; il n’est pas surprenant qu’un épervier emporte un enfant, quand des souris peuvent manger cent pouds de fer… Tout est possible !

Alors, le riche marchand comprit et dit :

— Non, les souris n’ont pas mangé ton fer ; je l’ai vendu et je te rembourserai le double de sa valeur.

— S’il en est ainsi, l’épervier n’a pas emporté ton fils, et je vais te le rendre.