Les Femmes arabes en Algérie/Où la prostitution est un sacerdoce

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Société d’éditions littéraires (p. 111-117).


Où la prostitution est un sacerdoce




Chez les arabes où l’on compte vingt-deux femmes pour cent de moins que d’hommes, et où la polygamie qui excite l’appétit sexuel et fait en raison de l’accaparement de quelques-uns, la rareté pour tous du sexe féminin sur le marché du mariage, il ne faut pas s’étonner si sacrifier à l’amour est œuvre pie, si la prostitution est en Algérie un sacerdoce.

La tribu des Ouled-Naïl qui pour plaire à Allah exerce ce sacerdoce, recueille partout honneurs, considération, richesses.

Cette Tribu des prêtresses de l’amour dont les tentes ne sont pas comme celles des Oulad-Sidi-Cheik, noires surmontées d’un panache de plumes d’autruche ; mais d’une couleur grenat rouge qui la distingue de ses coreligionnaires aux tentes grises ou brunes, occupe un immense espace sur les confins du grand désert entre Bou-Saada et Laghouat près de Djelfa. Les hommes et les femmes dont elle se compose, sont les plus parfaits types de beauté arabe. Les hommes efféminés sont poètes et jouent de la flûte. C’est au son de cet instrument que les bambines de la tribu apprennent à danser, en faisant leurs premiers pas.

Quand elles ont atteint neuf ou dix ans qu’elles savent chanter et danser à souhait, fumer élégamment, elles émigrent par troupe, vers les villes du littoral où elles exercent leur profession qui est de charmer et d’ensorceler — de se donner ou de se vendre librement.

Ces enfants du désert n’admettent pas la réglementation de la prostitution.

Les Chambaa prévenus que la garnison d’El-Goléa allait avoir des maisons publiques, firent connaître hautement qu’ils se révolteraient si on prenait des femmes de leur race pour ce commerce patenté.

Mais ajoutèrent-ils « des négresses on peut faire ce que l’on veut, ce ne sont pas des êtres humains. »

Les almées si jolies, les vierges folles du sahara ravissent les européens. Ces houris transfigurent les habitués des cafés maures qui ont, en les regardant danser, un avant-goût du Paradis de Mahomet… Les riches qui sont là leur versent sur les mains des amphores remplies de parfums…

Quand on voit étincelantes de la tête aux pieds, de pierreries, de diamants et enveloppées par la fumée des aromates, les charmantes Oulad-Naïl se lever une à une et doucement, comme en hésitant, s’avancer dans le cercle formé par les spectateurs où bientôt elles agitent leurs hanches par un mouvement lascif, l’assistance est fascinée. Une seconde almée succède à la première, offrant la même irrésistible, mystérieuse attraction et toute la troupe des danseuses défile, simulant les choses les plus provocantes, laissant deviner, grâce au costume arabe, les hanches et le ventre qui s’agitent, aussi distinctement que s’ils étaient nus.

Cette danse du ventre[1], c’est l’amour sans l’amour, elle produit une ivresse des sens dont ne peuvent se lasser les spectateurs.

La musique bien qu’assourdissante est entraînante ; bientôt un nègre, castagnettes de fer ou clarinette à la main, s’approche de chaque assistant et ceux même qui sont déguenillés lui donnent de dix à douze douros.

Cet argent a été emprunté pour quelques heures, à un juif par de pauvres arabes qui ont voulu se procurer le plaisir de jouer aux riches devant les belles Oulad-Naïl.

Quand, en se vendant à tout le monde, ces aimables enfants auront recueilli assez d’argent, elles retourneront dans leur tribu et les épouseurs se les disputeront. C’est qu’avec l’or, elles apportent dans les plis de leur melhafa de brocart ou de soie, un peu de civilisation.

Ce n’est pas seulement un besoin inhérent à leur pauvreté, qui a engendré la coutume générale chez les Oulad-Naïl, d’offrir à prix d’or leurs filles à tout venant, c’est une croyance qu’en agissant ainsi ils honorent Allah. Ils sont persuadés, que les femmes font œuvre méritoire en se prostituant et ils les encouragent dans cette voie ; car selon eux, renoncer à cette habitude attirerait sur la tribu les plus grands maux.

La dîme de chair fraîche payée à ce minotaure, le vice, leur paraît une garantie de sécurité. Aussi, c’est vainement qu’Abdel-Kader voulut faire perdre aux filles des Oulad-Naïl l’usage d’aller dans toute l’Algérie se prostituer ; une disette survint, on l’attribua à la colère d’Allah et l’ancienne coutume fut rétablie.

Les Oulad-Naïl nobles, c’est-à-dire de grande tente, agissent royalement avec leurs amants d’une heure ; quand ils ont admiré un objet rare ou un des tapis qui forment l’autel sur lequel on sacrifie à l’amour, elles le leur font porter par leurs suivantes.

Ghadamès, plus collet-monté qu’Alger et les autres villes du littoral, proscrit la prostitution ; elle chasse de ses murs les prostituées.

Le royaume de Haoussa est pour elles encore plus cruel. Dans ce royaume, les femmes reconnues pour se livrer à la prostitution, sont le jour du marché pendues sur la place publique.

En compensation de cette sévérité, Biskra, qu’un poète compare à une émeraude dans un joyau d’or, appelle et adule les courtisanes. Elles occupent dans l’oasis aux cent cinquante mille palmiers, tout un quartier. Et, elles contribuent au moins autant que les courses de Méharas, à attirer les hiverneurs.

Dans les steppes du Sahara des marabouts berbères, appelés Tagama (Saints) qui laissent croître leurs cheveux et les disposent en longues tresses pour être remarqués de loin, ont une industrie traditionnelle, c’est de faire trafic de leurs femmes avec les étrangers. Ces mœurs se retrouvent, chez les tribus d’origine berbère en Tripolitaine.

Hérodote raconte, que les filles de la Lydie se livraient à la prostitution. Elles exerçaient ce métier, jusqu’à ce qu’elles trouvassent à se marier. C’est ainsi qu’elles se mettaient en état de choisir un époux.



  1. Le spectacle grotesque que l’on en donne en France n’en est qu’une horrible imitation.