Les Femmes arabes en Algérie/Réponse du Ministre

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Société d’éditions littéraires (p. 72-77).

Réponse du Ministre


Le président de la Chambre des députés m’a communiqué la décision défavorable du ministre — auquel avait été renvoyée ma pétition — au relèvement de la condition juridique et sociale de la femme arabe.

« Il ne paraît pas possible, dit le ministre de l’Intérieur, au moins pour le moment, ainsi que le fait remarquer, M. le gouverneur général de l’Algérie, de donner satisfaction aux vœux exprimés par la pétitionnaire. La situation de la femme arabe ne saurait être modifiée sans toucher aux statuts personnels et successoraux musulmans qui ont toujours été respectés par la législation algérienne. Il y aurait même imprudence à mettre à l’étude une aussi grave question : outre l’impossibilité évidente d’arriver à une solution pratique, on provoquerait dans la population indigène, déjà préoccupée des projets de réformes, une agitation qu’il convient d’éviter. »

Le ministre de l’Intérieur est plus musulman que Mahomet lui-même. Pendant qu’il objecte un danger chimérique, un bon mahométan Kassim-Anim Bey, conseiller à la cour d’appel au Caire, demande justement que la loi interdise la polygamie, la répudiation et oblige à instruire la femme, à la laisser vivre indépendante et libre de choisir son époux.

Eh quoi ! les idées volent, le progrès pousse les hommes et les conquis de la République Française seuls croupiraient en leur vieux errements ?

L’Algérie mahométane devrait rester dans le statu quo, pendant que tout marche autour d’elle ?

Les statuts que l’on invoque pour s’abstenir de modifier le sort de la femme arabe ont été violés combien de fois par les administrateurs, quand il s’agissait de rançonner et de mettre en interdit les indigènes. D’ailleurs, ces statuts dont le ministre paraît faire un si grand cas aujourd’hui ont été méconnus par les arabes eux-mêmes, qui, oublieux des conventions prises, n’ont depuis l’annexion de l’Algérie, cessé de se déclarer belligérants et de rechercher à reconquérir leur indépendance.

La France a, sous le couvert de la civilisation, dépossédé l’arabe du territoire de l’Algérie et maintenant, elle arguerait de son respect pour la barbarie du vaincu, pour le laisser en dehors de la civilisation au nom de laquelle elle l’a conquis ? Cela est inimaginable !

Il n’est pas, comme on pourrait le croire, impossible d’arriver à une solution, relativement à la suppression de la polygamie dans le monde musulman.

Il ressort en effet clairement d’une enquête que j’ai fait à ce sujet, que beaucoup d’arabes trop pauvres pour pouvoir se marier sont obligés de recourir à des moyens anti-naturels pour satisfaire leurs appétits sexuels.

Les autres sont en majorité monogames et usent fréquemment du divorce. Il n’y a donc en fait, qu’un nombre restreint d’arabes qui pratique la polygamie et encore, de ce nombre il faut défalquer les hommes instruits qui n’ont chez eux qu’une seule femme.

« Une seule femme, me disait dernièrement un conseiller municipal arabe, en visite chez moi à Paris, est déjà assez difficile à contenter, comment pourrait-on en contenter plusieurs ! »

Quant à nos sœurs indigènes, dès qu’elles sont initiées à notre vie, elles ont le dégoût de leur condition de femmes-troupeau et elles ne veulent plus rentrer dans le milieu où elles sont forcées de subir la polygamie et de vivre séquestrées.

En dépit du Koran, les femmes Touareg ont interdit la polygamie et l’on ne trouve pas dans les tribus de leur race, d’exemple d’hommes ayant pris une deuxième femme.

Pour ce qui est de l’agitation momentanée qui ressuscitera à son noble passé et mettra en marche vers le progrès la race musulmane, il est puéril de chercher à l’éviter. Cette agitation doit forcément avoir lieu lors de l’assimilation.

La polygamie qui met obstacle à la fusion des deux races sous une loi commune doit être sacrifiée à l’unité française.

Les occidentaux sont aussi peu monogames que possible. Ils ont des amours successives et parfois multiples ; mais au moins dans les pays monogames, la polygamie est voilée. Si un homme s’avisait de mettre en contact sa femme et sa maîtresse il serait traité de goujat par ses congénères.

Eh bien, la délicatesse féminine dont les européens se font les gardes du corps, cette délicatesse existe chez les femmes arabes et veut être respectée.

Sous aucuns cieux, la femme qui a donné son cœur ne s’habitue à partager avec d’autres celui qu’elle aime !