Les Fiancés (Manzoni 1840)/16

La bibliothèque libre.
Traduction par Jean-Baptiste de Montgrand.
Garnier (p. 221-234).


CHAPITRE XVI.


« Sauvez-vous, sauvez-vous, brave homme : là tout près est un couvent, ici une église ; par ici, par là, » crie-t-on à Renzo de toutes parts. Pour ce qui était de se sauver, je vous laisse à penser si le conseil était nécessaire. Dès le premier moment où quelque espérance de sortir des griffes de ces gens avait brillé comme un éclair à son esprit, il avait fait son plan et déterminé, si le coup lui réussissait, de marcher sans s’arrêter nulle part, jusqu’à ce qu’il fût dehors, non-seulement de la ville, mais du duché. « Car, s’était-il dit, ils ont mon nom sur leurs gros livres, de quelque manière qu’ils l’aient eu ; et, avec le nom et le prénom, ils viendront me prendre quand ils en auront envie. » Et quant à un asile, il ne s’y serait jeté que s’il avait eu les sbires sur ses talons. « Car si je puis être oiseau des bois, s’était-il dit encore, je ne veux pas me faire oiseau de cage. » Il s’était donc proposé pour lieu de refuge ce pays, dans le territoire de Bergame, où était établi ce Bartolo son cousin, s’il vous en souvient, qui, plusieurs fois, l’avait engagé à l’y aller joindre. Mais le difficile était de trouver son chemin. Laissé à lui-même dans un quartier qu’il ne connaissait pas, d’une ville qu’il ne connaissait guère mieux, Renzo ne savait pas seulement par quelle porte il fallait sortir pour aller à Bergame ; et quand même il l’aurait su, il ignorait par où l’on allait à cette porte. Il fut un moment sur le point de se faire indiquer le chemin par quelqu’un de ses libérateurs ; mais comme, dans le peu de temps qu’il avait eu pour méditer sur ses aventures, il lui avait passé par l’esprit certaines idées dignes d’être approfondies sur ce fourbisseur, père de quatre enfants, qui avait été si obligeant pour lui, il crut devoir aller au plus sûr en ne faisant pas connaître ses projets à une troupe nombreuse, parmi laquelle pouvait se trouver quelque autre personnage de même espèce, et il prit tout aussitôt le parti de commencer par s’éloigner de là au plus vite, sauf ensuite à demander son chemin dans un endroit où personne ne saurait qui il était, ni pourquoi il faisait cette demande. Il dit à ses libérateurs : « Mille grâces, braves gens, que le ciel vous récompense ! » et sortant par le passage qui lui fut immédiatement ouvert, il prit sa course et disparut. Se jetant dans une petite rue, en enfilant une autre, tournant à chaque carrefour, il courut longtemps sans savoir où. Lorsqu’il jugea s’être suffisamment éloigné, il ralentit le pas pour ne pas donner de soupçons ; et se mit à regarder de côté et d’autre pour choisir la personne à qui il pourrait adresser sa question, quelque face à inspirer confiance. Mais en ceci encore, il y avait du scabreux. La question par elle-même était suspecte ; le temps pressait ; les sbires, à peine dégagés de l’obstacle, avaient sans doute dû se remettre sur la piste du fugitif ; le bruit de cette fuite pouvait être arrivé jusque-là ; et dans des moments si courts, Renzo eut peut-être à faire dix jugements physionomiques avant de trouver la figure qui lui pouvait convenir. Cet homme dodu qui s’étalait debout sur la porte de sa boutique, les jambes écartées, les mains derrière le dos, le ventre en avant, le menton en l’air avec un riche double menton au dessous, et qui, n’ayant rien autre à faire, allait d’un jeu alternatif soulevant sur la pointe de ses pieds et laissant retomber sur ses talons sa tremblante masse, avait une mine de bavard curieux qui, au lieu de donner des réponses, aurait fait des interrogations. Cet autre qui venait à lui ses yeux fixes et la bouche demi-béante, loin de pouvoir vite et bien montrer leur chemin à ceux qui l’ignoraient, semblait à peine connaître le sien. Ce jeune garçon, qui, à dire vrai, paraissait fort éveillé, avait tout l’air aussi d’être plus malin encore, et probablement aurait trouvé fort divertissant d’envoyer un pauvre villageois d’un côté tout opposé à celui où le villageois désirait se rendre. Tant il est vrai que, pour l’homme dans l’embarras, presque tout est embarras nouveau ! Voyant enfin un passant qui arrivait d’un pas pressé, il pensa que celui-ci, ayant apparemment quelque affaire urgente, lui répondrait tout de suite et sans verbiages ; et l’entendant parler tout seul, il jugea que ce devait être un homme véridique. Il l’accosta et dit : « S’il vous plaît, monsieur, par où faut-il passer pour aller à Bergame ?

— Pour aller à Bergame ? Par la porte Orientale.

— Merci ; et pour aller à la porte Orientale ;

— Prenez cette rue à main gauche ; elle vous conduira à la place du Duomo ; ensuite…

— Cela suffit, monsieur ; le reste, je le sais. Bien des grâces. » Et, d’un pas plus que leste, il s’achemina du côté qui venait de lui être indiqué. L’autre le suivit des yeux un moment, et, rapprochant dans sa pensée cette façon d’aller et cette demande, il se dit intérieurement : « Ou il a joué le tour à quelqu’un, ou quelqu’un veut le lui jouer à lui-même. »

Renzo arrive sur la place du Duomo ; il la traverse, passe à côté d’un tas de cendres et de charbons éteints, et reconnaît les restes du feu de joie auquel il avait assisté la veille ; il longe le perron du Duomo, revoit le four des béquilles, à demi démoli et gardé par des soldats ; il suit tout droit la rue par laquelle il était venu avec la foule ; il arrive au couvent des capucins ; il jette un coup d’œil sur cette place et sur la porte de l’église, et dit en lui-même en soupirant : « C’était pourtant un bon conseil que me donnait hier ce moine, lorsqu’il me disait d’attendre dans l’église et d’y faire pendant ce temps un peu de prières. »

Ici, s’étant arrêté un moment à regarder avec attention la porte par laquelle il lui fallait passer, et la voyant, de la distance où il était, gardée par bien du monde, ayant d’ailleurs l’imagination un peu troublée (c’est pardonnable ; il y avait de quoi), il éprouva une certaine répugnance à affronter le péril de ce passage. Il avait sous la main un lieu d’asile où sa lettre lui eût été de bonne recommandation ; il fut tenté fortement d’y entrer. Mais aussitôt, reprenant courage, il pensa : « Oiseau des bois, tant que cela se peut. Qui est-ce qui me connaît ? Au fait, les sbires ne se seront pas divisés par morceaux, pour aller m’attendre à toutes les portes. » Il regarda par derrière pour voir si par hasard ils ne viendraient pas de ce côté : il ne vit ni sbires ni autres personnes qui parussent s’occuper de lui. Il se remet en marche, retient ces malheureuses jambes qui voulaient toujours courir, tandis qu’il ne fallait que marcher ; et tout doucement, sifflant un air en demi-ton, il arrive à la porte.

Il y avait sur le passage même un certain nombre d’agents des gabelles, et pour renfort des miquelets espagnols ; mais tous portaient leur attention vers le dehors, pour ne pas laisser entrer de ces gens qui, à la nouvelle d’une émeute, y accourent comme les corbeaux sur le champ où s’est donnée une bataille ; de manière que Renzo, avec son air d’indifférence, regardant à terre, et marchant d’un pas moyen entre celui du promeneur et celui du voyageur, sortit sans que personne lui dît rien ; mais son cœur battait fort. Voyant à droite un sentier, il le prit pour éviter la grande route, et chemina longtemps avant d’oser même regarder derrière lui.

Il va, il va ; il trouve des fermes, il trouve des villages ; il passe tout droit sans en demander le nom ; il est sûr de s’éloigner de Milan, il espère aller vers Bergame ; pour le moment, c’est tout ce qu’il lui faut. De temps en temps il se retournait, et de temps en temps aussi il regardait et frottait tantôt l’un, tantôt l’autre de ses deux poignets encore un peu endoloris et marqués d’un cercle rouge qu’y avait laissé la petite corde. Ses pensées étaient, comme chacun peut se l’imaginer, un mélange confus de repentir, d’inquiétudes, de colères, de tendresses. Elles s’exerçaient laborieusement à recoudre l’une à l’autre les choses qu’il avait dites et qu’il avait faites le soir précédent, à découvrir la partie obscure de sa douloureuse histoire, et surtout comment ces gens avaient pu savoir son nom. Ses soupçons portaient naturellement sur le fourbisseur, à qui il se souvenait bien de l’avoir tout au long décliné ; et s’il réfléchissait de nouveau à la manière dont cet homme s’y était pris pour le lui tirer de la bouche, et à toute sa façon de faire, et à toutes ces offres qui aboutissaient toujours à quelque chose qu’il voulait savoir, ces soupçons devenaient presque une certitude. Toutefois il se souvenait aussi d’une manière confuse d’avoir, après le départ du fourbisseur, continué de bavarder ; avec qui ? va le deviner ; sur quoi ? Sa mémoire, quelque interrogée qu’elle pût être, ne savait le lui dire : tout ce qu’elle lui savait dire, c’était qu’elle avait passé tout ce temps hors du logis. Le pauvre garçon se perdait dans ces recherches ; il était comme un homme qui aurait confié plusieurs blancs-seings à un gérant qu’il croyait des plus honnêtes ; et lorsque ensuite il découvre que ce n’est qu’un embrouilleur d’affaires, il voudrait connaître l’état des siennes : le connaître ? c’est le chaos. Un autre travail d’esprit bien fatigant pour lui était de former pour l’avenir un projet qui pût lui plaire ; car ceux qui n’étaient pas en l’air étaient tous également tristes et décourageants.

Mais bientôt son principal souci fut celui de trouver son chemin. Après avoir marché longtemps, on peut dire à l’aventure, il vit que de lui-même il n’en pourrait venir à bout. Il éprouvait bien une certaine répugnance à prononcer le mot de Bergame, comme s’il y eût eu dans ce mot je ne sais quoi de suspect et de trop hardi ; mais il n’y avait pas moyen de faire autrement. Il résolut donc de s’adresser, comme il avait fait à Milan, au premier passant dont la physionomie lui reviendrait ; et c’est ce qu’il fit.

« Vous êtes hors de votre chemin, » lui répondit son homme ; et après y avoir un peu pensé, il lui indiqua, moitié par la parole, moitié par gestes, le tour qu’il devait faire pour se remettre sur la grande route. Renzo le remercia, fit semblant de se conformer à la leçon, se dirigea en effet de ce côté, avec l’intention cependant de s’approcher de cette bienheureuse grande route, de ne pas la perdre de vue, de la côtoyer le plus possible, mais sans y mettre le pied. Ce plan était plus facile à concevoir qu’à exécuter. Le résultat fut qu’en allant ainsi de droite à gauche et par zigzags, un peu en suivant d’autres indications qu’il se hasardait à recueillir çà et là, un peu en les corrigeant selon ses propres lumières et les adaptant à son intention, un peu en se laissant guider par les chemins dans lesquels il se trouvait engagé, notre fugitif avait fait peut-être douze milles, sans en être à plus de six de Milan ; et quant à Bergame, c’était beaucoup s’il ne s’en était pas éloigné. Il commença à se convaincre que, de cette manière encore, il n’arriverait à rien de bon, et il songea à trouver quelque autre moyen de se tirer d’affaire. Celui qui lui vint à l’esprit fut de tâcher, par quelque finesse, d’avoir le nom de quelque village voisin de la frontière et où l’on pût aller par des chemins communaux : en s’enquérant ensuite de ce village, il se ferait enseigner sa route, sans semer çà et là cette demande du chemin de Bergame qui lui semblait sentir la fuite, l’expulsion, le procès au criminel.

Pendant qu’il cherche comment il pourra se procurer toutes ces notions sans donner de soupçon à personne, il voit pendre un bout de branchage servant d’enseigne sur la porte d’une assez pauvre maison isolée, hors d’un hameau. Depuis quelque temps il sentait s’accroître le besoin de restaurer ses forces ; il pensa que cet endroit serait bon pour y faire d’une pierre deux coups ; il entra. Il n’y avait qu’une vieille femme ayant sa quenouille au côté et son fuseau à la main. Il demanda un morceau à manger. La vieille lui offrit un peu de fromage et du bon vin : il accepta le fromage, la remercia du vin (il l’avait pris en aversion pour le tour qu’il l’avait vu lui jouer la veille), et s’assit en priant la bonne femme de se dépêcher. Celle-ci n’eut besoin que d’un moment pour le servir, et tout aussitôt elle se mit à accabler son hôte de questions et sur lui-même et sur les grands événements de Milan ; car le bruit en était arrivé jusque-là. Renzo sut non-seulement éluder les questions avec beaucoup d’adresse, mais tirant avantage de la difficulté même, il usa pour son dessein de la curiosité de la vieille qui lui demandait où se dirigeait son voyage.

« J’ai, répondit-il, à aller en plusieurs endroits, et s’il me reste un peu de temps, je voudrais aussi passer par ce village assez gros, sur la route de Bergame, près de la frontière, mais pourtant sur les terres de Milan… Comment s’appelle-t-il donc ? Il y en aura bien quelqu’un, se disait-il en lui-même.

— Vous voulez dire Gorgonzola, répondit la vieille.

— Gorgonzala ! répéta Renzo, comme pour mieux se mettre le mot en mémoire. Est-ce bien loin d’ici ? reprit-il ensuite.

— Je ne sais pas au juste ; il peut y avoir dix, peut-être douze milles. Si quelqu’un de mes enfants se trouvait à la maison, il vous le dirait mieux.

— Et croyez-vous qu’on puisse y aller par ces jolis petits chemins, sans prendre la grande route, où il y a une poussière, une poussière ! Il y a si longtemps qu’il n’a plu !

— Je pense que oui ; vous pouvez demander au premier village que vous trouverez en allant à droite ; et elle le lui nomma.

— C’est bien, » dit Renzo ; il se leva, prit un morceau de pain qui lui était resté de son maigre déjeuner, pain bien différent de celui qu’il avait trouvé la veille au pied de la croix de San Dionigi ; il paya son compte, sortit et prit à droite. Et pour ne pas vous allonger l’histoire plus qu’il n’en est besoin, avec le nom de Gorgonzola à la bouche, de village en village, il y arriva une heure environ avant la soirée.

Déjà, chemin faisant, il avait projeté de faire là une autre petite halte, pour prendre une réfection un peu plus substantielle. Son corps eût aussi fort goûté quelque repos dans un lit ; mais, plutôt que de le contenter en ce point, il l’aurait laissé tomber d’épuisement sur la route. Son dessein était de s’informer à l’auberge de la distance où l’on était de l’Adda, de savoir adroitement s’il n’y avait pas quelque chemin de traverse qui pût y conduire, et de se remettre en marche dans cette direction aussitôt après qu’il aurait pris son petit rafraîchissement. Né et depuis sa naissance ayant vécu à la seconde source, pour ainsi dire, de ce fleuve, il avait souvent entendu dire qu’en un certain endroit et sur une ligne d’une certaine étendue, l’Adda servait de limite entre les deux États de Venise et de Milan. Il n’avait pas une idée précise de cet endroit ni de la longueur de cette ligne de division marquée par le fleuve ; mais, pour le moment, son affaire la plus urgente était de le passer, en quelque lieu que ce fût. S’il ne le pouvait dans cette journée, il était déterminé à marcher aussi longtemps que l’heure et ses forces le lui permettraient, et à attendre ensuite l’aube du lendemain dans un champ, dans un désert, partout où il plairait à Dieu, pourvu que ce ne fût pas dans une auberge.

Ayant fait quelques pas dans Gorgonzola, il vit une enseigne ; il entra et demanda à l’hôte, qui vint au-devant de lui, quelque chose à manger et demi-bouteille de vin ; les milles qu’il avait faits de plus et le temps qui s’était écoulé lui avaient fait passer cette haine du vin par trop forte qu’il avait d’abord ressentie. « Je vous prie de faire vite, ajouta-t-il, parce qu’il faut que je me remette tout de suite en chemin. » Et il dit ceci, non-seulement parce que c’était vrai, mais aussi par la crainte que l’hôte, s’imaginant qu’il voulait coucher dans son auberge, ne lui arrivât avec la demande du nom, du prénom, du lieu d’où il venait, de l’affaire… Non, non, point de telles questions.

L’hôte répondit à Renzo qu’il allait être servi, et celui-ci s’assit au bout de la table, près de la porte, à la place des convives honteux. Il y avait dans cette pièce quelques désœuvrés de l’endroit qui, après avoir épuisé la discussion et les commentaires sur les grandes nouvelles de Milan de la veille, se mouraient d’envie de savoir comment les choses se seraient passées depuis, d’autant plus que ces premières notions étaient plus propres à piquer la curiosité qu’à la satisfaire. On y voyait en effet une émeute qui n’était ni réprimée ni victorieuse, un désordre plutôt suspendu par la nuit que terminé, quelque chose d’inachevé, la fin d’un acte plutôt que d’un drame. L’un de ces gens se détacha de la compagnie, s’approcha du nouvel arrivé, et lui demanda s’il venait de Milan.

« Moi ? dit Renzo pris à l’improviste, et pour se donner du temps avant de répondre.

— Vous, si la demande n’est pas indiscrète. »

Renzo, branlant la tête, serrant ses lèvres et en faisant sortir un son inarticulé, dit : « Milan, d’après ce que j’ai entendu dire,… n’est pas un endroit où il soit bon d’aller dans ce moment, à moins d’une grande nécessité.

— Le tapage continue donc aujourd’hui ? demanda le curieux en insistant.

— Il faudrait y être pour le savoir, dit Renzo.

— Mais vous, ne venez-vous pas de Milan ?

— Je viens de Liscate, répondit rondement le jeune homme qui avait en attendant pensé à sa réponse. Il en venait en effet, rigoureusement parlant, puisqu’il y avait passé ; et il en avait appris le nom, à un certain endroit de sa route, d’un passant qui lui avait indiqué ce village comme le premier qu’il devait traverser pour arriver à Gorgonzola.

— Oh ! dit l’autre, comme s’il avait voulu dire : Vous auriez mieux fait de venir de Milan, mais patience. Et à Liscate, ajouta-t-il, ne savait-on rien de Milan ?

— Il se pourrait fort bien qu’on y sût quelque chose, répondit le montagnard, mais je n’y ai rien entendu dire ; il prononça ces mots de cette façon particulière qui semble signifier : j’ai fini. Le curieux retourna à sa place, et un moment après, l’hôte vint servir notre voyageur.

— Combien y a-t-il d’ici à l’Adda ? lui dit celui-ci, à peu près entre les dents, et de ce ton d’homme endormi que nous lui avons vu prendre quelquefois…

— À l’Adda, pour la passer ? dit l’hôte.

— C’est-à-dire… oui… à l’Adda.

— Voulez-vous passer par le pont de Cassano ou sur le bac de Canonica ?

— Par où que ce soit… Ce n’est que par curiosité que je le demande.

— Ah ! c’est que ces endroits sont ceux où passent les honnêtes gens, les gens qui peuvent rendre compte de leurs actions.

— C’est bien ; et combien y a-t-il ?

— Vous pouvez compter à peu près sur six milles, tant d’un côté que de l’autre.

— Six milles ! Je ne croyais pas qu’il y eût tant, dit Renzo. Et pour quelqu’un, reprit-il d’un air d’indifférence qui allait jusqu’à l’affectation, et pour quelqu’un qui aurait besoin de prendre un chemin plus court, il doit y avoir d’autres endroits où l’on peut passer ?

— Oui sans doute, répondit l’hôte, en fixant sur le visage du jeune homme deux yeux pleins d’une curiosité maligne. Il n’en fallut pas davantage pour faire expirer dans la bouche de celui-ci les autres questions qu’il avait préparées. Il tira le plat vers lui ; et, regardant la demi-bouteille que l’hôte avait aussi posée sur la table, il dit : Le vin est-il franc ?

— Comme l’or, dit l’hôte. Demandez à toutes les personnes du pays et des environs qui s’y connaissent ; et d’ailleurs, vous le goûterez. Et en disant ces mots, il retourna vers la compagnie.

— Maudits soient les hôtes ! s’écria Renzo en lui-même ; plus j’en connais, pires je les trouve. » Toutefois il se mit à manger de grand appétit, se tenant en même temps aux écoutes sans qu’il y parût, pour tâcher de découvrir du terrain devant lui, de juger comment on pensait dans cet endroit sur le grand événement dans lequel il avait joué un rôle assez notable, et surtout de reconnaître si parmi ces discoureurs il n’y aurait pas quelque honnête homme à qui un pauvre garçon pût se fier pour demander son chemin, sans crainte d’être mis à la gêne et contraint à jaser sur ses affaires.

« Ah ! pour cette fois, disait l’un, il paraît que les Milanais y ont été beau jeu bon argent. Enfin, demain au plus tard nous saurons quelque chose.

— J’ai regret de n’être pas allé à Milan ce matin, disait un autre.

— Si tu y vas demain, je vais avec toi, dit un troisième ; puis un autre, puis un autre encore.

— Ce que je voudrais savoir, reprit le premier, c’est si ces messieurs de Milan songeront un peu aux pauvres habitants de la campagne, ou s’ils ne feront faire une bonne loi que pour eux. Vous savez comme ils sont ; citadins pleins d’orgueil, tout pour eux ; et les autres, c’est comme s’ils n’existaient pas.

— Nous avons une bouche aussi, nous, tant pour manger que pour dire nos raisons, dit un autre d’un ton d’autant plus modeste que la proposition était plus hardie, et une fois la chose en train… Mais il ne jugea pas à propos d’achever la phrase.

— Quant au grain caché, ce n’est pas seulement à Milan qu’il s’en trouve, » commençait à dire un autre d’un air en dessous et malin, lorsqu’on entendit le pas d’un cheval qui s’approchait. Tous courent à la porte, et, reconnaissant celui qui arrivait, ils vont au devant de lui. C’était un marchand de Milan qui, faisant plusieurs fois l’année le voyage de Bergame pour les affaires de son négoce, avait coutume de passer la nuit dans cette auberge ; et, comme il y trouvait à peu près toujours la même société, il les connaissait tous. Ils se pressent autour de lui ; l’un prend la bride, un autre l’étrier : « Bien arrivé, bien arrivé !

— Je vous salue.

— Avez-vous fait bon voyage ?

— Fort bon ; et vous autres, comment vous portez-vous ?

— Bien, bien. Quelles nouvelles nous donnerez-vous de Milan ?

— Ah ! voici nos gens aux nouvelles, dit le marchand en mettant pied à terre et laissant son cheval entre les mains d’un garçon. Au reste, continua-t-il en entrant avec la compagnie, à l’heure qu’il est, vous le savez peut-être mieux que moi.

— En vérité, nous ne savons rien, disent plusieurs d’entre eux, en se mettant la main sur la poitrine.

— Est-il possible ? dit le marchand. En ce cas vous en apprendrez de belles ou de laides. Eh ! l’hôte, mon lit ordinaire est-il libre ? C’est bon ; un verre de vin et mon souper d’habitude ; tout de suite, parce que je veux me coucher de bonne heure, pour partir demain de bon matin et arriver à Bergame à l’heure du dîner. Et vous ne savez rien, vous autres, continua-t-il, en s’asseyant au bout de la table opposé à celui où Renzo se tenait muet et attentif, vous ne savez rien de toutes ces diableries d’hier ?

— D’hier, si fait.

— Vous voyez donc bien, reprit le marchand, que vous les savez, les nouvelles. Il me semblait en effet impossible qu’étant toujours ici à l’affût de ceux qui passent

— Mais aujourd’hui, qu’est-ce que tout cela est devenu ?

— Ah ! aujourd’hui. Vous ne savez rien d’aujourd’hui ?

— Rien du tout ; il n’est passé personne.

— En ce cas, laissez-moi humecter mes lèvres, et puis, je vous conterai les événements d’aujourd’hui. Vous verrez. Il remplit son verre, le prit d’une main ; puis, avec les deux premiers doigts de l’autre, il releva ses moustaches, puis il polit sa barbe, il but et reprit ainsi : Aujourd’hui, mes très-chers, peu s’en est fallu que la journée ne fût aussi rude que celle d’hier, ou même pire. Et je puis à peine m’en croire moi-même, en me voyant ici à discourir avec vous. Car j’avais mis de côté toute idée de voyage, pour rester à garder ma pauvre boutique.

— Que diable y avait-il donc ? dit l’un des auditeurs.

— Le diable en vérité. Vous allez voir. » Et, coupant la tranche de viande qui lui avait été servie et se mettant à manger, il continua son récit. Ces gens debout, de l’un et de l’autre côté de la table, l’écoutaient la bouche ouverte ; Renzo, de sa place, faisant comme si la chose ne le regardait pas, prêtait attention peut-être plus qu’aucun autre, en mâchant bien lentement ses derniers morceaux.

« Ce matin donc, ces coquins qui hier avaient fait cet effroyable tapage, se sont réunis aux endroits convenus (car la chose était concertée, tout cela était préparé) et ils ont recommencé leur train, rôdant de rue en rue et criant pour en attirer d’autres. Vous savez qu’il se fait là, sauf votre respect, comme quand on balaye la maison ; plus la balayure avance, plus le tas grossit. Quand ils ont jugé être en nombre suffisant, ils se sont dirigés vers la maison de M. le vicaire de provision ; comme si ce n’était pas assez de toutes les horreurs qu’ils lui ont faites hier, à un seigneur de ce rang. Oh ! quels brigands ! Et tout ce qu’ils disaient contre lui ! Pures inventions, voyez-vous. C’est un homme de bien, tout à ses devoirs ; et je puis le dire, moi qui suis bien vu chez lui, et qui lui fournis du drap pour les livrées de ses domestiques. Ils se sont mis en marche vers cette maison ; il fallait voir quelle canaille, quelles figures ; imaginez-vous qu’ils ont passé devant une boutique ; des figures telles que les juifs de la Via crucis ne sont rien auprès. Et ce qui sortait de ces bouches, des choses à vous faire boucher les oreilles, si ce n’eût été qu’on n’aurait rien gagné de bon à se faire remarquer. Ils allaient donc dans cette charitable intention de saccage, mais… Et ici, levant en l’air sa main gauche déployée, il mit le bout de son pouce sur le bout de son nez.

— Mais ? dirent à peu près tous ceux qui l’écoutaient.

— Mais ? continua le marchand, ils ont trouvé la rue fermée par des poutres et des chariots, et, derrière cette barricade, une belle rangée de miquelets, l’arquebuse pointée en avant, pour les recevoir comme ils le méritaient. Quand ils ont vu cet appareil… Qu’auriez-vous fait, vous autres ?

— Il n’y avait plus qu’à se retourner.

— Sûrement, et c’est ce qu’ils ont fait. Mais voyez un peu si ce n’était pas le démon qui les poussait. Ils sont, là sur le Cordusio ; ils voient ce four que dès hier ils avaient voulu saccager. Et que faisait-on dans cette boutique ? On distribuait du pain aux acheteurs ; il y avait des gentilshommes, la fleur des gentilshommes, veillant à ce que tout se passât en ordre ; et, ces gens (ils avaient le diable au corps, vous dis-je, et puis les boute-feux y faisaient leur métier), ces gens se ruent là dedans comme des désespérés ; prends d’un côté, je prends de l’autre ; en un clin d’œil, gentilshommes, boulangers, acheteurs, pain, comptoir, bancs, pétrins, caisses, sacs, blutoirs, son, farine, pâte, tout est sens dessus dessous.

— Et les miquelets ?

— Les miquelets avaient à garder la maison du vicaire : on ne peut pas chanter et porter la croix. Ç’a été l’affaire d’un clin d’œil, vous dis-je : pille, pille : tout ce qui pouvait être bon à quelque chose a été pris. Et puis voilà qu’on remet sur le tapis cette belle idée d’hier, de porter le reste sur la place et d’en faire un feu de joie. Et déjà ils commençaient, les scélérats, à tirer dehors diverses choses, lorsque l’un d’eux, plus scélérat encore que tous les autres, arrive avec une belle proposition : devinez ?

— Laquelle ?

— De faire un tas de tout, cela dans la boutique, et de mettre le feu au tas et à la maison tout ensemble. Aussitôt dit, aussitôt fait…

— Ils y ont mis le feu ?

— Attendez. Un brave homme du voisinage a eu vraiment une inspiration du ciel. Il est monté en courant dans les chambres, il a cherché un crucifix, l’a trouvé, l’a suspendu au cintre d’une fenêtre, a pris à la tête d’un lit deux cierges bénis, les a allumés et les a placés sur l’appui de la fenêtre, à droite et à gauche du crucifix. On regarde en haut ; à Milan, il faut le dire, la crainte de Dieu n’est pas éteinte. Tous sont rentrés en eux-mêmes. Le plus grand nombre, veux-je dire. Il y avait bien certains démons qui, pour voler, auraient mis le feu même au paradis ; mais, voyant que le peuple n’était pas de leur sentiment, ils ont été contraints de renoncer au projet et de se tenir tranquilles. Devinez maintenant qui l’on a vu tout à coup paraître. Tous nos seigneurs[1] du Duomo, en procession, la croix levée, en habit de chœur ; et Mgr  Mazenta, archiprêtre, s’est mis à prêcher d’un côté, et Mgr  Settala, pénitencier, de l’autre, et les autres de même : mais, braves gens, que voulez-vous donc faire ? mais est-ce là l’exemple que vous donnez à vos enfants ? mais retournez chez vous ; mais ne savez-vous pas que le pain est à bon marché, plus qu’auparavant ? mais allez voir, l’avis est affiché au coin des rues.

— Était-ce vrai ?

— Diable ! voudriez-vous que nos seigneurs du Duomo fussent venus en grande chape pour dire des chansons ?

— Et le peuple, qu’a-t-il fait ?

— Peu à peu on s’en est allé ; on a couru au coin des rues : et qui savait lire y a vu bien véritablement la taxe. Devinez : un sou le pain de huit onces.

— Comme c’est beau !

— La vigne est bien fleurie ; pourvu que ça tienne. Savez-vous combien de farine ils ont fait perdre entre hier et ce matin ? De quoi nourrir le duché pendant deux mois.

— Et pour le dehors, n’a-t-on fait aucune loi un peu bonne ?

— Ce qui s’est fait pour Milan est tout aux frais de la ville. Quant à vous autres, je ne sais que vous dire ; il en sera ce que Dieu voudra. Toujours est-il que le tapage est fini. Car je ne vous ai pas tout dit ; il me reste le meilleur.

— Qu’y a-t-il encore ?

— Il y a que, hier au soir ou ce matin, on en a arrêté plusieurs, et l’on a su tout aussitôt que les chefs seront pendus. Dès que ce bruit a commencé à se répandre, chacun est retourné chez soi par le chemin le plus court, pour ne pas risquer d’être du nombre. Milan, lorsque j’en suis sorti, avait l’air d’un couvent de moines.

— Et les pendra-t-on, en effet ?

— Sans doute, et bientôt, répondit le marchand.

— Et le peuple, que fera-t-il ? demanda encore celui qui avait fait l’autre question.

— Le peuple ? il ira voir, » dit le marchand. « Ils avaient tant d’envie de voir mourir un chrétien en plein air, qu’ils voulaient, les coquins ! s’en donner le plaisir avec M. le vicaire de provision. Ils auront en échange quatre vauriens, servis avec toutes les formalités d’usage, accompagnés de capucins et de frères de la bonne mort ; et du moins ceux-ci l’auront bien mérité. C’est fort heureux, voyez-vous ; c’était nécessaire. Déjà ils commençaient à prendre la mauvaise habitude d’entrer dans les boutiques et de se servir eux-mêmes, sans mettre la main à la bourse. Si on les avait laissés faire, après le pain ils en seraient venus au vin, et d’œuvre en œuvre. Figurez-vous si ces gens auraient jamais renoncé d’eux-mêmes et de leur propre gré à une habitude si commode. Et je vous assure que, pour un honnête homme qui tient boutique ouverte, c’était une pensée fort peu réjouissante.

— C’est très-vrai, dit l’un de ceux qui écoutaient. C’est très-vrai, répétèrent les autres tout d’une voix.

— Au reste, continua le marchand en s’essuyant la barbe avec sa serviette, c’était une chose préparée de longue main ; il y avait une ligue, savez-vous bien ?

— Il y avait une ligue ?

— Il y avait une ligue. Ce sont tous complots ourdis par les Navarrins, par ce cardinal de France, vous savez qui je veux dire, qui a un certain nom à demi turc, et qui chaque jour en imagine une nouvelle pour faire pièce à la couronne d’Espagne. Mais c’est surtout à Milan qu’il s’applique à jouer des tours de son métier, parce qu’il voit bien, le rusé compère, qu’ici est la force du roi.

— C’est sûr, cela.

— En voulez-vous une preuve ? Ceux qui ont fait le plus de bruit étaient des étrangers. On rencontrait des figures que dans Milan on n’avait jamais vues. J’oubliais même de vous dire un fait qui m’a été donné pour certain. La justice avait arrêté dans une auberge un homme… » Renzo, qui ne perdait pas une syllabe de ce discours, se sentit venir le frisson et tressaillir avant de pouvoir penser à se contenir. Personne cependant n’y prit garde, et le narrateur, sans s’interrompre, continua : « Un homme venu, on ne sait pas encore bien de quel côté, pas plus qu’on ne sait qui l’avait envoyé ni quelle espèce d’homme ce pouvait être ; mais sûrement c’était un des chefs. Déjà hier, dans le fort de la bagarre, il avait fait le diable ; et puis, non content de cela, il s’était mis à pérorer et à proposer, comme ça, une petite gentillesse, de tuer tous les messieurs. Mauvais coquin ! Et qui ferait vivre les pauvres gens, quand tous les messieurs seraient tués ? La justice, qui l’avait guetté, avait mis la main dessus ; on lui avait trouvé un paquet de lettres ; et on le menait en prison. Mais quoi ? ses compagnons, qui faisaient la ronde autour de l’auberge, sont venus en grand nombre et l’ont délivré, le scélérat !

— Et qu’est-il devenu ?

— On ne sait ; il se sera sauvé, ou peut-être est-il caché dans Milan. Ce sont gens qui n’ont ni feu ni lieu, et qui trouvent partout à se loger et se tapir ; aussi longtemps toutefois que le diable peut et veut leur prêter assistance. Ils donnent ensuite dans le filet au moment où ils y songent le moins, parce que, quand la poire est mûre, il faut qu’elle tombe. Pour le moment, on sait positivement que les lettres sont restées dans les mains de la justice, et que toute la trame y est décrite ; et l’on dit que bien des gens seront compromis. Tant pis pour eux ; ils ont mis la moitié de Milan sens dessus dessous, et ils voulaient faire pis encore. Ils disent que les boulangers sont des coquins. Je le sais, parbleu ! tout comme eux, cela ; mais il faut les pendre par voie de justice. Il y a du grain caché. Qui l’ignore ? Mais c’est l’affaire de ceux qui commandent d’avoir leurs mouches et de l’aller déterrer, et d’envoyer les accapareurs danser en l’air, en compagnie des boulangers. Et si ceux qui commandent n’en font rien, c’est à la ville à réclamer ; et si on ne l’écoute pas une première fois, réclamer encore, parce qu’à force de réclamer, on obtient ; et ne pas laisser s’établir cette scélérate habitude d’entrer dans les boutiques et les comptoirs, pour y prendre impunément ce qui s’y trouve. »

Le peu que Renzo avait mangé s’était changé en autant de poison. Les minutes lui semblaient des siècles, dans son impatience de se voir dehors et bien loin de cette auberge, de ce pays ; et plus de dix fois il s’était dit à lui-même : « Partons, partons ! » Mais sa première crainte de donner du soupçon, alors accrue outre mesure, et devenue maîtresse absolue de toutes ses pensées, l’avait tout autant de fois retenu cloué sur son banc. Dans cette perplexité, il pensa que le conteur devait pourtant finir de parler de lui, et il décida en lui-même de se lever aussitôt qu’il entendrait entamer quelque autre sujet de sa conversation.

« Et voilà pourquoi, dit l’un de ceux de la compagnie, moi qui sais comment vont ces sortes d’affaires, et que, lorsqu’il y a tumulte quelque part, les honnêtes gens n’y sont pas bien, je ne me suis pas laissé gagner par la curiosité, et je suis resté chez moi.

— Et moi, ai-je bougé ? dit un autre.

— Moi, ajoute un troisième, si par hasard je m’étais trouvé à Milan, j’aurais laissé là toute affaire quelconque, et je serais revenu bien vite au logis. J’ai femme et enfants ; et puis, je le dis franchement, le tapage n’est pas de mon goût. »

En ce moment l’hôte, qui s’était arrêté comme les autres à écouter, vint à l’autre bout de la table pour voir ce que faisait son étranger. Renzo saisit le moment, il appela l’hôte d’un signe, lui demanda son compte, le paya sans marchander, quoique les eaux fussent déjà bien basses ; et, sans dire un mot de plus, il alla droit vers la porte, franchit le seuil ; et, sous la conduite de la Providence, il s’achemina du côté opposé à celui d’où il était venu.


  1. En plusieurs villes de l’Italie les chanoines ont le titre de monseigneur et presque le costume d’évêque.