Les Fils ingrats, ou l’École des pères
Géronte, Ami d’Argante.
Chrisalde, frère de Géronte.
Angélique, fille d’Argante.
Pasquin, valet de Géronte & fils de Grégoire.
Valère, fils de Géronte.
Damis, fils de Géronte.
Eraste, fils de Géronte.
Nérine, suivante d’Angélique.
Grégoire, métayer de Géronte.
Laquais des trois Fils.
La scène est dans l’antichambre de Géronte.
ACTE I
Scène I
Ah ! Que me dites-vous ? Quoi ! La belle Angélique…
Oui, mon frère ; d’Argante elle est la fille unique.
De ce négociant si riche, disoit-on ?
Oui, de ce cher ami que j’avois à Toulon.
Il meurt pauvre ?
Obéré.
Sa chute, je l’avoue…
De la fortune ainsi tourne, ici bas, la roue.
Depuis un an entier, la perte d’un vaisseau
A causé sa ruine, & l’a mis au tombeau.
Voilà, de ses malheurs, la première nouvelle.
Il auroit dû compter sur un ami fidèle ;
Et sans s’abandonner à son mortel ennui,
M’écrire, & s’assurer que j’étois tout à lui.
Sa disgrâce, après tout, n’étoit pas sans remède.
Ce que j’ai lui restoit. Sa fille lui succède ;
Sa fille héritera de ce que je lui dois ;
Et vous n’ignorez pas ce qu’il a fait pour moi.
Vous m’avez dit cent fois qu’Argante, en Italie,
Au péril de ses jours, défendit votre vie ;
Puis, vous associant à sa prospérité,
Vous mit dans l’opulence où vous avez été.
Angélique est au point où vous trouva son père.
Mais pour elle, entre nous, que voulez-vous qu’opère
Ce tendre empressement que vous lui faites voir ?
Je songe à son bonheur ; & je la veux pourvoir.
De semblables projets ne sont pas des vétilles.
La pourvoir ! & comment ?
Comme on pourvoit les filles ;
En la mariant.
Oui, je vous entends fort bien ;
Mais à qui, s’il vous plaît ? Angélique n’a rien.
Vos fils vous ont rendu presque aussi pauvre qu’elle.
Aurais-je pénétré le but d’un si beau zèle ?
Vous la voulez pourvoir, peut-être, en l’épousant ?
Mon frère, une main vide est un mauvais présent.
Touché de sa beauté, d’abord, malgré mon âge,
Je formois, je l’avoue, un projet si peu sage ;
Et laissois naître en moi, sous ombre de pitié,
Des sentiments plus vifs que ceux de l’amitié.
De-là vient qu’à mes fils, qui lui rendent visite,
J’ai caché, quelque temps, mes pas & ma conduite,
Et que, de ce qu’elle est, loin d’avoir nuls soupçons,
Ils ignorent encor que nous nous connoissons.
Mais je me suis bientôt reproché ma foiblesse.
La jeunesse est pour être unie à la jeunesse :
Et l’offre de ma main tiendroit plus, en effet,
De l’abus du malheur, que du prix d’un bienfoit.
Votre âge ici nuiroit moins que cette indigence,
Où vous a, pour vos fils, réduit votre indulgence.
Avec un bon esprit, tout homme bien renté,
L’emporte en agréments sur un jeune éventé.
Mais ne la pouvant rendre heureuse par vous-même,
À qui donc la donner dans sa misère extrême ?
À celui de mes fils qu’elle aimera le plus.
Fort bien. Avez-vous pris leurs avis là-dessus ?
L’honneur intéressé n’a point d’avis à prendre ;
Et supposé qu’aux leurs il me fallut descendre,
Je les sais trop bien nés & trop reconnoissants,
Pour ne pas ressentir tout ce que je ressens.
Quelle prévention !
Eh ! Oui, oui ; je radote.
Vous jugez trop bien d’eux ; voilà votre marotte.
Votre marotte, à vous, est d’en juger très mal.
Leur respect, leur amour est pour moi sans égal.
Pourquoi vouloir contre eux que mon courroux s’émeuve ?
Eh ! Vous n’avez pas mis cet amour à l’épreuve.
Chaque jour je l’éprouve, & jusqu’à cet instant,
Je n’ai point à m’en plaindre, & j’en suis très content.
Parce que, chaque jour, de vos folles largesses,
Jusqu’ici vous avez acheté leurs caresses ;
Mais le mal est…
Mon dieu ! Voici de vos discours !
Épargnez-vous le soin de parler à des sourds.
Le mal, si c’en est un, est un mal nécessaire.
Aura-t-on donc toujours ce reproche à me faire ?
De tout ce que j’avois, j’ai fait part à mes fils :
Oui, mon frère ; & je fis fort bien, quand je le fis.
Le poids de la richesse, à notre âge, importune.
À peu de passions, suffit peu de fortune.
De l’or & de l’argent, sources de tous plaisirs,
La jouissance est due à l’âge des désirs.
Devais-je, à votre avis, thésaurisant sans cesse,
Imiter ces vieillards, tyrans de la jeunesse,
Qui, la faisant languir, sans être plus heureux,
La privent des plaisirs qui sont perdus pour eux ?
Et que devient souvent le bien d’un père avare ?
L’héritier est frustré, l’usurier s’en empare,
Cette peste publique ayant, à notre insu,
Dévoré l’héritage, avant qu’il fût échu ;
Ou, si le fils échappe à ce désordre extrême,
Le père est détesté. Je veux, moi, qu’un fils m’aime ;
Et ne soit pas réduit, pour voir changer son sort,
Au déplorable point de désirer ma mort.
Je m’en remets sur eux du soin de vous confondre.
Si j’en suis obéi, qu’aurez-vous à répondre ?
Rien. Mais j’en doute fort.
Moi, j’en doute si peu,
Et suis, avec raison, si sûr de leur aveu,
Que, sans leur en parler, je suis prêt à conclure.
Je viens d’envoyer même exprès chez la future,
Lui demander une heure où je puisse la voir ;
Mon offre & son choix faits, ils feront leur devoir.
Avant que de rien dire à la belle Angélique,
Je déploierois d’abord, près d’eux, ma rhétorique ;
Et ne hasardant rien…
Peste soit de Pasquin !
Depuis une heure aussi que j’attends ce coquin…
Scène II
Eh ! Viens donc. Qu’il te faut de temps pour peu de chose !
De l’un de vos trois fils la cuisine en est cause.
En passant, comme un basque, auprès de sa maison,
De cent ragoûts exquis la douce exhalaison
M’est, par un soupirail, venu rompre en visière ;
Mon âme en a passé dans mon nez, toute entière ;
Et piquant l’appétit dont le ciel m’a doué,
Sur la place, un instant, l’odorat m’a cloué.
Excusez, s’il vous plaît, ma friandise émue
Des charmes d’une odeur, chez vous, si peu connue.
Si vous vous offensez d’un plaisir si léger,
Notre pain sec ici va bien vous en venger.
Pour un méchant valet, ma cuisine est trop bonne.
Dis seulement quelle heure Angélique me donne.
Vous n’avez qu’à l’attendre, & qu’à rester ici :
Elle me suit, monsieur ; & déjà la voici.
Scène III
Madame, à vos malheurs, qu’enfin je remédie ;
Et que j’assure ainsi le repos de ma vie.
Votre père, qui fit pour moi plus que pour vous,
Pour sa fille aujourd’hui me demande un époux.
Tout ici, grâce à lui, prospère à ma famille.
Partagez ma fortune, en devenant ma fille.
Mes fils sont à leur aise ; en offrant l’un des trois,
D’un assez riche époux, je vous offre le choix.
Je vous offre un sanglant affront.
Ils vous ont vue ;
Vous leur avez parlé, sans en être connue.
Vous pouvez dire ici votre goût librement.
Lequel vous plaît le mieux ? Parlez-moi franchement.
De celui pour lequel votre cœur s’intéresse,
Je vous promets la foi, l’estime & la tendresse.
Et moi, je vous promets, Monsieur, un pied de nez.
Maraud !
Sachons pour qui vous vous déterminez.
Je vous ai vu rougir.
Ma honte vous abuse.
De vos bontés, monsieur, vous me voyez confuse :
C’est la seule raison qui m’auroit fait rougir :
Mais du reste, à son gré, votre choix peut agir.
Nommez qui vous plaira : cet époux respectable,
À mon cœur pénétré, ne peut qu’être agréable,
Dès qu’en lui je verrai, joignant mon sort au sien,
Le choix d’un père en qui je retrouve le mien.
Mais peut-être un des trois l’emporte sur ses frères ;
Est-ce le capitaine ? Est-ce l’homme d’affaires ?
Serait-ce l’auditeur ?
Ils sont tous trois vos fils ;
Cela fait tout pour eux. Prononcez ; j’obéis.
Ainsi ni vous ni moi ne réglerons la chose :
Et je vois bien qu’il faut que le ciel en dispose.
J’étudierai leurs cœurs, & vous promets sur tout,
Celui qui, pour l’hymen, aura le plus de goût.
Je vais leur en parler.
Mon frère !
Quoi ! Mon frère ?
De grâce, donnez-vous le plaisir du mystère.
De la fille d’Argante en exposant le droit,
Laissez-leur ignorer que c’est madame.
Soit.
Qu’ils ne sachent, qu’après l’affaire bien conclue,
Que la fille d’Argante est celle qu’ils ont vue.
Très volontiers.
L’époux d’un objet si charmant
N’en sera que surpris plus agréablement.
C’est bien dit.
Les vilains ne voudront jamais d’elle.
Comme tu vois, l’injure en sera moins cruelle ;
Et du moins ce qu’ici je conseille à dessein,
Diminuera l’affront d’un refus trop certain.
Scène IV
Je vois une pitié dans ses yeux, qui m’alarme.
D’un vain espoir, ami, tu peux rompre le charme.
Je n’ai vu ces messieurs que très légèrement,
Et l’on ne connoît pas son monde en un moment.
Je serois, dans le fond, quoi que je dise au père,
Bien aise de savoir un peu leur caractère.
Dissipe les soupçons qui me viennent saisir :
L’un vaut-il mieux que l’autre, & falloit-il choisir ?
Non, madame ; le choix entre eux est inutile.
Tous les trois sont égaux : le financier habile
Est un vrai financier, un arabe, en un mot :
Le capitaine un fat ; & l’auditeur un sot.
Tous trois enfin, soit dit sans offenser mon maître,
Les trois plus francs vauriens que vous puissiez connoître.
Ah ! Ciel ! & j’ai promis…
Ne vous alarmez pas,
Madame ; le pauvre homme en sera pour ses pas ;
J’en réponds. Si pas un se rend à ses prières,
Je veux mourir ici sous les coups d’étrivières.
Les bourreaux, pour un sou, se les feroient donner.
Il aura beau jurer, pester, crier, prôner,
Dire que tout leur bien lui vient de votre père ;
Qu’il entend, comme à lui, que vous leur soyez chère ;
Supplier celui-ci ; menacer celui-là :
Elle est pauvre ? oui, mes fils. eh bien, épousez-la.
Vous n’avez pas, Madame, autre réponse à craindre.
Je le plains.
Et moi, non. C’est bien fait. Faut-il plaindre
Ces pères, vrais fléaux de la société,
Tout pétris des fadeurs de la paternité ;
Qui, de leurs yeux bénins, couvrent leur sotte race ;
Prétendent, qu’ainsi qu’eux, chacun s’en embarrasse :
Regardent de travers, & traitent de fâcheux,
Quiconque ose ne pas s’y complaire autant qu’eux ?
Tels sont de celui-ci les malheureux vertiges.
Il s’imagine avoir engendré trois prodiges.
Mon financier ! La peste ! Un habile garçon !
Pour mon pauvre auditeur, hélas ! Il est si bon !
Et Valère ! Tudieu ! Mon fils le capitaine !
Je vous le garantis, à trente ans un Turenne !
Il les révère enfin, tant il en est charmé.
Et dieu sait cependant comme ils vous l’ont plumé !
Mes drôles doucement, de caresse en caresse,
L’ont, de ce qu’il avoit, dépouillé pièce à pièce ;
Si bien que, tout en gros, ce qui reste est formé
D’un petit bien champêtre à mon père affermé :
Et je vois le moment où quelqu’un d’eux le prie
De se défaire encor de cette métairie.
Dont il se déféroit ?
Sur le champ. Des ingrats
L’indigne avidité ne le rebute pas.
Et malheur à qui veut lui dessiller la vue !
Le moindre mot contre eux l’assassine, le tue.
Doux, traitable d’ailleurs, & d’un esprit fort bon,
Sur cet article seul il n’entend point raison.
C’est un père.
Ma foi c’est… c’est un imbécile :
L’un est plus sûr que l’autre. En un mot comme en mille,
Nous souffrons : sans cela je m’en soucierois peu :
Que m’importe à moi ? Mais, à peine un pot au feu.
Boire de belle eau claire, & manger du pain d’orge,
Tandis que chez les fils le superflu regorge ;
Jeûne éternel ici, vingt repas là pour un ;
Quand on est saoul chez eux, chez nous tout est à jeun.
N’est-ce pas une chose indigne, horrible, infâme,
Qui mérite ?… Eh ! Morbleu ! Raisonnez donc, Madame.
Je conviens qu’en ceci tes cris sont de saison ;
Que rien ne fut jamais plus contre la raison :
Mais je tiens, quelque tort que l’on donne à Géronte,
Que ce n’est pas sur lui qu’en doit tomber la honte ;
Et que tous gens de bien doivent être saisis
De pitié pour le père, & d’horreur pour les fils.
Faut-il, si des bienfaits l’ingratitude abuse,
Qu’à de tels bienfaiteurs l’estime se refuse ?
Un amour si sacré l’est même en ses excès ;
Et n’est que plus touchant pour être sans succès.
Plus ce père est trahi, plus son sort m’intéresse.
Je sens même, oui, je sens qu’envers lui ma tendresse
Me charge des devoirs que l’on ne lui rend pas.
Voilà, voilà les cœurs qu’il lui falloit, hélas !
Bon comme il est ; & vous, si douce & si gentille,
Vous avez bien mal fait de n’être pas sa fille ;
Comme eux, de n’aller pas chercher un père ailleurs.
Ton cœur, je le vois bien, est aussi des meilleurs.
Le ciel dut à Géronte un sujet si fidèle.
Oh ! Je veux des valets être le vrai modèle.
Non, ces fripons qu’on voit, sur la scène, à Paris,
Toujours prêts à tromper les pères pour les fils…
Laissez-moi fréquenter un peu votre Nérine ;
Que je vous la façonne, & que je l’endoctrine.
Qu’a-t-elle à démêler avec notre auditeur ?
Tout à l’heure, ils parloient ensemble avec chaleur.
Je crois… mais la voici.
Scène V
D’où vient cette caresse ?
Es-tu folle, Nérine ?
Ah ! Ma chère maîtresse !
Mille remerciements ! Que ne vous dois-je pas ?
Mille remerciements ! De quoi ?
De vos appas.
De mes appas ?
Eh ! Oui.
Si j’en ai, je l’ignore ;
Mais que t’en revient-il ?
Qu’on m’aime, qu’on m’adore ;
Et que trois cavaliers, l’un de l’autre jaloux,
Me viennent, tour à tour, d’embrasser les genoux.
Le tout pour vos beaux yeux.
Fort bien, bonne nouvelle !
Nos trois originaux en ont pour vous dans l’aile.
De les bien ballotter vous tenez un moyen ;
J’en ferois mon profit.
J’en ai bien fait le mien ;
Et c’est de ce profit que je vous remercie.
Mais quel est-il enfin ? Voici quelque folie.
Nenni, nenni. Tenez, madame ; examinez
Ces trois beaux diamants dont j’ai les doigts ornés.
Ma foi, vive Paris ! En province une fille
Longtemps se flatte en vain, quoiqu’elle soit gentille ;
Pour s’enrichir ici, belle ou non, comme on voit,
Il suffit d’en servir quelqu’une qui le soit.
Ceci me déplaît fort ; & vous deviez, Nérine…
Oh ! J’ai bien reculé, repoussé, fait la mine ;
Rougi, baissé les yeux, fait… ce que nous faisons,
Lorsque nous voulons bien ce que nous refusons.
Oh ! Mais, des diamants !
Ces messieurs me les tendent ;
Je me fâche : on m’apaise ; & je crois qu’ils se rendent ;
Point du tout : cent propos encor plus engageants.
Il se faut bien enfin débarrasser des gens.
Je tombe de mon haut, tant le cas est bizarre !
Je sais bien qu’en amour on cesse d’être avare ;
D’accord : mais je les eusse exceptés toutefois :
Et mon œil, à ces dons, les méconnoît tous trois.
Ne vous étonnez pas d’un si grand sacrifice ;
Leur générosité vient de leur avarice.
Peut-être, sans cela, j’aurois tout rebuté.
Mais comment croyez-vous qu’ils avoient débuté ?
Par exalter madame, ou leurs feux ? Bagatelle.
Au solide. Son nom ? Qu’aura-t-elle ? Qu’a-t-elle !
Que répondre, madame, à ce début galant ?
Saisie aussi pour vous d’un dépit violent,
J’ai payé d’impudence ; et, vous faisant comtesse,
J’ai, d’un front provençal, vanté votre noblesse ;
Nommé tous vos aïeux, barons ou chevaliers ;
Et fait monter la souche à quinze ou vingt quartiers,
Item, je vous ai faite une grande héritière.
À cette qualité, qui passe la première,
J’ai vu, pleins d’une ardeur qu’ils ne pouvoient couvrir,
De l’avide trio les six grands yeux s’ouvrir,
Comme on verroit des loups, quand la faim les fourvoie,
Les gosiers affamés s’ouvrir sur une proie.
Ils se sont séparés. De là, sans s’être vus,
Tous trois, l’un après l’autre, à moi sont revenus ;
Ont très éloquemment brigué mon assistance ;
M’ont offert (à regret) ces bijoux d’importance :
D’un procédé si noble enfin le cœur épris,
J’ai, d’un air ingénu, promis tout, & tout pris.
Et tout pris ! Que ce mot finit bien la tirade !
Oui ; mais il faut tout rendre.
Est-il vrai, camarade ?
Non : partageons plutôt.
Écoutez tous les deux,
De quel style & comment je vais parler pour eux.
C’est en vous exhortant, comme sage & prudente,
À les traiter, madame, en comtesse opulente,
À qui de plats bourgeois oseroient en compter :
Si vous en aimez un, à vous bien surmonter.
Point de quartier pour gens d’un pareil caractère !
Oui, dussiez-vous tomber cent fois dans la misère,
Plus affreuse cent fois, se montrât-elle à vous,
Embrassez-la plutôt cent fois qu’un tel époux.
Vengez, à la faveur du faux nom qui les tente,
Le mépris qu’ils feroient de la fille d’Argante ;
Et payez en un mot leurs tendres sentiments,
Comme vous me voyez payer leurs diamants.
C’est parler comme un livre, ou le diable m’emporte !
Je n’avois pas besoin d’un avis de la sorte.
Leur père vainement s’en feroit écouter ;
Mon amitié pour lui me les fait détester.
Scène VI
Pour nous venger, un jour, toutes tant que nous sommes,
Puisse la soif de l’or étrangler tous les hommes !
On se moque partout des filles sans vertus ;
N’avons-nous que cela, l’on s’en moque encor plus.
Adieu.
Nérine ?
Eh bien ?
J’ai deux mots à te dire.
Parle.
Qu’elle a de grâce !
Après ?
Oui, je l’admire.
Si tu concevois !…
Quoi ?
Ce qu’en si peu d’instants…
Tout le progrès…
Poursuis.
Je te jure…
J’attends.
Eh bien ? Quoi ? Parle. Après ? Poursuis. J’attends. Devine.
Tu m’aimes ?
T’y voilà.
Je n’en fais point la fine :
Je t’aime aussi.
Quoi ! Tu…
Point d’incrédulité.
Cet aveu coûte trop, pour être répété.
Ma foi ! J’ai bien aimé des filles en ma vie ;
Mais pas une, à mes yeux, n’a paru si jolie.
J’ai bien eu des amants ; mille d’entre eux m’ont plu ;
Mais je ne m’en remets pas un qui t’ait valu.
Je le crois. Entre ceux qui cherchoient à te plaire,
Tu ne pouvois choisir qu’un valet ordinaire,
Un valet né pour l’être : et, sans faire le fat,
Je suis bien au-dessus de ceux de mon état.
J’ai, par libertinage, endossé la mandille :
Mais je n’en suis pas moins un enfant de famille,
D’un riche procureur l’héritier & l’aîné ;
Et l’on se sent toujours, tiens, de ce qu’on est né.
Fils d’un père opulent, honnête homme peut-être,
S’abaisser à servir ! Vivre aux gages d’un maître !
Quelle honte !
Oh que non ! J’ai consulté le cas :
Pour être un peu laquais, on ne déroge pas.
Bien loin même qu’en rien, notre ordre qui te blesse,
Tout roturier qu’il est, déroge à la noblesse,
Il a servi de grade à mille honnêtes gens,
Pour y pouvoir atteindre à beaux deniers comptant.
D’ailleurs, mes chaînes sont honnêtes & légères ;
Mon maître a des égards, & nous vivons en frères.
S’il est même entre nous un peu d’autorité,
Je puis dire, à bon droit, qu’elle est de mon côté.
Ah ! Que ne suis-je entré plutôt à son service !
Il n’eût pas de ses fils entretenu le vice ;
Ni, s’abîmant pour eux, dupe de sa douceur,
De leur ingratitude essuyé la noirceur.
Contre leur flatterie il auroit tenu roide ;
Et la cuisine ici ne seroit pas si froide.
Mais baste ! Le passé, comme on dit, est passé.
L’avenir nous menace, & c’est le plus pressé.
Aussi mon père & moi nous allons… patience !
Je ne dis mot : suffit ! J’y mettrai ma science.
Mes gaillards sont en pied ; mais qu’ils se tiennent bien ;
Car on va les sangler, qu’il n’y manquera rien.
Signalons donc contre eux chacun notre malice.
Je jouerai leur amour.
Et moi, leur avarice.
Je les rends amoureux tous trois, comme trois fous.
Et je raccroche, moi, tout ce qu’ils ont à nous.
Vivent les gens d’esprit !
Bien armés d’impudence.
Eh ! Comment vas-tu faire ?
Oh ! Point de confidence.
Le sage, en ses projets, sait mieux se comporter :
Un dessein qu’on évente est tout près d’avorter.
Pour opposer sentence ici contre sentence :
Quand nous questionnons, qui se tait nous offense.
Je me moque du sage, & je veux tout savoir.
Tout savoir ? & la chose est-elle en ton pouvoir ?
Pourquoi non ?
Par exemple, il faut savoir se taire ;
Le sauras-tu ?
très bien.
Ton sexe, d’ordinaire,
Sur une lettre close est un mauvais cachet.
Eh ! Mon ami ! Le tien est cent fois moins discret.
Car je sais tel secret que, pas pour un empire,
De force ni de gré, l’on ne nous feroit dire ;
Et que par des serments, vainement retenu,
Un homme court souvent dire au premier venu.
Voici donc mon dessein. Je veux sans qu’on soupçonne…
Tu ne le diras donc sûrement à personne ?
À personne.
Pas même à ta maîtresse ?
Non.
Je vais… mais jure-moi…
Voilà trop de façon.
Ou parle, ou plus d’amie. Opte. Le temps me presse.
Tu ne veux pas ? Adieu. Je rejoins ma maîtresse.
Suivons-la ; je me rends. Viens. Tu vas savoir tout.
Qu’un bec un peu mignon met de sagesse à bout !
ACTE II
Scène I
Je n’ai rien avancé, que bientôt je ne fasse.
Où j’ose, à la soubrette, un peu mentir en face,
C’est quand, de pauvre enfant d’un simple laboureur,
La vanité m’érige en fils de procureur.
Mais cela n’est pourtant pas trop bien, quand j’y pense,
De méconnoître ainsi l’auteur de sa naissance.
Le méconnoître ! Non : pourquoi donc, s’il vous plaît ?
Je le fais seulement plus gros seigneur qu’il n’est.
La peccadille est mince ; & je me la pardonne.
Fureur d’en imposer, ridicule où l’on donne
Dans l’état de marquis, ainsi que dans le mien.
Et puis j’aime à mentir ; cela me fait du bien.
Mon père, par malheur, va paroître ; & je tremble
Que lui, Nérine & moi, nous nous trouvions ensemble.
Mais j’aperçois mon maître. à la mine qu’il fait,
De ses pas, à coup sûr, il est peu satisfait.
Scène II
Qu’est-ce donc ? Vous avez l’air tout mélancolique.
Pas un, je le vois bien, n’a voulu d’Angélique.
Vous avez répondu trop tôt de leurs aveux.
Qui répond paye ; il n’a qu’à l’épouser pour eux.
Pasquin, cherche mes fils. Vas ; Damis & Valère,
Sont, je crois, près d’ici, chez Éraste leur frère.
Cours, frappe, entre, & leur dis que, sans perdre de temps,
Ils viennent tout-à-l’heure ; & que je les attends.
J’attends, moi, que bientôt ce feu se ralentisse.
De vos fils, en tout cas, je vous ferai justice ;
Oui, moi-même ! Voyons si vous vous soutiendrez :
Mais je serai le maître ; ou vous le deviendrez.
Fais ce que l’on te dit ; sors.
Scène III
Vous avez beau faire ;
On devine aisément ce que vous voulez taire.
Mais je ne vous plains point. Vous étiez averti.
Je n’ai trouvé personne, & tout étoit sorti.
Comme on voit toutefois, je dis ce qu’il m’en semble.
Chez Éraste, à dîner, je crois qu’ils sont ensemble.
Du moins, de leurs valets son logis étoit plein ;
Et j’ai vu repasser les débris d’un festin.
Entrer contre leur ordre, eût été malhonnête ;
Et votre compagnie auroit troublé la fête ?
Oui, mon frère ; à notre âge, on ne fait chez autrui,
Que traîner après soi la tristesse & l’ennui ;
Et, puisque vous voulez qu’on parle avec courage,
Votre présence ici m’en est un témoignage.
Je vous amuserois, si j’approuvois vos fils :
Ah ! Qu’à cela ne tienne, & soyons bons amis.
Je crois tout ce que d’eux vous voulez que je croie.
Ordonner, ou souffrir du moins qu’on vous renvoie,
Cela s’appelle (oui-da) des fils très obligeants.
Ce pourroit être aussi la faute de leurs gens.
L’étrange entêtement en faveur de ces traîtres !
L’impudence des gens vient de celle des maîtres ;
Du maître, quel qu’il soit, peu, beaucoup, ou zéro,
Le valet fut toujours & le singe & l’écho ;
Vos fils, par vous comblés des biens de la fortune,
En trouvent aujourd’hui l’origine importune ;
Et, n’espérant plus rien de vous quand vous venez,
Vous font effrontément fermer la porte au nez.
C’est bien fait. Je m’attends que demain, l’un ou l’autre
Vous dira de sortir, & de passer la vôtre.
J’enrage, quand je vois que l’on s’aveugle ainsi ;
Et je perds patience !
Oh ! Je la perds aussi…
Brisons-là. Finissons un débat inutile,
Qui ne feroit qu’en vain nous échauffer la bile.
Et songez seulement à quoi votre bon coeur
Vient de vous engager de parole & d’honneur.
Avec vos fils enfin soyez ferme & sévère :
Joignez la voix du maître à la bonté du père ;
Non que, de quelque ton que vous vous y preniez,
On vous soit plus soumis, ni que vous y gagniez :
Mais qu’au moins une fois on apprenne à vous craindre :
S’ils manquent au respect, sachez les y contraindre ;
Et faites voir qu’un droit par la nature écrit,
Pour être négligé, jamais ne se prescrit.
Eh ! Pourquoi ? Tout ceci finira sans dispute.
Je connois bien mes fils, vous dis-je. On leur impute
De plus bas sentiments, plus de tort qu’ils n’en ont ;
Et l’on se les est faits plus mauvais qu’ils ne sont.
Scène IV
Viendront-ils ?
Oui, Monsieur ; & la nappe levée,
Ces messieurs voudront bien faire cette corvée.
Chez monsieur l’auditeur, entrant tout essoufflé,
J’ai paru devant eux, & je leur ai parlé :
"Votre père, Messieurs, vous mande en diligence."
Un d’eux m’a répondu, d’un air de nonchalance,
Aussi froid que le mien paraissoit échauffé :
"Il suffit ; nous irons. Eh ! Quelqu’un. Le café."
Le café s’alloit faire ; & c’est à vous d’attendre :
Car, avant le café, l’on ne peut vous entendre.
Et l’on vous les a peints plus mauvais qu’ils ne sont !
Patience ! Bientôt tous ces bruits finiront.
Pasquin cherche à vous plaire, & charge un peu les rôles.
Point. Je vous chante au juste & l’air & les paroles.
Pasquin vous est fidèle : & vous nous saurez gré
D’un projet que, pour vous, en tête on s’est fourré.
Un projet ?
Oui, monsieur. Là, parlons sans finesse.
Ne voudriez-vous pas retenir vos richesses ?
Non ; si je les avois, j’en ferois, sans regret,
Le même usage encor que j’en ai déjà fait.
Avec ton père & toi, content dans ma chaumière,
J’ai plus qu’il ne m’en faut, pour vivre à ma manière.
Ainsi, point de projet.
Monsieur, cela suffit.
Tout ira bien.
Prenez qu’on ne vous ait rien dit.
Et l’hymen achevé, pour vous laisser tranquille,
Mon frère, sans retour, j’abandonne la ville ;
Car je vois bien qu’ici nous nous incommodons.
Allons planter nos choux, & garder les dindons.
Partons.
Pasquin répugne à suivre là son maître ?
Mes talents sont peu faits pour un séjour champêtre,
Mais, n’importe : on le veut ; m’y voilà résigné.
Vous sortez ?
Oui, je sors ; & je sors indigné.
Vous ne méritez pas que l’on vous contrarie ;
Encor moins qu’on vous serve. Adieu donc. De ma vie,
Chez vous, si je fais bien, je ne remets le pied.
Ce n’est pas être un homme ; & cela fait pitié !
Scène V
Pitié, soit ! Eh ! Mon dieu ! Quand j’écoute mon frère,
Il est beau raisonneur : mais a-t-il été père ?
Peut-être ai-je trop fait ; et, pour faire encor pis,
Tel qui m’ose blâmer, n’a besoin que d’un fils.
Pour les vôtres aussi, c’est folie, à votre âge,
D’aller vous confiner au fond d’un ermitage.
Quel parti prenez-vous, pour un homme d’esprit ?
Le diable étoit plus vieux que vous quand il le prit.
Pour trois enfants gâtés, votre tendre manie,
Tout jeune, vous sevra des douceurs de la vie ;
Et veuf à vingt-cinq ans, rare & fidèle époux,
Votre femme, en mourant, vous enterra chez vous.
Ressuscitez ! Vivez ! Je veux, tel que vous êtes,
Vous voir, à vos muguets, enlever des conquêtes.
Qu’est-ce, de notre temps, qu’un jeune homme en effet ?
Une frêle poupée, un fat, un freluquet
Un débile Adonis, un valétudinaire,
Avant trente ans, déjà presque sexagénaire.
Vous en débusquerez !
Ah ! Tu ne conçois pas
Ce que pour moi, Pasquin, la campagne a d’appas.
Ce fut de mes travaux, longtemps, l’objet unique :
Elle est de la vertu le séjour pacifique ;
Les beautés que la terre y découvre à nos yeux,
En éloignent l’esprit, & l’approchent des cieux.
J’y pense avec transport.
Et moi, non ; ma pensée
Ne vole pas plus haut que le rez-de-chaussée.
Nous cheminons toujours terre-à-terre, elle & moi.
Oh ! Le sot vis-à-vis que le vis-à-vis soi,
Monsieur ! S’il faut pourtant… mais que nous veut mon père ?
Scène VI
Qui t’amène, Grégoire ? & qu’est-ce qui t’altère ?
Hai là ! Vous m’en voyez encor tout ahuri !
Ce n’est pas note faute ; & j’en son bian marri.
Tu m’alarmes ! Quoi donc ?
J’onz-eu tretous biau faire ;
Temps pardu ! Je n’ons fait tretous que de l’iau claire.
Qu’est-il arrivé ?
Ça va vous mettre en chaleur ;
Escusé, si je sis messagé de malheur.
Il me fait craindre pis qu’il n’a peut-être à dire.
Ah ! Craigné hardiman ; & bouté tout au pire.
Parle donc, si tu veux ; je me fâche : entends-tu ?
Ce qu’ous allé savoir, vous fâchera bian pu.
Finiras-tu ? Bourreau ! Ma patience est lasse.
J’avions eune maison : gnien’a pu que la place.
Le feu viant d’y passé.
Le feu !
Quoi ! Ma maison ?…
N’est pu qu’eun gros monciau de cendre & de charbon !
Meubles, chevaux, bestiaux, l’écurie & l’étable,
Et la grange, & la paille & le blé, tout au diable !
Ah ! Monsieur !
Le revers est des plus violents.
Nous voilà, pour le coup, dans de jolis draps blancs.
Ne nous accusez pas, vous dis-je de l’esclandre.
Ce n’est qu’au feu du ciel, monsieu, qu’i faut s’en prendre
Ste nuit, que je dormion, par le mitan du toit,
Patatrâs ! Su la grange, al est chu tout fin droit.
Je m’évaille en sursaut ; & vois, de ma couchette…
Tatigué ! ça flambloit tout comme une allumette !
Tantia que moi, ma femme,
Et ta sœur Isabiau,
J’onz-eu bian de la peine à sauvé note piau ;
Que je n’ons, pour abri, pu qu’eun pan de muraille,
Et que nous vla tretous, dieu marci, su la paille !
Vous pleurez, mes enfants ?
On pleureroit à moins.
Allez, le ciel saura pourvoir à nos besoins.
Mafi, pour à présent, à ce qu’il viant de faire,
J’en demande pardon, mais il n’y pourvoit guère.
C’est se trop alarmer.
N’avons-je pas grand tort ?
Nous n’avons pas, Monsieur, comme vous l’esprit fort.
Le dirai-je ? Loin d’être à la douleur en proie,
En faveur de mes fils, j’en ressens quelque joie.
Leur honneur attaqué m’est plus cher que mon bien ;
Et le ciel a permis que je n’eusse plus rien,
Pour qu’ils puissent confondre enfin la médisance.
On n’eût été témoin que de leur complaisance ;
Et l’on va l’être encor de leur amour pour moi.
Ceci rendra le monde & bien sot & bien coi.
Scène VII
Vous arrivez, Madame, à temps pour être instruite
D’un malheur qui m’annonce un bonheur & sa suite.
Entrons. Rien ne pouvoit déjà m’être plus doux,
Qu’un moment d’entretien, en secret, avec vous.
Scène VIII
Heim ! Jeannot, qu’en dis-tu ? Sais-je baillé dé colle ?
Comme je m’y sis pris tout d’abord par bricole,
Afin qu’i gobît mieux par après le marlan !
Fort bien ! Contre les fils suivons donc notre plan.
Ceci ne fait encor que préparer la trame
Qui va développer leur caractère infâme ;
Songeons bien désormais tous deux à nous unir,
Pour apprêter le coup qui doit les en punir.
Morgué ! J’aime à te voir dans le parti dé père !
Bon signe ! Écrâson donc cé race de vipère !
Note maître a déjà baillé dans mon panniau.
Moi, je les dois leurrer du retour d’un vaisseau,
Dire qu’il vous a mis seul dans la confidence ;
Et pourquoi là-dessus il garde le silence.
Vous, souvenez-vous en ; dès que j’aurai jeté
Une si belle amorce à leur avidité,
Ils vous amadoueront de leur patelinage :
Tirez-vous bien alors de votre personnage !
Sachez me seconder…
T’as pu d’esprit que moi ;
Mais je sis eun compère aussi mâdré que toi :
Vas ! Vas ! Tu ne sçais pas encore à qui tu parle.
J’onz été, comme d’aûte, eun dénicheux de marle.
Et pis, dé fils ingrats ! Tians ; ça seul me rendroit
Pu malin qu’eun vieux singe, & me dégourdiroit.
Croirois-tu bian jusqu’où va leuz impartinance ?
C’est peu, dépis qu’i sont des monsieux d’importance,
D’avoir changé de train, de mœurs, de noms, de tout ;
Je vois qu’i voudriont changé de père itout.
Leux père leux faiz honte. Oui, Jeannot, quand j’y rève.
Avis au sieur Pasquin.
Jarnicoton ! J’endêve.
Et justement, voici Nérine !
I le paîront !
Et je varrons biau jeu, si la corde ne rompt.
Scène IX
C’est-moi, mon cher Pasquin.
Je te vois bien, ma fille.
Bonjour.
Ceci va mal pour l’enfant de famille.
Chasse-moi ce manant, que je te parle.
Attends.
Tout à l’heure.
J’enrage !
Heim ! Quoi ?
Quel contretemps !
Tu crains lé contretan ? Gnien aura pas, te dis-je.
Si vous…
Tant de redite, à la parfin m’afflige.
Tais-toi ! Tu n’es qu’eun sot.
Il est bien familier !
Avec gens de ma robe on est peu régulier.
Tout ira bian, mon fils.
Mon fils ! C’est-là ton père ?
Je te dis bien, ma fille : ai-je épousé ta mère ?
Si vous vouliez un peu vous éloigner d’ici ?
Moi ! Nenni. Pourquoi, donc ? Je reste où me voici.
De grâce !
La raison ?
Je vous en prie.
À cause ?
Ah, ah, monsieu-l’gaîllard ! Vla donc le pot-au-rose ?
Est-ce pour être seul aveuc ste dondon-là ?
Sa présence, après tout, ne fait rien à cela.
Madame est céans ?
Oui.
J’apporte, pour nouvelle,
De nos trois amoureux trois billets doux pour elle.
Vas ! Tiens ! Entre ! à revoir !
Ton projet va-t-il bien ?
Ne t’embarrasse pas !
Je te réponds du mien.
Je n’en suis pas en peine.
Et je vais, pour bien faire…
Tu me diras cela tantôt ; fais ton affaire.
Atans ! Que je reluque encore eun tantinet
Sa meine apétissante, & son ar dadouillet !
Allons donc ! Finissez ! Livrez-moi le passage !
Eun ptit coup de grouin, pour le droit de péage.
Tenez, ce gros lourdaud ! ça, vous m’importunez !
Passerai-je !… Pasquin, donne-lui sur le nez.
Me baillé sus le nez ! Pargué, je li conseille !
Le voilà, comme un sot, sans yeux & sans oreille.
Tu me vois cajoler ; & n’es pas plus jaloux ?
Eh bien ! Laissez passer, bon-homme, & payez-vous.
Je n’en sortirai pas toujours à si bon compte ;
Et ne m’en puis tirer tôt ou tard qu’à ma honte.
Le plus court, ce seroit de la désabuser.
Mais aussi de quoi diable ai-je été m’aviser !…
Les voici !
Bon ! Songez qu’il est de conséquence
Que nous leur paraissions en mésintelligence,
Pour établir d’abord leur confiance en moi.
Je ferai le fâché ; fais donc le honteux, toi :
Je n’aurai pas de peine à paroître en colère.
Traitez-moi, devant eux, de membre de galère !
Figurez-vous, pour être ainsi que je le veux,
Que je suis un maraud, qui ne vaux pas mieux qu’eux.
Scène X
Gare, aveuc tes propos, qu’eun jour je ne t’étrille
Et je ne te repasse en enfant de famille, blître !
Bonjour, Grégoire.
Hom !
Comment t’en va ?
Bian.
Tu grondes ? Qu’as-tu donc ?
Un fils qui ne vaut rian.
Lé père de ce temps sont diantrement à plaindre ;
Et je ne sis pas seul ici qui devroit geindre.
Scène XI
S’ils ne sont pas à plaindre, ils se plaignent toujours,
Du moins ; et, jour & nuit, voilà de leurs discours.
Qui dit père, en effet, dit un homme qui gronde.
On est bien malheureux d’être fils en ce monde !
Il faut, vous soutînt-on que trois & trois font sept,
N’en pas disconvenir, & garder le tacet.
Oui. Qu’un démêlé naisse entre un fils & son père,
Le père suit sa fougue, & le fils se modère :
Leur droit n’est toutefois que le droit du plus fort.
Je gage avec Pasquin, que le sien avoit tort.
Le plus grand tort du monde ! & je vous en fais juge.
Car, enfin, croiriez-vous d’où vient tout ce grabuge ?
Du refus que je fais de lâcher quelque argent
Qu’il vient me demander à titre d’indigent.
Au bon père quêteur j’ai fort bien fait la nique.
Parbleu ! Comme j’ai dit : suis-je donc fils unique ?
Mais ton frère & ta sœur parlent tout comme toi.
Tant pis pour vous ! Chacun n’en a pas trop pour soi.
Vraiment, les temps sont durs.
Lui, de prendre la mouche,
Et d’avoir aussitôt le reproche à la bouche !
Les voilà ! Mais qu’y faire ?
Hélas ! Ronger son frein !
Et baiser la férule, en présentant la main.
Et tout cela, notez, souvent pure grimace
D’un avare qui craint de toucher à la masse ;
Et qui fait l’importun, pour qu’on ne le soit pas.
De vous à moi, mon père est, je crois, dans le cas ;
Du moins je le suppose ; & je pense qu’il raille.
Sans quoi… car après tout, on n’est pas sans entrailles.
Il est certains devoirs…
Oh ! Oui, qui sont sacrés.
Les pères, après tout…
Doivent être honorés.
Dis-moi ; ne sais-tu pas ce que nous veut le nôtre ?
Non ; le mien dès longtemps me brouille avec le vôtre.
Je leur suis devenu très suspect, & je vois
Que, depuis quelques jours, on se cache de moi ;
De moi, portier, valet, cocher & secrétaire !
Et puis on veut encor que je sache me taire !
Ma foi non ! Je l’avoue à vos yeux, franc & net :
À maître défiant, serviteur indiscret.
Un secret déposé ; secret inviolable.
Un secret dérobé, j’irais le dire au diable !
Que j’en surprenne ici, bons à vous confier,
Je me fais un régal de les sacrifier.
Par exemple, crois-tu qu’ainsi qu’il le proteste,
Sa maison de campagne est tout ce qui lui reste ?
Et que, pour tout vaillant, notre père en effet,
N’eût que le peu de biens dont nous l’avons défait ?
C’est de quoi, bien à fond, je ne puis vous instruire ;
Mais, depuis peu, j’en doute ; et, puisqu’il faut tout dire,
Je ne sais quel micmac, entre mon père & lui,
Se brasse à la sourdine, & se trame aujourd’hui.
Que seroit-ce ?
Tantôt, de derrière une treille,
Comme ils parloient tout bas, je leur prêtois l’oreille ;
Je crois… qu’il s’agissoit de… vaisseaux revenus.
De vaisseaux revenus !
Oui.
Ne m’en dis pas plus !
Mon père a mis sur mer jadis de grosses sommes.
Oui.
Quand je te le dis.
C’est assez ; nous y sommes.
Je ne m’étonne plus s’il cherche à vous parler :
De nouveaux dons, sans doute, il veut vous régaler !
Car (si faut-il lui rendre encor cette justice)
Il n’est rien dont pour vous il ne se dénantisse.
Le gain qu’il aura fait, vous l’aurez. Sur ce point,
S’il arrivoit pourtant qu’il ne vous parlât point,
Je rejoins, de ce pas, mon bon-homme de père,
Dont j’aurai peu de peine à calmer la colère ;
Il n’est ni bien discret, ni des plus raffinés ;
Et je lui saurai bien tirer les vers du nez.
En gens reconnoissants, nous acceptons tes offres.
Scène XII
Mes frères, c’est de l’or qui tombe dans nos coffres !
Mon père, pour cela, nous mande assurément.
Il est pourtant bon père, à parler franchement.
Lui ! Le plus digne père & le meilleur du monde !
Ma vénération pour ce père est profonde !
Je savois que j’avois à me plaindre de vous.
Pourquoi ne pas l’avoir à dîner avec nous ?
Bon ! Cela pense-t-il ? Voilà de plaisants contes.
Il est bon auditeur de la chambre des comptes :
Il ne sait qu’une chose ; il ne sait que dîner.
Je n’ai pas plus que vous le don de deviner.
À combien le profit peut-il monter encore ?
Cela peut aller loin.
Déjà je le dévore.
La peste ! Quel plaisir, s’il doubloit mes ducats !
Je ferois un beau coup !
Et moi, bien du fracas !
Eh ! Mon dieu ! L’embarras n’est pas d’en faire usage.
En fussions-nous déjà seulement au partage !
Il sera bientôt fait.
Prenons que le magot
Soit de cent mille écus.
Oui-dà ! Chacun son lot.
Voyons. Cent mille à trois ?
Le calcul est facile.
D’abord, comme l’aîné, j’en prends cinquante mille.
Et moi je prends le reste.
Et moi donc ? & ma part !
Rafle de tout ! Mais ! Mais ! Le partage est gaillard !
Le bien de mon père est le mien comme le vôtre.
Je veux avoir mon tiers.
Moi, la moitié.
Moi, l’autre.
Nous allons voir. Entrons, entrons.
Scène XIII
Nérine ici !
Par quel hasard ?
Madame y vient ; j’y viens aussi.
Madame la comtesse ? Eh ! Que vient-elle y faire ?
Recommander, je crois, à monsieur votre père,
La fille d’un ami qu’il avoit à Toulon.
D’Argante ?
Oui.
N’a-t-il pas laissé de gros biens ?
Non.
Il est mort pauvre, & laisse une fille bien née,
Qui n’a d’autres défauts, que d’être infortunée.
Belle ?
À ravir.
Tant mieux !
Coquette ?
Non.
Tant pis !
Allons, dans le jardin, amuser le tapis,
Attendant que la dame ait fini sa visite.
D’où vient donc qu’à me suivre & l’un & l’autre hésite ?
Adieu, ma chère enfant.
Mon billet ?
On l’a lu.
Ma déclaration ?
Plaît.
Ma lettre ?
Elle a plu.
Guette bien le moment où, plantant-là mes frères,
Je m’esquive, & reviens pour te parler d’affaires.
Scène XIV
Chacun d’eux, comme lui, brûle de s’aboucher,
Et ne s’éloigne exprès, que pour me rapprocher.
Qu’ils y viennent ! Tenez, les plaisantes espèces !
Il vous en faut, messieurs, des aimables comtesses.
Il me falloit, à moi, des dupes comme vous :
Et vous la danserez, avec vos billets doux !
ACTE III
Scène I
Dis-moi donc tes raisons.
Tu n’en vaux pas la peine.
Quoi ! Le matin sensible, & le soir inhumaine ?
Oui ; quand ce que je vois de clair & de certain,
Me détrompe le soir des erreurs du matin.
Quelle est donc cette erreur dont tu t’es détrompée ?
L’amour, dont je t’ai cru, pour moi, l’âme occupée.
Mais je t’aime, te dis-je.
Eh ! Oui ; fiez-vous-y !
Je ne t’aime pas ?
Non ! Vous en avez… Eh ! Fi !
Tu fais l’enfant. J’ai dit tout sur cette matière ;
Je t’ai, de mes secrets, fait confidence entière :
Pour prouver que je t’aime, & me faire chérir,
Que devois-je donc faire encor ?
Me haïr.
Pour prouver que je t’aime ?
Oui. Voit-on, sans colère,
La personne qu’on aime, inconstante & légère ?
J’affecte, devant toi, de trouver à mon goût,
Ce rustre qui m’en conte, & qui me suit partout,
Sans que, par aucun trait, ta jalousie éclate !
Et tu m’aimes ?
Eh ! Bien, veux-tu que je te batte ?
Je veux qu’on se mutine, & qu’avec son rival,
Un amant se querelle, ou vive un peu plus mal.
Mais j’ai l’esprit bien fait ; & cet esprit…
Radote.
Ma pleine confiance en toi…
N’est qu’une sotte.
Mais je ne te crois pas coquette.
Et pourquoi non ?
Tu médirois de toi vainement sur ce ton ;
Et ce bon paysan d’ailleurs, outre son âge,
N’est pas d’une tournure à donner de l’ombrage.
Compte enfin sur mon cœur, comme moi sur le tien ;
Et, sur nos trois rivaux, ramenons l’entretien.
Se louent-ils de tes soins & de leurs tentatives ?
Ah ! très fort.
Qu’as-tu fait de leurs tendres missives ?
Un usage qui va les rendre bien camus.
Ne pourrions-nous parler en style plus diffus ?
Madame, avec mépris, les ayant rejetées,
À ses adorateurs je les ai rapportées ;
Non la sienne à chacun ; chaque amant engeôlé
Tient celle du rival qu’il se croit immolé.
Chaque frère, en secret, triomphe de son frère.
Damis a dans ses mains le billet de Valère ;
Valère tient celui d’Éraste ; & j’ai remis
À cet Éraste enfin, le billet de Damis.
Le meilleur de ceci, c’est que chacun me prie
De laisser croire au fat que je lui sacrifie,
Qu’Angélique a la lettre, & qu’il en est aimé.
De mon manège ainsi, chacun d’eux est charmé.
Le financier, sous cape, insulte au capitaine ;
Le capitaine aussi, se contenant à peine,
Du crédule auditeur se moque en tapinois :
Le dernier, du premier ; & moi, de tous les trois.
Et bien remerciée encor de tes prouesses ?
Comblée, avec raison, de dons & de caresses.
Je ne croyois personne aussi fourbe que moi ;
Mais je baisse humblement pavillon devant toi.
Je leur envie encor l’état où je les laisse :
C’est une douce erreur que je prétends qui cesse :
Et dont je ne dois pas long temps les amuser.
Je vais donc me hâter de les désabuser ;
Amorcer mes galants d’un billet circulaire ;
Donner à tous les trois, d’une main de faussaire,
Rendez-vous, à même heure, & dans un même lieu ;
Et là, leur faire voir leurs béjaunes. Adieu.
Scène II
Ils ont là, par ma foi, deux agents très fidèles.
Du vaisseau revenu les flatteuses nouvelles
Ne leur préparent pas un moindre pied de nez.
Au partage, d’avance, à coup sûr, acharnés,
De châteaux en Espagne, ensemble ils s’entretiennent.
Scène III
Mes fils sont au jardin : Pasquin, dis-leur qu’ils viennent.
Et vous, dont l’intérêt m’occupe de ce soin,
De ma félicité daignez être témoin,
Angélique. à mon sort, plus qu’au vôtre, attentive,
Vous venez de montrer la pitié la plus vive ;
Je vais d’un père aimé sentir tout le bonheur ;
Partagez-en, de grâce, avec moi, la douceur.
Ainsi je vous oppose en vain la répugnance
Que j’ai d’embarrasser ici de ma présence.
Oui ; j’exige ce prix de mes soins empressés.
Mes fils & votre cœur y sont intéressés.
Et pour vous & pour eux, soyez-y donc présente.
Vous craignez, je le vois, qu’on ne les violente ;
Qu’en se donnant à vous, leur propre volonté
N’agisse moins sur eux, que mon autorité.
Vous voulez un époux qui soit charmé de l’être.
Leurs cœurs, à découvert, devant vous, vont paroître.
Vous allez, avec moi, les voir & les ouïr
Se disputer, entre eux, le plaisir d’obéir.
Votre présence au reste, en ce que je projette,
N’aura rien d’étonnant, ni rien qui vous commette.
Pour la fille d’Argante ils ne vous prennent pas.
Grâce à Nérine enfin, vous êtes dans le cas
D’une dame sensible aux malheurs de sa vie,
Qui sollicite ici, pour elle, en bonne amie ;
En un mot…
En un mot, vous le voulez ainsi ?
J’y consens ; mais je crains…
Taisons-nous. Les voici.
Scène IV
Que je sois le premier qui saute au cou d’un père !
Comment vous portez-vous ?
Fort bien. Bonjour, Valère.
Bonjour, Damis.
Bonjour. Des sièges. Plaçons-nous.
Je veux m’entretenir un moment avec vous.
Madame nous fait donc aussi l’honneur d’en être ?
Je viens de l’en presser.
J’incommode peut-être ?
Au contraire, un aspect si fort selon mes voeux,
De ce qu’on veut nous dire est un présage heureux.
La réponse est polie.
Encore plus sincère.
Je pense, mot-à-mot, tout ce que dit mon frère.
De si beaux yeux partout sont les très bien venus.
Silence.
D’où vient donc chez vous qu’on n’entre plus ?
Chez lui, ce jour encore où vous étiez ensemble,
J’allois pour vous parler de ce qui nous rassemble.
Grison ! Picard !
Scène V
Mon père est venu pour nous voir ?
Sans qu’on l’ait fait entrer ?
J’en suis au désespoir !
Coquins ! à peu ne tient…
Mais, c’est vous qui…
Tu souffles !
Je veux morigéner quelqu’un de ces maroufles.
Devant un père, ah ! Ah !
Quand vous voyez cela,
De coups de canne aussi rouez-moi ces gueux-là.
C’est que ce ne sont pas ici des bagatelles.
L’injure qu’on nous fait seroit des plus cruelles :
Nous ! Mon père ! Nous rendre invisibles pour vous !
Nous ! Donner à la porte un pareil ordre !
Tous trois.
Nous !
Non ; je ne vous fais point d’injustice si haute ;
Et sur vos gens toujours j’en ai jeté la faute.
Ah ! Vous me soulagez ! & vous m’ôtez un poids…
Que je vous baise encore & mille & mille fois !
Monsieur est caressant.
Autant que l’on peut l’être.
Mais, comme vous voyez, tout poudre & tout salpêtre.
Voilà comme, à son âge, autrefois j’étois fait ;
Gai, vif, impétueux, & c’est tout mon portrait.
Damis est plus posé : c’est la mère en personne ;
Pour lui…
Dites que j’ai l’âme tendre & moutonne.
C’est trop de vos discours interrompre le fil ;
Que voulez-vous de nous ?
Oui ; de quoi s’agit-il ?
De vous faire un présent que vous n’attendez guère…
Vous ferez donc les parts ; car autrement, mon père,
Je vous en avertis ; mes frères, sans pitié,
De ce présent chacun prendront une moitié ;
Et moi, zeste ! Entre nous que l’équité prononce.
L’un de vous aura seul le présent que j’annonce :
Au plus sensé des trois il appartiendra tout.
Il m’appartiendra donc ?
Écoutez jusqu’au bout.
Mes enfants, l’honnête homme à la reconnoissance,
Sur toute autre vertu, donne la préférence :
Un bienfoit le captive ; & des vices du cœur,
Il voit l’ingratitude avec le plus d’horreur.
L’honnête homme a raison ; & c’est comme il faut être.
Je n’aime un bienfoit, moi, que pour le reconnoître.
Des ingrats ! Ah ! Fi donc ! Personne ne les hait…
Plus que moi.
Doucement. Après moi, s’il vous plaît.
Se peut-il seulement qu’il en soit dans le monde ?
Hélas ! Messieurs, que trop !
Que le ciel les confonde !
Et vous protège tous ! Je vous crois si peu tels,
Et suis si fort en paix sur vos bons naturels,
Que ce qu’à l’instant même on est venu m’apprendre
De ma maison des champs, qui d’hier est en cendre,
N’a pas du moindre trouble agité mes esprits.
Vous n’avez donc plus rien, mon père ? J’ai mes fils.
Vous n’en avez que trop, n’en déplaise à mes frères.
Un de moins en effet, vous n’y perdriez guère.
Non vraiment ; mais pourvu que ce ne fût pas moi.
Quel étrange propos ! Mon pauvre enfant, tais-toi !
Tu n’es & ne seras jamais (dont bien me fâche…)
Scène VI
Madame ! Un homme en botte, & qui fait sans relâche,
Claquer & reclaquer son fouet de postillon,
Pour vous exprès, dit-il, arrive de Toulon.
Je prends congé, messieurs.
Il faut vous reconduire.
Ah ! Je le défends bien.
J’ai deux mots à vous dire,
Qui l’intéressent plus qu’un si léger devoir.
Restez.
Scène VII
Et commençons, mes fils, par nous rasseoir.
Ce que je vous disois de la reconnoissance,
Ne concernoit que moi, qui suis dans l’impuissance
De payer des bienfaits que jadis j’ai reçus ;
À des fils vertueux j’ai recours là-dessus.
Je ne vous ferai point de leçon fatigante,
Sur ce que nous devons au généreux Argante ;
Je tiens de lui la vie & les heureux moyens
Qui m’ont fait acquérir pour vous d’assez grands biens.
Nous en avons reçu mille autres bons offices,
Sans les avoir jamais payés d’aucun service :
La fortune, longtemps constante en sa faveur,
A refusé toujours ce plaisir à mon cœur.
Elle ne s’est que trop tout-à-coup démentie,
Lui ravissant ensemble & les biens & la vie,
Et le plaisir touchant, la rare volupté
De trouver un ami dans son adversité ;
Volupté que je goûte au sein de ma famille.
Je lui survis : je sais qu’il en reste une fille,
Digne des sentiments que j’eus toujours pour lui ;
Charmante, vertueuse, & pourtant sans appui.
Dans mon cœur attendri, son père vit encore.
Pour elle, par ma voix, cet ami vous implore :
Je lui devois mes biens, & vous me les devez ;
Vous lui devez le père enfin que vous avez.
Que l’un de vous m’acquitte, en s’acquittant lui-même ;
Rendons sa fille heureuse ; elle est digne qu’on l’aime ;
Je vous l’offre : voilà de quoi vous signaler ;
Et c’est-là le présent dont je voulois parler.
Honneur à mes aînés. Répondez.
Mon silence
Témoigne que j’approuve ; & non que je balance.
Oui, la fille d’Argante a droit sur l’un de nous ;
Et, pour une inconnue opposer des dégoûts,
Ce seroit s’excuser sur un frivole obstacle ;
Il la faut épouser.
C’est parler à miracle ;
Si l’auditeur dit non, l’auditeur est un sot.
Cadet, crois-moi, prends-la ; c’est-là ton vrai ballot.
Un garçon comme toi ne sent rien, n’a point d’âme ;
Et ne sait seulement ce que c’est qu’une femme.
Laide, ou belle, connue ou non ; tout n’y fait rien ;
Et si peu qu’elle vaille, elle te vaudra bien.
Épouse. Ouais ! Le voilà muet comme une souche !
Ah ! Par plaisir un peu, fais la petite bouche !
Allons, allons, épouse !
Autre sot démêlé !
Qu’il épouse lui-même ; il a si bien parlé !
Mais voyez avec moi leurs procédés infâmes !
Ils prenoient les écus, & me laissent les femmes.
Oh bien ! Tel que je suis, tant sot qu’il vous plaira,
J’aime.
Le fat ! Il aime ! Il a rêvé cela.
Allons, épouse, épouse !
Oui, deux yeux adorables
Sont devenus mes dieux, & mes dieux favorables ;
Raillez, désapprouvez ce penchant amoureux :
Je veux languir, brûler, vivre, mourir pour eux,
Et n’être plus nommé que le berger fidèle.
Joli pastor fido ! La bonté paternelle
Voudra bien excuser ce gentil Céladon :
Son imbécillité lui mérite un pardon.
C’est bien dit : laissons-là sa flamme extravagante :
Suffit qu’un de vous reste à la fille d’Argante ;
Aussi bien, entre nous, cette main n’étoit pas
Une main dont peut-être elle auroit fait grand cas.
Vous, si vous m’en croyez, vous offrirez la vôtre,
Damis ; j’avois sur vous l’œil plus que sur tout autre ;
La fille étant sans biens, pour un hymen heureux,
Votre état est l’état le plus avantageux.
Ne vous avisez pas de faire ici la buse ;
Ni d’oser emprunter sa ridicule excuse.
On le croit, lui qui lit jour & nuit les romans :
Mais barème n’est pas un livre à sentiments.
La raison seule ici doit être la maîtresse.
Je m’excuserois mal, avec cette foiblesse.
Sur ce prétexte Éraste a grand tort d’hésiter :
Et je le blâme trop pour vouloir l’imiter ;
Aussi…
Voici votre oncle ; & je fuis sa présence.
Je ne veux pas qu’il soit de notre conférence ;
Dites-lui que, s’il veut, il vienne une autre fois ;
Puis, dans mon cabinet, suivez-moi tous les trois.
Scène VIII
Il m’évite ! Avouez que vous n’attendiez guère
La proposition qu’il avoit à vous faire.
Tous trois.
Ma foi non, mon oncle.
Or, dites-moi librement ;
Tout vain respect à part, & sans déguisement :
Comment la trouvez-vous ?
Folle.
Absurde.
Erronée.
Et la séance, en paix, s’est-elle terminée ?
Oui, grâce à vous.
Comment ?
Selon son bon plaisir,
Entre Valère & moi mon père alloit choisir ;
Lorsque, fort à propos, vous l’avez mis en fuite.
Vous devriez déjà, mon frère, être à sa suite.
Ah ! Vous m’en envieriez l’honneur.
Nenni, parbleu !
Moi, j’ai tiré gaiement mon épingle du jeu,
Et laissé démêler aux autres la fusée.
Notre âme, devant vous, à nu s’est exposée,
Mon oncle ; à notre tour, sachons votre secret,
Et ce que vous pensez du présent qu’on nous fait.
Je l’ai dit à mon frère ; & c’est ce qui l’irrite,
Et, comme un importun, ce qui fait qu’il m’évite.
Avez-vous vu jamais rien d’égal à cela ?
Et son pouvoir sur nous s’étend-il jusques là ?
Eh quoi ! Parce qu’un homme aima jadis mon père,
Il faudra se charger de sa lignée entière !
Lui, ses hoirs, ayant-cause, avoir tout sur les bras !
En épouser la race, ou passer pour ingrats !
Et s’il étoit resté trente filles d’Argante,
Il les eût fallu donc épouser toutes trente !
Il en reste une : à peine on vient la proposer,
Qu’on veut que tous les trois nous courions l’épouser !
Dispose-t-on des cœurs qui peuvent être à d’autres ?
Non, certes ! & sur-tout, de cœurs tels que les vôtres ;
De cœurs à sentiments nobles & délicats,
Qui du parfoit amour font uniquement cas.
C’étoit là ma raison ; j’aime. & quand j’aime, oh ! J’aime…
Dame ! Au possible ! Au mieux ! Au parfoit ! Au suprême !
Qui ne se rendroit pas à ces tendres raisons,
Si dignes d’une loge aux petites-maisons ?
Il prétend raffiner sur l’art d’aimer d’Ovide.
Damis opposera quelque raison solide.
Vous me rendez justice : & je gagerois bien
Que votre avis aura d’abord été le mien.
Voyons.
Qui ne sait pas qu’un homme de finance
Doit s’appuyer toujours d’une noble alliance,
Dont le crédit puissant, dans les temps de revers,
Offre à l’impunité des asiles ouverts ?
De loin, contre l’orage, un nautonnier s’apprête :
Avec le vent en poupe, il songe à la tempête :
Ainsi doit faire & fait l’habile financier.
Ainsi fais-je.
Fort bien. & vous, mon officier ?
Oui-da ! J’ai, tout au plus, dix mille écus de rente,
Et j’irais épouser une fille indigente !
Avec un bien qu’au jeu je puis perdre en un coup,
Et l’unique talent d’en dépenser beaucoup :
Et cela justement quand j’ai fait la conquête
D’un excellent parti qui se jette à ma tête ;
Que dis-je ? Au moment même où, par un coup soudain,
Mon père est à l’aumône & va manquer de pain.
Ne lui suffit-il pas de sa propre misère,
Sans qu’il y joigne encor celle d’une étrangère ?
Qu’il amasse de quoi rebâtir sa maison.
C’est son moindre souci.
Peut-être a-t-il raison.
Pourquoi la rebâtir ? En effet, quel usage
Veut on, las comme il est des tracas d’un ménage,
Qu’il fasse de ce fonds qui n’est plus qu’onéreux ?
Qu’il nous en accommode ; et, philosophe heureux,
Moyennant peu de chose, il aura pour asile,
Une communauté respectable & tranquille,
Où des soins d’ici bas son esprit exempté,
S’occupera du ciel, en toute liberté.
Mais, oui.
Très bien.
Sans doute.
Et pour son Angélique,
Qui fait votre embarras & son affaire unique,
Je m’en charge. Après tout, riche, vieux & garçon…
Que diable va-t-il dire ?
Ouf ! J’en ai le frisson.
L’épouseriez-vous ?
Moi, l’épouser ! Quelle idée !
Je n’ai pas du malin l’âme assez possédée,
Pour faire un si grand tort à mes chers héritiers.
Je ne la veux qu’aider.
Passe !
Ah ! très volontiers.
À vous permis.
Allez, messieurs, laissez-moi faire !
De nos arrangements j’instruirai votre père.
Et tournerez la chose au moins du bon côté.
Je prétends bien vraiment qu’il en soit enchanté.
Ma foi je prêcherois d’exemple à votre place ;
Et, chargeant mes neveux d’un bien qui m’embarrasse,
En sage, qui du monde auroit su triompher,
Avec mon frère, en paix, j’irais philosopher.
C’est la première fois, secouant son génie,
Qu’il a passablement raisonné dans sa vie.
Le tout pour votre bien, mon oncle.
Grand merci.
Scène IX
Pères infatués d’enfants tels que ceux-ci !
Voilà donc ces objets de votre complaisance,
Dont, avec tant de soins, vous élevez l’enfance,
Et que de vos vieux ans vous croyez les soutiens !
Leur façon de penser se mesure à vos biens.
Respectueux, rampants, tant qu’un espoir les flatte ;
Mais du père épuisé la plainte à peine éclate,
À peine implore-t-il, que tout le méconnoît ;
Et le monstre succède au fils qui disparaît.
Je prépare à mon frère une horrible surprise ;
Mais aussi de ses gens secondant l’entreprise,
Je prétends tout-à-l’heure…
Scène X
Ah ! Pasquin, te voilà ?
Viens-t-en prendre chez moi, dès que j’aurai fait-là,
Le sac de louis-d’or, dont tu sais le mystère ;
Et que, pour aujourd’hui, je confie à ton père.
Entends-tu ?
Tout va donc comme on l’avoit prévu ?
Ils ont fait mille fois pis que je n’aurois cru.
C’est pour mon pauvre maître un furieux déboire.
Mais c’est un entêté qui ne vouloit rien croire.
Au point que nous voulions nous l’avons fait venir :
Il voit quels sont ses fils : songeons à les punir.
Scène XI
Pasquin, st ! St !
Entrez, entrez, sans vous contraindre.
Mon père…
Est occupé. Vous n’avez rien à craindre.
Sais-tu les beaux propos que l’on nous a tenus ?
Oui. Ce ne sont pas là nos vaisseaux revenus.
Dès l’instant où mon père a parlé d’incendie,
La contenance étoit déjà bien étourdie,
Et chacun d’être ici se mordoit bien les doigts.
Nous avons, sans mentir, été bien sots tous trois.
Oui, sans mentir.
Sous cape, à rire tu t’occupes !
D’où vient donc ?
Par ma foi, vous êtes pris pour dupes !
Votre père enfermé depuis cet entretien,
À gorge déployée, en rit avec le mien.
Il rit ?
Bon ! Son oreille encor s’est abusée.
Il rit.
Quoi ! Ruiné, perdu !
Billevesée !
L’incendie est un conte : envoyez sur les lieux ;
Ou plutôt, allez-y ; vous en croirez vos yeux.
Avant une heure ou deux nous en aurons nouvelle.
Notre père, en ce cas, nous l’auroit baillé belle !
Ah ! Je vous en réponds.
Grégoire aura jasé.
Quoi donc ? Qu’avois-je dit ? Il est si peu rusé !
Et la simplicité livrée à la colère,
Sait si mal d’un secret renfermer le mystère !
Du malheur dont encore il ne m’avoit rien dit,
En menteur mal-adroit, il m’a fait le récit ;
Du besoin qui le presse, accusant cette perte ;
Dédaignant toutefois quelque pistole offerte ;
Entamant cent discours qu’il ne finissoit pas ;
Se désolant tout haut, se consolant tout bas ;
Son cœur qui ne sent point ce qu’il veut que l’on croie,
Pétilloit dans ses yeux d’une visible joie ;
De mon maître & de lui la belle humeur enfin,
Tout prouve notre erreur & leur esprit malin :
Bien plus, d’un tas d’écus qu’à huis-clos on manie,
Mon oreille a surpris l’indiscrète harmonie.
Mon jugement est sûr, le vôtre l’est aussi ;
L’incendie est un conte, & l’argent roule ici.
Que prétend donc mon père, & qu’a-t-il voulu dire ?
Ah ! Je vois où tendoit le jeu qui le fait rire.
Quant à moi j’en pénètre aisément le motif.
C’est que, sur votre compte, on l’a rendu craintif.
Dans son crédule esprit sans cesse on vous décrie.
On traite votre amour pour lui de momerie.
Hélas ! Le monde est plein de si méchantes gens !
Votre père a conçu des soupçons outrageants ;
La fortune lui fait de nouveaux avantages ;
Il vous les destinoit ; mais avant les partages,
Il a, sur vos bons cœurs, voulu vous éprouver ;
Et c’étoit un panneau qu’il falloit esquiver.
Morbleu ! Qu’avons-nous fait ?
Un pas de clerc terrible.
Moi, j’y vais simplement.
L’imposture est horrible.
C’est vous, messieurs, avec vos esprits d’intérêt ;
Que n’épouser aussi d’abord ?
Tais-toi, benêt ?
Mon père a, dans le fond, quelque lieu de se plaindre.
Et notre oncle à présent nous achève de peindre.
Avec un peu d’esprit on fait ce que l’on veut.
Je saurai m’en tirer, messieurs. Sauve qui peut !
Il n’est rien, pour ma part, que je n’y sacrifie.
Toi, redouble tes soins : rode, examine, épie.
Assure-nous du fait ; & tu t’en sentiras.
Pasquin sait qu’il n’a point affaire à des ingrats.
Ni vous à quelque sot. J’ai là de la cervelle ;
Et, devant qu’il soit peu, vous en aurez nouvelle.
Le joli petit piège où nous tombions sans lui !
Ils en auront nouvelle : & quand ? Dès aujourd’hui.
Scène XII
Les monstres ! Se peut-il…
Tous trois vous abandonnent.
Et vous êtes le seul en cela qu’ils étonnent !
Eh ! Je ne m’en doutois que trop dès le moment
Où j’ai paru vous fuir si précipitamment.
Sur mon état présent leur silence funeste
Ne m’avoit que trop fait pressentir tout le reste.
Triomphez de la honte, insultez au malheur
D’un insensé que rien n’avoit tiré d’erreur.
Il faudroit de vos fils avoir la barbarie.
Je viens, dans ce malheur qui nous réconcilie,
En reproches contre eux avec vous m’exhaler ;
Vous plaindre ; et, s’il se peut encor, vous consoler.
Reste d’un cher ami, déplorable Angélique,
Si des ingrats du moins j’étois victime unique !
Mais le comble des maux où je me vois plonger,
C’est que votre jeunesse ait à les partager !
Reposez-vous sur moi : je me dois, en bon frère,
Ressentir des bontés qu’avoit pour vous son père.
Pour l’amour de moi donc, daignez la secourir !
Ne prenez soin que d’elle, & me laissez périr.
Vivat ! Ardé, monsieu, point de mirancolie !
Al est temps de vous dire…
Oh ! Non ; tians, c’est folie !
ça me fend trop le cœur ! & je veux me hâter…
De quoi faire ? En parlant trop tôt, de tout gâter ?
Je connois mieux que vous monsieur & ses foiblesses ;
Et ne connois pas moins ses fils & leurs souplesses ;
Il ne pourra près d’eux nous garder le secret ;
Ils se rapatrieront ; & nous n’aurons rien fait.
Que méditez-vous donc ?
Tout ira comme eun charme ;
Mais ne lanterné pa ; haïssé-lé don farme !
Ne fezon pa le gniois ! Dame itou, comme on di,
Je nous serion baillé bian du mal à crédi.
Ne ririois vous pas bian si cé varmine ingrate,
Euz & tout leux frusquin retombion sous vo patte ?
Bon ! Ce sont ses chers fils !
Il ne leur est plus dû,
Ce nom, que pour jamais les ingrats ont perdu.
Sans pitié ! Sans pudeur…
Hon ! La maudite graine !
Si je les haïrai ! C’est peu que de ma haine ;
Mon indignation les condamne à l’oubli !
Hélas ! Je n’en puis plus ! & mon cœur affaibli…
Allons prendre un peu l’air, mon frère, & bon courage !
C’est désormais sur eux que se tourne l’orage :
Par leur endroit sensible ils seront châtiés ;
Et les lâches bientôt tomberont à vos pieds.
ACTE IV
Scène I
Si bian qu’anfin tantia, tous trois par ta menée,
Ici vont arrivé, la gueule enfarinée ;
Faire, en s’y rencontran, bian du brouillamini ;
Et prande un rat, pensan trouvé la pie au ni.
Fezan frime de rian, & comme à la passade,
Je prétan bian itou leux baillé la cassade.
Tout mon étonneman, c’est quémant il ozon,
Après ce qu’iz ont fait, rantré dans la maison.
N’ai-je pas, tout exprès, écrit avec adresse,
Dans les billets remis au nom de ma maîtresse :
"Pour être en paix & loin du bruit,
Sur-tout pour ne pas être abordé par un frère,
Retrouvez-vous chez votre père,
Qui ne doit rentrer qu’à minuit. "
J’amènerai madame, en toute bienséance :
Et je les garantis chapitrés d’importance.
Que de ruse dessou cé petiz-éscosion,
La malice du diable ! & pis je nous y fion !
Et même je voudrois, du meilleu de mon âme,
Un peu de s-t-esprit là dans le corps de ma femme.
Ça ne laisseroit pas de m’amusé… mais, non !
De si fine femelle en save un peu trop lon :
Ça vous goâille en derrière ; en devant ça flagorne ;
La femme a la culotte ; & le mari dé corne.
Je n’en veux point !
Grégoire est homme de bon sens :
Extravagant par fois, mais non pas pour longtemps.
Scène II
Nérine, écoute, écoute.
Et quoi ?
Que je te conte
Un trait… mais un beau trait du frère de Géronte.
Eh bien ?
Ah ! Vous voilà ? Quatre mots en secret.
Suivez-moi.
Mais avant, dis li don ce biau trait !
Ceci presse un peu plus.
Mais ! C’est comme un vartige !
C’est ce qu’il vous plaira : sortons vite, vous
Dis-je.
Allons donc !
Scène III
Ce manant est, selon mon avis,
Le riche procureur dont Pasquin se dit fils.
Sa présence à mes yeux l’embarrasse & l’étonne :
À plus d’un autre signe encor je le soupçonne.
Qu’il se soit avisé d’être fat à ce point ;
Tout mon ami qu’il est, je ne l’épargne point ;
Et… mais voici qu’on vient au rendez-vous…
Scène IV
J’arrive ;
Et tu me vois brûlant de l’ardeur la plus vive.
Avertis la comtesse ; & pressons l’entretien.
Je vais vous l’amener, monsieur ; tenez-vous bien.
Scène V
Attendant le moment le plus doux de ma vie,
Tendre amour ! En ces lieux soupire une élégie.
« Charmante Amaryllis dont l’éclat sans pareil
Me paroît comparable à l’éclat du soleil !
L’heureux Myrthil t’attend sur l’herbette & la mousse.
Doux moment ! Moment doux ! Que ta douceur est douce !
Moment délicieux, s’il en fut jamais un !
Hâte-toi… » Maugrebleu du maudit importun !
Scène VI
Je vous rencontre ici ! Je le vois bien, mon frère,
Le récit de Pasquin se confirme & s’avère ;
Vous venez ménager un raccommodement ?
Non ; je cherchois Grégoire.
Et moi pareillement.
Mais le coquin nous fuit, & n’est point abordable.
Oh ! Je le saurai bien avoir moi !
Scène VII
Comment diable !
Tous trois ?
Autre fâcheux !
Et que faites-vous là ?
Nous voulons voir Grégoire.
Eh ! Tenez, le voilà.
Scène VIII
Grégoire, un mot ! Viens ça ! Viens donc ! Viens ! Qu’on te voie !
Admirez-moi sa face ! Elle inspire la joie.
Tu ne nous aimes point ?
Ni je ne m’en sens prêt.
C’est cet air de franchise en lui surtout qui plaît.
Touche là !
Palsangué ! Vlà dé jan bian honnête !
Qui diantre ! On ne me fit de mé jour tant de fête !
Pourquoi donc ? Su quelle harbe ont-i tretou marché ?
Tantôt, en nous quittant, tu paraissois fâché,
Et nous voulons bien vivre avec l’ami Grégoire.
Pour cimenter la paix il aura de quoi boire.
Tiens.
J’ai sur moi, je crois, une pistole ou deux :
C’est toujours autant ; prends, prends ; ne Sois pas honteux.
Veux-tu du tabac ?
Ouais ! Tout ça n’est pas sans cause !
Morgué ! Dite-moi vrai : vous savé queuque chose ?
Que saurions-nous ? C’est toi qui nous fais concevoir
Qu’il est donc quelque chose à nous faire savoir.
Nannin ! Ce que j’en dis c’est à la boullevue.
Ta franchise t’a fait commettre une bévue.
Avoue. On nous trompoit ?
Qui ?
Dis-nous, dis-nous ?
Quoi ?
Ce que tu sais.
Que sais-je ?
Oh ! Rien.
Non, par ma foi !
Tu sais…
Je sais… je sais…
Parle & sois véritable.
Je sai que lés enfans ne valon pas le diable.
Nous blâmons la façon dont le tien t’a traité.
Oui da ! Vou trouvé ça…
Très mal !
En vérité ?
Ton doute nous fait tort : d’un refus malhonnête,
C’étoit à qui de nous lui laveroit la tête.
Oui, certes ; il a reçu de nous sur son devoir
Des leçons de morale… Ah ! Peste ! Il falloit
Voir !
Il faut avoir le cœur bien dur & bien de pierre !
Un père ! & qu’avons-nous de plus cher sur la terre ?
Je regarde Pasquin comme un enfant maudit.
Il périra !
Sans faute : & vous avez bian dit.
Mais stanpandant, messieurs, (je vous propose excuse)
De ne pas mieu valoir tout chacun vous accuse.
Oh ! Franchement mon père est aussi trop cruel,
Et pousse un peu trop loin le pouvoir paternel.
Il veut que l’on épouse une fille inconnue,
De province, sans biens, sans nom. J’ai quelque vue
Et quelque ambition.
Moi, je suis amoureux !
Toute ma peur à moi, c’est de devenir gueux.
Je veux de la noblesse appuyer ma roture.
Je veux m’amie.
Et moi, de quoi faire figure.
Comme tu vois, chacun de nous a sa raison :
Mon père a quelque tort. N’en conviens-tu pas ?
Non.
Quoi ! Tu nous soutiendras, tant fils puissions-nous être,
Qu’un père de nos mains peut disposer en maître ;
Et pour quelques bienfaits dont lui seul a joui,
Il faut qu’aveuglément l’un de nous s’immole ? Oui.
Exempe. J’étois sec & n’avois pa la maille.
Je trouve par hasard eun ami qui m’an baille.
Aveuc ça je m’engraisse, & j’ai cheu moi du grain,
Eun gros beu, eun cheval, eun âne, & tout le train.
Au bout d’eun tams st’ami meurt ; et, pour tout potage,
Ne laisse à son enfan qu’un petit héritage ;
Et st’enfan-là n’a pa, où séz affaire en sont,
De quoi faire valoir ni labouré son fond ;
Et je n’auré pas droit moi, sans qu’on me chicanne,
De li baillé mon beu, mon cheval ou mon âne ?
Si fait, mordienne !
Où tend ce que vous nous contez ?
Vos animaux, Grégoire, ont-ils des volontés ?
Dé volonté ! Pardi, pardi, belle défaite !
Pour nous, & non pour vous lé volonté sont faite :
J’ons la nôte ; i suffi ; conformé-vous dessu :
Si mé beux raisonnion, i n’en aurion pa pu.
Et vo pauve sœurs donc, pisqu’i fau qu’on vou Bourre,
Quand, pou l’amour de vous, au couven on lé fourre,
Et qu’alle vourion bian tiré d’autre côté ;
Leuz allé-vous prêchan d’avoir dé volonté ?
Mais, baste ! Laisson-ça : venon à vote pére ;
Pandan que vous piafé, le vlà dans la misére,
Sans que pas eun de vous li tande eun varre d’au.
Mon fils vous scandalise ; & vous trouvé ça biau !
Et vous & li, téné, c’est la même turlure.
Non ne méritons pas encor que l’on murmure.
Aujourd’hui l’on a tort ; demain l’on auroit droit ;
Mais les choses peut-être iront mieux qu’on ne croit.
Faite bian lé vilain ! Mais baillé vous de garde
Que lé pére n’y gagne au fond pu qu’i n’i parde.
Lé pu futé dé fois sont ceux-là qui son pris.
Nous ne concevons rien à ce que tu nous dis.
Moi, je m’entan ; suffi. Qu’eun de vous lantipone,
Je nous en passeron ; la providance est bonne.
Tous mes biens sont à lui.
Qu’il prenne tout mon fait.
Dis-lui…
C’est votre affaire. Adieu. Vote valet.
Scène IX
C’est dévoiler assez les secrets de mon père,
Et nous en faire à fond pénétrer le mystère.
Allez chacun chez vous maintenant aviser
Et courir aux moyens qui pourront l’apaiser.
Allons.
Sortez.
Passez.
Après vous.
Le troisième.
Quoi ! Personne ne branle ? Eh bien !
Eh bien ! Vous-même.
Que n’êtes-vous dehors ?
Je demeure.
Pourquoi ?
Je veux près de Pasquin m’instruire encore.
Et moi.
Et moi.
Je vous rendrai mot-à-mot les nouvelles.
Je saurai pour le moins les rendre aussi fidèles.
Aih ! Hors d’ici tous deux ! Votre présence y nuit.
J’y reste encore une heure.
Et moi jusqu’à minuit.
Mon très cher frère, & vous, ô pécore importune !
Je l’avoue : il y va d’une bonne fortune.
J’ai rendez-vous ici.
Je vous en livre autant.
La comtesse en ce lieu va se rendre à l’instant ;
Et, puisqu’il faut parler, & que les moments pressent,
Elle est l’astre adorable à qui mes vœux s’adressent.
Mais tu l’aimes donc bien ?
Et me crois même aimé.
Sérieusement ?
Oui.
Parbleu ! J’en suis charmé.
Oh ! Bien, cesse pourtant d’aller sur mes brisées ;
Et prends une autre fois un peu mieux tes visées.
Tout ce qui t’a flatté n’étoit qu’un jeu malin.
Tiens, lis : reconnois-tu ce billet de ta main ?
Nérine m’en a fait tantôt le sacrifice.
Vois ta honte & ma gloire : & tôt, qu’on déguerpisse !
La scélérate !
Adieu. Fais place à ton vainqueur.
J’ignorois son amour. Vous êtes né moqueur ;
Et vous avez beau jeu. Mais, pour venger sa flamme,
En vous plaignant pourtant du meilleur de mon âme,
(Car il ne faut jamais railler les malheureux)
Voilà votre billet ; retirez-vous tous deux.
Mon billet !
Oui ; qu’il serve à vous faire connoître
Qui du champ de bataille est ici le vrai maître.
Au favori, Nérine immoloit deux rivaux.
Si je suis malheureux, j’ai du moins des égaux.
Berne moi ! Je n’ai pas le petit mot à dire.
Un aveu si pénible a de quoi vous suffire.
Allons, Éraste ! Un peu de générosité !
Et vous, Damis, allons ; un peu de fermeté !
Le revers sur lequel votre fierté se fonde,
N’en est qu’à ses deux tiers, & n’a pas fait sa ronde ;
Votre billet y manque ; heureux que cette main
Mette, en vous le rendant, notre aventure à fin.
Elle est ma foi complète ; & ceci me console.
C’est donc vous, l’homme heureux, à qui l’on nous immole ?
Je vous dois les égards que vous aviez pour nous ;
Et je me garde bien de me moquer de vous.
Et sur quoi venez-vous ?
Sur cette fausse lettre.
Et moi sur celle-là qu’on vient de me remettre.
Nérine est une fille à pendre.
Plaidons-la.
Crime de fausseté ; le vol, outre cela :
Autre grief encor, qui plus encor me choque.
J’en suis pour un bijou que la chienne m’escroque.
Motus. quelqu’un peut-être est dans le même cas ;
Et fait en homme sage, en ne s’en vantant pas.
Ma pénétration va plus loin que la vôtre.
Souvent un artifice en enveloppe un autre.
Elle nous repaissoit de chimères ici :
Si le bien de la dame en étoit une aussi ?
Non : ses biens sont réels, & c’est un fait notoire ;
J’ai pour garant notre oncle, & nous l’en devons croire ;
Lui-même il me l’a dit, sans savoir nos desseins ;
Il a cent mille écus pour elle entre les mains.
On vient ; c’est elle-même.
Affrontons les alarmes.
Il faut de la bravoure en amour comme aux armes.
Pourquoi nous séparer & fuir à son abord ?
Parlons, déclarons-nous, & sachons notre sort.
Scène X
De nous trouver ici vous êtes étonnée,
Madame ; & ce qui s’est passé l’après-dînée…
Votre père, messieurs, n’est donc pas au logis ?
Non, madame.
Je n’ai rien à dire à ses fils.
Mais ses fils voudroient bien vous dire quelque chose,
Madame ; demeurez, s’il vous plaît, & pour cause.
Mes frères vous diront… ce que vous ignorez…
Et vous allez savoir… ce que vous apprendrez.
Contez, contez-lui ça.
Nous trompons votre attente,
Madame, en répugnant à la main d’une absente,
En qui le seul appui qui l’honore en ces lieux,
Devait être un mérite assez rare à nos yeux.
À ce mérite un père ayant joint sa puissance,
On auroit dû s’attendre à plus d’obéissance.
Mais des engagements qu’en secret nous formons,
Des obstacles trop grands y nuisoient.
Nous aimons.
Nous n’osions l’avouer.
J’ai seul eu cette audace.
Sur de telles raisons un père est tout de glace.
L’âge où l’on n’aime plus lui fait, sur le retour,
De vaine illusion traiter en nous l’amour.
Mais vous, en qui, madame, un beau feu peut éclore,
Vous, sur qui cet amour a tous ses droits encore,
Aimez, ressentez-en le charme séducteur :
Nous aurons notre excuse au fond de votre cœur.
Ne vous alarmez plus des volontés d’un père
Qui vous trace un devoir en effet trop austère.
Non qu’il n’eût été beau, peut-être même heureux,
De se plier au gré d’un cœur si généreux.
Une âme, je dis même une âme assez commune,
De l’orpheline offerte eût chéri l’infortune ;
On la peignoit aimable, & pensant assez bien
Pour faire le bonheur de qui feroit le sien.
Que n’auroit pas en elle opéré la puissance
D’un chaste amour fondé sur la reconnoissance ?
Pleine de sentiments si tendres & si doux,
Que n’eût-elle pas fait pour plaire à son époux ?
Plaisir, honneur, devoir, pitié de sa jeunesse,
Gloire de relever ce que le sort abaisse,
Les prières d’un père, & les bienfaits du sien,
Tout cela vous parloit pour elle, & n’a pu rien.
Si je voulois encor, je vous pourrois plus dire ;
Sans m’éloigner du but où votre cœur aspire,
D’un mot, si jusques-là je daignois m’abaisser,
D’un seul mot je pourrois vous bien embarrasser.
Mais, encore une fois, messieurs, soyez tranquilles.
Et sachez, pour trancher des propos inutiles,
Que cette infortunée à qui, dans son malheur,
Un ami s’intéresse avec tant de chaleur,
De tout ce qui se passe apprenant la nouvelle,
Désavoueroit les soins qu’on prend ici pour elle ;
Craindroit que l’un de vous ne s’en laissât toucher,
Et seroit la première à se le reprocher.
Madame, je le vois, l’amour qu’on vous oppose,
Et qui pour nous est tout, est pour vous peu de chose ;
Peut-être si l’objet vous en étoit connu,
Auriez-vous contre nous l’esprit moins prévenu.
Pour moi, plus je le vois, moins je me désapprouve ;
Mon cœur à son aspect de plus en plus l’éprouve…
Le mien aussi, madame ; & je sens qu’en effet…
Que de jargon perdu pour dire un mot ! Au fait.
De riens & de fadeurs, Madame, on vous amuse.
C’est vous que nous aimons, & voilà notre excuse.
Vous m’aimez !
Tendrement ! Si celle qui vous suit
Était honnête fille, elle vous l’auroit dit.
Peut-être cet aveu, madame, est téméraire :
Mais nous ne le faisons que pour vous moins déplaire ;
Et que pour nous purger d’un reproche odieux
Qui nous peint comme autant de monstres à vos yeux.
Une pareille excuse est-elle illégitime ?
Serait-elle pour nous encore un nouveau crime ?
Et pas un de nous trois ne se peut-il flatter
Que du malheur commun vous voudrez l’excepter ?
Nous nous en remettons à l’arrêt redoutable
Que va nous prononcer votre bouche équitable :
Daignez baisser les yeux sur quelqu’un d’entre nous,
Et qu’il lui soit permis d’oser prétendre à vous.
Si j’avois su toucher des cœurs si peu sensibles,
Je n’en trouverois plus désormais d’invincibles ;
Vous signaleriez trop le peu que j’ai d’appas ;
Et le signaleriez en ne l’honorant pas.
Quiconque aime en effet doit poser pour maxime,
Qu’il n’honore qu’autant qu’il est digne d’estime.
Examinez-vous bien ; & voyez quel honneur
Peut revenir jamais du don de votre cœur.
Quelles âmes ce jour avez-vous fait paroître ?
Et pour qui venez-vous de vous faire connoître ?
Vous m’aimez, dites-vous. Osez-vous un moment,
Colorer vos refus d’un pareil sentiment ?
Osez-vous espérer que ce propos m’abuse,
Et qu’un si fade encens me flatte & vous excuse ?
Angélique indigente excita vos refus :
Et l’opulence en moi vous tente, & rien de plus.
Ne vit-on pas toujours unis d’un nœud perfide,
La noire ingratitude & l’intérêt sordide ?
L’une vient d’éclater, l’autre éclate à son tour :
Et je juge par-là du prix de votre amour.
Très mal jugé, madame !
Ah ! Sentence cruelle !
J’y suis le plus lésé, madame ; & j’en appelle.
Qui ? Moi ! De l’intérêt ! Parce que ? Quoi ! Voyons.
Mais, oui : quel procédé veut-on que nous ayons ?
Je ne dirai qu’un mot, madame. Je vous aime ;
Cela sans intérêt, purement pour vous-même.
Vous aimez Angélique : eh bien ! Ajustons-nous.
Vous vous efforcerez pour elle, & nous pour vous :
Voyez de nous d’abord celui qui peut vous plaire,
Et qu’il soit votre époux…
C’est une affaire à faire ?
Après quoi, pour sa dot, boursillant en commun,
Elle aura par de-là de quoi s’en trouver un.
Ah ! Madame, arrêtez. Des offres de mes frères,
Retranchons ce qui peut les rendre téméraires :
Votre chère Angélique aura part à nos biens ;
Pour elle à votre gré choisissez dans les miens :
Je ne demande pas le moindre sacrifice ;
Traitez-moi seulement avec plus de justice ;
Et sachez distinguer ce cœur où vous régnez,
De ces indignes cœurs qu’ici vous nous peignez !
Eh quoi ! Pour ne pouvoir aimer une inconnue,
Que de vos yeux vainqueurs le charme a prévenue,
Comme un lâche, animé du plus vil intérêt,
Dois-je être foudroyé d’un si cruel arrêt ?
Accusez mon amour, condamnez son audace ;
C’est aux soumissions à mériter sa grâce ;
Mais que de vos soupçons vous ne m’exceptiez pas ;
Me supposer à moi des sentiments si bas ;
Voir les vœux les plus purs traités de mercenaires ;
Madame, mille morts me seroient moins amères.
Il pourroit bien sur nous l’emporter aujourd’hui :
Nous n’avons pas le bec affilé comme lui.
Madame…
Vos discours, quoi que vous puissiez dire,
Après ce que j’ai vu, ne me sauroient séduire.
Si pourtant mon estime a de quoi vous toucher,
Il vous reste un moyen de vous en rapprocher.
Laissons-là cette fille à qui je m’intéresse ;
Un soin plus important vous regarde & vous presse.
Angélique n’a plus de ressources qu’en moi.
De vos biens la pitié réclame un autre emploi.
La dernière infortune accable votre père ;
J’ai vu sa gratitude, & sa vertu m’est chère ;
Imitez-la ; courez l’aider en des besoins
Qu’il n’éprouveroit pas s’il vous eût aimés moins.
Tremblez, laissant l’honneur de ce devoir à d’autres,
Qu’un secours étranger ne prévienne les vôtres ;
Et n’espérez jamais de commerce entre nous,
Qu’autant que ce jour même on se louera de vous.
Scène XI
Messieurs, excusez-moi, si j’entre sans mystère.
Madame attend sans doute ici monsieur leur père ;
Il est à la maison, où je l’ai fait asseoir,
Fatigué, foible, triste, & comme au désespoir.
Vous serez obéie ; & mon cœur se résigne…
Je ne vous parle plus que vous n’en soyez digne.
Scène XII
Nérine ! Un petit mot.
Oh ! Madame a raison.
Soyez honnêtes gens, ou point de liaison.
Tu veux moraliser ? La singerie est bonne.
Oui, j’aime la morale.
Est-ce elle qui t’ordonne
De te faire payer des gens pour les trahir ?
J’aime à la débiter, & non pas à l’ouïr.
Oh ! Je te tiens. Voyons, que pourrois-tu nous dire ?
Mille choses pour une.
Entre autres ?
Quel martyre !
Mais vous m’estropiez !
Tu n’échapperas pas.
Nous imaginons peu ce que tu nous diras.
Quoi que je pusse dire, on ne me croiroit guère.
C’est que tu mentirois.
Non, je serois sincère.
Voyons, parle : on t’écoute.
Eh bien donc, je vous dis
Que, si je l’avois pu, j’aurois fait cent fois pis.
Tous trois.
Fort bien.
Que je suis fourbe, & tant soit peu friponne.
Sur ce point, contre toi, tu n’as déjà personne.
Mais que vous êtes, vous, des tigres, des pervers,
Des arabes, des juifs, des turcs, des ladres verds,
Des cancres… En un mot, s’il faut que je le dise,
Des gens… Fuyons ! J’allois lâcher une sottise.
Scène XIII
La belle retenue ! Elle a trop de bonté.
L’impudente !
La masque !
Elle m’a démonté.
Mais vous, que sentez-vous encor pour la comtesse ?
Plus d’amour que jamais.
J’ai la même foiblesse.
Elle est de qualité ; cela flatte mon goût.
Une belle bourgeoise est belle, & puis c’est tout.
Mais, dans la qualité, que d’appas j’imagine !
Qu’une femme bien noble a je crois la peau fine !
Je m’y figure un tout si doux, si délicat,
Si… tenez, le vrai beau n’est pas du tiers-état.
Oh ! Bien, renoncez-y tous deux ; car je l’adore :
Sa colère à mes yeux l’embellissoit encore.
Je vois bien à quel prix on sera son époux :
Mon père apparemment la trompe ainsi que nous ;
Elle a l’esprit frappé de sa ruine entière ;
Quand on sera plus riche, elle sera moins fière.
Elle a raison ; l’utile, en ce siècle fatal,
Marche avant l’agréable…
Scène XIV
Eh bien ! Notre féal ?
Nous triomphons ! Je suis au fait de nos affaires ;
Et vous en fais dans peu les témoins oculaires.
Mon père, de caissier s’est fait donner l’emploi.
Par vingt commissions il se défait de moi.
Pour compter son argent cherchant un sûr asile,
Et, voulant au logis rester seul & tranquille,
Il m’en fait déposer les clefs en m’en allant.
Mais ce passage échappe à son œil vigilant.
Sortez par ce degré ; vous en savez l’issue :
Par une fausse-porte il descend dans la rue ;
J’irai l’ouvrir : sortez ; et, rentrant par mes soins…
Jeannot !
Mon père !
Acoute !
On y va !
Je vous joins.
Scène XV
Voici l’instant critique, & le coup de partie,
Mon père ; il faut jouer ici la comédie.
M’an si-je don déjà si mal acquitté ?
Non.
Je suis content de vous. Asseyez-vous là : bon.
Dès que j’aurai toussé, ne tournez plus la tête.
Mais tu me pranra don toujou pour eune bête ?
Rangeons autour de vous tous ces sacs à présent.
Je troqueron st’or-là contre du pu pesan.
Voici le sac de l’oncle où gît notre fortune.
Faites-le bien sonner.
Va-t’en ! Tu m’importune.
Seuleman ver la nasse ameune le poisson ;
Et laisse-moi le soin d’ajancé l’hameçon.
Scène XVI
ça, baillon nou lés ar d’un quaissier d’importance.
Vlà don tou le métié de cé jan de finance ?
En remuan le pouce, i devenon pu gras
Que le puz honnête homme en se rompan lé bras.
Et ça vous est pu fiar que si c’étoit grand chose.
Voyé monsieu Damis, comme i vous en impose.
Stanpandan qu’est-ce au fond ? Rian ! De quoi sarvont-i ?
Je vandon note peine ; eun marchan, dés habi ;
L’artisan sa besogne ; un valet son sarvice :
Eun gendarme sa vie ; eun robin la justice.
Euz en ne vendan rian, sans rian faire, avon tou.
Maugrébieu de la race, & de la race itou !
Chut ! Oui ; c’est le signal : j’entan toussé mon drôle.
çà ! Bridon la bécasse ! & quémançon mon rôle,
Par faire, en mon chapiau, sonnaillé cé louis.
Scène XVII
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neux & dix.
Jarnigoi ! Que d’arjan ! & onze, & douze, & treize.
Qu’i fait bon magnié ça ! quatorze, quinze, seize.
Dix-sept, dix-huit, dix-neuf & vingt. Pezon stilà.
I me paroît légé. Mon trébuchét ? Le vlà.
S’i savion que j’on cian l’arjan à pleine hotte ;
Comme diantre i vienrion nous accolé la botte !
Lé canaille ! & leux père encore en a piquié !
Et dit, s’i s’avision de li faire amiquié,
Qu’i ne seroit pas homme à teni son courage !
Tout ça seroit pour zeux ! Par la morgué, j’enrage !
Hom ! Qu’aveuc mon arjan je serois fier & sec !
Et que je saurois bian leuz en torché le bec !
I zon le cœur de far ; moi, je l’aurois de bronze.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze.
Gnia pu personne. Vlà mon parsonnage fait.
ça n’a pas été mal, & j’en varron l’effet.
ACTE V
Scène I
Mais pourquoi donc cette âme à la douleur en proie,
Quand je ne vois pour vous que des sujets de joie ?
Au comble du bonheur vous vous désespérez ?
En un mot, tout vous rit, madame ; & vous pleurez !
Qui m’interrogeroit sur ce qui vous afflige,
Ne sauroit que penser de ce nouveau prodige.
« Un courrier nous apprend le retour d’un vaisseau,
Qui lui rend des trésors que l’on croyoit sous l’eau.
On vient de lui compter cent mille écus sur table :
Et, depuis ce moment, elle est inconsolable. »
Madame, à ce discours, vous tomberez d’accord,
Qu’on me riroit au nez ; & qu’on n’auroit pas tort.
Je suis riche, il est vrai ; c’est un grand avantage.
De l’un à l’autre état je sens l’heureux passage :
J’ai connu l’indigence ; & qui s’en vit presser,
D’un œil indifférent ne la voit pas cesser.
Mais quels que soient enfin ces biens qui te séduisent,
Je n’en souffre pas moins du faux bruit qu’ils détruisent.
Ce coup irréparable a fait mes vrais malheurs ;
Et l’espace d’un an n’a pas tari mes pleurs.
Ce faux bruit enleva mon père à sa famille.
Il mourut, en pleurant sur le sort de sa fille.
Rien n’égala pour moi son amour paternel ;
Et mon seul intérêt porta le coup mortel.
Aujourd’hui cependant je me trouve enrichie
Du retour de ces biens qui m’ont coûté sa vie :
J’en vais jouir sans lui, Nérine ! Est-ce un bonheur
Si pur que je le puisse apprendre sans douleur ?
L’excellent naturel ! Où sont, pour vous entendre,
Tant d’honnêtes enfants, si peu faits pour attendre,
Qui hâtent dans leurs cœurs d’un vieux père opulent,
L’héritage tardif, & le trépas trop lent ?
Bel exemple, sur-tout pour les fils de Géronte !
Mais de la fermeté sied bien, au bout du compte.
La raison fixe un terme à des regrets si vains.
L’esprit, le temps, l’argent sont trois grands médecins.
L’argent seul ! Est-il mal, excepté l’avarice,
Qu’un si doux élixir n’endorme ou ne guérisse ?
Est-il ennui qui perce à travers un gros bien ?
Ce n’est pas tout encor ; ne comptez-vous pour rien
Le dépit des messieurs qui vous ont méprisée ?
Ils vous trouvent charmante, & vous ont refusée.
Avec une fortune égale à vos appas,
De leur confusion ne jouirez-vous pas ?
Qu’Angélique à présent, démasquant la comtesse,
Se venge ouvertement du refus qui la blesse,
Les plaisante, s’en moque…
Ils sont assez punis.
Non, je ne joindrai point la bravade au mépris.
Maîtresse de ces biens échappés du naufrage,
D’un plaisir plus sensé je me forme l’image ;
Allons-en faire part au père infortuné,
À cet homme d’honneur qu’ils ont abandonné.
Avec quelle bonté, digne ami de mon père,
Nérine, il a d’abord accueilli ma misère !
Avec quelle tendresse & quelle bonne foi,
À ses indignes fils il a parlé pour moi !
Et que n’a pas tenté sa pitié généreuse ?
Mon infortune cesse, & la sienne est affreuse.
Quel plaisir de lui faire, en l’état où je suis,
Rencontrer une amie où lui manquoient des fils !
Voilà, dans ma douleur, tout ce qui me console.
Je brûlois de l’aider ; je le puis, & j’y vole.
Allez, Madame, allez confondre des ingrats.
Hélas ! Ils rougiront, mais ne changeront pas.
Scène II
À Pasquin cependant j’apprête une autre crise.
Le faquin tout-à-l’heure expiera sa sottise.
Il n’est donc pas content d’un père villageois ;
Et monsieur en veut un dans le petit bourgeois !
Nous lui confronterons le bon homme Grégoire.
Qu’il vienne ! Le voici. J’attends l’autre.
Scène III
Victoire !
À ton honneur enfin t’en voilà donc sorti ?
De trois cents mille francs & plus, je suis nanti.
Savent-ils le retour du vaisseau d’Angélique ?
Oui. J’ai fait venir même, en menteur méthodique,
Tout l’or, qu’ici leurs yeux ont cru voir en monceau,
D’une part que leur père avoit dans ce vaisseau.
À peine leur en ai-je annoncé les nouvelles,
Qu’ils ont volé chez eux, pleins du plus beau des zèles ;
C’est à qui fera mieux. Mais, chez nous revenus,
Comme ils nous recevoient nous les avons reçus.
On n’entroit point. Chacun, pour prévenir son frère,
De l’oncle a mendié, sous main, le ministère ;
Le cher oncle est chargé par ses dignes neveux,
En faisant leurs présents, de bien plaider pour eux.
Il ne manquera pas d’être, dans cette affaire,
Aussi bon avocat que bon dépositaire.
Et la cause & l’argent sont en très bonne main.
On tient mes garnements ; & je te venge enfin,
Pauvre père aveuglé si longtemps sur leur compte !
Puissent-ils en crever de dépit & de honte !
J’aime à te voir des mœurs.
Des mœurs ? Oui, oui, j’en ai !
C’est qu’on se sent toujours de ce que l’on est né :
Tu me le disois bien.
Eh ! Laissons la naissance.
Comme tu vois, sur eux elle a peu de puissance.
C’est que j’ai de l’honneur ; & voilà le grand point.
Ce grand point est plus sûr quand à l’autre il est joint.
Tel est ton sentiment ; mais ce n’est plus le nôtre.
Quoi qu’il en soit, en toi j’aime à voir l’un & l’autre.
Quoi qu’il en soit, veux-tu de moi tel que je suis ?
Oui ; mais je ne fais point de faux pas, si je puis.
Qu’appelles-tu, faux pas ? Qui te parle d’en faire ?
Tout-à-l’heure veux-tu venir chez le notaire ?
Tu m’entends mal aussi : ma crainte est que
Aujourd’hui mon époux, ne le soit plus demain.
Sur quoi peux-tu fonder ce que tu t’imagines ?
Sur l’inégalité de nos deux origines.
Consultons-en Grégoire.
Oh ! Non, non ; laissez-moi.
Demeure ici. Je veux lui parler devant toi.
Scène IV
Mais drès que tu me vois, tu fui comme la foudre.
Demeurons, puisqu’il faut tôt ou tard s’y résoudre.
Par ce que t’és féru de ste grosse gâgui ?
Gnia pa gran mal à ça ; sis-je eun je ne sai qui ?
Est-ce que tu me pran pour eun fagot d’épeine ?
Loin de t’en vouloir mal, je veux que tu la prenne.
Votre avis seroit-il, s’il étoit assez fou…
Mon avi, s’i te pran, c’est de le prande itou.
J’accepte le marché ; mais c’est pourvu qu’il tienne.
ça tiant pu qu’on ne veut ; va, n’en sois pas en peine.
Si je redevenois fille dans quelque temps ?
Fille ?
Oui ; je ne suis rien, je n’ai rien, & je prends
L’héritier & l’aîné d’un procureur très riche !
Si la chicane un jour de son lit me déniche ?
Qui ? Li ! Note Jeannot mourra comme il est né,
D’eun bon gros paysan l’héritier & l’aîné.
Il est à moi.
Quel conte !
Oui, si vous plaît, Madame.
Il est fils d’un brave homme & d’eune honnête femme.
Li, fils d’eun procureux ! Fi don ! En a-t-il l’air ?
Trouvé-vous qu’i ressemble à l’ouvrage d’eun clair ?
Toi, défan don ta cause.
Il auroit trop de peine
À plaider contre vous.
Ouf ! La fâcheuse scène !
Conte moi ! Queman don, li-même auroit dit ça !
Vas, Jeannot ! Ce n’est pas ce qui nous brouillera.
J’en veux d’autant plus même être de tes amies,
Que je n’ai plus de peur que tu te mésallies.
Adieu.
Scène V
Fi, le vilain, qui me renie ! Encor
Si c’étoit pour un comte, ou queuque autre milor !
Mais pour se dire issu d’où ? De qui ? D’eune race
Don tout le reluisan ne vau pa note crasse.
Ma foi non ! Maintenant je pense, en vérité,
Que ce que j’en ai dit c’est par humilité.
Va te caché, aveuc ta sotte suffisance !
Vla don pourquoi mon drôle évitoit ma présence !
Tu rougis du saro don ton père est couvar !
Eh ! Va, va, mon saro vau bian ton habit var.
Et pis, devan lé jans, je fon le bon apôte !
Tené, le brave enfan, qui veu parlé dez-aûte !
Eh ! Je vous ai bien dit que je ne valois rien.
Oui, je suis un maraud, un misérable, un chien,
Digne… je ne sais pas de quoi ! De cent nazardes.
Je serai contre moi désormais sur mes gardes.
J’étois garçon d’honneur, si jamais il en fut ;
Mais près de nous le diable est toujours à l’affût.
Si vous saviez combien, maudissant ma sottise,
J’ai fait de mauvais sang depuis qu’elle est commise !
Le mal que je m’en veux…
Parles-tu tou de bon ?
Oui ; c’est du fond du cœur.
Note maîte a raison.
Je ne son que dé sot ! Lé pandar ont biau faire,
Et n’ête pa no fils ; je son toujou leux père.
Oh bian ! J’oubliré tou : mais c’est aveuc le tams,
Et ça, quand tu m’aura dévalizé no jans.
Fai nous, su ce qu’izon, faire au plutôt main-basse.
Ta paix est faite alors ; sinon…
Je tiens ma grâce !
Le frère de Géronte est, depuis un instant,
Gardien d’un dépôt dont vous serez content.
L’avide financier, d’une main de forfante,
Lâche, en de bons contrats, trois mille écus de rente.
Tiron toujou. Après.
On a de l’auditeur,
Quarante mille écus en billets au porteur.
N’a-t-on du capitaine ancor que dé paroles ?
Un coffret plein de neuf ou dix mille pistoles.
En est-ce assez ?
Après cet acte de vartu,
Vian ! Je t’ambrasserois, quand tu m’aurois battu.
Et de sa faute, au fond, qui veut on qui soit cause ?
C’est le mauvais exempe, & ce n’est autre chose.
Eh ! Messieux de la ville, aveuc vos mœurs du tams,
Que vous nous gâté bian tous nos pauves enfans !
Je vous lés envoyon bons, simpes, sans malice,
Vous nous lé déniaisé ; mais c’est aveuc dé vice.
Oh ! Bian, bian, guieumarci, j’avon quasiman tou ;
Et, de note côté, je tenon le bon bou.
De conte-bleu, Géronte a traité l’entreprise,
Allon li montré… non ; retardons la surprise.
Vian ! De la réussite i ne faut nous targué
Qu’à la barbe de ceux que je voulons nargué.
Scène VI
De mes offres en vain vous voulez vous défendre.
Je ne vous quitte point.
Je ne veux rien entendre.
Songez de quels malheurs vos jours sont menacés.
Ma maison de campagne existe, & c’est assez.
Ce bien me suffisoit ; il me suffit encore.
Et j’y cours enfermer l’ennui qui me dévore.
Ce bien peut vous manquer par des coups imprévus.
Vous comptiez sur vos fils, & vous n’y comptez plus.
Non, Madame ; & c’est-là ma perte irréparable.
Garantissez-vous donc d’un sort plus déplorable ;
Prévenez un état dont j’ai longtemps gémi,
Où je vous ai trouvé si véritable ami.
Vous seul aurez-vous eu de la reconnoissance ?
Le ciel a-t-il remis ces biens en ma puissance,
Pour me voir emporter le reproche au tombeau,
D’avoir eu, sans le suivre, un exemple si beau ?
L’amitié de mon père étoit plus engageante.
Qu’il revive en sa fille !
Ô trop heureux Argante !
Oui ! Tu revis en elle, & tu m’en vois jaloux.
Généreuse Angélique ! Adieu, séparons-nous.
Quel horrible surcroît seroit-ce à ma misère,
Que je vous dusse encore autant qu’à votre père ;
Moi, qui rougis déjà de vous voir aujourd’hui
Ne tenir rien de moi, quand je tiens tout de lui !
Le ciel a fait pour vous ce que je voulois faire.
Votre prospérité me tient lieu de salaire.
N’honorez plus ces lieux d’un aspect si charmant :
Fuyez-nous pour jamais ! Quelquefois seulement
Souvenez-vous de moi, dans le cours d’une vie
Dont la félicité fit ma plus chère envie ;
J’aurois fait aujourd’hui moi-même ce bonheur ;
Mais j’étois sans fortune, & mes fils sans honneur.
Je ne vous parle plus que devant ces barbares.
Par une offre si juste, & des refus si rares,
Inspirons, ou du moins faisons-leur concevoir,
Vous, le mépris des biens ; moi, l’amour du devoir.
Réduisons aux remords l’avarice inhumaine !
J’attends qu’ici bientôt l’intérêt les ramène.
De votre faux malheur ils sont désabusés :
Et, dans l’espoir des biens qu’on vous a supposés,
Il n’est procédé noble à présent qui leur coûte.
Oseroient-ils paroître ?
Oui : se flattant sans doute
Que vous ne les croyez encore instruits de rien.
Et moi, je ne veux plus avec eux d’entretien.
Les voilà.
Je les fuis.
Scène VII
Écoutez-nous, mon frère,
Ces messieurs se plaignant d’une injuste colère,
M’engagent à venir intercéder pour eux.
Que reprochez-vous donc à ces fils généreux ?
Ils n’ont rien, disent-ils, qu’ils ne vous sacrifient :
Pour moi, je l’avouerai, leurs bons cœurs m’édifient ;
Et c’est pour qui vous aime un spectacle bien doux,
De les voir à l’envi se dépouiller pour vous.
Ai-je donc mérité cette rigueur outrée
Qui m’a de la maison fait refuser l’entrée ?
Il est des médisants qui vous font soupçonner
Que j’étois un infâme à vous abandonner ?
Nommez-les moi, nommez !
Voilà Grégoire ; approche !
Tantôt, pour me purger d’un injuste reproche,
N’ai-je pas sur le champ fait offre de mes biens !
Qui de nous, le premier, a présenté les siens ?
Ouf ! Ma piau n’en peu mais.
Dédis-moi, si tu l’oses !
Parle !
Oh ! Pour ça, monsieu, i-zon bin fai lé choses.
Je n’atteste personne en ce juste conflit :
Mon père me connoît ; & cela me suffit.
Je devois, il est vrai, d’abord & sans réplique,
M’offrir à votre gré pour époux d’Angélique.
Mais, mon père, excusez ; j’aimois : & dans un cœur,
De la raison l’amour est aisément vainqueur.
Cette raison bientôt est rentrée en mon âme ;
Et j’en dois le retour à vos bontés, Madame.
Oui ; j’ai sur vos leçons mûrement réfléchi.
Et de mes premiers fers par vous-même affranchi,
Je viens…
Tout beau ! C’est moi qui le premier m’explique,
Et qui veux, s’il vous plaît, épouser Angélique.
Oui ! Tantôt, malgré moi, vous m’en faisiez l’époux !
Et c’est moi qui veux l’être à présent malgré vous.
Vous me la destiniez ; c’est à moi qu’elle est due.
Mandez-lui qu’elle vienne ; & je l’épouse à vue.
J’aimois ailleurs aussi ; mais cela n’y fait rien.
Vous savez donc, messieurs, qu’Angélique a du bien ?
Enfants dénaturés, que tout le monde abhorre,
Qu’ainsi que le refus, ce retour déshonore !
Lâches ! Qu’attendez-vous d’Angélique & de moi ?
Vous voulez, à l’envi, lui donner votre foi !
Armez donc votre front d’une audace nouvelle.
Savez-vous devant qui vous parlez ? Devant elle.
Voilà cette Angélique offerte à votre choix,
Et que vous offensez pour la seconde fois.
Flattez-vous maintenant d’un espoir légitime ;
Cherchez mon entremise, & briguez son estime.
Lorsque, dans ses malheurs, un père vous l’offroit,
Il falloit disputer alors à qui l’auroit !
D’appas & de vertus un si rare assemblage,
Serait de l’un de vous à présent le partage ;
Mais votre âme n’a pu jusques-là s’élever,
Quand pour vous, contre moi j’ai pu me soulever :
Car enfin, je l’aimois : elle y pouvoit répondre :
(Pardonnez un aveu qui sert à les confondre.)
Oui, cruels ! En secret pour elle je brûlois
D’un véritable amour que je vous immolois.
Vos refus m’ont fait perdre un si grand sacrifice :
Qu’à jamais vos refus fassent votre supplice !
La nature sur elle a répandu ses dons ;
Et la fortune y joint les siens. Nous la perdons.
Triomphez du dépit qui s’élève en leur âme ;
Vous êtes bien vengée. Adieu, partez, madame !
Allez, loin des ingrats, vous choisir un époux,
Moins méprisable qu’eux, & plus digne de vous.
Non, non : je dois, monsieur, vous prendre pour modèle.
À l’exemple d’une âme & si grande & si belle,
Je leur pardonne, & veux fixer ici mon choix.
Ah ! Que prétendez-vous ? Détestez-les tous trois !
Point d’égard pour mon sang ! Je ne suis plus leur père.
Vous le redeviendrez quand je serai leur mère.
Je voulois partager mes biens entre nous deux :
Je vous les livre tous, & moi-même avec eux.
Et vous-même ! Ah ! Madame ! ô bonté magnanime !
De mon père, en ceci, le pur esprit m’anime.
Pleine de sa mémoire, il me semble aujourd’hui,
Qu’en m’unissant à vous, je me rejoins à lui.
Voilà pour mes neveux un trait bien exemplaire.
Vous plairoit-il, Madame, attendant le notaire,
Aller vous reposer dans cet appartement ?
Nous vous suivons, mon frère & moi, dans le moment.
Scène VIII
Assurez sur les biens que l’on vous restitue,
Son douaire, & la dot qu’elle se constitue.
Et vous, une autre fois, soyez plus connoisseurs
Au choix que vous ferez de vos intercesseurs.
Pensez-vous qu’aveuglé sur votre caractère,
Tout le monde ait pour vous les yeux de votre père ?
Vos lâchetés sans doute espèrent l’adoucir ;
Mais, près de moi, jamais n’y croyez réussir.
Tous mes biens, après moi, devoient être les vôtres.
N’y prétendez plus rien, ni les uns ni les autres ;
À l’aimable Angélique ils sont abandonnés.
Et vous allez encore être plus étonnés.
Ce vaisseau revenu, ce courrier, ces richesses,
N’étoient, je vous l’apprends, que d’honnêtes finesses,
Pour lui faire accepter les dons que je lui fais ;
Elle a cent mille écus déjà de mes bienfaits.
Sa façon d’en user la rend digne du reste.
Vous avez trop suivi votre penchant funeste.
Angélique & mon frère ont des vertus sans prix.
Ils sont récompensés, & vous êtes punis.
Vla le sac aveuc quoi j’avon fait no recrue,
Et le biau filet d’or où j’avon pri lé grue.
Léz aute sacs, messieu, qu’ou reluquiois de loin,
En lieu d’or & d’arjan, n’étion plein que de foin.
I vous ressemblion : fausse & belle apparance.
Vote père dans vous boutoit son espérance ;
Il a vu dans le fond que vous ne valiois rian.
Vous revla sous sa coupe : adieu ; porté vous bian.
Malheureux ! Je vous plains, tout ingrats que vous êtes,
Je n’ai point rassemblé tant de coups sur vos têtes.
Accusez-en des cœurs indignés contre vous,
Et touchés du malheur où vous me laissiez tous.
Allez ! Je veux encor disposer en bon père,
De ce que vous avez déposé chez mon frère ;
Ce que je vous enlève en cet heureux moment,
Suffit, & par delà, pour votre châtiment.
Comme dans le péché leur âme est endurcie !
Voyez si seulement un d’eux me remercie.
Scélérat ! Que penser de tout ce que je vois ?
Qu’on vous jouoit.
Et qui !
L’oncle, Nérine…
Et moi.
Vous en serez payés selon votre mérite.
Morbleu ! N’avancez pas, ou je vous déshérite !
Peut-on plus outrager, & de plus de façons ?
En effet, nous voilà de fort jolis garçons !