Les Fleurs du mal/1868/Chant d’automne
172 : LES FLEURS DU MAL.
LVI
CHANT D’AUTOMNE
Bientdt nous plongerons dans les froides ténébres; Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! Yentends déja tomber avec des chocs funébres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout Phiver va rentrer dans mon étre : colére, Haine, frissons, horreur, Jabeur dur et’ forcé, £t, comme le soleil dans son.enfer polaire,
Mon cceur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.
Yécoute en frémissant chaque bache qui tombe; L’échafaud qu’on batit n’a pas d’écho plus sourd. Mon esprit est pareil & la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd. .
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.…
Pour qui ? — C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
II
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
Et pourtant aimez-moi, tendre cœur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.
Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !