Les Frères Zemganno/77

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G. Charpentier, éditeur (p. 350-352).

LXXVII

Le jour impatiemment attendu, où Nello devait enfin sortir de l’immobilité et de l’horizontalité gardées pendant près de deux mois, Gianni faisait la remarque que leurs chambres étaient bien petites, qu’il faisait un beau soleil dehors, et lui proposait de tenter son premier essai de marche dans le pavillon de musique. Gianni allait le balayer lui-même, le débarrassait de toute herbe, de toute pierre, de tout gravier, sur lesquels son frère pouvait glisser. Alors seulement il apportait Nello là, où tous deux, l’été passé, s’étaient donné de si charmants concerts. Et le jeune frère commençait à marcher, son aîné à côté de lui, et le suivant pas à pas, et prêt à l’enlever dans ses bras, si les pieds de Nello venaient à faiblir, à tourner.

« Est-ce drôle tout de même, — s’exclamait Nello sur ses béquilles, — il me semble que je suis un tout petit enfant… que je commence à marcher… là, pour la première fois… mais c’est vraiment très difficile de marcher, Gianni… comme c’est bête… ça paraît si naturel… quand on ne les a pas eu cassées… les jambes !… Et, puis tu crois peut-être que c’est commode à manœuvrer ces machines ?… oh mais, non !… quand je suis monté sur des échasses, sans savoir… ça allait mieux… c’est moi, par exemple, que cela gênerait, s’il y avait du monde pour me regarder… dois-je avoir l’air assez chose… oh ! ah ! ah ! oh ! diable ! diable !… on dirait que la terre n’est pas solide… attends ça va se remettre… ça ne fait rien… c’est du coton, mes pauvres jambes ! »

Et c’était vraiment pénible de voir l’effort et la difficulté de ce jeune corps pour se tenir en équilibre sur ses pieds maladroits, et les timidités et les hésitations et les petites peurs qui lui venaient dans le travail pénible et basculant de mettre un pied devant l’autre, ou plutôt de faire un pas avec toujours le pied de la jambe la plus malade en avant.

Mais Nello s’entêtait à marcher quand même, et ses pieds, malgré leur manque d’aplomb, reprenaient un peu leur habitude d’être des pieds, et cette petite victoire amenait la joie dans les yeux du blessé, et le rire dans sa bouche. « À moi, Gianni, je vais tomber ! — s’écriait-il tout à coup en plaisantant, — et quand le grand frère effrayé l’entourait de ses bras, approchant la joue de sa bouche, il embrassait cette joue avec un petit mordillement de jeune chien.

La soirée fut toute rieuse, toute égayée du bavardage joliment jaseur de Nello, qui disait qu’avant quinze jours, il irait jeter ses béquilles dans la Seine, au pont de Neuilly.