Les Frères de la Bonne Trogne (De Coster)/11

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Imprimerie de F. Parent (p. 11-13).
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XI.


Or une nuit où luisaient seulement aucunes étoiles et un petit la lune, accourut, courant le grand pas, à Uccle, maître André Bredael, tout épuisé de souffle.

Il venait donner avis, qu’étant d’aventure caché derrière un buisson le long de la route de Paris, il avait ouï passer une troupe d’hommes laquelle il pensait être celle de la Dent de fer, car il avait vu le casque du maroufle.

Cependant que les brigands étaient arrêtés sur le chemin pour soi repaître, il leur avait ouï dire qu’ils s’en allaient de ce pas à Uccle quérir bon butin et faire grand chère, mais qu’il leur fallait quitter la grand route pour les petits chemins, afin de n’être point signalés. — Maître Bredael pensait qu’ils déboucheraient derrière l’église.

Étant ainsi instruit, il était venu à Uccle par la route de Paris, devançant les brigands de bien une demi lieue et voulant avertir les bourgeois de se bien armer pour recevoir ces malvoulus fermement.

Doncques il s’en vint frapper à la porte de la maison de la commune pour y faire sonner la cloche ; mais nul n’ouvrit, car le garde étant frère de la Bonne Trogne, dormait comme les autres vaillants hommes. André Bredael chercha autre moyen. — Doncques il cria si fort par les rues : Au feu ! au feu ! Brand ! brand ! que toutes femmes, vieux hommes et enfants s’éveillèrent en sursaut.

André Bredael s’étant bien fait connaître, les supplia de descendre sur la place, ce qu’elles firent. Les voyant toutes près de lui, il leur prédit la proche venue de la Dent de fer, et enjoignit à chacune d’aller éveiller son mari.

Las, monsieur dirent-elles toutes, c’est chose impossible, car depuis longtemps jà, ils sont comme morts la nuit, et à peine, si l’ange de Dieu venait, les pourrait il éveiller. Ha ! faut-il qu’après nous avoir délaissées, ces vilains buveurs nous aillent encore faire mourir.

— Ne plourez point dit André Bredael, ce n’est l’heure. — Aimez-vous ces maris ?

— Oui, dirent-elles.

— Et vos fils ?

— Oui, dirent-elles.

— Et vos fillettes si gentes et si mignonnes ?

— Oui dirent-elles.

— Et vous les défendriez voulentiers ?

— Oui, dirent-elles.

— Adoncques ajouta Bredael, allez quérir les armes de ces dormeurs et me venez joindre ici vitement. Nous aviserons au moyen de nous défendre bien.

Bientôt revinrent les femmes avec les arcs de leurs maris. — Et ces arcs étaient grandement renommés par tout le pays, pour ce qu’ils portaient plus loin et plus dru que d’autres.

Puis vinrent aussi sus la place garçonnets de douze ans et un peu davantage et aucuns braves vieux hommes, — mais les femmes les firent au logis retourner disant qu’il leur fallait garder la commune.

Elles se tenaient toutes sur la place y parlant avec grande ardeur et courage, mais sans nulle jactance et tout de blanc vêtues, jaques, robes et chemises ; ainsi que sont de coutume aux femmes accoutrements de nuit ; mais à cette fois ce fut par spéciale faveur de Dieu comme vous l’allez voir.

Wanlje qui était là aussi, bien hardie et délibérée, dit subitement qu’il fallait prier. Et ensemble toutes les femmes se mirent à genoux dévotement et la fillette parla ainsi :

« Madame la Vierge qui êtes reine ès cieux, comme madame la duchesse est reine en ces pays ; considérez humblement prosternées devant vous, de pauvres femmes et filles, auxquelles par suite de buverie de leurs maris et parents, il faut de présent faire devoir d’homme, et soi armer en guerre, — Si vous vouliez seulement un petit supplier Monseigneur Jésus de nous être secourable nous serions bien assurées de vaincre. Et nous vous baillerions en reconnaissance, belle couronne de fin or, avec rubis, turquoises, diamants, belles chaînes d’or, belle robe de brocard toute fleurie d’argent et autant pour Monseigneur votre fils. Adoncques priez pour nous, madame la Vierge. »

Et toutes ces bonnes femmes et fillettes de dire après Wantje : « Priez pour nous, Madame la Vierge. »

Soudain se relevant toutes, elles aperçurent une belle et claire étoile descendant du ciel en la terre, tout proche d’elles et c’était bien sûrement un ange du bon Dieu qui se laissait choir ainsi du paradis et se tenait tout proche pour les mieux pouvoir assister.

Considérant ce bénin prodige, les bonnes femmes prirent encore plus grand courage et Wantje parla encore et dit :

« Madame la Vierge nous veut écouter, — j’en ai bonne espérance — allons maintenant à l’entrée du village, proche l’église et de notre Seigneur y enfermé — (ci toutes se signèrent) y pour attendre la Dent de fer et ses compagnons bravement. — Dès que nous les verrons venir, il nous faut sans parler ne bouger du tout, tirer sur eux. Madame la Vierge conduira les flèches. »

« C’est bien parlé, brave fillette, dit maître Bredael, allons. — Je vois à tes yeux brillants dans la nuit, que l’esprit de Dieu, qui est de feu, est dans ton cœur de pucelle. — Il la faut écouter, bonnes femmes. »

Oui, oui, dirent-elles.

La féminine armée s’alla ranger sur le chemin derrière l’église.

Attendant là, perplexes et anxieuses grandement, elles ouïrent bruit de pas et de voix grossissant à mesure, ainsi que font gens qui s’approchent.

Et Wantje dit : « Madame la Vierge, ils viennent, ayez pitié de nous. »

Lors une grande troupe d’hommes, parut devant elles portant lanternes. Et elles ouïrent une voix horrifique de diable enroué s’écriant : Sus amis, Sus ! Butin à la Dent de fer.

Mais voici subitement toutes ces bonnes femmes de tirer leurs flèches commodément, les maroufles étant par leurs lanternes éclairés et elles, cependant qu’elles restaient en l’ombre, les voyant comme au clair jour. Deux cents tombèrent, aucuns ayant flèches en la tête, autres au col et plusieurs, dans le ventre.

La Dent de fer fut le premier que les bonnes femmes ouïrent avec grand fracas choir, à cause que Wantje lui avait tiré une flèche, laquelle lui était entrée en l’œil subtilement.

Aucuns n’étaient point blessés, mais avaient la conscience trouble, et considérant tous ces habits blancs, ils pensèrent que c’étaient les âmes de ceux qu’ils avaient fait passer de vie à trépas, lesquels par permission de Dieu se venaient venger d’eux. — Ils tombèrent le visage contre terre, comme morts par peur, et s’écriant lamentablement : Merci Seigneur Dieu, faites rentrer en enfer, ces fantômes.

Mais voyant les bonnes femmes venir sur eux, la peur leur donna du nerf aux jambes, et ils s’enfuirent le grand pas.