Les Gaietés/Ariane et Bacchus

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Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 23-29).


ARIANE ET BACCHUS,

POT-POURRI.



Sur le compte de son Thésée
Qui l’abandonnait dans Naxos,
Ariane désabusée,
Faisait retentir les échos.
« Aucun homme, hélas ! disait-elle,
« Ici ne se montre à mes yeux !
« Pleurons, pleurons mon infidèle,
« Je n’ai rien à faire de mieux. »



« Mes regrets n’auront point de terme,
« Tout le rappelle à mon amour.

« Voici l’ombrage où, tendre et ferme,

« Douze fois il me fit sa cour. « Ici, par un effort superbe, « Il usa de précaution, « Et je crois voir encor sur l’herbe « Les traces de sa passion. »



« Depuis que je pleure,
« Combien de fois par heure
« Ai-je bâillé !
« Mon cœur en fait la moue,
« C’est en vain que je joue
« Au doigt mouillé. »


Air : Mirliton, mirlitaine.


À ce jeu de filles sages
Elle s’amusait grand train,
Lorsqu’au loin dans ces parages
Retentit un gai refrain.

Ariane, vers la rive
Tourne un regard langoureux ;
Est-ce un mirliton, dit-elle, qui m’arrive,
Est-ce un mirliton ou deux ?


Air : La prétentaine, la pretenton.


Buvons, buvons,
Le vin convie ;
Nous le pouvons,
Menons joyeuse vie :
Buvons, buvons !

En débarquant dans ces lieux,
Ainsi Bacchus et sa troupe
Chantaient ce refrain joyeux
Et buvaient à pleine coupe.

Buvons, buvons,
Le vin convie ;
Nous le pouvons,
Menons joyeuse vie :
Buvons, buvons !

Moquons-nous des insensés
Qui censurent nos folies ;
Satyres nerveux, dansez ;
Dansez, bacchantes jolies !

Buvons, buvons,
Le vin convie ;
Nous le pouvons,
Menons joyeuse vie :
Buvons, buvons !


Allons, guidés par Bacchus,
Nous que l’amour accompagne,
Faire à Paris des cocus,
Et vendanges en Champagne.

Buvons, buvons,
Le vin convie ;
Nous le pouvons,
Menons joyeuse vie :
Buvons, buvons !



Venaient des gens déguenillés
Avec tambours de basque,
Qui de vin s’étaient barbouillés
Pour plaire au dieu fantasque ;
Tous, le thyrse en main,
Troussaient en chemin
De ces beautés que j’aime,
Et pour faire mieux,
Plus d’une à leurs yeux
Se troussait elle-même.



Près de Silène gaillard,
On voyait paraître
Maître Adam, Piron, Panard,
Et Collé, mon maître ;

Mais nul de ce joyeux corps,
Aux yeux d’Ariane alors,
Pour les airs grivois,
N’égalait en voix,
En vigueur,
En longueur,
En force d’haleine,
L’âne de Silène.



Bacchus voyant qu’elle est à sec
Veut la rendre à la vie,
Par un foutre ! il lui dit en grec :
« Belle, j’en meurs d’envie. »
Elle juge, à l’air de son chef,
Qu’il n’est pas toujours aussi bref ;
Vite elle répond par un f….. :
« Monsieur, j’en suis ravie, »



« Es-tu pucelle ? dit Bacchus.
« — Je crois, monsieur, ne l’être plus.
« — Si je te fais cette demande,
« C’est que ma taille est forte et grande, »
La belle ne s’effrayant pas,
Dans sa barbe riait tout bas,
Et dit : « Monsieur, lorsque j’ai le teint jaune,
« J’en voudrais avoir le long, le long de l’aune ;
« J’en voudrais avoir le long de l’aune. »



Bacchus, peu propre aux longs discours,
A défait sa bretelle ;
Trois fois il boit à ses amours,
Puis il fond sur la belle ;
Buveurs et catins, près d’eux,
Sur l’herbe tombent par deux,
Et le père Silène,
Que Vénus secourait en vain,
Frappant sur sa bedaine,
Chantait le dieu du vin.



Amis, Bacchus vendange,
Et pour aide, en ce jour,
Prend l’Amour ;
La grappe qu’il arrange
Dans un cuvier profond,
Touche au fond.

Vendangeurs, que le vin coule
Lorsqu’a cessé le cours
Des beaux jours
Où l’on fou…le.

Bacchus et son amante
Pressent à tours de reins

Les raisins ;
Du cuvier qui fermente
On voit du vin qui sort
Par le bord.

Vendangeurs que le vin coule
Lorsqu’a cessé le cours
Des beaux jours
Où l’on fou…le.

Ariane abreuvée
De ce jus enivrant,
En reprend ;
De cuvée en cuvée,
Bacchus fou…le plus fort,
Sans effort.

Vendangeurs, que le vin coule
Lorsqu’a cessé le cours
Des beaux jours
Où l’on fou…le.