Les Guérêts en fleurs/02

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Éditions Édouard Garand (p. 13-19).


LA MAISON PATERNELLE


 « Angulus ridet »

Horace (Odes, II.)

À mes très chers parents, Filialement.

I

La maison de chez-nous, à mes yeux, toute belle,
Près du verger assis aux abords du chemin
Que baigne la fraîcheur des eaux de l’Etchemin,
Garde en mon cœur, toujours, la grâce essentielle.

Bâtie au bon vieux temps par mon fier trisaïeul,
Pièce sur pièce, avec un soin où se retrace
L’amour ardent du sol conquis à notre race
Par l’honneur qui, chez-eux ne brilla jamais seul.

Et dès lors elle sut, humble et silencieuse,
À l’ombre d’un bel orme, et tout près des oiseaux
Tressant à leurs petits de fragiles berceaux,
Abriter sa famille en son âme pieuse.

Et pour s’être rempli de secrets familiers,
Son cœur anxieux semble attendre, à chaque aurore,
Ses enfants de jadis, qu’elle souhaite encore,
Grouper sur son vieux seuil aimé des peupliers.


Elle s’émeut lorsque, dans la rosée en perle,
Dès l’aube rosissant le sombre firmament,
Les robustes faucheurs regagnent bruyamment
La plaine où le foin mûr en longs flots verts déferle.

Elle se ressouvient des gars du « Grand Coteau »,
De maints autres venus, à l’heure de l’orage,
Attendre à son foyer accueillant, que la rage
Épuisât sa fureur de « poudrerie » ou d’eau.

Ces visages, ces noms que gardent sa mémoire,
Lui chantent le rappel des souvenirs anciens.
Dont la douceur se mêle à la douceur des siens,
Comme un lis blanc jeté sur une blanche moire.

Malgré le temps qui fuit tel un coursier sans mors,
Malgré l’oubli rôdant pour atteindre sa proie,
Sa douce âme d’aïeule en qui chante la joie,
Rajeunit en vivant du penser de ses morts.

De leur austère vie, elle a gardé l’empreinte.
Par elle, leur vertu ne fut pas un mot vain ;
Au pauvre ouvrant son cœur maternel et divin,
Elle en offre à jamais sa tendresse non feinte.

Aussi, quand des beaux jours, l’hiver sonne le glas,
Le miséreux revient comme auprès de sa mère
Chercher l’oubli profond de l’existence amère
Que tant d’affreux regrets attachent à ses pas.

C’est pourquoi la maison de chez-nous toute belle,
Près du verger assis aux abords du chemin
Que baigne la fraîcheur des eaux de l’Echemin,
Garde en mon cœur, toujours, la grâce essentielle.

II

Grandir, aimer, souffrir dans ma bonne maison
Est mon antique espoir que l’heure réalise ;
Je suis né sous ce toit faisant face à l’église,
En paix j’y veux mourir devant son horizon.

Et je voudrais trouver des phrases caressantes,
De ces mots cajoleurs, enivrants et joyeux
Que les amants ravis, des larmes pleins les yeux,
Se disent à mi-voix, les lèvres frémissantes.

Je désire en mon cœur ardent et généreux,
Que malgré mon exil cette vieille demeure
Sache combien je l’aime envers tous, à toute heure,
Pour ses jours de bonheur et ses jours malheureux.

Oui, je voudrais toujours pour exhaler mon rêve,
En un poème heureux, chanter mon toit natal.
Mais, j’ai failli, hélas ! mon poème est brutal,
Et mes vers ne sont plus qu’un long chant qui s’achève.

Qu’importe ! si je dis sans art mon grave amour !
Ce lieu cent fois béni de ma paisible enfance,
Pardonnera, je sais, si ma muse l’offense,
Car, paysan, je suis plus habile au labour.

J’en demeure toujours l’ami sûr et fidèle,
Et j’invoque souvent le divin Créateur,
De m’épargner un jour le remords délateur
De savoir mon logis sous une autre tutelle.

Puisse Dieu me donner, par un labeur constant,
La satisfaction que la joie accompagne,
De voir tous mes enfants dans la douce campagne
Vivre mon humble vie, et, je mourrai content.

III

Ici, rien n’est changé.     Dès que sur la colline
Le soleil en sa gloire émerge du lointain,
Un coq soudain claironne en un appel hautain
La fuite de la nuit qui lentement décline.

Une fenêtre s’ouvre ; et l’on entend alors
L’écho d’un pas furtif aller de chambre en chambre ;
Et, que l’on soit en mai, que l’on soit en décembre,
Du regard « l’habitant » explore les dehors.

L’âtre fume ; le bruit sonore des vaisselles
Annonce les apprêts du repas coutumier.
Ayant mangé, l’on part ! La charrette à panier
Chante, pleure ou gémit aux chocs de ses ridelles.

L’air odorant et pur dilate les poumons.
Cependant qu’en l’obscur paysage des routes
Silhouettes et voix vont se confondant toutes.
Les oiseaux à leurs chants préludent sur les monts.

Un clocher lance au loin sa note d’allégresse,
Note à laquelle, émus répondent le vieillard.
La veuve, le rentier qui vont dans le brouillard,
Piétinant sur la route, assister à la messe.

Et la vie, à cette heure émouvante du jour
Que l’astre échauffe et dore en sa course éphémère,
Marque à l’homme en son cycle, hélas ! sa tâche amère :
Il devra s’y prêter sans honte et sans détour.

IV

Il fait nuit. Des coteaux, reviennent au village,
Tirés par des bœufs las, les grands chars triomphants
Dans lesquels, enfoncés jusqu’aux yeux, les enfants
Semblent des oisillons cachés dans le feuillage.

Parfois, sur les chemins cahotants et pierreux
Jaillissent des éclairs aux sabots des aumailles ;
L’air est vibrant du bruit des chaînes, des ferrailles ;
En arc, la lune monte au lointain ténébreux.

Aux solives des toits, de blanches hirondelles
S’empressent, le bec plein de frêles moucherons ;
Brusquant la paix du soir, là-bas, des forgerons
Sur l’enclume courbés s’entourent d’étincelles.

Une chauve-souris, frôlant d’un vol léger
Le dos velu des bœufs, cherche en vain la lumière
Qui brille aux yeux pensifs d’une proche chaumière,
Où des phalènes d’or reviennent voltiger.

Et bientôt la maison paternelle résonne,
— Comme aux jours éloignés de ses premiers auteurs —
De la voix des enfants, du chant des serviteurs
Assis au coin du feu qui pétille et chantonne.


Mais bien que le sommeil penche leur front hâlé,
Sur leur large poitrine où pend quelque médaille,
Dans l’ombre agenouillés et face à la muraille,
Ils s’inclinent devant un Christ tout maculé.

Et pendant qu’une femme invoque en ses prières
La clémence de Dieu pour les chers trépassés,
Un vieux chapelet roule entre leurs doigts gercés,
Et sa croix de métal rougeoie aux flammes claires.

Puis, avant que la nuit, avec un soin jaloux,
Ne plonge dans son sein les êtres et les choses,
Ils vont, d’un geste ému, baiser, lèvres mi-closes,
Ce Christ qu’ont embrassé tous nos chers morts, à nous

V

Ô morts aimés ! ô morts anciens ! vous dont la vie
Toute de pur amour, d’action, de travail,
Reflète sur la mienne ainsi qu’un clair vitrail,
Le mâle et noble orgueil que mon cœur vous envie ;

Recevez en ce jour le grave et doux serment,
D’un fils qui veut garder une promesse sainte,
La certitude que de votre pied l’empreinte
Se doublera du mien sans faiblir un moment.

Car, l’immuable loi qui régit tous les mondes,
Mit ce culte en mon cœur qui ne doit l’abaisser ;
Et rien jamais, non rien ne pourra l’effacer,
Au sang des miens transmis par vos œuvres fécondes.

À mon tour je serai l’aïeul presque impotent.
Puis, l’heure sonnera, l’heure où la mort fatale
S’emparant de mon corps, à la terre natale,
Comme un juste tribut, me rendra tout content.

Que ma part soit ainsi, ma part sera trop belle !
Mort en léguant aux miens ce toit vieux de cent ans,
Jamais race plus noble en tous ces « habitants »
Ne conservera mieux la maison paternelle.