Les Guérêts en fleurs/08

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Éditions Édouard Garand (p. 39-40).

LES FAUCHEURS


Des ombres de la nuit trouant soudain le voile,
Un soleil radieux émerge du lointain.
Au ciel pâle s’éteint lentement chaque étoile ;
Là-bas, farouche, un coq dit son appel hautain.

Des toits encore ombreux, lente, un peu de fumée
S’élève vers l’azur laiteux du firmament.
La campagne reprend sa vie accoutumée ;
Des étables, parfois, sort un long meuglement.

Enivré de sommeil, sur le seuil de la porte,
Un faucheur matinal, sa main large au-dessus
Des yeux, regarde au loin monter, blanche, l’escorte
Des brouillards où se perd quelque chant d’Angélus.


Devant la vieille grange où s’entassent les gerbes,
Pour les travaux des champs, les bœufs à l’abreuvoir
Attendent sous le joug, imposants et superbes ;
L’homme vaque aux préparatifs de son devoir.

Tout est prêt. On a mis dans la rude charrette
La cruche d’eau, le fouet, les fourches, les râteaux.
« He ! le Noir !… Ho ! le Caille ! !… » exclame une fillette
Gourmandant le bétail à grands coups de cordeaux.

Grinçant, le char s’ébranle. Et la faulx sur l’épaule,
Les faucheurs, devisant s’acheminent aux prés.
Le chien cherche la source où se mire un vieux saule ;
Au loin, le jour blanchit les coteaux diaprés.

L’acier crisse et reluit. La fauchaison commence.
Et les beaux épis d’or s’abattent lourdement,
Avec un long sanglot pareil au bruit immense
Du flot qui, sur les rocs, déferle lentement.

Et sans cesse le blé sur d’autres blés s’écroule.
La plaine vaste semble un grand champ de combat.
Sur le front des faucheurs, lente, la sueur coule ;
Et la moisson toujours sur la moisson s’abat.