Les Habits noirs/Partie 2/Chapitre 13

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Hachette (tome Ip. 383-394).
Deuxième partie


XIII

La baronne Schwartz.


Michel eut trois cents francs d’appointements par mois pour commencer, et une chambre à l’hôtel. On habitait maintenant le second hôtel, déjà, un palais.

En thèse générale, M. Schwartz professait l’opinion que les jeunes gens doivent être tenus en bride et sevrés d’argent, car l’argent, c’est le grand danger de Paris. Mais Michel était le dauphin de sa royauté industrielle ; il se mirait en Michel ; il lui eût semblé malséant que Michel ne fît pas quelque gentille folie.

Michel fit des folies, parbleu ! Tout le monde l’y aida. Au bout de deux mois, il avait des dettes. C’était sa seizième année ; le printemps d’autrefois. Maintenant nous fumons à dix ans ; à seize, chez nous, Lovelace réfléchit, à moins qu’il ne tourne au jockey, ce qui mûrit vite une intelligence.

Michel, notre héros, fut un instant célèbre dans Tout-Paris ; il eut des bonnes fortunes posantes et un duel, je crois, ou deux duels, pour de bons motifs. S’il avait eu goût à la chose, les chroniqueurs du « monde élégant » l’auraient rendu célèbre parmi les modistes. M. Schwartz était bien content de lui. La gloire de Michel rejaillissait sur la maison, qui augmenta loyalement ses appointements.

M. Lecoq fit le reste.

Nous connaissons M. Lecoq de longue date et nous gardons conscience de n’avoir jamais prononcé son nom sans l’entourer du respect qu’il mérite. On ne saurait trop connaître les gens comme M. Lecoq. Ils ressemblent au latin qu’on ne sait jamais assez, même après huit ans de collége.

M. Lecoq avait rempli en sa vie beaucoup de fonctions honorables. Nous l’avons rencontré jadis sous la brillante espèce du commis-voyageur. Il était jeune alors. En voyageant pour le commerce, on fait parfois son stage diplomatique, et ce n’est pas le premier venu qui aurait pu placer comme lui les fameuses caisses à défense et à secret de la maison Berthier et Cie.

Son âge mûr tenait, Dieu merci, toutes les promesses de son début ; il ne voyageait plus, sinon dans Paris, centre des civilisations ; il avait sa maison à lui ; c’était un personnage bien plus important que M. Schwartz lui-même.

Le gibier s’en va de partout ; Paris seul, la forêt de Paris, garde un riche stock de bonnes bêtes à tirer, à courre ou à tendre. M. Lecoq avait, sans bourse délier, la ferme des chasses dans Paris.

Ce n’était pas un usurier, fi donc ! Il ne tenait pas, révérence parler, une fabrique de mariages comme M. Gluant, à qui ses relations dans la haute société permettent d’offrir des dots assorties depuis cinquante écus jusqu’à trois millions : discrétion, décence, célérité, ni fatigue, ni douleur ; cinq ans de garantie, un quart de siècle de succès ; payement après guérison. Non. Il n’avait pas cette industrie mal famée qui s’appelle un bureau de placement ; il ne faisait pas l’exportation ; il ne vendait point de jeunes soldats ; il ne favorisait pas l’émigration allemande ; il ne se livrait pas même à l’élève des ténors.

Non. Du moins aucune de ces jolies choses n’était l’objet particulier de sa patente.

Que faisait-il donc ? Il gérait une agence.

Qu’est-ce qu’une agence ! Je suppose qu’il y a des agences qui se peuvent définir, en y mettant le soin et le temps. On fait ceci ou cela dans telle agence ; chez M. Lecoq, on faisait tout. Les gens bien informés, cependant, prétendaient que ce tout n’était qu’un prétexte pour couvrir une singulière industrie qui allait florissant sous le règne de Louis-Philippe : la petite police. Il y a tant de curieux ! La petite police, qui fut pratiquée à cette époque par un illustre coquin converti et fait ermite, était à la préfecture ce que sont les tripots clandestins aux maisons de jeu autorisées : elle attirait à la fois les timides et les trop hardis.

Des gens mieux informés encore allaient plus loin et disaient que ce commerce de petite police était lui-même un prétexte pour cacher… Mais où descendrions-nous, de prétexte en prétexte ? Le fait est que M. Lecoq avait de très belles relations et qu’il gagnait de l’argent tant qu’il voulait. Il prêtait en gentleman, refusant billets et lettres de change ; Michel lui dut jusqu’à dix mille écus que M. Schwartz paya sans broncher. Il cimentait çà et là quelque union entre personnes comme il faut ; il débrouillait des nœuds gordiens sans canif ni glaive ; il retrouvait les objets perdus sans magnétisme. Quatre pages de prospectus ne suffiraient pas à nombrer ses talents.

M. Lecoq était notoirement un sorcier. Le baron Schwartz ne s’avouait pas encore qu’il voulait employer la sorcellerie pour pénétrer le secret de sa femme, mais il y a des choses qu’on fait et qu’on ne s’avoue pas.

Ce sont même, généralement, ces choses-là qu’on fait le mieux.

M. Lecoq était reçu chez M. Schwartz, qui l’accueillait fort bien ; il y avait entre eux je ne sais quels petits mystères qui n’étonnaient personne, car tout million militant a besoin de son Lecoq.

La chose singulière, c’est que Mme la baronne Schwartz aussi semblait prendre goût à la sorcellerie.

Un matin, M. Schwartz s’éveilla de mauvaise humeur ; cela n’arrivait pas souvent : c’était un homme heureux et d’excellent caractère. Il y avait à peu près un an que Michel était sorti de l’école, et sa faveur touchait à son apogée. Il menait de front en effet le plaisir et les affaires ; c’était sans contredit le plus brillant de ces sous-lieutenants de finances qui ont dans la poche de leur paletot un bâton de maréchal. La première personne qui vint voir M. Schwartz, ce matin-là, lui apprit en riant que Mlle Mirabel était éprise follement de Michel qui lui tenait rigueur.

M. le baron fut triste ; ce n’était pas qu’il aimât Mlle Mirabel ; il n’aimait que sa femme. C’était qu’il passait la quarantaine et qu’après quarante ans, on ne rit plus si aisément à ces comédies.

Il y avait en outre les rigueurs de Michel envers Mlle Mirabel. Michel lui rendait des points : humiliation double.

Au déjeuner, Mme la baronne lui parut si belle qu’il eut un coup au cœur. La baronne, ce jour-là, ressemblait à une femme qui s’éveille d’un long repos d’indifférence. Il y avait des années que le baron ne lui avait vu ce sourire vivant et divin. Ou plutôt, l’avait-il jamais vu ? Il avait beau chercher, il ne s’en souvenait point. Parfois, ces transfigurations sont dans l’œil même de celui qui regarde ; on voit mieux tout à coup, ou du moins on voit autrement ; mais l’humeur de M. Schwartz teignait ce matin en noir tout ce qui n’était pas sa femme ; pourquoi ces rayons, alors, qui faisaient une auréole à la beauté de sa femme ?

Elle parlait peu. Edmée déjeunait auprès de Blanche : le babil des deux enfants lui donnait des sourires distraits. Je ne sais par quelle bizarre association d’idées, M. Schwartz, ce matin, souhaita passionnément de la voir un jour jalouse.

Je sais encore moins par suite de quel singulier travail mental l’injure qui lui venait de cette jolie Mlle Mirabel le frappa du côté de sa femme. Ce sont des nuances difficiles à exprimer : sa tristesse redoubla, par rapport à la défection de Mlle Mirabel, à cause de sa femme.

On prononça le nom de Michel, par hasard ; les beaux yeux de la baronne brillèrent.

Par hasard aussi, c’était vraisemblable, car Mme la baronne n’avait jamais pu prendre au sérieux la haute fortune de notre héros. Elle laissait faire, et c’était tout.

Pourtant, M. Schwartz ferma aujourd’hui la porte de son cabinet, sous prétexte de gros calculs. Il était désolé sans savoir pourquoi ; il avait bel et bien le spleen, comme s’il se fût appelé Black au lieu de Schwartz.

Il n’y avait point de consigne pour Michel ; Michel vint ; M. Schwartz eut soudain l’idée de lui donner une mission pour New-York. Nous affirmons que Mlle Mirabel n’était pour rien là dedans.

Mais le lendemain, il n’y paraissait plus ; M. Schwartz avait besoin de son Michel.

N’allons pas si vite, cependant ; avant le lendemain, il y eut la soirée, et nous ne pouvons perdre cette occasion de glisser un premier regard au fond du cœur de cette belle Mme Schwartz.

Au déjeuner, ses yeux avaient brillé, cela est certain. L’après-midi, elle mena Blanche au bois et fut d’une gaieté charmante. Elle regardait Blanche avec une sorte de ravissement, et Blanche, bien aimée qu’elle savait être, s’étonnait des chères caresses de ce regard. Le temps était couvert ; mais, sur le visage de Mme Schwartz, il y avait des rayons comme par le grand soleil.

Au dîner, elle devint rêveuse ; le soir la trouva triste ; elle se retira dans sa chambre de bonne heure.

« L’estomac ! » dit M. Schwartz.

La prose vulgaire a ses rêves comme la poésie. Et ne pensez-vous pas qu’un homme, parlant d’estomac à propos de ces adorables mélancolies, avait raison, au fond, d’être jaloux ?

En rentrant chez elle, Mme Schwartz fit tout de suite sa toilette de nuit et donna la permission de dix heures à Mme Sicard, sa camériste, qui mit son chapeau de satin mauve, sa robe noire et son châle boiteux pour rendre visite à sa marraine. Souvent la marraine de Mme Sicard porte avec fierté le vaillant uniforme de notre armée, mais n’approfondissons pas ces détails.

Mme Schwartz, restée seule, s’assit au coin du feu dans sa chambre à coucher, et prit un livre. Elle ne l’ouvrit point. Pour occuper les heures de sa solitude, elle avait assez de sa propre pensée.

C’est un livre aussi que le visage d’une femme, un livre clos parfois, quand elle devine l’œil perçant qui veut lire son âme, un livre ouvert à ces moments où nulle défiance ne la garde. Je parle, bien entendu, de celles qui ont quelque chose à cacher ; c’est la majorité immense, car, dans le monde où nous sommes, le bien a besoin souvent de se cacher comme le mal.

Le visage de Mme Schwartz n’était pas un livre fermé : nul ne pouvait, en effet, épier ici les indiscrétions de sa physionomie, elle était sûre de cela. Trois portes la séparaient du corridor et d’épais rideaux tombaient au devant de ses croisées. Avait-elle un masque ? Le masque pouvait tomber.

Elle n’avait pas de masque, non ; le regard doux et distrait de ses grands yeux n’avait point changé, c’était toujours la même tête de madone, admirablement belle et pensive.

Qui eût osé, cependant, affirmer que Mme Schwartz n’avait rien à cacher ?

Sa retraite prenait pour motif la fatigue ; nulle trace de fatigue ne se montrait parmi la superbe pâleur de ses traits ; elle n’était pas malade ; aucun travail, aucun soin ne l’attirait ici. L’estomac ! disait le positif M. Schwartz. Mme Schwartz ne savait pas où était son estomac. Il est un motif plus précieux encore : le caprice ; mais Mme Schwartz, nous le verrons bien, était au-dessus du caprice.

Il y avait un peu trop d’or dans l’hôtel de M. le baron ; dès le temps de Midas, l’opulence tombait volontiers dans ces excès ; l’or s’impose à ses fervents et la fièvre des spéculateurs voit jaune, dirait-on, comme la colère voit rouge. Chez Mme Schwartz, rien ne trahissait la dévotion à l’or ; la richesse, ici, ne s’affirmait point brutalement ; elle offrait aux yeux, mais dans une mesure heureuse et sobre, les choses de goût et d’art. Au marché même, l’or, toujours maître et sans cesse vaincu, n’a pas le prix de ces splendides simplicités. C’était le réduit d’une grande dame.

Nous n’avons garde de décrire en détail l’ameublement de ce nid, somptueux à la façon des beautés pâles, où la galanterie de M. le baron s’était pliée, non sans protester, aux attraits d’un esprit supérieur ; rien n’y éclatait, nul rayon insolent n’y troublait l’harmonie de l’ensemble : tout y charmait.

Nous parlerons seulement, comme on pose un accessoire obligé au théâtre, d’un petit meuble de Boulle, véritable palais en miniature dont l’ébène, l’écaille, l’onyx, le porphyre et les pierres fines étaient les matériaux. Mme Schwartz avait acheté elle-même ce secrétaire, dont M. Schwartz connaissait à fond toutes les gentilles attrapes et tous les rusés secrets, sauf un seul.

Et nous vous disions bien que cette belle baronne avait quelque chose à cacher, puisque son mari, patient, tenace, exaspéré par la longue recherche et sachant mettre de côté toute vaine délicatesse, au besoin, quand il s’agissait de satisfaire une maîtresse fantaisie, essayait inutilement depuis des années d’ouvrir le tiroir du milieu, un tiroir caisse, entouré de malachites, avec un idéal bouquet de pensées que formaient seize améthystes mêlées à six topazes.

De ce tiroir, le triste M. Schwartz n’avait jamais pu entrevoir la clef.

Il y avait plus d’une heure déjà que Mme Schwartz était retirée dans son appartement. Son livre restait fermé, ses yeux demi-clos suivaient avec distraction les jeux de la flamme dans l’âtre. Son visage, à proprement parler, n’exprimait ni inquiétude ni peine, mais sa méditation semblait à chaque instant l’absorber davantage.

« La comtesse Corona ! murmura-t-elle une fois. Je ne sais pas si je hais cette femme ou si je l’aime. »

Machinalement et souvent, elle relevait les yeux vers la pendule pour suivre la marche de l’aiguille. Attendait-elle ? Et qui pouvait-elle attendre en ce lieu ? Elle était belle, plus belle qu’à l’ordinaire, en quelque sorte, belle d’une émotion latente et profonde.

Ce nom de femme, prononcé, le nom de la comtesse Corona trahissait-il le vrai sujet de sa rêverie ?

Elle tressaillit à un bruit de pas qui s’étouffait sur le tapis de la chambre voisine. Deux coups discrets furent frappés à sa porte et l’on entra sans attendre sa réponse. Ce fut M. Domergue qui entra. Il se tint debout à quelques pieds du seuil, dans une attitude calme et respectueuse. M. Domergue pouvait jouer le romanesque rôle de confident, mais il n’en avait pas la tournure.

« Vous venez tard, dit Mme Schwartz.

Mme Sicard est restée quarante-cinq minutes à sa toilette, » répliqua Domergue.

La baronne eut un demi-sourire et demanda :

« Où est-elle ?

— À Chaillot, » répliqua Domergue.

Mme Sicard avait plusieurs marraines, à moins que la marraine de Mme Sicard ne demeurât en divers quartiers. Quand elle allait voir sa marraine de Chaillot, la permission de dix heures se prolongeait jusqu’au lendemain matin.

La baronne fit signe à Domergue d’approcher.

« Parlez-moi de ce mendiant, dit-elle. Cela m’intéresse comme un conte de fée.

— Ce n’est pas un mendiant, répondit Domergue ; il travaille pour gagner sa vie. Quand je lui ai offert l’aumône de Madame, il a refusé. Il est fier, ce malheureux-là ! Il a dit : ma commission est payée.

— Je voudrais le voir… murmura la baronne.

— Si Monsieur achète le château de Boisrenaud, répliqua Domergue, Madame ne prendra pas souvent la voiture du Plat-d’Étain ; mais une fois n’est pas coutume, et quand on prend la voiture du Plat-d’Étain, on voit Trois-Pattes.

— Trois-Pattes ! » répéta la baronne.

Puis elle ajouta :

« J’irai visiter demain ce château de Boisrenaud.

— Quant à ça, reprit Domergue, toujours grave comme son uniforme, sur les trois pattes, il n’y en a que deux de vraies. L’autre est une brouette, et l’animal est comme qui dirait un attelage complet : cheval et voiture.

— Et comment a-t-il pu venir jusqu’ici, infirme comme il est ?

— Ah ! ah ! il a un équipage : un panier et un chien. C’est rusé, ces êtres-là ! seulement, il ne va pas si vite que le chemin de fer ! »

Domergue ne rit pas, mais sa physionomie exprima une vive satisfaction, causée par la conscience qu’il avait d’avoir édité un bon mot.

Mme Schwartz réfléchissait.

« Vous n’avez rien pu savoir ? demanda-t-elle après un silence.

— Rien, repartit Domergue. Il dit qu’un voyageur lui a donné la lettre dans la cour du Plat-d’Étain. C’est tout. Il ne connaît pas le voyageur. »

Il y eut un silence encore, puis Mme Schwartz reprit :

« C’est bien. Faites ce que je vous ai dit. »

Domergue se retira aussitôt.

Restée seule, Mme Schwartz prit dans son sein une lettre qu’elle tint entre ses doigts avant de l’ouvrir. C’était un pli de ce papier banal qui a pour estampille le mot Bath : papier de pauvre ; il n’avait point d’enveloppe et portait un cachet de cire grossière, frappé d’une empreinte fruste où l’on reconnaissait le gras profil que le roi Louis XVIII mettait sur les pièces de dix sous.

Il n’est personne qui n’ait reçu des lettres anonymes ainsi fermées.

Mme Schwartz considéra longuement et attentivement l’écriture de l’adresse qui était courante et ne semblait point contrefaite. Elle ouvrit enfin le pli et parcourut la lettre comme on fait d’une chose déjà lue. Mais, la lettre achevée, elle la recommença une fois, dix fois. On eût dit qu’un monde surgissait pour elle de cette feuille presque blanche, au centre de laquelle trois lignes laconiques se serraient étroitement et n’étaient suivies d’aucune signature.

Tout un monde ! tout un passé lointain déjà et si différent du présent, qu’il semblait le mensonge d’un poëme.

Il est des gens qui vivent deux existences successives, dont l’une fait si bien contraste avec l’autre qu’ils ne se reconnaissent plus eux-mêmes, pareils à ces sectateurs de Pythagore qui se demandent vaguement, dans leur rêve éveillé, quand ils lisent l’histoire ancienne : n’étais-je par celui-ci ou celui-là ?

C’est, dans toute la rigueur du terme, la métempsycose : l’âme a changé de maison.

Mme Schwartz replia la lettre avant d’avoir prononcé une parole.

Elle poussa un soupir profond et se leva. Dans cette nouvelle posture, son regard rencontra sa propre image dans la glace de Venise qui s’encadrait magnifiquement au-dessus de la cheminée.

Elle sourit avec une sorte d’incrédulité.

« Ce sont deux rêves ! » murmura-t-elle.

Mais les lignes de son visage, correctes et si pures qu’elles semblaient taillées dans le marbre, subirent un retrait soudain. Elle souffrait. La glace de Venise le lui dit. Elle se redressa et ne tourna le dos qu’après avoir envoyé au miroir un autre sourire qui la faisait belle et calme comme toujours.

Elle marcha vers le secrétaire et l’ouvrit.

Une clef ciselée délicatement était dans sa main, la même clef que nous avons vue naguère au château de Boisrenaud entre les mains du baron Schwartz et à laquelle adhérait cet atome de cire. Mme Schwartz l’introduisit dans la serrure du tiroir central, au cœur même du bouquet de pensées, fait avec des améthystes et des topazes.

Avant d’ouvrir, cependant, Mme Schwartz hésita et regarda tout autour d’elle. Ce mouvement appartient aux consciences troublées. Mme Schwartz traversa la chambre d’un pas tranquille et poussa le verrou de la porte d’entrée.

Puis, le tiroir fut enfin ouvert. Mme Schwartz y déposa la lettre anonyme. Sa main resta tout au fond du tiroir comme si elle eût voulu y prendre quelque chose en échange de la lettre.

Mais un léger bruit se fit dans la chambre voisine. Mme Schwartz avait eu raison de pousser le verrou. On tourna vivement et sans frapper le bouton de la porte.

« Mère ! » prononça la douce voix de Blanche.