Les Historiettes/Tome 1/52

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 305-307).


FAURE, PÈRE ET FILS.


M. Faure étoit un bourgeois de Paris, riche de deux cent mille écus. C’étoit un des plus grands avares qu’on ait jamais vus. Il y avoit trois bûches dans la cheminée de sa belle chambre. Ces bûches avoient trempé dans l’eau, de sorte que le fagot qu’on mettoit dessous brûloit tout seul et ne faisoit que les faire suer seulement. La compagnie étant retirée, si le feu du fagot les avoit un peu trop séchées, on les remettoit dans l’eau.

Je l’ai vu venir, un jour d’été, par le plus beau temps du monde, chez M. Conrart, son parent, avec son chapeau de pluie : « Eh quoi ! mon cousin, lui dit M. Conrart, avez-vous eu peur de la pluie aujourd’hui ? — Je vous assure, dit le bon homme, que j’ai regardé à l’almanach, et il nous menaçoit d’orage. » Pour moi jamais en ma vie je n’ai vu un tel chapeau de cocu qu’étoit le sien. Le plus beau qu’il eût étoit à peu près comme ceux de ces crieuses de vieux chapeaux. Cet homme, mal satisfait du siècle, comme toutes les vieilles gens, se mît à déclamer contre la vénalité des charges, lui qui a un fils qui, avec son argent, avoit eu bien de la peine à entrer au Parlement, tant il avoit mal répondu.

Notre bourgeois, devenu veuf, prit la peine de se jouer à sa servante. Elle devint grosse, et accoucha d’un enfant qui vécut, au grand regret du bon homme ; car, quand il fut question de fournir pour la nourriture, il dit que son valet y avoit travaillé aussi bien que lui ; le valet fut assez sincère pour l’avouer, et le maître lui retranchoit tant de ses gages pour donner à la mère de l’enfant. On a même dit qu’ils le faisoient élever par moitié.

Le fils devint amoureux de la veuve d’un lieutenant de l’artillerie, nommé La Barre : cette femme n’avoit que quarante ou cinquante mille livres de bien, mais elle étoit belle et jeune et n’avoit point eu d’enfants. En récompense elle est si capricieuse, qu’elle pourroit quasi passer pour folle. Son premier mari en avoit été si jaloux qu’il la faisoit garder quand il étoit à l’armée. Elle ne sortoit point, et ne faisoit tout le jour que donner des chaises, comme s’il fût venu compagnie, et puis elle les remettoit comme si la compagnie étoit sortie ; et en rangeant et dérangeant des siéges, elle passoit toute la journée. Cela a peut-être contribué à la rendre si peu raisonnable.

Faure l’épousa clandestinement. Son père en fit du bruit, mais enfin on l’apaisa et on confirma le mariage. Ce ne fut pas sans donner auparavant de bien mauvaises heures à la pauvre femme ; car cet homme alla à la Pissotte[1], où ils avoient été mariés, et trouva moyen de déchirer du registre du curé le feuillet étoit l’acte de la célébration de leur mariage, et l’ayant en son pouvoir, il lui faisoit tous les jours des frayeurs épouvantables. Pour se récompenser du peu de bien qu’il avoit eu de sa femme, il lui fit porter quatre ans durant la robe du deuil de son premier mari, car il n’attendit pas le bout de l’an pour l’épouser. Depuis, elle a toujours été fagotée à peu près de même. Il la tient comme prisonnière, et elle n’est guère mieux en secondes qu’en premières noces.

  1. On appeloit alors de ce nom le village de Vincennes, qui n’a été pendant long-temps qu’un hameau dépendant de la paroisse de Montreuil. Il y avoit une chapelle qui fut érigée en succursale, en 1547, et ne devint paroisse que vers l’année 1669. On n’y comptoit encore en 1709, que cinquante feux et deux cent vingt-huit habitants. (Voyez l’Histoire du diocèse de Paris, par l’abbé Lebeuf ; Paris, 1755, tom. 5, pag. 94 et suivantes.)