Les Historiettes/Tome 1/54

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 310-317).


AVOCATS.


Filleau, aujourd’hui avocat du Roi à Poitiers, plaidant ici pour je ne sais quelle confrérie du Rosaire, dit que les grains de chapelet étoient autant de boulets de canon qu’on tiroit pour prendre le ciel.

Lambin et Massac, en leur jeunesse, allant se promener, rencontrèrent une vieille qui chassoit des ânes ; et se voulant railler d’elle : « Adieu, lui disent-ils, la mère aux ânes. — Adieu, dit-elle, mes enfants. »

Un avocat huguenot, nommé Perreaux, qui a fait cette ridicule préface au-devant du livre de M. de Rohan, Des Intérêts des Princes[1], plaida une fois pour des marchands portugais ; c’étoit avant la révolte du Portugal, et commença ainsi son plaidoyer : « Messieurs, je parle pour haut et puissant prince roi des Espagnes… » et dit tous les titres de Sa Majesté Catholique. Depuis, on l’appela l’avocat du roi d’Espagne.

La Martellière ne plaidoit guère bien non plus, mais il avoit bonne tête pour les affaires. Il commença le plaidoyer pour l’Université contre les Jésuites par la bataille de Cannes. Cela fit un plaisant effet, car Dempster, professeur en éloquence, avoit publié, un jour devant, une épigramme latine où il disoit que La Martellière, leur avocat, n’étoit point de ces orateurs qui parlent de la bataille de Cannes. Il en coûta vingt écus à La Martellière pour supprimer cette épigramme.

Un jour il avoit cité toutes les coutumes du royaume ; et quoiqu’il eût harangué fort longuement, il continuoit encore. Le président de Harlay lui dit : « La Martellière, n’êtes-vous pas las ? Vous vous êtes promené par toutes les provinces de France. »

Un jeune avocat nommé Crétau plaidait pour son père, aussi avocat : « Messieurs, dit-il, je parle pour monsieur mon père, maître Pierre Crétau, avocat en la cour. — Couvrez-vous, dit M. de Harlay, le fils de M. Crétau. » Ce jeune homme dit bien des sottises. « Taisez-vous, lui dit-il, le fils de M. Crétau ; laissez parler votre père, il en sait bien autant que vous. »

À Toulouse, un jeune avocat commença son plaidoyer par le roi Pyrrhus. Il y avoit alors un président fort rébarbatif qui lui dit : « Au fait, au fait. » Quelqu’un eut pitié du pauvre garçon, et représenta que c’étoit une première cause. « Eh bien ! dit le président, parlez donc, l’avocat du roi Pyrrhus. »

Une fois Langlois plaida fort bien je ne sais quelle requête civile. Patru, qui l’avoit ouï, lui dit : « On ne pouvoit mieux plaider cette requête. — Oh ! lui répondit-il, nous sommes malheureux, nous autres, nous n’avons point de loisir. Si j’en eusse eu le temps, j’eusse fait voir que les requêtes civiles étoient fondées dans saint Augustin. — Vous avez raison, lui répliqua Patru en se moquant, c’est grand dommage que vous n’ayez pu instruire le barreau d’une si belle chose et si utile. » Cet homme ne plaide bien qu’à cause qu’il n’a pas le loisir de mal plaider. Quand il a fait un exorde bien ennuyeux, il dit qu’il a fait un exorde à la cicéronienne. Il se croit le plus éloquent, ou plutôt le seul éloquent homme du monde.

Le président de Verdun tourmentoit une fois Desnoyers, afin qu’il abrégeât, et il n’avoit encore rien dit, sinon : « Messieurs, je suis appelant d’une sentence du juge de Chauleraut… — Qu’est-ce que Chauleraut ? dit le président. — Messieurs, c’est pour abréger, répondit-il, c’est-à-dire Châtellerault. » On abrége ainsi en écrivant.

Comme on plaidoit une cause de mariage, dans la déduction du fait on trouva des choses capables d’envoyer en bas celui qui étoit poursuivi. Sur l’heure, selon la coutume, on lui donna un avocat pour conseil ; ce fut Desnoyers. Ensuite on trouva à propos d’envoyer cet homme en prison ; mais quand on s’en voulut saisir, on ne le trouva plus. Le premier président demande à Desnoyers où il étoit : « Il s’en est en allé, messieurs, répondit Desnoyers. — Et pourquoi ? — Parce que je le lui ai conseillé. Vous m’aviez donné pour conseil à cet homme ; je lui ai donné le meilleur conseil que je lui pouvois donner. »

Une fois il étoit chargé d’une cause à la grand’chambre contre l’avocat du Roi des eaux-et-forêts, qui n’étoit qu’un jeune fou ; mais, pour faire l’entendu, il avoit pris une requête civile contre des arrêts rendus, il y avoit soixante ou quatre-vingts ans. Quand ce fut donc à Desnoyers à parler, il dit : « Messieurs, depuis soixante ou quatre-vingts ans que ces arrêts sont rendus, personne ne s’est avisé de prendre requête civile à l’encontre ; et pourtant voyons quels gens ont été avocats du Roi depuis ce temps-là. Il y a eu M. Marion, M. etc., etc. Ago tibi gratias, Domine, continua-t-il, qui ista abscondisti sapientibus, et revelasti parvulis. » Tout le monde se mit si fort à rire, qu’il lui fut impossible de poursuivre, et il fallut remettre la cause au lendemain.

Un autre avocat plaidoit pour la veuve d’un homme qui avoit été tué d’un coup d’arquebuse, et dans sa narration il fit la posture d’un homme qui en couche un autre en joue. Le premier président de Harlay lui dit : « Avocat, haut le bois, vous blesserez la cour. »

Un avocat en plaidant se mit à parler d’Annibal, et étoit fort long-temps à lui faire passer les Alpes : « Hé, avocat, lui dit-il, faites avancer vos troupes. »

À un autre, qui parloit de la multitude de chevaux qu’avoit Xercès : « Dépêchez-vous, lui dit-il, avocat, cette cavalerie fourragera tout le pays. »

J’ajouterai quelque chose du président de Harlay.

M. Fortia ne vouloit pas qu’il fût de ses juges en une certaine affaire, et, par l’avis de M. Forget, lui alla chanter des injures, afin qu’il lui en dît aussi, et qu’on eût lieu de le récuser. Le président le laissa dire, et ne dit jamais autre chose, sinon : « Jésus-Christ ! » Fortia de retour, Forget lui demande le succès. « Il n’a rien fait, dit-il, que dire Jésus-Christ ! Jésus-Christ ! — T’es le diable, dit Forget ; il te connoît bien. » On disoit que Fortia étoit de race de Juifs.

Une fois Fortia avoit vendu du bien d’Église. Le premier président lui dit : « Puisque vous avez vendu le corps, vous pouvez bien vendre les biens[2]. »

Le Clerc, surnommé Torticoli, conseiller aux requêtes, étoit fort son ami, et pria qu’on le voulût ouïr en un procès qu’il avoit. « Tu diras quelque sottise, lui dit le président. » Il vient. « Messieurs, dit-il, mon grand-père, mon père et moi sommes décidés à la poursuite de cette affaire. — Monsieur Le Clerc, dit le président, Dieu vous fasse paix ; je le disois bien que vous diriez quelque sottise. »

M. de Kerveno, gentilhomme breton, dit au feu Roi : « Sire, mes ancêtres et moi sommes tous morts au service de Votre Majesté. »

M. de Harlay ouvroit toujours l’audience à sept heures en été, et l’hiver avant huit. Il renvoyoit à l’expédient[3] toutes les causes qu’il pouvoit y renvoyer, et pour le reste il en paraphoit deux pages, et faisoit dire aux procureurs des communautés : « Chargez vos avocats, car je prendrai ces feuilles, tantôt par le bout, tantôt par le milieu. » C’étoit un grand justicier.

Martinet, plaidant pour une mère, la comparoit à la brebis d’Ésope que le loup, qui étoit au-dessus d’elle, accusoit de troubler l’eau. Gaultier, en lui répliquant, commença ainsi : « Messieurs, on nous vient faire ici des contes au vieux loup. » Ce Gaultier dit que, pour se rendre immortel, il veut faire imprimer deux cents de ses plaidoyers. Il a quelque chose de bon quand il ne plaide qu’en procureur[4].

On plaida, il y a dix ans, une cause à la Tournelle, dont voici le fait. Un tailleur de Coulommiers épousa une fille qui prit la peine d’accoucher le soir de ses noces. Cet homme la presse de dire qui étoit le père de cet enfant ; elle confesse que c’est son propre cousin-germain. Le mari rend sa plainte, et le procureur du Roi se rend partie. Depuis, cet enfant meurt. On conseille au mari, puisque aussi bien il ne pouvoit pas faire rompre le mariage (et cela me fait croire qu’il avoit couché avec elle, et qu’elle ne se délivra qu’après que le mariage eut été consommé), on lui conseille donc d’exposer par une requête qu’il confesse qu’il s’est joué avec sa femme six mois avant que de l’épouser, mais que comme il pensoit que les enfants ne pouvoient venir à bien à ce terme-là, il n’avoit pas cru que ce fût de lui ; que depuis, l’enfant étant mort, il avoit bien vu que c’étoit qu’il ne pouvoit vivre, étant venu avant le temps, et qu’il reconnoissoit qu’il étoit produit de ses œuvres, qu’il se contentoit de sa femme, et qu’il demandoit que silence fût imposé aux autres parties, car, outre le procureur du Roi, le père de la fille s’étoit joint à son gendre. Martin, surnommé Cochon, il y en a un autre, surnommé Dindon, plaida cette cause pour le tailleur, car le procureur du Roi ne voulut pas donner les mains ; et sur appel, le Parlement en fut saisi. En déduisant le fait, il dit qu’on ne devoit pas trouver étrange qu’un homme qui voit accoucher sa femme le premier soir de ses noces, se laisse emporter à ses premiers mouvements, et principalement étant persuadé qu’un autre étoit le père de cet enfant ; « car, ajouta-t-il, messieurs, on lui mit cela si avant dans la tête, » et en disant cela il faisoit les cornes avec les deux doigts du milieu et les porta vers sa tête, comme on fait pour marquer l’endroit du corps dont on parle. L’audience se mit à rire, mais le président de Nesmond s’en mit en colère. L’avocat dit encore quelque gaillardise, dont le président s’irritoit de plus en plus. « Enfin, dit-il, messieurs, que voulez-vous ? c’est un pauvre tailleur qui a mal pris ses mesures. » Alors le président fut contraint de rire lui-même. Cependant, admirez le jugement de l’avocat : il faisoit rire à la vérité, mais c’étoit de sa partie. M. Talon, avocat-général, se leva et dit qu’il n’y avoit aucune difficulté ; que, puisque le mari se contentoit, les autres n’avoient rien à dire ; et que, pour la femme, on ne devoit point avoir égard à l’aveu qu’elle avoit fait, car les femmes ne sont comptées pour rien[5] ; « et cela est si vrai, ajouta-t-il, que les rabbins disent, pour montrer qu’elles ne doivent point être considérées, qu’au jour du jugement les femmes ressusciteront dans le corps de leurs maris, et les filles dans le corps de leurs pères, et partant je conclus que les parties soient mises hors de cour et de procès. » Ces conclusions furent suivies.

Un autre avocat, nommé Rosée, dit au président, qui lui disoit : « Rosée, il faudra répondre à tout cela. — Monsieur, la mèche est sur le serpentin. »

Cet homme a une maison à Vaugirard ; des dames y allèrent pour lui parler d’une affaire qui pressoit ; il en trouva une à sa fantaisie, et lui dit qu’elle avoit des yeux de velours et des joues de satin. Elles lui demandèrent pourquoi il ne faisoit pas faire des allées plus larges. Il leur répondit que c’étoit bien assez qu’on s’y pût promener trois. « Mais nous n’y pouvons passer deux de front. — Cela m’arrive tous les jours, reprit-il, car j’ai à ma main droite l’appelant, et à ma main gauche l’intimé[6]. »

M. Louët, depuis conseiller au parlement de Paris, étant lieutenant particulier à Angers, allant en habit décent recevoir le président Barillon, père du dernier mort, le trouva à sa fenêtre jouant du flageolet. Le président ne le voyant point, M. Louët quitte sa robe et se met à danser ; le président se retourne et lui demande ce que cela vouloit dire : « C’est, lui dit-il, monsieur, que je danse à la note qu’il vous plaît de me sonner. »

  1. Il y a plusieurs éditions de ce livre. La plus recherchée est celle que les Elzévirs ont donnée en 1641.
  2. Cette erreur a déjà été réfutée. (Voyez la note page 193 de ce volume.)
  3. L’expédient étoit un arbitrage sommaire auquel on renvoyoit les causes d’une légère discussion. On obligeoit ainsi les avocats à en passer par l’avis d’un confrère plus ancien.
  4. Cet avocat étoit si mordant qu’on l’appeloit Gaultier la Gueule. C’est de lui que Despréaux a dit :

    Je ris quand je vous vois, si foible et si stérile,
    Prendre sur vous le soin de réformer la ville,
    Dans vos discours chagrins plus aigre et plus mordant
    Qu’une femme en furie, ou Gaultier en plaidant.

    (Satire IX.)
  5. La sienne pouvoit compter pour quelques chose, car elle le faisoit souvent enrager. (T.)
  6. Les sacs du procès. (T.)