Les Historiettes/Tome 1/58

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 323-327).


GENS GUÉRIS OU SAUVÉS
PAR MOYENS EXTRAORDINAIRES.


Feu M. le prince de Condé, passant à Saint-Pierre-le-Moutier, près Nevers, comme le prévôt alloit faire pendre un homme, le pendart eut assez de jugement pour dire qu’il avoit quelque chose d’importance à découvrir à M. le duc pour le service du Roi. M. le Prince voulut bien l’entendre. On fait retirer tout le monde : « Monseigneur, dit-il à M. le Prince, dites, s’il vous plaît, à Sa Majesté que vous avez trouvé ici un pauvre homme bien empêché. » M. le Prince se mit à sourire, et dit au prévôt : « Monsieur le prévôt, gardez-vous bien de faire exécuter cet homme-là que vous n’ayez de mes nouvelles. » Il en fit le conte au Roi et obtint sa grâce.

Un soldat françois qui étoit au service des États des Provinces-Unies, s’étant trouvé engagé avec quelques autres en je ne sais quel crime, il fut condamné à tirer au billet avec eux à qui seroit pendu ; mais il ne voulut jamais tirer, et l’officier, selon la coutume, fut obligé de tirer pour lui, et tira le billet où il y avoit écrit Potence. Le soldat en appelle, dit qu’il n’avoit point donné ordre à l’officier de tirer pour lui, que ce n’avoit point été de son consentement, et fit tant de bruit que cela vint aux oreilles de feu M. de Coligny, fils aîné du maréchal de Châtillon, qui commandoit alors le régiment de son père, et ce soldat étoit de ce régiment. Cela lui sembla plaisant ; il l’alla conter au prince d’Orange[1], qui, après en avoir bien ri, fit grâce à ce soldat, qui avoit si bonne envie de vivre.

On conte qu’un autre soldat qui servoit aussi les États, ayant été condamné à être pendu, fit demander au même prince d’Orange qu’il lui fût permis de faire publier par toutes les troupes que s’il y avoit quelqu’un qui voulût être pendu pour lui, il lui donneroit quatre cents écus qu’il avoit. La proposition sembla si extravagante, que, pour en rire, on ne voulut pas refuser ce qu’il demandoit ; mais on fut bien surpris quand un vieux soldat anglois se présenta pour être pendu au lieu de l’autre. Le prince d’Orange lui demanda de quoi il s’avisoit. Le soldat lui dit que depuis trente ou quarante ans qu’il servoit messieurs les États, il n’en étoit pas plus à son aise ; qu’il avoit une femme et des enfants, et que, s’il venoit à être tué, il ne leur laisseroit rien ; au lieu que, s’il étoit pendu pour cet autre, il leur laisseroit quatre cents écus pour leur aider à vivre. Le prince fut touché de cet excès d’amour paternel. Il donna la vie au criminel, à condition qu’il laisseroit les quatre cents écus à ce vieux soldat, qui gagna par cette générosité de l’argent et de l’estime.

Les Anglois sont fort sujets à se pendre. Un homme à Londres se laissa gagner par un créancier d’un de ses amis qui avoit une prise de corps contre son débiteur, mais ce débiteur ne sortoit point de chez lui. Que fait cet homme ? Pour le faire sortir, il s’avise de faire semblant de se pendre à un arbre qui étoit devant la porte de ce débiteur. L’autre, qui étoit à la fenêtre, court pour l’en empêcher. Les sergents cachés sortent et le prennent. Celui qui faisoit semblant de se pendre s’amusa un peu trop à regarder ce qui se faisoit ; il avoit déjà la corde au col ; en se tournant, il fait tomber le tabouret, et demeure pendu. C’étoit de bon matin, et en un quartier fort reculé ; de sorte que ce coquin fut pendu comme il le méritoit. M. de Fontenay-Mareuil me l’a conté : il étoit alors ambassadeur en Angleterre.

Henri IV allant à Sédan, M. de Bassompierre, M. de Bellegarde et autres rencontrèrent un homme de la ville, et lui demandèrent s’il n’y avoit point de filles de joie à Sédan. « Il n’y en avoit qu’une, dit cet homme, mais on la doit pendre demain, car on les punit de mort quand elles sont convaincues. » Nos cavaliers, touchés de compassion, donnent l’un une bague, l’autre de l’argent à ce bourgeois, à condition qu’il iroit de leur part prier M. de Bouillon de différer l’exécution d’un jour seulement. Il le fit. Le lendemain, le Roi y entra ; voilà tous les galants à ses genoux pour demander la grâce de cette pauvre pécheresse. Le Roi les renvoya à M. de Bouillon, et l’appelant, lui dit : « Mon cousin, cela dépend de vous ; nous ne sommes plus en France. » M. de Bouillon l’accorda, non sans quelque difficulté, et mit au bas de la grâce : « Grâce signée en présence du roi de France. »

Henri III passa à la Croix-du-Trahoir comme on pendoit un homme. Ce pauvre diable cria : « Grâce, Sire, grâce. » Le Roi, ayant su du greffier que le crime étoit grand, dit en riant : « Eh bien, qu’on ne le pende point qu’il n’ait dit son In manus. » Le galant homme, quand on en vint là, jura qu’il ne le diroit de sa vie ; qu’il s’en garderoit bien, puisque le Roi avoit ordonné qu’on ne le pendît point qu’il n’eût dit son In manus. Il s’y obstina si bien, qu’il fallut aller au Roi, qui, voyant que c’étoit un bon compagnon, lui donna sa grâce.

Feu M. le Prince, ayant pris une petite ville en Languedoc durant les guerres de la religion, choisit soixante-quatre personnes pour être pendues. Un jeune homme qui avoit déjà la corde au col, entendant dire qu’un seigneur avoit été fort blessé, et de quelle manière on le traitoit, dit : « On le tuera ; je le guérirois en trois semaines. » M. Annibal, frère naturel de M. de Montmorency, oyant cela, demanda s’il étoit chirurgien. Il dit que oui, et obtint qu’on lui donnât la vie, à condition qu’il guériroit le blessé. Le jeune homme n’avoit garde de ne point accepter la condition ; mais en effet il le guérit. Annibal, quoique ce garçon fût huguenot, le fait chirurgien de son régiment. Ce régiment est envoyé en garnison dans les Cévennes, en une place que M. de Rohan prit à discrétion. Il choisit même nombre de soixante-quatre pour être pendus. Ce garçon s’y trouve encore ; comme on le menoit, il reconnoît un ministre qu’il avoit vu à Annonay en Vivarais, lieu de sa naissance, avec un autre ministre assez célèbre, nommé M. Le Faucheur, qui demeuroit chez le père de ce jeune homme[2], en cette petite ville-là, lorsqu’il y étoit ministre. Ce ministre se souvint de l’avoir vu, et dit à M. de Rohan qui il étoit, et en obtint la grâce. Ce garçon va en conter l’histoire à M. Le Faucheur, qui lui conseilla de se retirer chez son père, de peur du tertia solvet ; ce qu’il fit.

  1. Henri, père du dernier mort. (T.)
  2. Il a fait le Traité de l’action et de la prononciation de l’Orateur. (T.)