Les Jeux rustiques et divins/Les Visiteuses

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Mercure de France (p. 24-25).


LES VISITEUSES


 
J’honore ici, venue au travers de mes songes.
Par les routes de ma mémoire, avec mon Ombre,
Celle-là qui sourit et qui porte en ses mains
L’Urne funèbre où sont mes jours et mes destins,
Cendre qui fut l’amour, cendre qui fut la gloire !
Victorieuse de la tragique victoire.
Cette Passante vient du fond de mon passé,
Souriante à demi de l’avoir traversé
Depuis ses cailloux durs jusqu’à ses fanges tièdes
Et ses fleuves et ses campagnes et ses herbes
Et ses vastes forêts vertes comme la mer !
Cette Passante vient des vergers de ma chair
Où jute le fruit doux auprès du fruit qui saigne,
Souriante elle a bu, penchée, à la fontaine
De mes heures et pour y boire elle a souri,
Car ni le Faune ardent, ni l’herbe qui fleurit
Vénéneuse et sournoise avec ses fleurs naïves,
La morsure, ni le baiser, ni les eaux vives

 
Qui chantent tendrement avec des rires, ni
L’embûche des bois où le Centaure hennit,
Et l’antre d’où l’écho appelle les passantes,
Rien n’a troublé ses pas prudents et ses mains lentes,
Compagne qui menait quelqu’un par les chemins,
Côte à côte, et voici qui portent à leurs mains,
Toutes deux, au retour, ce soir. Elle et mon Ombre,
L’une l’Urne funèbre et l’autre la Colombe !