Les Ménageries de Versailles et de Trianon - Leur histoire - Leur restauration

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Les Ménageries de Versailles et de Trianon - Leur histoire - Leur restauration
Revue des Deux Mondes, 5e périodetome 56 (p. 550-589).
LES
MÉNAGERIES DE VERSAILLES
ET DE TRIANON

LEUR HISTOIRE. — LEUR RESTAURATION

Il y a deux ans, une vaste enquête scientifique sur l’organisation et la direction des jardins zoologiques étrangers nous avait permis d’étudier sur place, tant en Europe qu’en Amérique., quatre-vingt-sept ménageries, parcs et aquariums, et nous étions revenu avec la conviction que ces sortes d’établissemens ne répondaient plus à tous les besoins de la science actuelle. Formés à l’exemple des anciennes ménageries royales, les jardins zoologiques du siècle dernier ont sans doute largement contribué à créer l’anatomie comparée et, plus encore que les descriptions ou les envois des voyageurs, ils ont fait connaître aux savans les faunes des pays étrangers ; mais on y a suivi, dans la manière de loger et de nourrir les bêtes, les erremens de la routine et si, dans les plus célèbres de ces jardins, les maisons d’animaux apparaissent parfois comme de véritables palais, on ne tarde pas à s’apercevoir que tout est fait plus pour l’exhibition pure et simple que pour le véritable intérêt de l’animal captif, c’est-à-dire pour la zoologie. Ce n’est qu’exceptionnellement que nous avons vu les jardins zoologiques faire de l’élevage d’animaux sauvages, et aucun ne nous a montré une organisation telle que des savans puissent y faire des études suivies sur les mœurs et sur l’intelligence des animaux, sur leur acclimatation et leur naturalisation, ni sur les conditions diverses de leur vie.

Le temps est venu pourtant, aujourd’hui que les âpres discussions sur le Lamarckisme et le Darwinisme sont terminées, de passer de la théorie à la pratique et de constater, par de vastes expériences poursuivies dans une longue suite de temps, si la nature peut vraiment se modifier et si l’homme pourra un jour découvrir et utiliser ses lois encore inconnues.

La ménagerie de notre Jardin des Plantes nous avait paru d’abord devoir être le champ tout indiqué pour un pareil essai de réorganisation d’un jardin zoologique. Il y a cent quinze ans, en effet, le Muséum d’histoire naturelle donnait un exemple au monde savant en joignant à ses collections de musée une grande réunion d’animaux vivans, et nous pensions qu’il lui appartenait encore de s’engager dans ces voies nouvelles de l’observation et de l’expérimentation continue de l’animal vivant. Mais comme l’espace dont dispose le Muséum est trop restreint pour qu’on puisse y entreprendre de vastes expériences d’acclimatation ; comme, d’autre part, l’Etat a déjà dépensé beaucoup pour ses universités et ses grandes écoles d’enseignement supérieur, et comme il a encore beaucoup à faire pour maintenir ces établissemens, la ménagerie du Muséum, en particulier, à la hauteur des exigences de la science actuelle, il nous a paru qu’il était bien difficile de lui demander ici de nouveaux sacrifices. Nous rappelant alors ce que nous avons vu à l’étranger en fait d’initiative privée, nous avons pensé que cette initiative était la seule voie à la fois pratique et féconde dans laquelle on devait s’engager.

Avant tout, il nous fallait chercher le terrain propice sur lequel pouvait être installé un établissement qui fût en même temps un Jardin de zoologie expérimentale et un Parc d’acclimatation ; il fallait trouver un espace vaste, pouvant être facilement agrandi dans l’avenir, isolé de toute agglomération nombreuse et pourtant situé à proximité de Paris : pour tout cela, nous avons pensé qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de restaurer d’abord l’ancienne ménagerie royale de Versailles.

Nous sommes allé sur place pour nous rendre compte de ce qui restait de cette ménagerie ; nous avons lu le peu qui avait été écrit sur elle ; nous avons surtout fouillé les vieilles archives et peut-être le résultat de nos études, en même temps qu’il apportera ici une contribution à l’histoire des mœurs, des sciences et des arts dans notre pays, aidera-t-il à la poursuite et à la réalisation d’une grande œuvre nouvelle.


I. CRÉATION DE LA MÉNAGERIE PAR LOUIS XIV. — PREMIÈRE PÉRIODE, DE 1662 A 1698

Louis XIV avait vingt-quatre ans quand, en 1662, il résolut d’agrandir et d’embellir le domaine de Versailles qui avait été créé par son père trente-huit ans auparavant. Le jeune roi ne s’occupa d’abord que du parc et un de ses premiers soins fut d’y faire construire une nouvelle ménagerie. Il choisit, avec son premier architecte Le Vau, un emplacement situé sur le chemin de Saint-Cyr, à 1 600 mètres du château, tout près d’une ferme où se trouvaient déjà sans doute un chenil, une « volerie » et un élevage d’animaux destinés à sa table, ce qu’on appelait alors ménage ou ménagerie. Le plan de Le Vau était ingénieux et original. Jusqu’à ce moment, dans toutes les cours princières, aussi bien de l’étranger que de France, les loge mens des animaux sauvages gardés en captivité avaient toujours été disséminés en différens points du domaine : ici, se trouvait la « maison des bêtes féroces, » ou la « volerie » des rapaces ; là, le parc aux cerfs et aux rennes, les écuries et les étables pour les éléphans, les buffles et les girafes ; autre part encore, les volières, les bassins ou les viviers ; quelquefois même un seul de ces groupes d’animaux était représenté. A Versailles, Louis XIV en voulant que tout fût réuni en un même lieu créa la première ménagerie au sens actuel du mot. L’espace choisi, — il n’était alors que de trois à quatre hectares, — fut disposé pour recevoir le plus grand nombre d’animaux possible ; tout fut construit avec luxe et arrangé de façon à être vu, pour ainsi dire d’un seul regard. Le Vau traça sur le terrain, au nord de la ferme, une surface ayant la forme d’un éventail ouvert ; à la base de cet espace, au niveau de la « tête » de l’éventail, il plaça un petit château de plaisance pour le repos du Roi et de ses invités et, en avant du château, faisant saillie dans une cour centrale, un pavillon octogonal avec un balcon d’où l’on pouvait voir sept cours d’animaux rayonnant tout autour de la cour centrale. Réservant la description de ce petit château royal pour un autre ouvrage plus complet qui traitera de l’histoire des ménageries depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, nous nous bornerons à décrire ici la ménagerie proprement dite.

La première cour, à droite en entrant, renferma des cigognes avec des moutons. Mais bientôt on détruisit les bergeries du fond pour transformer l’enclos en une cour gazonnée avec allées rayonnant autour d’un bassin central ; ce fut pendant longtemps le quartier des cigognes.

La seconde cour s’appela d’abord le quartier des demoiselles, du nom des belles grues de Numidie qu’on y plaça. On y construisit ensuite un élégant petit bâtiment pour les oiseaux des îles, et dès lors on l’appela la cour de la volière ou les voliers. Cette volière, qui occupait tout le fond de la cour, se composait d’un pavillon central et de deux galeries latérales terminées elles-mêmes par un autre pavillon ; le tout était percé de grandes baies grillagées avec du fil de laiton doré. A l’intérieur, un canal d’eau vive traversait la volière dans toute sa longueur, et du bassin central de ce canal s’élevait, à quatre ou cinq pieds de haut, trois bouillonnemens d’eau d’un pouce et demi de diamètre chacun. Les combles avaient été sculptés par Jouvenet, le sol recouvert de sable fin et les parois garnies de grandes cages munies de rideaux de « bazin. » Dès 1665, on pouvait voir dans cette volière plus de quarante espèces d’oiseaux exotiques parmi lesquels des oiseaux-mouches, des colibris, des paradisiers, des manucodes, des tangaras et nombre de perroquets, d’aras et de perruches. On y trouvait également des passereaux de France, mais ceux-ci se trouvaient plutôt disséminés dans d’autres volières également munies de bassins qu’on trouvait en différens points de la ménagerie.

La troisième cour resta d’abord inhabitée ; mais, comme elle était très vaste, on y plaça bientôt les grands oiseaux d’Asie et d’Afrique, puis des espèces aquatiques telles que pélicans, flamans, outardes et canards étrangers. Cette cour, qui fut appelée d’abord quartier des oiseaux d’Afrique, prit bientôt et garda le nom de cour des pélicans.

Le quatrième enclos tirait son nom, Rond d’eau, d’un grand bassin circulaire qui se trouvait au centre et dans lequel on nourrissait des poissons. Cette cour servit aussi pendant longtemps de passage au public ; elle était traversée dans toute sa longueur par une allée bordée de grandes grilles derrière lesquelles étaient des hérons, des cigognes et autres oiseaux de grande espèce.

Des bandes d’autruches vivaient dans la cinquième cour largement exposée au Midi et qui, couverte d’un sable aride et de cailloux, avait la prétention de rappeler les déserts de l’Afrique. On y trouvait, en plus des autruches qui donnaient son nom à l’enclos : des hérons d’Egypte, de grandes aigrettes, des pintades. On construisit, dans le fond, des volières avec bassins pour des aigles, et de petites cabanes pour des porcs-épics, des rats de Pharaon et quelques autres petits mammifères.

En continuant cette promenade autour de la cour centrale, on trouvait, au delà du quartier des autruches, un petit espace qui resta inoccupé pendant toute cette période et servit plus tard à loger un lion. Puis on arrivait au sixième enclos, ou cour des oiseaux, qui se composait en réalité de trois préaux entourés de loges pour poules sultanes, griffons, aigrettes, pigeons exotiques, corbeaux, civettes, blaireaux et renards. On plaça aussi un moment, dans cette partie de la ménagerie, des casoars, des spatules, et même un éléphant et des chameaux ; mais ces derniers furent bientôt reportés dans la cour de la Ferme qui s’étendait derrière les deux dernières cours jusqu’au chemin de Saint-Cyr et qui renferma encore à cette époque des cerfs, des daims et des gazelles.

La septième et dernière cour, la Basse-cour, était peut-être la plus vaste de toutes. Elle contenait, en son milieu, un abreuvoir et un colombier qui logea jusqu’à trois mille pigeons. Tout autour se trouvaient des écuries, des étables, une bergerie, un poulailler, enfin la maison du concierge et des logemens pour le personnel des gardiens de la ménagerie. On élevait là, pour la table du Roi, une grande quantité de volailles, de paons, de moutons de Barbarie à grosse queue, de sangliers, de vaches hollandaises et flamandes dont on nourrissait les veaux avec un mélange de lait et de jaunes d’œufs. Entre la Basse-cour et le chemin de Saint-Cyr, existaient encore trois enclos plus petits qui ne portaient pas alors de noms spéciaux.

Louis XIV peupla d’abord sa ménagerie avec les animaux que lui offraient en cadeau des princes étrangers, — tels qu’un éléphant envoyé en 1668 par le roi de Portugal, Pierre II, et trois crocodiles qui lui furent apportés en 1687 de la part du roi de Siam, — puis avec les envois de ses gouverneurs de provinces ou de colonies, comme M. de Choupes qui, en 1663, reçut l’ordre d’envoyer à Versailles des oiseaux de Belle-Isle ; comme le gouverneur de Madagascar qui envoya, en 1671, un casoar acheté à des marchands venant des Indes ; comme le chevalier d’Hailly, capitaine de vaisseau, qui expédia à Versailles, la même année : un chevreuil, deux civettes, deux perdrix de Barbarie, un aigle, un hocco, des pintades et un crocodile, etc. D’un autre côté, les navires des deux Compagnies des Indes apportaient régulièrement les oiseaux les plus beaux ou les plus rares d’Amérique, d’Asie ou d’Afrique, Enfin Colbert envoyait directement chaque année dans le Levant, en Egypte et en Tunisie, un pourvoyeur d’animaux du nom de Mosnier Gassion avec mission d’acheter des moutons, des chèvres, des cerfs, des autruches, des poules sultanes, des demoiselles de Numidie, des canards d’Egypte, etc.

Gassion partait à peu près régulièrement de Marseille ou de Toulon à la fin de l’année, de manière à pouvoir rentrer en avril ou en mai et à faire voyager son convoi aux premiers beaux jours de France. Muni d’acomptes délivrés par les intendans de la marine : M. de Vauvré à Toulon, M. Arnoul à Marseille, il s’embarquait avec un domestique, sur le premier bateau en partance pour l’Orient. Il débarquait à Tunis, à Alexandrie, au Caire ou allait dans les Echelles du Levant faire sa récolte. Les navires français naviguant dans ces parages avaient l’ordre de recevoir les animaux recueillis par lui ; si les capitaines faisaient quelque résistance, il se plaignait et une lettre de Louis XIV, communiquée par les consuls, ne tardait guère à venir remettre les récalcitrans à ses ordres. Revenu enfin à Toulon ou à Marseille, il devait entrer en quarantaine avec ses bêtes. Pendant ce temps, il écrivait à Colbert pour lui faire part de son retour, puis, après avoir donné encore, au portier et au concierge de la quarantaine, force pourboire, le « parfum » comme on disait alors, il se mettait en route pour Versailles, faisant voiturer ses animaux par un nommé La Roche. Cette dernière partie du voyage se faisait partie par terre, partie par eau, dans des conditions peu favorables ; aussi quand, deux mois après son départ de Provence, Gassion arrivait à Versailles, il avait moins d’animaux qu’il n’en avait acheté. Parfois il repartait immédiatement de sorte qu’en l’espace de vingt-trois ans, de 1671 à 1694, nous avons compté quarante et un de ces voyages, pour lesquels Louis XIV dépensa près de 200 000 livres, soit environ 1 200 000 francs de notre monnaie.

En même temps que Gassion, chargé de mission pour l’étranger, Louis XIV avait, pour la France, un autre pourvoyeur d’animaux, un nommé Couplet, qui devait fournir des bêtes indigènes à la ménagerie, et aussi à ceux des membres de l’Académie des sciences qui se livraient à des travaux d’anatomie.

A Versailles, les animaux étaient généralement reçus par Alexandre Bontemps, premier valet de chambre du Roi, qui avait été nommé, en 1665, intendant des château, parc, domaine et dépendances de Versailles. Parfois c’était le médecin Perrault que Colbert chargeait du soin de les faire placer à la ménagerie. La direction générale dépendait de la surintendance des Bâtimens du Roi, c’est-à-dire de Colbert, qui en faisait inspecter régulièrement les locaux par un « contrôleur, » le sieur Lefebvre.

La ménagerie était avant tout un établissement d’apparat qui servait non seulement à amuser Louis XIV et sa Cour, mais encore à distraire les grands personnages étrangers de passage à Versailles. Le Roi avait réglé lui-même l’ordre dans lequel il fallait faire visiter le parc, et voici ce qu’il disait pour cette partie de son domaine : « Quand on voudra visiter, le même jour, la Mesnagerie et Trianon, après avoir fait la pause auprès d’Apollon on s’yra embarquer pour aller à la Mesnagerie. » On trouvait, en effet, à la tête du grand canal, toute une flottille composée d’une frégate, de deux gondoles de Venise et de six chaloupes biscaïennes peintes chacune d’une couleur différente : rouge, verte, blanche, jaune, bleue et aurore. La frégate était un véritable petit vaisseau portant 32 canons sculptés dont un tirait à poudre ; ses cordages étaient en soie cramoisie et aurore, ses mâts ornés de banderoles de damas rouge et blanc, ses sièges couverts de soie frangés d’or. Le costume des matelots avait lui-même un air de fête ; les hommes d’équipage « portaient le justaucorps, l’habit bleu et rouge à bouton d’or, des bas et des jarretières de soie cramoisie, des cravates de mousseline et les cheveux noués d’un ruban ; les gondoliers avaient la veste de damas de Gênes cramoisi brodé d’or ou d’argent, le bonnet de velours noir, avec les bas de soie et les escarpins. »

On s’embarquait donc sur la frégate ou dans les gondoles. Des musiciens, des trompettes et des timbaliers suivaient dans les chaloupes, et la flottille, commandée par un capitaine, se mettait en route vers la ménagerie. On débarquait au bas des degrés qui conduisaient à l’entrée Nord et, arrivés sur l’amphithéâtre qui dominait ces degrés, les visiteurs, conformément aux instructions de Louis XIV, devaient se retourner et s’arrêter quelques instans « pour considérer le canal et ce qui le termine du côté de Trianon. « Ensuite on allait dans le Salon du milieu, où souvent une collation était servie ; on entrait dans toutes les cours des animaux, et finalement on se rembarquait pour se rendre à Trianon.

D’illustres compagnies visitèrent ainsi la ménagerie de Versailles. Pendant les célèbres fêtes de mai 1664, dont Mlle de La Vallière était la reine cachée, Louis XIV y vint une première fois en grande pompe avec toute sa cour. Au mois de juillet suivant, il en faisait faire les honneurs au nonce du pape le cardinal Chigi, pour lequel on fit exécuter dans le salon « d’excellente, musique italienne. » En 1674, lors des dernières grandes fêtes qui furent données à Versailles, le Roi offrit aux dames une collation à la ménagerie. Au mois de mai 1685, ce fut le doge de Gènes qui vient y boire « toutes sortes d’eaux glacées. » Enfin, la dernière visite officielle dont parle le Mercure galant ou la Gazette de France pour cette première période est celle de la jeune Adélaïde de Savoie destinée à devenir bientôt la reine de la ménagerie.

Les bourgeois et même le simple peuple eurent aussi la liberté de venir admirer les animaux du Roi. On ne put d’abord pénétrer dans le parc que lorsque Louis XIV n’était pas à Versailles et encore après s’être muni de billets. Deux de ces visites nous sont connues : celle de Mlle de Scudéry et celle de La Fontaine. Mlle de Scudéry vint vers 1668. Après avoir visité le salon du petit château qu’elle appelle « un grand cabinet à huit faces, » elle « admira, écrit-elle, ces belles poules d’Egypte que ceux qui les montrent appellent des demoiselles, à cause de leur bonne grâce et de leur beauté. » La fidèle description qu’elle nous donne de ces oiseaux : grands, droits, au plumage gris d’argent avec des « plumaches blancs, la poitrine et les yeux orangés, » nous indique que c’étaient des grues de Numidie. Elle remarqua encore les pélicans, les oies d’Inde, les canes maritimes, l’éléphant, les gazelles, les marmottes, les civettes, et, ajoute-t-elle, « un certain animal appelé chapas, plus beau et mieux marqueté qu’un tigre, doux et flatteur comme un chien. » Elle nous apprend enfin qu’on pouvait apporter son repas, qu’on avait la permission de prendre en ce lieu, et qu’il y avait dans le parc, tout près de la ménagerie, une petite machine peinte et dorée qu’on nommait roulette et dans laquelle, assis à son aise, l’on glissait et l’on roulait avec une extrême rapidité du haut en bas d’une pente fort droite.

Ce fut en compagnie de Boileau, Molière et Racine que La Fontaine visita la ménagerie à la même époque. Notre grand fabuliste venait d’écrire son joli roman de Psyché et, comme les « quatre amis » avaient alors l’habitude de se lire réciproquement leurs œuvres avant de les livrer à l’impression, ils avaient résolu de venir entendre le récit des aventures de Psyché dans le parc de Versailles. Ils y arrivèrent un matin d’automne, munis, nous dit La Fontaine lui-même, d’un « billet qui venait de bonne part. » Ce fut par la ménagerie qu’ils commencèrent leur promenade ; ils y admirèrent, à leur tour, les demoiselles de Numidie ; mais ils remarquèrent surtout les pélicans que La Fontaine appelle une « espèce de cormoran » et qu’il décrit ainsi : « certains oiseaux pêcheurs qui ont un bec extrêmement long, avec une peau au-dessous qui leur sert de poche. Leur plumage est blanc, mais d’un blanc plus clair que celui des cygnes ; même de près, il paraît carné, et tire sur la couleur de rose vers la racine. On ne peut rien voir de plus beau. » Au reste, les quatre amis trouvèrent l’occasion de faire un peu de philosophie à la ménagerie. Ils « admirèrent en combien d’espèces une seule espèce d’oiseaux se multipliait et louèrent l’artifice et les diverses imaginations de la nature, qui se joue dans les animaux comme elle fait dans les fleurs. »

Bien que La Fontaine n’en parle pas, c’était l’éléphant donné par le roi de Portugal, qui retenait le plus longuement les visiteurs. On n’avait pas vu en France de pareil animal depuis le temps d’Henri IV : aussi les visiteurs se pressaient-ils pour observer toutes ses manières, pour dessiner ses formes, mesurer ses dimensions, et « chercher des preuves de cette intelligence que les auteurs s’étaient plu à célébrer. » Cet animal prenait, dans la main même des enfans, tout ce qu’on lui présentait. A l’aide du doigt qui termine la trompe, il se débarrassait avec facilité de la double courroie de cuir avec laquelle on attachait ses jambes, et détachait la boucle qui l’arrêtait. Une fois même, qu’on avait entortillé cette boucle avec une petite corde dont on avait multiplié les nœuds, il les dénoua tous, sans en rompre aucun. Une certaine nuit, après s’être ainsi débarrassé de sa courroie, il brisa la porte de sa loge si adroitement, que son conducteur, qui dormait auprès, n’en fut point éveillé ; il passa dans plusieurs cours de la ménagerie, brisant ou renversant ce qui s’opposait à son passage, et alla visiter les autres animaux qui, effrayés de son énorme figure, inconnue pour eux, se sauvèrent dans les endroits les plus reculés du parc de Versailles. Pourtant, c’était un animal craintif, qui avait en particulier grande peur des pourceaux ; un jour, le cri d’un petit cochon le fit fuir fort loin. Bien qu’il ne fût pas méchant, il était vindicatif, et on cite de lui un certain nombre de traits de malice ou même de violence. Il mourut en 1681 après avoir vécu treize années à la ménagerie. La dissection de son corps, faite sous la direction de Perrault, montra que ce n’était pas un mâle comme on l’avait cru jusqu’alors, mais bien une femelle.

Pendant ces trente-cinq premières années de son existence, la ménagerie de Versailles servit donc à l’amusement du peuple en même temps qu’à la magnificence du grand Roi ; elle fit plus, elle servit encore au progrès des sciences zoologiques. À cette époque, pourtant, la philosophie était médiocrement favorable aux études d’histoire naturelle. Jansénius condamnait « la recherche des secrets de la nature comme une curiosité inutile, indiscrète, une concupiscence de l’esprit. » Et Malebranche écrivait : « Les hommes ne sont pas faits pour considérer des moucherons et l’on n’approuve point la peine que quelques personnes se sont donnée pour nous apprendre comment sont faits certains insectes et la transformation des vers. Il est permis de s’amuser à cela quand on n’a rien à faire et pour se divertir. »

En dépit de ces préventions, la jeune Académie des sciences ne craignait pas de mettre en tête de son programme d’études, à côté des mathématiques, les sciences par excellence, la physique, c’est-à-dire la science de la nature. Deux académiciens soumettaient à Colbert leurs idées sur ce sujet : Claude Perrault lui envoyait un mémoire qui fut imprimé en tête de l’Histoire de l’Académie des sciences. Et Huygens lui écrivait ces lignes qui devraient être méditées encore aujourd’hui par les zoologistes : « La principale occupation de cette assemblée (la section de physique] et la plus utile doit être à mon avis de travailler à l’histoire naturelle à peu près suivant le dessein de Vérulam. Cette histoire consiste en expériences et en remarques, et c’est l’unique moyen pour parvenir à la connaissance des causes de la nature... La chimie et la dissection des animaux sont assurément nécessaires à ce dessein ; mais il faudrait que les opérations de l’une et de l’autre tendissent toujours à augmenter cette histoire de quelque article important et qui regardast la découverte de quelque chose qu’on se propose, sans perdre du temps à plusieurs menues remarques de quelques circonstances dont la connaissance ne peut avoir de la suite, pour ne pas encourir le reproche que faisait Sénèque aux philosophes anciens : Invenissent forsitan necessaria nisi et superflua quæsivissent. »

On sait avec quelle ardeur l’Académie des sciences se mit au travail. La ménagerie de Versailles lui offrait la plus belle collection d’animaux vivans qui eût jamais été réunie dans un même lieu depuis les anciens. On y voyait des représentans de 55 espèces de mammifères : singes, panthères, guépards, servals, genettes, lynx, morses, otaries, porcs-épics, castors, éléphans, rhinocéros, antilopes, buffles, cerfs, daims, rennes, gazelles, etc. ; de 16 espèces de rapaces : aigles, faucons, vautours, chouettes, grands-ducs, etc. ; de 17 espèces de gallinacés et de colombins : hoccos, lagopèdes, lophophores, tétras, etc. ; de 20 espèces de perroquets : aras, cacatoès, perroquets, perruches ; de 51 espèces de passereaux indigènes et oiseaux des îles : pics, coucous, hirondelles, roitelets, calaos, colibris, oiseaux-mouches, manucodes royals, paradisiers, etc., etc. ; de 29 espèces de palmipèdes : bernaches, harles, fous, grèbes, mouettes, pélicans, phaétons, pingouins, sternes, etc. ; de 39 espèces d’échassiers et coureurs : autruches, casoars, aigrettes, cigognes, grues, flamans, foulques, hérons, ibis, outardes, porphyrions, spatules, etc. ; de 5 espèces de reptiles : crocodiles, tortues, geckos, serpens, — et la liste n’est pas complète. Cette collection d’animaux, qui renfermait, on le voit, des espèces particulièrement précieuses qu’on ne rencontre encore aujourd’hui que rarement dans le plus grand nombre des jardins zoologiques, servit tout d’abord à faire connaître, aux naturalistes, de nouveaux types d’animaux des faunes de l’Afrique septentrionale, de l’Amérique et des pays limitrophes de l’océan Indien. Non seulement, en effet, la ménagerie de Versailles était ouverte au public, mais Louis XIV avait soin, quand un nouvel animal arrivait, de le faire représenter en peinture par Nicasius ou par Boël, en miniature sur vélin par Nicolas Robert et par Jean Joubert. Elle servit ensuite à faire quelques essais d’acclimatation avec les animaux qui arrivaient en plus grand nombre. Les cerfs du Gange, en particulier, ne tardèrent pas à s’y reproduire ; les cygnes de Hollande s’y multiplièrent tellement qu’ils couvrirent de leurs bandes, non seulement le grand canal et les bassins du parc, mais encore les rives de la Seine ; des oies d’Egypte, des demoiselles de Numidie et des autruches furent lâchées également en liberté dans le parc où elles poursuivaient les promeneurs en quêtant quelque morceau de pain, ; des autruches pondirent, et leurs œufs servirent à Perrault à faire, sans succès du reste, quelques expériences d’incubation artificielle ; enfin les perdrix de Barbarie étaient apportées de leur pays en si grand nombre que Colbert put recommander, à leur arrivée sur les côtes de Provence, d’en lâcher quelques bandes dans l’île de Porquerolles.

Quant aux animaux qui mouraient à la ménagerie, leurs cadavres furent anatomisés d’abord par Perrault qui dirigeait les dissections faites par Gayant (de 1669 à 1672), par Dionis (de 1672 à 1674) et par Du Verney (à partir de 1674). La peau des bêtes était soigneusement enlevée, puis bourrée de foin et suspendue par la tête pour sécher. Leurs organes, une fois disséqués, étaient dessinés et gravés sur cuivre par Louis Châtillon, Bosse, De la Pointe et Sébastien Leclerc ; les squelettes étaient préparés par un nommé Colson, « menuisier en ébeyne. » C’est ainsi que Perrault put écrire et illustrer quarante monographies d’animaux sauvages qui furent publiées successivement à partir de 1681, sous le titre d’Histoire des animaux. Cet ouvrage, qui était complété dans l’ordre des sciences naturelles par une Histoire des plantes, était écrit en latin et imprimé sous la direction de J.-B. Duhamel, secrétaire de l’Académie des Sciences.

Perrault mourut en 1688 des suites d’une piqûre anatomique qu’il se fit en disséquant un chameau. Du Verney continua son œuvre avec l’aide du chirurgien Méry ; mais la publication de l’Histoire des animaux cessa complètement en 1696, époque à laquelle Louis XIV va commencer à se désintéresser de sa ménagerie.


II. — LA DUCHESSE DE BOURGOGNE (1698-1713)

En 1696, Louis XIV, qui avait cinquante-huit ans, était arrivé à cet âge un peu mélancolique « où la maturité va bientôt se changer en vieillesse, » où, la vie commençant à se détacher de vous, il faut « savoir se détacher de la vie. » Le grand roi avait du reste vieilli avant le temps et il sentait alors que les belles années de son règne étaient finies. Pourtant l’arrivée à Versailles, le 5 novembre 1696, de la jeune princesse Adélaïde de Savoie, qui venait épouser le Duc de Bourgogne, rendit un peu de gaîté à cette Cour déjà si froide par elle-même, dans son étiquette sévère. La princesse fit tout de suite la conquête du vieillard qui, de son côté, voulut gagner le cœur de l’enfant. Il y avait dix jours à peine qu’elle était arrivée, qu’il la conduisait avec toutes ses dames dîner au château de Meudon où demeurait son futur mari. Après le repas, la compagnie alla se promener dans les jardins du château où l’on nourrissait également des animaux sauvages. Dans la conversation, le Roi lui dit que toutes les princesses avaient des ménageries aux entours de Versailles et qu’il voulait lui en donner une bien plus belle que toutes les autres ; c’était de la sienne même qu’il entendait parler. La conversation n’eut pas alors de suite ; on était pendant l’hiver ; la princesse n’avait pas encore vu cette belle ménagerie dont on lui parlait. Ce fut seulement au mois d’avril de l’année suivante qu’elle vint y faire sa première collation ; au mois de juin de la même année 1697, elle y soupait en compagnie de Mme de Maintenon, et au mois de décembre suivant, elle épousait le Duc de Bourgogne.

La petite duchesse n’avait pas oublié la promesse du Roi. Elle la lui rappela au printemps de 1698, mais Louis XIV, ne se souvenant sans doute plus de ce qu’il avait dit, lui indiqua plusieurs autres maisons dans le parc en lui disant de choisir. La duchesse ne trouva naturellement rien qui pût lui convenir et finalement elle amena son grand-père à lui donner la ménagerie de Versailles. Le Roi fit venir aussitôt Mansart pour s’entendre avec lui et avec la princesse au sujet des modifications et des embellissemens à faire exécuter au petit château et aux cours. La duchesse fut ravie ; on voit dans ses lettres la joie enfantine que lui causa cette attention du Roi, et l’importance qu’elle prend à ses propres yeux depuis qu’elle donne des instructions pour l’aménagement intérieur du pavillon. « Ma mère vous dira sans doute, écrit-elle à Madame Royale, ce qui m’occupe présentement et vous prendrez part à ma joie, mais on a bien des affaires quand on veut bâtir et meubler une maison. Adieu, ma chère grand’maman, Préparés-vous à entendre parler plus d’une fois de cette maison-là. » Et dans une autre lettre : « On travaille à ma Ménagerie. Le Roi a ordonné à Mansart de ne rien épargner. Jugés, ma chère grand’maman, ce que ce sera, mais je ne le verrai qu’à mon retour de Fontainebleau. Il est vrai que les bontés du Roi pour moy sont admirables, mais je l’aime bien aussi. »

On pensa d’abord à compléter ou à renouveler l’ameublement et la décoration des appartemens du petit château. Pour cela, Mansart soumit au Roi un projet de peintures comportant des sujets mythologiques que celui-ci trouva trop sévères ; il écrivit de sa main, en marge de la note de Mansart que l’on conserve précieusement au château de Versailles, ces mots dont l’encre est à peine pâlie par le temps et dont nous respectons l’orthographe. « Il me paraît qu’il y a quelque chose à changer ; que les sujets sont trop sérieux et qu’il faut qu’il y ait de la jeunesse meslée dans ce que l’on fera. Vous m’aporterés des dessins quand vous viendrés ou du moins des pensées, il faut de l’enfance respandue partout. »

Les ouvriers furent mis immédiatement au travail et déjà, le 25 septembre de la même année, Dangeau pouvait écrire en parlant de la ménagerie : « La dépense qu’on a faite montera à plus de 500 000 livres. » Cette somme fut fort dépassée. Tout fut fait grandement, comme tout à cette époque, mais nous renonçons encore à parler ici des modifications qui furent apportées à l’édifice et de l’ornementation dont architectes, peintres et sculpteurs l’enrichirent à l’envi, pour n’envisager toujours que la partie des animaux de la ménagerie proprement dite.

La ménagerie de Versailles subit alors quelques transformations qui l’agrandirent et lui donnèrent ses dimensions à peu près définitives. A la fin de cette période, elle couvrait une surface de 5 hectares 66 ares, c’est-à dire qu’elle représentait la grandeur de la ménagerie actuelle du Jardin des plantes du Muséum.

La première cour des animaux fut entièrement débarrassée de ses constructions et transformée en un petit jardin dessiné à la française dont une aquarelle est conservée aux Archives nationales. Ce fut le Jardin de la Duchesse de Bourgogne. On y fit des treillages d’échalas ; dans le fond, aux deux angles des murs, Mansart éleva deux coquets pavillons en pierre de taille ; enfin, entre ces deux pavillons une porte fit communiquer le jardin avec une petite laiterie d’agrément, la Laiterie de la Duchesse qui fut construite de l’autre côté du mur et qui donnait elle-même dans le Parc.

Nous ne savons rien de plus sur cette laiterie qui devait être dans le goût de la laiterie d’agrément que le prince de Condé avait fait construire, dix ans auparavant, dans la ménagerie de Chantilly.

Au contraire, nous pouvons nous représenter facilement ce qu’étaient les deux pavillons du jardin, d’abord parce que nous avons retrouvé aux Archives les plans et élévations de l’architecte qui ont servi à sa construction, et ensuite parce que ces pavillons existent encore aujourd’hui.

Ces pavillons, les Cabinets, comme on les appelait alors, étaient semblables ; ils avaient une forme carrée de 5m, 25 de côté et étaient surmontés d’une élégante coupole terminée elle-même par un vase en pierre sculptée. Les deux faces de ces pavillons donnant librement sur le jardin étaient entièrement occupées par deux grandes baies vitrées larges de 1m,76 ; le côté nord, qui donnait sur le parc, était percé d’une petite porte au-dessus de laquelle était extérieurement un fronton circulaire reposant sur deux consoles ; le quatrième côté était percé d’une porte semblable qui s’ouvrait dans le pavillon ouest sur la cour de la volière.

La façade principale des pavillons qui regardait l’intérieur du jardin, présentait, adroite et à gauche de la grande baie cintrée, deux colonnes ioniques sur lesquelles reposait un fronton orné de coquilles et de cornes d’abondance ; à chaque extrémité de ce fronton, dans le prolongement des colonnes, se trouvaient deux vases sculptés semblables à celui qui ornait le sommet de la coupole.

On entrait dans ces pavillons en montant une marche de pierre et l’on se trouvait dans une pièce octogonale de 4m, 70 de côté dont la voûte unie en forme de coupole reposait sur une corniche ornée de rosaces et de denticules. Aux quatre pans coupés avaient été ménagées, pour des statues, de grandes niches hautes de 2m, 35 et décorées de coquilles à la partie supérieure. Enfin, sur les deux côtés qui n’étaient pas percés par les grandes baies, c’est-à-dire sur les parois Nord et Est de chaque pavillon, avaient été sculptés des frontons triangulaires ornés de larges coquilles reposant sur des consoles et surmontés chacun d’un groupe de deux Amours. C’étaient de petits génies ailés qui, assis au milieu de feuillages, sur les frontons, jouaient du tambourin, de la flûte de Pan et d’autres instrumens de musique.

Les modèles de ces motifs de sculpture, dont deux sont encore intacts et les deux autres odieusement mutilés comme nous le dirons plus loin, furent faits par Zéphirin Adam qui toucha pour cela 60 livres ; les sculptures furent exécutées, pour l’un des deux pavillons, par Jean Dedieu, pour l’autre, par Van Clève. Ces pavillons furent terminés à la fin de 1699 ; le jardin avait été fini dès l’année précédente et confié à un nouveau jardinier du nom de Louis Hardouin, qui reçut, pour l’entretien de ce jardin et le « quinconge » que l’on créa tout à côté, un salaire de 140 livres par mois.

Les autres cours de la ménagerie furent moins modifiées. On refit un peu partout quelques ouvrages de maçonnerie et de couverture ; on sema de nouveaux gazons ; on répara et on nettoya les aqueducs et les conduites d’eau. Enfin, à une date que nous ne pouvons préciser, Louis XIV fît agrandir la ménagerie, d’abord pour y placer les animaux féroces de sa ménagerie de Vincennes qu’il supprima, ensuite pour y loger une plus grande quantités de cervidés. Du côté de Saint-Cyr, au delà de la cour des Pélicans et du Rond d’eau, complètement fermés dès lors aux fournisseurs, on forma trois enclos nouveaux : deux qui furent appelés Cours des Cerfs du Gange et un troisième, planté d’arbres, qui fut appelé Cour des Cerfs. Plus loin encore, derrière l’une des premières de ces cours nouvelles, on créa un nouveau jardin qui fut appelé le Jardin d’en bas par opposition à celui qui se trouvait à côté de l’entrée principale.

Pour les bêtes féroces, une petite Cour du lion fut d’abord aménagée entre le quartier des Autruches et la cour des Oiseaux. Cette dernière fut complètement remaniée : la partie qui touchait au chemin de Saint-Cyr devint la Cour des nouvelles loges pour des tigres, léopards, lynx, panthères, etc. ; les deux autres parties, réunies en un seul enclos, devinrent la Cour du puits à cause du puits qu’on y avait creusé et qui s’y trouve encore. Enfin les parties inutilisées jusqu’alors, celles qui se trouvaient entre la Basse-Cour et le chemin de Saint-Cyr, furent transformées en une Cour des Belles-Poules pour y placer diverses espèces de gallinacés exotiques.

La Cour des Lions et la Cour des Loges, qui avaient été aménagées sans doute avec des matériaux venant de la ménagerie de Vincennes, nous sont en partie connues. La première renfermait cinq loges munies toutes d’auges en pierre, et communiquant en arrière avec un couloir de service ; elles étaient séparées les unes des autres par des portes à coulisse en bois munies de roulettes de cuivre ; en avant se trouvaient des grilles en fer. La Cour des Loges était entourée, sur trois de ses côtés, de loges qui étaient toutes disposées de la même façon ; le côté gauche de la cour, par exemple, présentait cinq loges munies de grilles de fer et de portes à coulisse en bois d’une hauteur de six pieds, ce qui nous donne une idée approximative de la grandeur de ces loges.

La ménagerie ainsi agrandie reçut naturellement un plus grand nombre d’animaux et des animaux d’espèces plus variées. En 1705, par exemple, Mosnier Gassion ramenait d’Orient dans un seul convoi : 11 chèvres de la Thébaïde, 2 gazelles, 2 rats de Pharaon, 10 autruches, 38 canards et canes d’Egypte, 3 demoiselles de Numidie et 1 pintade.

La Duchesse de Bourgogne n’avait pas attendu que les travaux de Mansart fussent terminés pour prendre possession de sa ménagerie et en faire elle-même les honneurs. Dès le 23 juin de l’année 1698, elle y amena Mme de Maintenon avec toutes les dames de Saint-Cyr et les garda à souper. Le 12 août suivant, elle y fit venir Mansart pour s’entendre avec lui de « beaucoup de choses, » notamment d’une « petite ménagerie qu’elle faisait établir dans le bois. Enfin, le 21 décembre 1700, elle y reçut le Roi et lui fit visiter les appartemens qu’on avait achevé de peindre et de dorer. Louis XIV les trouva très bien et indiqua les meubles nouveaux qu’il voulait y faire mettre. Il y revint le 12 mars 1703 avec les Ducs de Bourgogne et du Maine et le lendemain encore avec le Dauphin, les Ducs de Bourgogne et de Berry et ordonna de faire quelques changemens. On l’y re- trouve le 24 février 1704 et, le 25 mai suivant, il va entendre le salut dans la petite chapelle de la ménagerie. On l’y voit le 21 décembre 1705 s’y promener par la neige et par la pluie et, le 17 août 1707, il y fait sa dernière visite en y restant à souper en compagnie de la reine Marie-Béatrice et de son fils, exilés d’Angleterre, du Duc de Berry et de la Duchesse de Bourgogne.

Il n’y avait guère qu’un an que tout était terminé dans la nouvelle ménagerie et déjà la Duchesse de Bourgogne, qui avait atteint sa vingt-deuxième année, y passait une bonne partie de son temps. Elle y arrivait en compagnie de ses dames, parmi lesquelles était la jolie marquise de Dangeau, souvent aussi avec son beau-frère, le Duc de Berry, plus rarement avec son mari. Le Duc de Bourgogne n’aimait guère la ménagerie. Elevé par Fénelon de la manière que l’on connaît, il tournait de plus en plus au mysticisme et demeurait plus volontiers à Versailles. La Duchesse prit donc l’habitude d’aller seule à son petit château et d’y rester à coucher. Et alors, nous assure le comte d’Haussonville, des jeux moins innocens occupèrent bientôt ses loisirs. Par les belles journées d’été, à la nuit tombante, on la voyait gagner un des petits pavillons de son jardin où on venait la retrouver, puis, en amoureuse compagnie, elle allait faire des promenades nocturnes en gondole sur le grand canal ou bien errer jusqu’au petit matin parmi les bosquets de Versailles.

Louis XIV avait délaissé la ménagerie pour Trianon, où demeurait la marquise de Maintenon, et pour Marly, où il faisait nourrir un grand nombre d’oiseaux de proie, d’oiseaux d’eau et de volière ainsi que des carpes et jusqu’à un esturgeon. Il continuait cependant à faire approvisionner d’animaux la ménagerie de Versailles et il veilla à ce qu’elle fût parfaitement entretenue jusqu’à la mort de la Duchesse de Bourgogne, en 1713. Deux ans après, il s’éteignait lui-même, laissant la ménagerie toujours garnie des u bêtes les plus rares, de toutes espèces et toutes de riens exquis. »


III. — LOUIS XV (1715-1770)

Après la mort de Louis XIV, le nouveau roi, âgé de cinq ans, quitta Versailles et vint habiter successivement les châteaux des Tuileries et de Saint-Germain. Près de ce dernier château, au parc de la Muette, il trouvait, pour s’amuser, une toute petite ménagerie composée d’une laiterie avec une vache minuscule que lui avait donnée une certaine demoiselle de la Chausseraie et d’une meute de petits chiens que lui avait envoyés son grand-père, le roi de Sardaigne. La Cour revint, en 1722, avec le jeune Louis XV, habiter Versailles. L’année suivante, la majorité du Roi fut déclarée et on parla de son prochain mariage avec la fille du roi de Pologne, Marie Leczinska. Apprenant alors que ce roi détrôné avait une grande et belle ménagerie dans son château de Lunéville, la Direction des bâtimens se rappela que le roi de France en avait une aussi à Versailles et elle y fit faire quelques réparations.

La reine Marie vint en effet se promener de temps en temps à la ménagerie, mais Louis XV paraît s’en être désintéressé à peu près complètement. Pendant tout le règne, aucune fête n’y est donnée ; aucune visite royale n’y est connue et c’est au château de Versailles même, dans le vaste salon de Mercure, que Louis XV se fait montrer quelques-uns des animaux qui, par force d’habitude acquise et de règlemens toujours en vigueur, continuent à être envoyés à la ménagerie. Malheureusement cette indifférence du Roi s’étendait à la Surintendance des Bâtimens elle-même, qui était dirigée alors par M. de Marigny. Si, en 1750, le duc de Luynes peut encore écrire que les appartemens du petit château de la ménagerie sont en très bon état « et que les dorures, les peintures, les sculptures et les plafonds qui sont charmans s’y sont bien conservés, » en revanche, nous avons trouvé, aux Archives nationales, des lettres du concierge La Roche, de l’inspecteur du parc et des jardins de Versailles Lécuyer, de l’architecte royal Gabriel, qui tous signalent, dans la ménagerie proprement dite, l’état de délabrement des bâtimens. À ces plaintes réitérées la Surintendance répondait toujours que l’état des finances de la Cour ne permettait pas de faire toutes les réparations proposées et demandait de réduire le nombre des bâtimens de la ménagerie au strict nécessaire.

Pendant ce temps les arbres mouraient sans être remplacés, et d’autres étaient abattus pour être vendus, mais on continuait à garnir de fleurs les jardins de ce que l’on n’appelait plus alors que « l’ancienne ménagerie. » Le jardinier de la Duchesse de Bourgogne, Haudouin, était mort. Il avait été remplacé par un nommé Gardon que l’on avait chargé, en plus, du nettoyage des cours de la ménagerie ; pourtant son traitement avait été réduit à 600 livres par an, et encore, sur cette somme, devait-il payer un garçon jardinier toute l’année, prendre de temps en temps un homme de journée et enfin se fournir d’outils. Aussi voyons-nous le pauvre Gardon adresser en 1737 à M. Orry, ministre d’État, une demande d’augmentation de 200 livres de traitement. Le ministre répondit à la supplique en écrivant, en la marge du placet, ces mots significatifs : « Attendre que la Reine ou Mesdames fassent usage de la ménagerie. On ne peut rien changer quant à présent. »

Les cours n’étaient guère en meilleur état que les bâtimens. La cour des Buffles, par exemple, qui était sans doute une des trois cours des Cerfs dont nous avons parlé plus haut, n’avait plus d’écoulement d’eau ; les animaux y vivaient « dans la fange jusqu’aux jarrets, » ce qui détermina Lécuyer à écrire à M. de Marigny, en 1757, pour lui demander l’autorisation d’y faire faire une pierrée. Du reste, les employés de la ménagerie, n’ayant plus de surveillance directe, s’emparaient peu à peu de ces cours pour en faire de petits jardins potagers ; la cour du Rond d’eau fut demandée par une dame Morin pour augmenter les élevages d’oies et de dindons dont une partie, il est vrai, était réservée pour la table du Roi ; le bassin de la cour des Pélicans fut comblé et transformé en jardin ; l’autre partie de cette cour servit aux jeux des enfans et des promeneurs ; partout enfin les gazons, au lieu d’être régulièrement tondus comme autrefois, fournissaient maintenant du foin dont le jardinier tirait profit. Nous connaissons, pour cette période, le nombre et le nom de toutes les personnes qui furent attachées officiellement au service de la ménagerie. Il y avait, outre le concierge, le suisse de la porte, le jardinier et un « inspecteur, » huit gardiens d’animaux : Saint-Arnout, Vaillant, Parent, Séné, Charmont, Lefebvre, Duperrier et Disli ; chacun avait son logement et son coin de jardin potager à la ménagerie. On y trouvait encore un garde-chasse, et même un habitant de Versailles, le poète Ducis, eut l’autorisation d’y loger avec sa sœur, nous ne savons à quel titre ; c’est là qu’il écrivit, en 1767, sa tragédie de Hamlet.

Le « concierge » Laroche était naturellement le plus parasite de tous ces parasites. C’était le fils du concierge de l’ancienne ménagerie de la Duchesse de Bourgogne. Il avait probablement fait les débuts de sa carrière dans les armes, car il était chevalier de Saint-Louis ; on l’appelait généralement « capitaine, » mais son titre était devenu « gouverneur de la ménagerie. » Il y faisait élever et nourrir pour lui des volailles et surtout des dindons ; or, comme il y en avait déjà un fort troupeau de ces derniers pour la table du Roi, on n’y vit bientôt plus, en fait d’oiseaux, que ces grotesques animaux. On prit même l’habitude de les conduire paître aux alentours de la ménagerie, dans le parc lui-même ; c’est ce qui les perdit. Un jour, en effet, c’était peu de temps avant sa mort, le Roi se promenait accompagné, ainsi qu’il était d’usage chaque fois qu’il sortait même à pied, de son capitaine des gardes de quartier, et suivi de douze gardes du corps et douze cent-suisses ; il passa devant la ménagerie et trouva ces bêtes. Il en témoigna son mécontentement au gouverneur qui n’en tint aucun compte ; le Roi, en repassant, les revit encore. « — Monsieur, dit-il alors à Laroche, que cette troupe disparaisse, ou, je vous en donne ma parole royale, je vous ferai casser à la tête de votre régiment. » La vérité pourtant est qu’il y avait à la ménagerie d’autres animaux que des dindons ; ses cours devaient même être bien remplies si l’on en juge par la quantité de fourrage, de grains et de paille que les animaux mangeaient chaque année. Ces alimens étaient fournis, comme ils l’avaient toujours été, par la ferme voisine de la ménagerie, dont les bâtimens se trouvaient placés entre la cour des Autruches et le chemin de Saint-Cyr. Cette ferme, qui appartenait au Roi depuis Louis XIII, occupait alors une surface de 548 arpens (200 hectares environ) en terres labourables, prés et pâture ; elle était louée 5 500 francs, à charge par l’adjudicataire de « livrer, à un prix fixe et très bas, les fourrages nécessaires à la nourriture des animaux de la ménagerie. » Or en 1742, par exemple, ce fermier avait dû livrer au capitaine Laroche « la quantité de 1 500 bottes de foin et 3 000 bottes de paille de bled, 300 bottes de paille d’avoine, 50 septiers d’orge, 75 septiers d’avoine et 10 septiers de vesce, les quatre au cent fournies pour les foins, les pailles et les graines, mesure de Paris, à raison des prix qui suivent, savoir : l’orge, 8 livres le septier, l’avoine et la vesce 10 livres le septier, le foin 20 livres le 100, la paille de bled 10 livres, la paille d’avoine 18 livres, le tout de bonne nature et qualité et provenant de ses récoltes. » En 1749, le fermier était tenu de fournir en plus, « à qui et dans les temps qui lui seront indiqués : deux poules d’Inde, deux douzaines de chapons, deux douzaines de poulets et une douzaine de canards. »

Il semble donc bien que la ménagerie continua encore pendant longtemps, après la mort de Louis XIV, à être peuplée d’un assez grand nombre d’animaux. Comme au temps du Grand Roi, on y faisait peindre ou dessiner les bêtes les plus curieuses. C’est ainsi que J.-B. Oudry figura : en 1739, un « Bouquetin de Barbarie, » un « Tigre dans sa loge » avec des dogues agaçant l’animal à travers la grille ; en 1740, un « Léopard ; » en 1745, un « Cazuel ou Cazuer, » l’« Oiseau royal, » le « Gonasale » et une « Demoiselle ; » en 1746, un « Loup-cervier » assailli par deux bouledogues ; en 1747, un « Léopard ; » en 1748, un « Butor ; » en 1753, un « Lion. » À ces œuvres datées, il faut ajouter, du même auteur, les gravures d’un loup, d’un mouflon, d’un chamois, d’une gazelle, d’un blaireau et d’un sanglier, ainsi que les peintures d’un cerf axis, d’un serpentaire, de chèvres, de perdrix, de vautour et de flamant, ces dernières ornant aujourd’hui le cabinet du Directeur du Muséum d’histoire naturelle de Paris.

En 1770, la ménagerie de Versailles reçut un rhinocéros que M. Berlin, ministre d’Etat, avait fait venir du Cap. C’était, paraît-il, le premier rhinocéros mâle qu’on eût jamais vu en Europe ; il était fort jeune, n’ayant que cinq pieds et demi de haut et ses cornes du nez ne faisaient que pousser. Bernardin de Saint-Pierre, qui le vit à son passage à l’Ile de France, remarqua qu’il haïssait les cochons ; il écrasait avec sa tête, contre le bord du vaisseau, tous ceux qui venaient à sa portée ; mais il avait pris une chèvre en affection : il la laissait manger son foin entre ses jambes. Ce rhinocéros fut visité par le duc de Croy, par Buffon et par Camper, le célèbre zoologiste hollandais. « Il avait la peau si sensible, dit ce dernier, qui le vit en juillet 1777, que, pour éviter la piqûre des mouches, qu’il ne pouvait écarter à cause de la petitesse de sa queue, il se cachait entièrement, au nez et aux oreilles près, dans un abreuvoir qu’on avait pratiqué pour lui. » C’était un rhinocéros de l’espèce bicorne, « au regard vif et doux, » sur la tête duquel poussèrent, derrière les cornes, deux excroissances osseuses dont il se débarrassa par frottement quand elles devinrent trop grandes.


IV. — LA MÉNAGERIE DE VERSAILLES AU TEMPS DE LOUIS XVI (1774-1792)

La ménagerie de Versailles arrivait au règne de Louis XVI, en 1774, dans les plus mauvaises conditions. Vieux d’un siècle, ses bâtimens avaient d’autant plus besoin de réparations qu’ils avaient été plus mal entretenus sous le règne précédent ; mais la pénurie d’argent et aussi une indifférence complète de la Cour aggravèrent encore la situation. Cependant un ministre consciencieux et énergique, le comte d’Angivillier, qui avait, à la mort de Louis XV, la surintendance des Bâtimens du Roi, essaya de la sauver de la ruine ; mais ses efforts ne produisirent que des résultats incomplets et insuffisans. La ménagerie était réellement sur son déclin. Elle servait toujours de lieu de promenade au public ; des personnages illustres, l’empereur Joseph II, le Grand-Duc, depuis Paul Ier, et sa femme, vinrent la visiter ; mais la mode n’y était plus. La baronne d’Oberkirck, qui accompagnait les visiteurs russes, raconte dans ses Mémoires que la Grande-Duchesse s’étonna de ne trouver dans la ménagerie qu’un petit nombre d’animaux rares, M. de Mackau lui répondit : « Que voulez-vous qu’on en fasse ici ? N’y a-t-il pas assez de courtisans ? »


Lorsque Louis XVI abandonna Versailles le 6 octobre 1789, les dépenses de la ménagerie furent rattachées à la liste civile du Roi et l’on fit exécuter encore, pendant quelque temps, dans les cours de la ménagerie, des travaux extraordinaires de nettoyage et de réparation.

Le personnel de la ménagerie se composait alors, comme membres dirigeans, du gouverneur Laroche et d’un inspecteur nommé Laimant. Il y avait en sous-ordres : deux gardiens d’animaux payés chacun 900 livres, un garçon surnuméraire payé 300 livres, le suisse de la porte, le jardinier Crosnier et un « frotteur balayeur. » Le capitaine-gouverneur Laroche, dont nous connaissons déjà le goût pour les dindons, avait fait monter sa famille de la plus vulgaire roture jusqu’auprès des marches du trône ; il s’était apparenté au duc de Villequier par la deuxième femme du duc, Mlle de Mazade, et, comme il était chevalier de Saint-Louis, il avait le droit d’assister au coucher du Roi, ce à quoi il ne manquait jamais. Il arrivait, nous dit un des pages de Louis XVI, « bien galonné et aussi chargé de bagues et de diamans qu’un financier ; » mais la fréquentation continuelle des animaux avait trop fortement agi sur lui ; « c’était l’être le plus sale qu’on pût rencontrer et jamais sanglier dans sa bauge ne laissa échapper d’odeurs aussi fétides. » Aussi les jeunes pages de la Cour ne se gênaient-ils pas pour s’en faire une risée. Dès qu’il entrait dans la chambre royale, « il s’établissait, entre les pages de service et le capitaine, une lutte très plaisante qui aboutissait à l’enlèvement de sa perruque que l’on jetait sur le ciel-de-lit ; mais le capitaine, en guerrier prudent, avait toujours dans ses poches de quoi réparer ses pertes. C’était à qui inventerait des niches pour faire enrager ce pauvre diable, qui s’en consolait aisément avec de bonnes places et de bonnes pensions. Enfin, le Roi étant devenu plus triste, et le capitaine plus musqué que jamais, on finit par lui interdire l’entrée de la chambre du Roi, à son grand regret et à son grand scandale. »

La dépense du Roi pour le traitement du personnel de la ménagerie (inspecteur et employés subalternes seulement) fut, en 1789, de 6 800 livres ; l’entretien de la ménagerie proprement dite coûta la même année 36 000 livres. La nourriture des carnivores se composait de viande de bœuf qu’on payait dix sous la livre ; le chien, que nous verrons tout à l’heure tenir compagnie à un lion, recevait 6 livres de pain par semaine et les autres animaux mangeaient en 1778 : 12 000 bottes de foin, 3 000 bottes de paille de blé ; 300 bottes d’avoine, 75 septiers d’avoine, 50 septiers d’orge, 10 septiers de vesce.

Ces quantités d’alimens, relativement très grandes, n’impliquent pas, au temps de Louis XVI plus qu’à celui de Louis XV, la présence à la ménagerie d’un très grand nombre d’animaux, mais il y avait, cette fois encore, de gros mangeurs. Le rhinocéros venu du Cap en 1770 vivait toujours, et la ménagerie avait reçu le 19 août 1773, neuf mois avant la mort de Louis XV, un nouvel éléphant qui avait été envoyé de Chandernagor. On plaça d’abord ce dernier dans la cour des Pélicans, puis dans celle du Rond d’eau, et c’est peut-être de cette époque que date le grand bassin qu’on y voit encore aujourd’hui. L’éléphant était une femelle âgée de deux ans quatre mois. On le nourrit à peu près comme celui de 1681, mais on ajouta à sa ration un « ragoût composé de recoupe, d’oignons, de beurre, de sel et de poivre. » On lui donnait aussi du vin, dont son gardien lui faisait déboucher les bouteilles, en public, avec sa trompe ; de l’eau-de-vie et même les visiteurs prenaient plaisir à lui offrir le contenu de leur boîte à tabac, ce qu’il paraissait aimer beaucoup. « On était obligé de le graisser tous les trois ou quatre jours, avec de l’huile de poisson, pour remédier au gercement de sa peau ; il aimait cette toilette extrêmement, car pendant qu’on la lui faisait, il pompait avec sa trompe, pour s’en régaler ensuite, tout ce qu’il pouvait aspirer de cette huile. » L’éléphant mourut d’accident à l’âge de douze ans. Il avait rompu ses chaînes dans la nuit du 24 au 25 septembre 1782, puis, brisant les portes de sa loge, il était sorti pour se promener ; dans sa course nocturne, il tomba dans une pièce d’eau, remplie d’une vase infecte, dont l’odeur le suffoqua ; il resta là jusqu’au lendemain et on ne put le retirer, blessé, qu’avec beaucoup de peine ; il mourut quelques jours après. Son cadavre fut envoyé à Paris, au Jardin du Roi, où il fut disséqué par Daubenton le jeune, alors garde du Cabinet, et par Mertrud, démonstrateur d’anatomie ; le poids total du corps fut évalué à près de 5 000 livres ; sa peau seule en pesa plus de 700.

Ce qui, avec les éléphans et les rhinocéros, attirait le plus les visiteurs, c’étaient les loges des animaux féroces où l’on voyait des lions et des tigres. Un beau lion surtout, amené des forêts du Sénégal avec un chien « compagnon de son enfance et consolateur de son exil, » retenait surtout les cœurs sensibles. L’histoire de ces deux animaux, relatée par un de ceux qui les virent, G. Toscan, est en effet assez curieuse.

Le tion avait été pris en 1787, à l’âge de 3 à 4 mois, et donné à Pelletan, directeur de la Compagnie d’Afrique au Sénégal. Pelletan était un grand ami de la nature et sa maison était remplie d’animaux de toute espèce qui y vivaient en liberté complète. Moutons, chevaux, chiens, chats, singes, autruches, oies, canards, dindons, poules, perruches, tous accueillirent familièrement le lionceau qui, de son côté, ne leur fit jamais aucun mal. Un jour, — le lion avait alors huit mois, — la chienne de Pelletan mit bas deux petits, tout à côté du lieu où il se couchait d’ordinaire. Le lion prit sur-le-champ un intérêt très marqué à cette nouvelle famille auprès de laquelle il restait constamment. Dans les courts intervalles où la chienne s’écartait, il prenait sa place. C’était une chose très intéressante à observer que l’attention qu’avait ce gros animal un peu lourd, et dont les mouvemens étaient très pesans, de ménager les petits chiens en les caressant, pour ne pas les blesser. La chienne n’était point inquiète de voir ses petits dans les larges pattes du lion ; mais, quand elle revenait, elle le chassait sans façon, quelquefois en montrant les dents ; et lui, qui reconnaissait sans doute les droits de la mère, cédait toujours la place sans obstination et sans humeur. Un des petits chiens mourut : l’attachement du lion redoubla pour celui qui restait ; il en prit un soin plus particulier, ne le quittant jamais, se prêtant à tous ses caprices, se laissant mordre quelquefois jusqu’au sang et ne songeant jamais à se venger.

Quelle que fût sa douceur, le lion, en grandissant, pouvait devenir dangereux. Un jour qu’il s’amusait avec un enfant, il se jeta sur lui et tous deux roulèrent sur le sable. Ce n’était qu’un jeu, l’enfant n’avait eu aucun mal ; mais Pelletan jugea qu’il serait imprudent de recommencer l’expérience, et il donna le lion, avec le chien, au directeur de la Compagnie des Indes, qui les envoya tous deux en France pour la ménagerie du Roi. Le lion débarqua avec son ami, au Havre, vers la fin de septembre 1788. Sa réputation de douceur était si bien acquise, qu’un homme se chargea de le mener à Versailles en le tenant en laisse avec une simple corde attachée à son collier. A la ménagerie, on lui donna six livres de viande de bœuf par jour jusqu’en 1793, puis, à partir de cette époque, « vu la rareté de la viande ordinaire, » on le nourrit avec huit livres de viande de cheval « très sain, tué et non mort de maladie, » que l’on ne payait que quatre sous la livre. A Versailles, il resta d’abord aussi doux qu’il avait été jusqu’alors ; on ne craignait point de l’approcher et il rendait caresse pour caresse. Mais, aigri sans doute par la captivité étroite à laquelle il n’avait pas été habitué, ayant d’ailleurs beaucoup souffert de sa dentition et d’un abcès au pied occasionné par une griffe qui lui entrait dans les chairs, il devint peu à peu féroce et ne voulut plus voir que son chien et son gardien auquel il ne cessa point, du reste, de témoigner sa reconnaissance. Il vécut ainsi avec son ami, à Versailles, pendant cinq ans. En avril 1794, les deux animaux furent trans- portés à la ménagerie du Muséum d’histoire naturelle à Paris, que l’on était en train de fonder.


V. — LA FIN DE LA MÉNAGERIE SOUS LA RÉVOLUTION (1792-1794)

Après le 10 août 1792, et surtout après le 21 septembre suivant, jour où fut proclamée la République, les domaines du Roi passèrent au pouvoir de la Nation. Dès lors, la pauvre ménagerie, déjà si malade, était condamnée.

Il y avait longtemps, à la vérité, que le peuple et même les nobles voyaient cet établissement d’un mauvais œil. L’histoire des dindons du capitaine Laroche était connue de tout le monde ; on racontait que le suisse de la ménagerie avait demandé la survivance des six bouteilles de vin de Bourgogne que l’on donnait, d’après les uns, à un éléphant, d’après les autres, à un dromadaire ; enfin, il n’y avait pas de patriote lettré à Versailles, qui ne connût ce passage de l’Encyclopédie : « Il faut détruire les Ménageries quand les peuples manquent de pain ; car il est honteux de nourrir des bêtes à grands frais quand on a autour de soi des hommes qui meurent de faim. » Aussi, quelques jours après le 10 août, les Jacobins de Versailles, formant la « Société des Amis de la Convention, » pris d’un beau zèle, traversèrent le parc, tambour battant, drapeau en tête, et se dirigèrent vers la ménagerie où ils furent reçus par ce qu’ils appelèrent le « Directeur : » c’était sans doute Laimant. Le chef de la bande déclara que lui et les siens venaient, au nom du peuple et au nom de la nature, le sommer de rendre à la liberté des êtres sortis libres des mains du Créateur et indûment détenus par l’orgueil et le faste des tyrans. Le directeur se déclara prêt à déférer à une sommation qu’il n’avait, d’ailleurs, aucun moyen de repousser ; il crut cependant devoir hasarder une simple observation, à savoir que, parmi ses pensionnaires, il en était un certain nombre tellement inaccessibles au sentiment de la reconnaissance, que le premier usage qu’ils feraient de leur liberté serait, vraisemblablement, de dévorer leurs libérateurs. En conséquence, il croyait devoir décliner ce rôle, en ce qui le concernait personnellement, et offrait à la Société les clés des cages où étaient renfermées les bêtes féroces. Cette proposition fit réfléchir. Un amendement fut aussitôt voté, aux termes duquel les animaux dangereux resteraient provisoirement dans leurs cages. Quant aux animaux inoffensifs : un dromadaire, cinq espèces de singes et encore beaucoup d’oiseaux, ils furent enlevés, la plupart pour être donnés, il est vrai, à l’écorcheur, d’autres pour être mis immédiatement en liberté. Il y avait notamment, parmi ces derniers, plusieurs couples de rats de Java rapportés par La Condamine qui, depuis, pullulèrent à Versailles au point de compromettre par leurs dégâts la solidité du château et d’autres grands édifices. Des cervidés et des oiseaux s’échappèrent et se répandirent dans les bois d’alentour ; un grand nombre y périrent, mais une quantité assez notable aussi s’y acclimata et s’y reproduisit. Vers 1840, Jourdain, inspecteur des forêts qui résidait au pavillon de la Lanterne, tout près de la ménagerie, avait pu former là une collection assez nombreuse et fort intéressante, composée exclusivement d’animaux exotiques tués ou pris dans les bois de Versailles.


Il n’était resté à la ménagerie que le rhinocéros, le lion et son chien que nous connaissons déjà, un bubale, une antilope Corinne, un couagga, auxquels il faut ajouter un pigeon couronné des Indes, le goura des Moluques, sept à huit paons et deux douzaines de poules. C’est alors que le régisseur général du domaine de Versailles écrivit la lettre suivante à Bernardin de Saint-Pierre qui était encore intendant du Jardin du Roi à Paris ;


« Versailles, 19 septembre 1792.

« La ménagerie va être détruite ; si dans le peu d’animaux qu’elle renferme, il y en avoit quelqu’un qui pût vous convenir et figurer dans votre superbe cabinet d’histoire naturelle, veuillez me l’indiquer. Le ministre m’autorise à vous donner tout ce que vous jugerez convenable. Je crois qu’il seroit nécessaire que vous fissiez le voyage de Versailles. Si vous estimez que cela soit à propos, je vous prie de m’indiquer le jour, pour que je puisse m’y trouver.

« Nota. — Il y a un superbe rhinocéros.

« Le Régisseur général des domaines de Versailles, Marly et Meudon.

« COUTURIER. »


Le célèbre auteur de Paul et Virginie ne répondit pas alors à cette offre, car il avait bien d’autres soucis en tête. Il y avait deux mois et demi que le Roi l’avait placé à la tête du Jardin des Plantes ; la royauté se trouvait brusquement supprimée et, dans le tourbillon d’événemens politiques qui se succédaient, il se demandait anxieusement ce qu’il allait lui-même devenir. Couturier dut donc lui écrire une seconde lettre plus pressante que la première : « Citoyen, disait-il, vous savez qu’il reste à la ménagerie de Versailles un rhinocéros qui devient inutile dans ce pays. Je vous le conservais avec plaisir suivant l’ordre du ministre. Je vous prie de me faire savoir ce qu’il deviendra parce que ce sera, d’après votre réponse, que j’en solliciterai, par un réquisitoire, la vente auprès du directoire du district de Versailles si vous ne le prenés pas pour le jardin national à Paris ; on m’en a déjà offert de l’argent ; mais j’aimerais que, dans les mains d’un philosophe comme vous, il devienne un objet d’instruction publique. » Couturier ajoutait en post-scriptum : « J’ai vu le ministre, qui m’a dit de me concerter avec vous pour les trois animaux qui me restent : le lion, le bubale et le rhinocéros. » Bernardin se décida alors à venir à Versailles en compagnie de Desfontaines, professeur, et de Thouin, jardinier en chef au Muséum ; il raconta sa visite dans un Mémoire qu’à son retour il adressa à la Convention. Le chien, dans la loge du lion, fit sur lui une vive impression. « Dès qu’il nous aperçut, dit-il, il vint avec le lion à la grille, nous faisant fête de la tête et de la queue. Pour le lion, il se promenait gravement le long de ses barreaux contre lesquels il frottait sa tête énorme. L’air sérieux de ce terrible despote et l’air caressant de son ami m’inspirèrent pour tous deux le plus tendre intérêt. Jamais je n’avais vu tant de générosité dans un lion et tant d’amabilité dans un chien. Celui-ci sembla deviner que sa familiarité avec le roi des animaux était le principal objet de notre curiosité. Cherchant à nous complaire dans sa captivité, dès que nous lui eûmes adressé quelques paroles d’affection, il se jeta d’un air gai sur la crinière du lion et lui mordit, en jouant, les oreilles. Le lion se prêtant à ces jeux baissa la tête et fit entendre de sourds rugissemens... »

Bernardin de Saint-Pierre demanda dans son Mémoire que la République utilisât les derniers animaux du Roi pour en faire le noyau d’une ménagerie nationale. Mais le moment était vraiment peu favorable pour des dépenses nouvelles ; aussi les animaux restèrent-ils encore cette année 1793 à Versailles ; on dépensa alors pour leur nourriture et leur entretien 392 livres 12 sous, le salaire du garçon de cour surnuméraire étant compris dans cette somme. Cependant les professeurs du Muséum ne restaient pas inactifs. Ils demandaient instamment que la ménagerie de Versailles fût supprimée et que « les fonds cy-devant affectés à l’entretien de cette ménagerie fussent appliqués à la ménagerie du Muséum. » Ils arrivèrent à leurs fins en 1794, mais après combien de démarches au ministère et combien de voyages à Versailles ! Le 28 germinal de l’an II (17 avril 1794), Jussieu, directeur du Muséum, obtint enfin, du district de Versailles un ordre de réquisition pour avoir les chevaux et les voitures nécessaires au transport à Paris de l’ancienne ménagerie du Roi. Il fallut encore huit jours pour faire exécuter cet ordre et, le 26 avril, les derniers animaux qui restaient prirent le chemin du Jardin des Plantes.

La ménagerie royale de Versailles était morte. Elle avait vécu cent trente-deux ans, de 1662 à 1794. Pendant ce temps, elle avait exhibé des représentans d’environ 80 espèces différentes de mammifères, 160 espèces d’oiseaux et une dizaine d’espèces de reptiles. Elle avait servi ainsi à faire connaître aux naturalistes les fauves exotiques d’Asie, d’Afrique et d’Amérique ; elle avait fait quelques essais d’acclimatation de cerfs axis, d’autruches, de grues de Numidie, de cygnes de Hollande, d’oies d’Egypte et de perdrix de Barbarie. Buffon, Camper et d’autres zoologistes y étaient venus étudier ces animaux, et les anatomistes Perrault, Duvernoy, Mery-Mertrud, etc., y avaient commencé une science nouvelle, celle de l’anatomie comparée. Elle avait servi à l’art encore plus peut-être qu’à la science. Outre qu’elle avait créé une architecture nouvelle et qu’elle avait servi de modèle à d’autres ménageries princières, celles de Schœnbrunn et du Belvédère, en Autriche, par exemple ; outre qu’elle avait été la cause de la création d’un charmant petit château de plaisance dont la décoration fut une des gloires de Mansart, elle avait permis encore à Nicasius, à Desportes et à Oudry de créer en France l’art animalier. Enfin, à son exemple, les princes, les seigneurs et jusqu’aux riches financiers ornèrent leurs jardins et leurs parcs de loges, de volières, d’enclos pour animaux étrangers, et ainsi se prépara, en France, le grand mouvement d’acclimatation et d’utilisation d’animaux étrangers qui, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, illustra les noms de Daubenton et des Geoffroy Saint-Hilaire.


VI. — LA DESTINÉE DE L’ANCIENNE MÉNAGERIE. — ÉTAT ACTUEL

A la fin du XVIIIe siècle, la ménagerie de Versailles dépeuplée n’était donc plus qu’une ruine dont on allait se disputer les morceaux. Le Muséum réclama le matériel des logemens d’animaux, réclamation toute naturelle et pour laquelle son directeur Jussieu dut néanmoins multiplier démarches sur démarches. Ce fut seulement sur l’intervention du représentant du peuple Crassous que, le 12 avril 1795, juste un an après le départ des animaux, les délégués du Muséum purent venir prendre les objets qui se rapportaient aux logemens de ceux-ci ; mais, comme il fallait s’y attendre, ils n’y trouvèrent plus à glaner que quelques portes à glissière, des panneaux grillagés, des ferrures et des auges en pierre. La plupart des bâtimens et des cours de la ménagerie avaient été loués le 28 fructidor de l’année précédente ; seuls restaient non loués et inutilisés la cour de l’éléphant et les appartemens du petit château. Ces appartemens étaient encore en bon état « parquetés, boisés et dorés ; » il est cependant probable que les meubles et objets précieux en avaient été vendus ou transportés à Paris. Pendant deux ans, l’inspecteur des bâtimens nationaux, Loiseleur, continua à s’occuper de la conservation et de l’entretien du petit bateau de la ménagerie. Au mois de janvier de l’année 1796, un devis estimatif des réparations urgentes de couverture d’ardoises à faire aux différens bâtimens s’éleva, pour les combles du petit château, à la somme de 36 000 livres. On refait la même année quelques tra- vaux de maçonnerie. En 1801, ce château existait encore, car dans l’ordonnance de vente de la ménagerie, en date du 22 nivôse dont nous parlons plus loin, les glaces, cheminées, statues étaient exceptées de la vente générale pour être vendues séparément comme objets mobiliers. Mais c’est la dernière fois que nous entendons parler de ces appartemens qui avaient tant excité l’admiration des contemporains : tout fut rasé à une date et dans des circonstances qui nous sont inconnues.il ne resta plus que le rez-de-chaussée du pavillon octogone, c’est-à-dire la grotte, qui n’a disparu définitivement que de nos jours, en 1902.

La location de la ménagerie proprement dite n’avait dû être faite que pour un temps très court, car le 15 ventôse de l’an IV (février 1796), les archives de Seine-et-Oise nous apprennent que les locaux et les jardins dépendant de l’ancienne ménagerie sont mis à la disposition du sieur Boursault, entrepreneur des équipages d’artillerie, pour y loger des chevaux de guerre. Deux ans après, un arrêté du Directoire exécutif, en date du 17 messidor an VI, affectait la Ménagerie ainsi que la ferme adjacente à l’établissement d’une Ecole d’économie rurale qui n’eut également qu’une brève existence. Cet établissement, la première école d’agriculture qui fut créée en France, était dirigé par Thiroux. On y plaça : 242 moutons mérinos, 27 taureaux et vaches de différentes races dont quelques-uns d’une race sans cornes, enfin 13 boucs et chèvres d’Angora. Mais cette école disparaissait en 1800. La ferme était donnée par le Premier Consul à son collègue Sieyès, à titre de récompense nationale, et la ménagerie était vendue aux enchères, le 22 nivôse de l’an IX (12 janvier 1801), par le préfet de Seine-et-Oise. Les bâtimens, serres, hangars, cours, jardins, abreuvoirs, etc., comprenant 5 hectares 66 ares, furent adjugés au citoyen Jacques Burnout.

En 1809, Napoléon, occupé à reconstituer le domaine de Versailles, racheta la ferme de la ménagerie à Sieyès et l’afferma à un nommé Fessart qui, sur les entrefaites, s’était rendu acquéreur de la ménagerie. C’est probablement pendant cette période que disparut le petit château, et, probablement aussi, c’est Fessart, — car quel architecte l’aurait permis ? — qui fit mettre les pavillons de la Duchesse de Bourgogne dans l’état où on les voit encore aujourd’hui. L’élégante coupole de Mansart, tombée en ruine, fut remplacée par un toit pyramidal ; les vases et les ornemens de la façade disparurent ; on boucha, avec des briques, les grandes baies vitrées qui s’ouvraient sur la cour, ne laissant qu’une toute petite porte d’entrée ; on obtura de la même façon les ouvertures du fond, et les pavillons qui avaient vu les ébats des plus gracieuses princesses de la cour du grand Roi devinrent et sont restés depuis des étables à vaches. Le vandalisme de cette époque ne s’arrêta pas là. Les grandes baies des pavillons étant bouchées, on s’aperçut qu’on ne voyait plus clair à l’intérieur. On eut alors l’idée de percer une petite fenêtre carrée au-dessus des anciennes portes du fond, et, bientôt, la folie de destruction ne connut plus de bornes. Il y avait là, nous le savons, de charmans groupes d’Amours sculptés par Van Clève et par Jean Dedieu. Si les besoins des vaches nécessitaient une ouverture, on aurait pu la faire au-dessus ou au-dessous de ces groupes, ou encore les enlever, les remiser dans un coin, ou même les vendre. Pas du tout : c’est au beau milieu de la pierre sculptée, entaillant les figures joufflues des Amours, coupant leurs petits bras et leurs cuisses potelées, que le ciseau du maçon fit son œuvre aussi inutile d’ailleurs que barbare. Les ouvertures faites, on s’aperçut, en effet, qu’elles ne donnaient pas encore assez de lumière, et on fut obligé de laisser les portes d’entrée sans fermeture. Depuis ce temps, les deux pavillons, ainsi mutilés, sont restés ouverts à tous les vents.

En 1825 Charles X, continuant l’œuvre commencée par Napoléon Ier dans la reconstitution de Versailles, offrit 80 000 fr. à Fessart pour le rachat des 5 hectares de la ménagerie ; mais comme Fessart en demandait 300 000, l’affaire n’eut pas alors de suite. Les négociations furent reprises en 1836, sous Louis-Philippe, cette fois, sur des propositions de Fessart : elles aboutirent, et la ménagerie redevint alors définitivement domaine national. Elle fut d’abord laissée sans aucune affectation ; puis, en 1847, on projeta de la remettre dans son ancien état, sauf le petit château, et d’y établir un haras royal pour étalons arabes. Ce projet fut réalisé en grande partie comme le montre le plan géométrique dressé deux ans après. On rétablit les anciennes portes : celle qui donnait du côté de Versailles, avec l’avenue d’entrée, et celle qui donne du côté de Trianon. On restaura l’escalier monumental qui montait du canal et, sur deux des piédestaux vides de leurs anciennes statues, on plaça deux groupes de Nanteuil qui y sont encore aujourd’hui. La grande mare des pélicans, qui avait été comblée sous Louis XV, fut creusée et remplie à nouveau d’eau courante. Enfin la basse-cour devint la cour du Haras. La Révolution de 1848 ne permit pas de poursuivre l’œuvre commencée. Le haras, à peine installé, fut supprimé, et la ménagerie fut rattachée à<la ferme voisine qui était louée par l’Etat à un particulier et dont elle forme aujourd’hui une dépendance.


Malgré l’abandon dans lequel les pouvoirs publics l’ont laissée depuis plus de cent ans, la ménagerie de Versailles existe toujours ; du moins, ses restes sont reconnaissables, et celui qui connaît son histoire peut retrouver facilement toutes les parties qui la constituaient jadis. Le visiteur y arrivera, comme autrefois, par l’Allée de la Reine, mais il se heurtera d’abord à des murs fermés, derrière lesquels il verra s’élever d’immenses hangars en bois. Ces constructions, qui occupent l’emplacement de toute la partie orientale de la ménagerie jusqu’au petit château et à la basse-cour, sont les bâtimens de l’Ecole d’aérostation du génie. Le visiteur tournera donc à sa droite, longera le grand mur gris de la ménagerie bordé d’une rangée de sapins, passera devant les grands escaliers qui conduisaient jadis les nobles compagnies du canal à la ménagerie ; puis, continuant à longer le mur, il découvrira tout à coup, à travers les sapins, les toits pointus des deux pavillons de la Duchesse de Bourgogne et, sur le second pavillon, les amorces de la petite laiterie qui lui était accolée. Poursuivant son chemin et laissant à sa gauche l’ancien logement du jardinier qui touche au mur de la « cour de la Volière, » il contournera l’extrémité d’étables en mauvais état, restes de l’École d’économie rurale de l’an VI ; il côtoiera le mur de la « cour des Cerfs du Gange » et celui du « jardin d’en bas ; » puis, arrivé à un chemin qui, à travers le parc, va à la ferme de Galie, il tournera à gauche et se trouvera dans l’enceinte même de la ménagerie.

Tout de suite le regard de ce visiteur sera attiré par une petite porte ménagée dans le mur de droite et au-dessus de laquelle il apercevra ce distique gravé en lettres bleues dans la pierre blanche :


Une retraite heureuse amène au fond des cœurs
L’oubli des vains désirs et l’oubli des malheurs.


C’est une inscription que Boissy d’Anglas avait fait placer à l’entrée de sa propriété de Bougival, dite le Val d’Anglas, et que M. Gordon Bennett, le locataire actuel du pavillon de la « Lanterne, » a fait mettre en cet endroit il y a cinq ou six ans.

Nous ne décrirons pas en détail les vestiges de la ménagerie ; nous en avons indiqué le chemin, tout le monde peut aller les voir, et, dans leur délabrement actuel, tout le monde peut s’assurer que ces ruines ne sont pas encore tout à fait mortes. Clôtures extérieures et intérieures, bassins, puits, aqueduc et canalisations donnant toujours de l’eau, pavillons avec œuvres d’art datant du grand règne, cours d’animaux, avec leurs anciennes limites, étables, écuries et bâtimens d’habitation avec jardins pour le personnel, tout cela est encore là et peut être rendu à la vie. Y aurait-il intérêt à le faire ? Nous avons réfléchi longuement à cette idée ; nous en avons parlé dans divers milieux et, fortement encouragé par quelques personnes généreuses qui aiment Versailles, qui se plaisent aux grands souvenirs et croient pouvoir y trouver encore aujourd’hui des utilisations pratiques, nous l’avons lancée au mois d’août dernier, avec succès, devant l’Association française pour l’avancement des sciences réunie en Congrès national à Lille. Les sections de médecine et de zoologie de ce Congrès ont voté, en effet, les considérans et le vœu suivant :

« Considérant que les besoins de la zoologie, de la physiologie et de l’économie domestique exigent de plus en plus l’emploi de stations terrestres et des parcs d’acclimatation permettant de faire des observations et expérimentations de longue durée sur l’animal vivant ; en particulier, que les Facultés de Médecine auraient grand intérêt à pouvoir utiliser de pareilles stations pour l’étude expérimentale des grands problèmes de la biologie, tels que l’hérédité et pour celle des maladies parasitaires ;

« Considérant que de semblables stations existent depuis plusieurs années déjà en Angleterre, en Autriche et aux Etats-Unis, où elles fonctionnent au plus grand profit des progrès des sciences dans ces pays ;

« Considérant que l’ancienne ménagerie de Versailles et le parc du Petit-Trianon existent encore dans leurs organes essentiels ; que ces établissemens, à peu près entièrement inutilisés, sont laissés dans un état peu favorable à leur conservation, alors que la part qu’ils ont prise au progrès de la zoologie et de l’acclimatation mérite qu’ils soient sauvés de la destruction complète ;

« Emettent le vœu :

« Que l’ancienne ménagerie de Versailles et le parc du Petit-Trianon soient rétablis dans leur destination primitive, tout en les adaptant aux besoins de la science actuelle et que, sans rien changer à leur caractère historique, ils soient ouverts librement à toutes les grandes Ecoles scientifiques et à tous les savans de France et de l’étranger. »

Il ne s’agit pas, bien entendu, dans ce vœu, de faire revivre purement et simplement l’ancienne ménagerie du Roi, d’y nourrir des lions, des tigres, des éléphans, des rhinocéros, d’y poursuivre, en un mot, la recherche d’un pâle reflet de magnificence passée, mais bien d’y réaliser ce que des savans de tous les pays n’ont cessé de réclamer depuis cinquante ans : une grande station de zoologie terrestre qui soit un vaste laboratoire pour l’étude, sur l’animal vivant, du transformisme et des grands problèmes de la biologie et de la médecine, — un parc zoologique pour l’étude des espèces exotiques utiles et pour la sélection et la conservation des races d’animaux de sport dont la pureté ne peut être longuement maintenue que dans un établissement scientifique, — enfin un vaste champ d’expériences et d’études pour tout ce qui concerne les rapports de la zoologie avec l’agriculture, le commerce et l’industrie. Dans ce temps de machinisme à outrance, il ne faut pas oublier que l’animal lui aussi est une machine et que le rendement de cette machine, si peu coûteuse à construire, est de nature à être fortement augmenté par une meilleure entente de son alimentation, de son fonctionnement et de son utilisation.

Tout ce que nous voudrions voir créer à Versailles existe déjà, en effet, malheureusement pour notre bonne renommée, autre part qu’en notre pays. Aux Etats-Unis, M. Rockfeller a joint à son Institut de New-York une ferme expérimentale d’une contenance de cinquante hectares où sont élevés de nombreux animaux destinés à des études de bactériologie, de médecine et de physiologie. Et M. Carnegie a fondé, en 1904, une station (station for expérimental evolution) pour l’étude expérimentale de l’hérédité et de la variation des organismes vivans et pour l’amélioration des races par l’hybridation et la sélection. Cette station est située dans un site charmant sur la côte Ouest de Long Island, à quelques milles de New-York ; elle comprend des prairies avec étables pour élevage de ruminans, des enclos herbeux côtoyés par un ruisseau et des parquets d’élevage pour des gallinacés, des oies, des canards, etc. ; des loges avec enclos à air libre pour élevage de chiens, de chats et autres petits carnivores ; des volières, des bacs d’aquarium, des serres et de grands jardins. Au centre de la station s’élève un vaste bâtiment avec étages où se trouvent : des laboratoires, munis de l’outillage complet des laboratoires zoologiques, des chambres à haute et à basse température, des pièces vivement éclairées et d’autres obscures pour l’étude de l’influence de la chaleur et de la lumière, etc. Cette station proprement dite est complétée par une résidence pour le directeur, le professeur Davenport, et par un club pour le personnel auxiliaire comprenant deux entomologistes, un cytologiste, deux botanistes, un secrétaire, un surveillant général, un fermier et plusieurs garçons de ferme ou de laboratoire.

En Europe, c’est d’abord l’Institut de biologie expérimentale de Vienne (Biologische Versuchanstalt) qui a été fondé, en 1903, par le docteur Przibram, avec l’aide de généreux donateurs et de l’Etat. Cette station s’élève, au milieu de bosquets et de jardins, sur l’allée principale du Prater ; elle comprend des loges d’élevage pour petits mammifères, des volières, terrariums, insectariums, aquariums, serres, souterrains et grottes obscures à diverses températures, enfin un certain nombre de laboratoires dont cinq sont entretenus aux frais de l’Etat. Elle est administrée par un conseil de directeurs. Dix chefs de laboratoire ou assistans y dirigent chaque année les travaux d’une quarantaine de travailleurs autrichiens ou étrangers.

C’est ensuite, en Angleterre, la station d’études de Tring (The Museum), qui a été fondée et est entretenue exclusivement par sir Lionel Walter Rothschild. Cette station, dirigée par son fondateur, aidé de deux assistans, comprend : un musée ouvert librement au public quatre fois par semaine et qui, bien qu’éloigné de toute grande ville, reçoit chaque année près de 30 000 visiteurs ; des collections d’oiseaux en peau ou montés, représentés surtout par des paradisiers et par des oiseaux-mouches (en 1906, 80 000 exemplaires) et une collection de papillons rares. Une bibliothèque de 12 000 volumes au moins et des laboratoires sont ouverts à tout travailleur national ou étranger. À cette station, consacrée surtout à l’étude de la systématique, est annexé le petit parc de Dundale où ont été faites des expériences d’hybridation, et le parc du château de Tring dont la vaste plaine ondulée nourrissait, quand nous l’avons visitée, un couple de chevaux sauvages de Prejvalsky, des bandes de cerfs du Japon, de daims, de kangourous, des troupeaux d’autruches, d’émeus et de nandous.

Enfin, c’est le splendide parc de Woburn Abbey, où la duchesse de Bedford poursuit de nombreuses expériences d’acclimatation qui lui ont valu, en 1907, la grande médaille d’or de la Société nationale d’Acclimatation de France. Depuis 1892, époque à laquelle furent commencées les expériences, plus de quinze cents grands mammifères représentant quatre-vingt-sept espèces exotiques et un nombre correspondant d’oiseaux ont été importés, installés et nourris à Woburn. Beaucoup sont morts, mais beaucoup aussi se sont acclimatés et ont reproduit si abondamment que la duchesse de Bedford a pu, non seulement faire des envois d’animaux, provenant de ses élevages, dans les colonies et dans les jardins zoologiques anglais et même dans notre ménagerie du Museum, mais encore sauver de l’extinction complète certaines espèces de mammifères. Actuellement, son troupeau d’élans (Oreas Canna) comprend 56 individus, 114 animaux de cette espèce étant nés à Woburn depuis 1892 ; celui de bisons américains comprend 37 individus, celui de bisons d’Europe seulement 5. A ces espèces de mammifères les plus rares il faut ajouter : 107 cerfs de Dybowski (Cervus hortulorum), 195 cerfs axis, 52 cerfs des marais de l’Inde (C. Duvaucelli), 27 Eldi (C. Eldi), 26 Hangul (C. cashmirianus), etc. Les collections d’oiseaux ont la même importance.

L’initiative privée a donc créé à l’étranger des établissemens de zoologie expérimentale, et nous ne parlons que de ceux que nous avons visités, qui sont venus compléter de la façon la plus heureuse les laboratoires de zoologie marine et les stations lacustres. Ces laboratoires n’ont pas été créés et ne sont pas organisés pour faire, en grand, l’élevage de l’animal vivant, et pourtant, ce sont les seuls établissemens de ce genre que l’on trouve en France ; même dans nos facultés et nos grandes écoles d’enseignement supérieur, là où existent des chaires de physiologie, de parasitologie, de médecine expérimentale, d’évolution des êtres organisés, toutes sciences qui réclament impérieusement l’étude suivie de l’animal vivant, partout, les savans qui sont à la tête de ces enseignemens n’ont guère, comme moyens d’études, que des cages à lapins parfois placées, faute d’espace, dans des caves obscures, ou de tout petits enclos à sol cimenté et sans soleil, où l’on ne peut même pas arriver à faire pondre régulièrement les poules.

Or, un groupe de personnes désintéressées pourrait créer à Versailles un établissement plus grandiose, plus pittoresque et plus utile encore que tout ce qui a été fait jusqu’ici à l’étranger.

Si, en effet, les 5 ou 6 hectares de l’ancienne ménagerie reconstituée formaient un espace trop restreint pour répondre à tous les besoins d’une pareille station, on pourrait y ajouter l’ancien quinconce qui s’étendait au Nord de la ménagerie jusqu’à l’allée des Paons, et il serait facile d’utiliser, comme parc d’acclimatation, la plus grande partie des parcs des Trianons. Mettre des animaux en ce dernier endroit, y entreprendre des études de zoologie économique, ce ne serait là encore que faire revivre ce qui existait autrefois. Deux ménageries, en effet. avaient déjà existé à Trianon, l’une au temps de Mme de Maintenon, l’autre au temps de la marquise de Pompadour, quand, en 1784, Marie-Antoinette fit agrandir ce domaine par l’achat du terrain du parc actuel du Petit-Trianon. La Reine voulut se créer là, avant tout, un charmant lieu de retraite, mais certainement aussi elle sacrifiait au goût du jour en essayant de faire, de ce nouveau domaine royal, une sorte de ferme expérimentale. Au mois de juin 1785, en effet, elle y plaçait des taureaux, des vaches, des moutons et des chèvres venus de Suisse ; des porcs et des lapins y entraient en compagnie de nombreuses poules du Mans, de Caux et d’autres races ; des pigeons d’espèces rares y venaient habiter le colombier construit pour eux au bord du lac et, dans ce lac, on jetait 2 349 carpes et 26 brochets. En même temps, la Reine installait dans le petit manoir qu’elle s’était réservé une bibliothèque où l’on voyait, entre autres livres, l’Histoire naturelle de Buffon, et elle logeait, dans les autres maisons du Hameau : une laitière, un gardien, un bouvier et des garçons de ferme. Ce ne serait donc pas profaner un lieu auquel se rattachent tant de souvenirs, que de le rendre à sa destination première. Nous croyons même que c’est le seul moyen de conserver longtemps encore les constructions et le parc du Petit-Trianon, car tout ce qui ne sert pas tend à disparaître. Pour sauver de la ruine totale cette partie, la plus gracieuse, de notre domaine national, il ne suffit pas d’y faire de temps en temps quelques menues réparations extérieures, ni d’y laisser toujours les fenêtres et les portes hermétiquement closes ; il faut y remettre tout en état pour une fin utile. En tout cas, quel vaste champ d’observations pour le savant, quelle richesse de formes, d’attitudes et de couleurs pour l’artiste, quelle joie pour le peuple et quels spectacles, aussi instructifs que récréatifs pour l’enfant, que ces bandes de kangourous, de singes, d’autruches, de demoiselles de Numidie, de pélicans, de perroquets et de tant d’autres animaux étrangers non dangereux et que nous avons vus vivre en complète liberté non seulement dans les grands parcs d’acclimatation d’Europe et d’Amérique, mais dans les arbres, sur les pelouses et les étangs de plusieurs jardins zoologiques.

La ménagerie de Versailles, augmentée d’une partie des Trianons, peut donc rendre encore des services à la science, car c’est l’intérêt de la science qui nous préoccupe ici avant tout. Le Muséum d’histoire naturelle rend sans nul doute de grands services, les plus grands de tous pour ce qui concerne l’étude de la Nature, et lui aussi a une histoire qui le recommande vivement à tous les Français. Il ne peut donc s’agir de porter atteinte ici à son organisation, mais seulement de mettre à sa disposition, et à celle de toutes nos grandes écoles et sociétés scientifiques un vaste laboratoire que ses propres dimensions, nécessairement restreintes, ne lui permettent pas d’avoir à Paris. Il s’agirait de faire revivre, en l’adaptant à des besoins nouveaux, quelque chose d’un passé qui n’a pas été sans honneur. A Versailles, au contraire, il y a de la place. Et si, en même temps que la science trouvait son avantage à cette restauration, la beauté de cette ancienne ville royale en profitait ; si nous pouvions montrer là aux étrangers, qui y viendraient en grand nombre, un établissement modèle inspiré des siens, mais les dépassant et les complétant, il nous semble que tout le monde devrait seconder un effort aussi méritoire, ou du moins encourager ceux qui voudraient bien l’accomplir.


GUSTAVE LOISEL.