Les Métamorphoses (Apulée)/Traduction Bastien, 1787/I/Remarques sur le Livre V

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REMARQUES

SUR

LE CINQUIEME LIVRE.


(1) De bois de citronnier. Théophraste et ensuite Pline écrivent que les solives et planchers des temples se faisoient anciennement de bois de citron, à cause de sa dureté qui l’empèche de pourir.

(2) Trop tard. La douleur et les larmes sont les suites d’une tardive repentance, quand la faute est irrémédiable. Ceux qui peignent l’Occasion, lui donnent pour compagne, Métanaé, voulant dire pénitence, déesse qui se fait rendre compte de tout ce qu’on a dû faire, et que l’on n’a pas fait.

(3) Echo. Echo, fille de l’Air et de la Langue, suivant les Poëtes, rend la voix entre les rochers, les pentes des montagnes, aux creux et sinuosités des vallées, aux forêts et traits des rivières. Elle fut, par désespoir, transmuée en cette voix retentissante, après que le beau Narcisse l’eut dédaigné. Pan, ami de la Solitude, la poursuit sans cesse inutilement. Pythagoras, Platon et Aristote veulent que cet écho ou résonnance ne soit autre chose qu’une simple forme imprimée seulement en la surface de l’air, sans participer d’aucun corps. Les Stoiques soutiennent que c’est un corps d’autant qu’elle a action et passion ; elle nous peut recréer ou déplaire, elle est mobile et agissante. L’écho se fait par un rabattement de la voix à l’air, ainsi que le son d’une balle qui bondit en haut. Entre les échos les plus remarquables, est celui du Pont de Charenton, près de Paris, lequel redouble douze ou treize fois, mais plus confusément que celui qui est auprès de l’église S. Sébastien, hors de Rome, en une ſépulture antique, qu’on appelle cabo di bone, à cause des têtes de bœuf taillées en une frise qui environne ce bâtiment qui est rond comme une tour, où l’écho redouble fort distinctement jusqu’à sept fois les trois dernières ſyllabes de ce qu’on y prononce à haute voix.

(4) Esclaves. Le texte dit, ancillæ, servantes. Les femmes souffrent beaucoup, quand leurs maris ne les regardent que comme des servantes. Ceux qui en agissent ainsi font souvent tourner l’amitié conjugale en une haine détestable. Les soins de la maison doivent être partagés. Le mari doit se mêler des affaires du dehors, et la femme de tout ce qui concerne l’intérieur de la maison : chacun doit se rendre compte réciproquement de ce qu’il a fait pour le bien de la communauté, autrement la décadence et le trouble se mettent dans tout. La société du mari et de la femme, selon Aristote, au viiie des Ethiques, ressemble à l’état aristocratique ; le mari doit commander aux membres, comme en étant le chef.

(5) Qui n’a pas un cheveu. Il y a dans le latin, plus pelé qu’une citrouille ; cucurbita glabriorum.

(6) Et à mettre des fomentations sur ses doigts endurcis, comme des pierres. Le texte dit, et duratos in lapidem digitos ejus perfricans, fomentis olidis et pannis sordidis, et fœtidis cataplasmatis ; En mettant sur ses doigts endurcis comme des pierres, des fomentations puantes, des emplâtres dégoûtans et de vilains linges crasseux. La fiente des paons tempère l’ardeur de la goute, &c. Quiconque aura, dit Matarnus, son horoscope en la vingt-huitième partie du verseau, sera podagre. Hippocrate regarde avec raison la médecine comme un art sale, parce que le médecin a de vilaines et puantes choses à toucher, la médecine est honorable pour la nécessité, dit l’Ecclésiaste.

(7) Si ces abominables femmes. Je me suis servi de cette façon de parler, qui est plus à notre usage que de dire, si ces méchantes Lamies ; pessimæ illæ Lamiæ, qui est dans le texte ; d’autant plus que les sœurs de Psiché n’étoient pas véritablement des Lamies, et que ce n’est que par forme d’injure que Cupidon les nomme ainsi. Les Lamies étoient, à ce qu’on croyoit, des Sorcières, ou plutôt de malins esprits qui, sous la figure de belles femmes, attiroient à elles par des caresses, de jeunes enfans pour les dévorer.

(8) Ces perfides Sirenes. Les Sirenes étoient filles du fleuve Acheloüs, et se nommoient Parthenope, Ligée et Leucosie. On dit qu’elles étoient moitié femmes et moitié poissons, et qu’elles habitoient les côtes de Sicile, où par la mélodie de leurs chants elles attiroient les voyageurs dans des rochers pour les faire périr et les dévorer. D’autres disent qu’elles étoient moitié femmes et moitié oiseaux, que l’une chantoit, l’autre jouoit de la flûte, et la troisième de la lyre, et qu’elles habitoient sur les côtes d’Italie. Ce nom de Sirenes en Phénicien signifie des chanteuses. Il se peut faire qu’il y ait eu en quelque endroit sur ces côtes maritimes des chanteuses excellentes qui débauchoient les voyageurs, et que c’est ce qui a donné lieu à cette fable.

(9) Par hazard le dieu Pan. Pan étoit adoré chez les Egyptiens sous la figure d’un bouc, long-temps avant que les Grecs le connussent ; ces derniers le firent fils de Mercure et de Pénelope. Il étoit le Dieu des Pasteurs ; on le considéroit aussi comme le Dieu de la Nature, ce que son nom sembloit marquer ; car Pan en grec signifie tout, et l’on prétend que toute sa figure exprimoit les principales choses qui composent l’univers, comme ses cornes, ses pieds de chèvre, son bâton et tout le reste de sa figure et de son équipage, tout cela avoit son application, jusqu’à sa complexion amoureuse, et l’ardeur avec laquelle il poursuivoit les nymphes, qui marquoit, dit-on, le desir de la génération répandu dans tous les êtres de l’univers. Les anciens croyoient que Pan couroit la nuit par les forêts et les montagnes, et qu’il apparoissoit quelquefois aux laboureurs, et leur causoit de si grandes frayeurs, que plusieurs en mouroient, d’où est venu le mot de terreur panique.

(10) Démarche chancelante. Cette allure, la paleur immodérée, les soupirs fréquens sont indices d’amour. Le médecin Erasistrate découvrit anciennement par semblables conjectures, l’amour d’Antiochus pour Statonice.

(11) Je romps pour jamais les liens qui vous unissoient à moi. Il y a dans le texte latin : Retirez-vous et emportez ce qui vous appartient. Ce sont les termes dont les maris se servoient, en faisant divorce avec leurs femmes. J’ai cru qu’il valoit mieux exprimer cet endroit comme j’ai fait, d’autant plus que Psiché n’avoit apporté en mariage que de la jeunesse et de la beauté.

(12) Un de ces oiseaux blancs. Le texte dit Peralba illa gavia. Je n’ai point exprimé le nom de cet oiseau gavia, qu’on explique en françois moatte, parce que cet oiseau n’est gueres connu, outre que cela est peu important.

(13) Est-ce une nymphe. Il y en avoit de plusieurs sortes ; de célestes, de terrestres, des nymphes des fleuves, des étangs, de la mer, qu’on appelloit Néréïdes ; celles des montagnes, oréades, celles des forêts, dryades et hamadryades, et celles des vallées, nappées.

(14) Une des Heures. Les Heures étoient, selon Orphée et Apollodore, filles de Jupiter et de Thémis ; leur fonction étoit de diviser la journée, ce qui a fait dire à Platon dans le Cratyle, que leur nom venoit du verbe orizein, qui signifie terminer, borner. Ovide les met à la garde des portes du ciel avec Janus, liv. 1, des Fastes ; et dans le 5e des mêmes Fastes, il les donne pour compagnes à Flore, avec laquelle il les fait cueillir des fleurs, ce qui revient assez à ce que dit Apulée, au liv. 6, que les Heures semoient des fleurs de tous côtés. Macrobe veut que le nom d’Heure vienne de Horus, qui étoit un des noms du Soleil.

(15) Une des Muses. Elles étoient filles de Jupiter et de Mnemosyne ; ce nom veut dire mémoire.

(16) Ou une des Graces de ma suite. J’en ai parlé dans les remarques du second livre.

(17) Tout cela vient de moi, et non pas de votre père. Les auteurs ne conviennent point du père de Cupidon ; la plupart le font cependant fils de Mars et de Vénus, ou de Vulcain et de Vénus. Ovide et Plutarque veulent qu’il y ait deux Cupidons, l’un céleste qui est l’Amour pur, et l’autre terrestre, qui est l’Amour sensuel ; le premier, né de Vénus et de Jupiter, et le second de l’Erèbe et de la Nuit. Il paroît ici qu’Apulée fait Cupidon fils de Vénus et de Vulcain, puisqu’un peu plus bas, il appèle Mars son beau-père.

(18) Irai-je demander du secours à la Sobriété, qui est ma plus mortelle ennemie ? On sait assez le proverbe, sine Cerere et Baccho friget Venus, et que, sans la bonne chère, l’Amour languit.

(19) Qu’elle vuide son carquois, détende son arc, &c. Cette allégorie est fort jolie et fort juste ; car il est vrai que la Sobriété seule peut éteindre le flambeau de l’Amour, et briser ses traits, c’est-à-dire, détruire l’ardeur et les mouvemens de la concupiscence.

(20) Galanteries de votre fils. Ces deux Déesses reprennent Vénus de trop épier les actions de son fils. Donnons quelque passe-temps aux jeunes gens, dit Cicéron, laissons-leur quelque liberté, ne leur interdisons pas tous les plaisirs, &c.


Fin des Remarques du cinquième Livre.