Les Marchands de Voluptés/30

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Édition Prima (p. 181-186).

XXX

Réconciliation


Amande, étendue sur un lit parfumé et dans une obscurité totale, écoutait les bruits qui se répandaient à travers les portes de la maison.

Elle ne savait d’ailleurs même pas quel nom portait l’étrange gaillarde qui l’avait si habilement amenée en son terrier. Oh ! celle-là était fine en son genre et devait occuper une place égale à celles que déjà la jeune femme avait connues, sans en tirer, au demeurant, le moindre fruit. Mais la chance ne l’avait sans doute pas servie… Qu’en serait-il cette fois ? Amande se le demandait avec une curiosité amusée. Elle avait perdu tout sentiment de vergogne depuis longtemps, mais commençait de sentir ce que cette fréquentation obstinée des maisons d’amour comporte de fâcheux pour le sentiment de dignité intime indispensable à une femme libre.

Trouver le plaisir et le prendre, rien de mieux. Mais courir après et ne point même le voir sur une route trop riche d’abandons était chose un peu irritante.

Et Amande se demandait si elle n’allait pas enfin, en cas de nouvel échec, faire vœu de définitive vertu.

Elle y pensait d’autant mieux qu’elle ne sentait aucun désir réel aiguiser sa chair.

« Si je fichais le camp ? »

Mais elle pensa que si l’on s’engage dans une mauvaise route il faut au moins avoir le courage de la suivre jusqu’à son extrémité.

Et elle resta couchée.

Il faisait chaud et un parfum entêtant se répandait partout. Que va-t-il se passer ?

Elle avait voulu l’obscurité parce que la lumière déçoit. Si elle n’avait pas vu naguère la face crapuleuse de son initiateur, elle l’aurait aimé, sans doute, d’un amour violent et durable. Il est entendu que ce lui était une belle sauvegarde que de ne point connaître un tel amour pour un individu si dangereux. Le voyez-vous vendant la baronne Amande de Baverne d’Arnet à une maison de tolérance de Buenos-Ayres ?

Pourtant, il ne faut pas chasser trop tôt les illusions… Elle en était là de ses méditations, lorsqu’elle entendit, sans que la lumière trahit le survenant, la porte qui s’ouvrait et se refermait doucement.

Elle sentit son cœur qui commençait de s’affoler :

« Oh ! oh !… serais-je on posture de nouvelle épouse qui ne sait pas encore les délices, et les soucis, et les douleurs, et les déplaisirs qui l’attendent ? »

Un pas lent s’approchait et un corps fut debout, invisible, au bord du lit.

Les yeux écarquillés, Amande regardait la nuit. Elle croyait, en vérité, percevoir quelque chose. Elle disait tantôt « il est grand », tantôt « il est petit »… Mais c’était tout songe. Et voilà qu’une main s’étendit sur elle, une main lente et douce, qui n’insistait pas, qui ne violait pas, une main intelligente et délicate qui lui fit passer un frisson dans la moelle.

Elle pensa :

« Il est fin… »

L’autre main survint à son tour. Cela jouait avec le corps d’Amande, le tenait, le laissait, le maniait et lui procurait mille angoisses rapides qui se résolurent bientôt en un violent émoi.

Puisqu’elle était là, aussi bien, ne valait-il pas beaucoup mieux attendre avec satisfaction ce qui allait advenir plutôt que de le redouter ?

Et elle se retenait de pousser de petits cris, qui venaient du plus profond d’elle, puis mouraient aux bords de ses lèvres crispées.

Soudain les mains inconnues la quittèrent et le corps de l’homme se plaça sur le lit.

Amande frissonnait. Comme c’était mystérieux et languissant, cette attente dans la nuit, et combien l’événement en prenait une sorte de douceur sacrée…

Et elle se tendait, comme une lamelle d’acier, pour mieux percevoir les appels qui passaient en elle et autour de son corps…

Brusquement, elle se sentit prise.

L’étranger ne disait rien. Pas un de ses gestes qui ne fût voué à la joie. Il paraissait un technicien amoureux d’une habileté vraiment souveraine.

Amande se pâma alors comme si le feu du ciel la tordait et promenait ses flammes sur elle. Elle devina confusément que son plaisir était partagé et poussa un roucoulement.

Elle sentit ensuite la passion naître en elle comme une chose déjà étrangère et elle s’exhala dans un cri délirant :

— Mon chéri… je t’aime… je t’aime !…

Mais l’amant ignoré frissonnait et se retirait soudain. Il allait en hâte à un commutateur et faisait la lumière. Et ils se regardèrent tous deux ahuris et bouleversés. Ils étaient nus et pareils à Adam et Ève après le péché.

Nus et époux, en vérité.

Car Amande reconnut en son amant de hasard son mari, Adalbret de Baverne d’Arnet.

Elle poussa un cri de stupeur amusée :

— Vous, mon ami.

Il s’approcha.

— Vous m’avez dit que vous m’aimiez, Amande ?

— Oui !

— Maintenant que vous m’avez vu, retirez-vous cet aveu ? Était-il adressé seulement à l’inconnu que j’étais, il n’y a qu’un instant, ou à moi-même ?

Elle hésita, puis comprit qu’il y eût entre eux quelque secrète et lointaine ignorance qui consommait auparavant leur séparation.

À cette minute il leur était enfin possible de s’unir.

Elle dit :

— Je préfère que mon mot soit pour vous.

— Bien, fit-il, j’avais toujours cru que vous étiez de glace et qu’il me fallait chercher l’amour ailleurs. Je ne vous ai jamais trompée, Amande, qu’avec des femmes misérables et hideuses qui ne pouvaient venir en compétition avec votre beau corps.

Elle répondit :

— Vous m’avez crue de glace. Vous vous trompiez et moi je vous croyais ignorant et sot en amour.

— Vous le croyez encore ?

— Non, certes !

— Eh bien aimons-nous pour commémorer notre union cette fois définitive, puisque les sens y participent.

Et ils se prirent en amants pleins d’ardeur.

« Nous ne nous comprenions pas », devinait Amande.

« Je me trompais sur elle », pensait Adalbret.

Et ils poussèrent ensemble un grand cri d’amour.

La vie était belle, une maison de désir est sans doute le seul lieu où deux époux puissent rendre leur mariage parfait et indissoluble.

Car la morale sait où et quand il lui faut se manifester…


FIN