Les Muses françaises/Lya Berger

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Les Muses françaises : anthologie des femmes-poètesLouis-MichaudII (XXe Siècle) (p. 20-24).




LYA BERGER




Marie-Thérèse-Léone-Julia Berger, qui signe ses œuvres Lya Berger, est née dans le Berry, à Châteauroux. Elle débuta toute jeune dans les lettres puisqu’elle avait à peine vingt ans lorsqu’elle publia son premier volume Réalités et Rêves, pour lequel Sully-Prudhomme écrivit une élogieuse préface. Les critiques signalèrent le recueil et, sans s’attarder aux imperfections inévitables, à l’inexpérience juvénile de l’auteur, ne dédaignèrent pas de lui prédire un légitime succès. C’est qu’en effet ces premiers vers vibraient de sincérité, de curiosité, de sympathie et de ce bel idéalisme irrésistible de la jeunesse.

Les Pierres sonores ne furent pas moins favorablement accueillies. « Il y a des qualités charmantes dans ce volume, écrit André Rivoire. Les vers sont quelquefois prosaïques, mais toujours solides et pleins et certains arrangements de strophes qui attirent l’attention par leur aspect la retiennent ensuite par leur délicate harmonie ».

Mais cette harmonie et ces dons d’émotions, cette fervente et débordante pitié que l’on rencontre dans ses poésies, Mlle  Lya Berger les dépare trop souvent par une facilité excessive, une abondance trop peu surveillée.

N’est-ce pas Auguste Dorchain qui dit à ce sujet : « Avec des dons magnifiques elle semble écrire, trop souvent, au hasard de la plume, mêlant des déplaisantes rudesses de rythme aux trouvailles rythmiques les plus heureuses, gâtant quelquefois de belles inspirations par une composition par trop défectueuse du poème… N’importe, il y a là des dons très rares et par-dessus tout le don de la vie. »

Ainsi Mlle  Lya Berger nous apparaît, comme un poète d’une inspiration abondante, presque prolixe, mais aussi, comme une âme généreuse, simple et sincère, essayant de toucher plutôt qu’étonner ou éblouir. Elle s’adresse à ce qu’il y a de bon en nous. Elle aime la justice, la charité et veut que nous les aimions comme elle.

Malheureusement cette philosophie largement humaine, est diffuse et trop éparse à travers l’œuvre. L’auteur n’a pas su se borner. Il émiette son inspiration. Et ce qu’il gagne en développements, il le perd en profondeur. Il ne suffit pas d’avoir beaucoup d’idées ; encore faut-il les classer, les sérier, les polir et les mettre en valeur.

BIBLIOGRAPHIE. — Poésie : Réalités et Rêves, Sté-Française d’Imprimerie, Paris, 1901. in-18. — Les Pierres sonores, Sté-Française d’Imprimerie, Paris, 1905, in-18. — Théâtre : L’âme des roses, un acte, en vers (Théâtre de l’Athénée St-Germain), Sté-Française d’Imprimerie, Paris, 1903. — Le Rêve au cœur dormant, un acte en vers (même librairie), Paris, 1904.

COLLABORATION. — Critique littéraire à La Française. — La Femme contemporaine.




CONSULTER. — Ernest Prevost, Revue des Poètes, 1901. — Gustave Lanson, Revue universitaire, 1901. — Gabriel Aubray, Mois littéraire et pittoresque, 1905. — André Rivoire, Revue de Paris, 1905. — Camille Pert, L’Informateur des gens de lettres, 1905. — Auguste Dorchain, Les Annales, 2 juillet 1905. — Émile Faguet, Les Débats, 13 août 1906.

LA TRAVERSÉE



Sur l’océan de Vie, un jour, à tour de rôle,
Nous lançons notre barque et nous appareillons
Vers quelque but lointain embué de rayons
Qui darde sur nos yeux l’attraction d’un pôle.

Aux mâts enguirlandés et que la brise enjôle,
Un baiser de soleil rosit les pavillons,
Et le groupe enlacé de nos Illusions
Chante et rit à la proue en dépassant le môle.

Puis, dans ce même port nous revenons un soir…
Le vent du ciel natal se plaint dans le cordage ;
Sur le mât défleuri s’enroule un voile noir ;

Car une passagère est morte en ce voyage…
Au large de la mer menteuse on l’immergea…
— Et ses sœurs, au prochain départ, rêvent déjà.

(Les Pierres Sonores.)


ÂMES SŒURS



D’une aube de soleil tissé en pistils d’or,
Des branches d’une étoile incurvée en corolle,
D’un frisson d’harmonie étreint dans son essor,
Dieu, de tout ce qui luit enfin, frémit et vole,
Fit un jour une fleur aux gloires d’auréole.

Dans le calice teint d’un reflet de l’azur,
Du miel de sa douceur il versa l’ambroisie ;
Et, parsemant de pleurs humains ce galbe pur,
Il baptisa la fleur entre toutes choisies
D’un nom d’amour et de rêve, — la Poésie !

Ses doigts, l’ayant parée avec des soins d’amant,
De leur parfum d’espoir lui firent un arôme…
Fier de son œuvre et la sentant infiniment

Mystique comme un temple et douce comme un baume,
Dieu voulut ici-bas lui choisir un royaume.

Il chercha sur quel sol, l’ignorance et le mal
Ayant voilé son nom de l’ombre du blasphème,
La terre avait plus soif d’un rayon d’Idéal…
Hélas ! l’humanité partout souffrait de même,
Dans un égal besoin de sa pitié suprême !

Alors, sacrifiant son rêve à nos désirs,
Pour que chaque détresse eût sa divine obole,
Il effeuilla, pétale à pétale, aux zéphirs,
Les clartés, les parfums de la fleur qui console,
— La fleur de Poésie aux gloires d’auréole !

Or, ces fragilités, au gré des vents du ciel,
S’éparpillant au loin en lumineuses miettes
— Nostalgiques errants du jardin fraternel —
À la fois âme et fleur, échos de voix secrètes,
Or, ces fragilités devinrent des poètes…

Et le long des chemins, lorsque ces exilés
Se rencontrent dans le hasard d’un vent propice,
Impérieusement l’un vers l’autre appelés,
Ils vibrent du doux vœu que leurs élans s’unissent
Dans un ressouvenir d’initial calice.

(Les Pierres Sonores.)


CONSOLATION EN DOUBLE EFFIGIE



La fleur d’héliotrope enferme, à peine née,
Le plus suave arome et le plus doux destin
Sous la mélancolie où son calice éteint
Semble à nos yeux l’avoir à jamais condamnée.

Vers le soleil sa tige incessamment tournée
Gravite sur le sol dès l’appel du matin
Et, d’un lent tournoiement, suit le rayon lointain
Dans son cours lumineux à travers la journée.

Ma vie en robe obscure, au parfum si secret,
Dès son éclosion soumise au même attrait,
A fait ainsi de toi son soleil, ô mon Rêve !


Vers tes seules clartés tendue obstinément,
La grappe de ses jours s’incline ou se relève
Selon l’heure qui glisse en ton rayonnement.



Dans la douceur d’avril, à l’heure où je suis née,
Une étoile au zénith incarnant mon destin
A brillé sur ma vie, et son pouvoir lointain
Ciel à ciel m’a suivie en égide obstinée.

Ô mon Rêve, tu fus cette étoile ! Menée
Par toi, nocturne ami, vers mon premier matin.
Je t’ai gardé ce culte exclusif et hautain,
De ne songer qu’au soir en faisant ma journée.

Et si le Doigt glacé, quelque jour en secret,
Pétrifiait mon cœur, ta forme apparaîtrait
Incrustée à jamais sur la pierre, ô mon Bêve,
 
Comme on voit s’imprimer le fossile segment
D’une étoile de mer aux galets de la grève
Que l’étreinte des flots creuse éternellement.

(Les Pierres Sonores.)