Les Mystères de Londres/3/04

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Au Comptoir des imprimeurs unis (6p. 103-133).


IV


LE COIN DU LORD.


Il y avait, au bout du corridor où le cavalier Angelo Bembo passait à peu près sa vie depuis quelques jours, une fenêtre basse qui s’ouvrait sur une toute petite cour, environnée d’un mur. Au delà de la cour était le passage communiquant avec Belgrave-Lane.

Dans Belgrave-Lane, juste en face de la fenêtre basse s’élevait une maison construite en briques rouges, bronzées par les brouillards de Londres, tout imprégnés de la noire vapeur du coke. Cette maison, triste et abandonnée d’ordinaire, avait dans le quartier une mauvaise réputation. Le marchand de cigares de Grosvenor-Place racontait volontiers à qui voulait l’entendre qu’elle avait servi long-temps de free and easy[1] à un noble lord. On y avait entendu souvent le bruit nocturne des orgies, et parfois, de ses étroites fenêtres, des plaintes de femme étaient tombées jusqu’à l’oreille du passant attardé dans l’allée de Belgrave.

Depuis quelques années, on ne voyait plus guère s’ouvrir les contrevents rembourrés du free and easy que les commères du quartier de Pimlico appelaient le coin du lord (lord’s-corner), La maison demeurait inhabitée, et seulement, à de bien rares intervalles, ses croisées s’illuminaient quelque soir.

Le lord vieillissait, sans doute, et ses fantaisies devenaient de moins en moins fréquentes.

On ne connaissait point, du reste, dans Pimlico le nom de Sa Seigneurie, dont les visites à la petite maison s’étaient faites de tout temps avec le plus grand mystère.

Le lord’s-corner était, du reste, admirablement situé pour l’usage que lui prêtait la voix commune. Rien ne dominait ses croisées, qui regardaient de biais une partie des derrières d’Irish-House. De là seulement aurait pu partir un coup d’œil indiscret. — On doit croire que Sa Seigneurie avait reconnu cet inconvénient ; car, douze ou quinze ans auparavant, on avait planté des arbres dans l’étroite cour qui séparait Irish-House du passage.

Et l’on disait que, pour le seul fait de la plantation de ces arbres, Sa Seigneurie avait payé trois mille guinées à l’ancien propriétaire d’Irish-House. Comme il y avait trois arbres, cela donnait vingt-six mille francs pour chaque pied.

On ne saurait acheter trop cher l’avantage de murer sa vie privée.

Les trois arbres, transportés à grands frais dans la petite cour et plantés lorsque leur crue était déjà fort avancée, avaient peu profité depuis lors. Ils étalaient au devant des fenêtres d’Irish-House leur maigre feuillage ; l’hiver, ils entrechoquaient leurs branchages étiques, voile transparent, suffisant pour dérouter le regard fixé sur Irish-House, mais incapable d’empêcher les curieux de cette dernière maison d’espionner a leur aise le lord’s-corner.

De sorte que, en définitive, Sa Seigneurie n’avait rien muré du tout.

L’arbre du milieu masquait la fenêtre basse située su bout du corridor intérieur d’Irish-House.

Tout en veillant sur Rio-Santo, le cavalier Angelo Bembo, dans les premiers jours surtout, allait et venait, passait parfois quelques heures dans sa chambre, située à l’étage supérieur, et sortait même durant de courts instants. Bien qu’il n’habitât point Irish-House, il avait conservé de telles habitudes auprès du marquis, que les gens de la maison ne pouvaient point s’étonner de sa continuelle présence. D’un autre côté, comme personne n’eût été assez osé pour pénétrer jusqu’au corridor malgré la défense du marquis, nul ne pouvait surprendre l’espionnage de Bembo.

Sans cela, c’eût été, depuis huit jours, un précieux sujet d’entretien pour les cuisines et les écuries d’Irish-House, que cette bizarre fantaisie du signor Bembo d’élire ainsi domicile au cœur de l’hiver dans une froide galerie. — Il faut dire néanmoins que les cuisines et les écuries d’Irish-House n’étaient point à court de sujets d’entretien. Si bien séparés que soient maîtres et valets en Angleterre, les longues oreilles de la livrée savent toujours saisir quelques mots au passage, et les murs les plus épais n’ont pas, pourrait-on croire, le pouvoir d’arrêter l’œil curieux de la valetaille. Aussi, grooms et valets, dans Irish-House, sans se rendre compte au juste du grand et mystérieux drame dont leur maître était le principal acteur, jasaient volontiers à perte de vue sur une foule de choses qui leur semblaient sortir de la rainure commune où glisse la vie de Londres.

Nous ne comptons point initier nos lecteurs aux ingénieuses conjectures qui se faisaient sur ce, autour des fourneaux souterrains et dans la chaude atmosphère des magnifiques écuries.

Un matin, — c’était le troisième jour que Bembo veillait, — le soleil s’était levé plus pur qu’à l’ordinaire et combattait victorieusement le rempart opaque que lui opposaient les lourdes vapeurs incessamment suspendues au dessus de nos têtes. Bembo s’était accoudé sur l’appui de la fenêtre du corridor et suivait avec distraction les lignes indécises du profil d’Irish-House, dont le soleil projetait la silhouette élégante de l’autre côté de Belgrave-Lane.

Son regard parcourait ainsi, presque à son insu, la façade brunâtre du lord’s-corner, qui, frappée d’aplomb par le soleil, empruntait à cette illumination inusitée un air de lugubre fête. L’arbre qui s’élevait entre lui et le free and easy touchait littéralement la fenêtre et ne pouvait par conséquent intercepter son regard. — Au contraire, ce même arbre pouvait le cacher d’autant plus facilement qu’il était plus proche et que les derrières d’Irish-House se trouvaient être à contrejour.

Bembo venait d’assister à l’une de ces luttes silencieuses et terribles que précédait toujours le rauque chant du malade, et que suivaient, pour les deux combattants, quelques heures de repos, fruit d’une lassitude mutuelle.

Bembo était bien triste : son grand œil noir dont, à ces heures de mélancolique rêverie, la prunelle avait une douceur tendre et presque féminine, se promenait sans voir sur les objets extérieurs.

Tout-à-coup sa distraction chagrine fit place à une expression d’étonnement.

Le soleil, en pénétrant dans l’une des chambres du lord’s-corner, venait de lui montrer une jeune fille étendue dans un fauteuil et dormant.

Il y avait un an que Bembo venait presque tous les jours à Irish-House. Souvent il avait pu remarquer l’état de solitude et d’abandon de la petite maison de Belgrave-Lane, dont la destination mauvaise ne lui était point inconnue. Jamais il n’avait vu les contrevents s’ouvrir dans toute cette année.

Son premier mouvement fut exclusivement curieux ; puis une nuance d’intérêt attendrit son regard : Angelo Bembo était tout jeune.

Mais ce fut une impression passagère et bien vite étouffée. — Que pouvait être la dormeuse, sinon l’une de ces femmes dont la vie est consacrée aux récréations nocturnes de milords du haut parlement, l’une de ces femmes que Leurs Seigneuries se passent de main en main, comme une espèce ayant cours, charmantes incarnations du vice, fleurs brillantes que de nobles caprices fanent avant le temps, et qui, fanées, tombent un jour des somptueux coussins d’un équipage dans la boue noire du ruisseau, — où nul ne s’avise de les relever.

Le cavalier Angelo Bembo détourna la tête.

Mais il y a de ces radieux visages dont l’empreinte reste obstinément sur la pupille, comme celle du soleil, long-temps après que l’œil s’est refermé.

Bembo voulut revenir à ses tristes pensées, mais entre sa tristesse et lui quelque chose d’éblouissant se posait. — Il voyait la gracieuse enfant du lord’s-corner étendue en face de lui, et dans sa pose, aperçue ainsi au travers de son récent souvenir, il y avait une pudeur exquise, infinie…

Encore une fois, le cavalier Angelo Bemho était tout jeune.

Involontairement, sa tête se retourna et son regard chercha de nouveau la dormeuse.

Combien elle lui sembla plus belle !… Le soleil l’éclairait en plein, et Bembo pensa que jamais le soleil n’avait éclairé front plus candide ni plus ravissant visage.

Il soupira bien douloureusement en songeant que tant de beauté s’alliait à tant de honte.

Puis il se dit que peut-être…

Il se dit cela, nous l’affirmons. Rien de plus, rien de moins.

C’était beaucoup. — Mais on ne se frotte pas au monde sans prendre quelque chose de son impitoyable malveillance. Bembo haussa les épaules et rentra dans l’ombre de son corridor.

Ce peut-être qu’il avait hasardé lui faisait honte. De fait, pas un dandy de la Loge infernale ne l’eût hasardé à sa place, et le vicomte de Lantures-Luces en eût ri de bon cœur. — Nous parlons sérieusement.

Nous ne saurions trop dire comment cela se fit, mais, trois minutes après, Bembo était de retour à la fenêtre et regardait la dormeuse de tous ses yeux.

Le fameux peut-être était positivement distancé. On ne songeait plus au peut-être ; il n’y avait plus de peut-être. Mais Lantures-Luces, cette fois, se fût, sur notre honneur, pâmé de rire. Bembo, qui se reprochait tout à l’heure d’avoir douté, voguait maintenant en pleine certitude.

Et sa certitude était, le croirait-on ? tout en faveur de la charmante dormeuse. Il aurait rompu des lances pour elle, il aurait juré sur sa tête…

Pourquoi ? Pour rien. Bembo était tout jeune.

Ceux qui seraient tentés de prendre en pitié le cavalier Angelo Bembo, sont instamment priés de garder leur compassion pour une occasion meilleure.

La dormeuse semblait tourmentée dans son sommeil. Deux ou trois fois elle étendit au devant d’elle deux petites mains blanches d’un ravissant modèle, comme pour repousser un invisible ennemi. — C’étaient peut-être les rayons du soleil tombant sur son visage qui l’agitaient ainsi, et cependant, même à cette distance, on pouvait voir sur ses jolis traits pâlis une expression de fatigue et de détresse.

Angelo pensa que parfois des jeunes filles sont violemment ravies à leurs parents et livrées, pour de l’or, à la merci de quelques débauchés pervers.

Pour le coup, celle hypothèse dépassait toutes bornes permises. C’était de la poésie, du roman à la façon de Richardson, du nocturne à deux voix avec accompagnement de guitare…

La dormeuse, cependant, s’agita encore durant quelques secondes, puis elle s’éveilla en sursaut. Lorsque ses paupières se soulevèrent, ce furent les doux yeux d’Anna Mac-Farlane qui brillèrent à la lumière du soleil.

Elle sourit à son réveil, comme font tous les enfants, et mit ses deux mains devant ses yeux, que blessaient les rayons trop ardents de la lumière. Ce geste fut mignon et gracieux ; Bembo eut un sourire en le remarquant. Il se crut en même temps obligé de reconnaître que jamais il n’avait rien vu de charmant comme ces deux petites mains, s’efforçant de voiler ce jeune et candide visage.

Anna, nous avons à peine besoin de le dire au lecteur, était là par les soins de Bob Lantern, soudoyé par l’intendant Paterson, et le lord’s-corner appartenait à Sa Seigneurie le comte de White-Manor.

Il y avait deux jours déjà qu’elle s’était éveillée un matin, la pauvre douce enfant, dans cette chambre inconnue, des fenêtres de laquelle on ne voyait rien, sinon la toiture en terrasse d’Irish-House et les branches noires de quelques arbres dépouillés : il y avait deux jours qu’elle n’avait vu Clarv, sa sœur tant aimée, deux jours qu’elle n’avait vu Stephen. La pièce où elle se trouvait était belle, ornée de grandes glaces et de beaux tableaux aux cadres dorés. Son lit avait des tentures de soie, dont les miroitants reflets éblouissaient la vue. Sur les sofas on voyait d’opulentes étoffes de robes, sur la toilette des joyaux de haut prix.

Mais la pauvre Anna ne jetait sur toutes ces précieuses choses que des regards désolés. Elle avait peur. Les femmes qui la servaient lui faisaient frayeur, et lorsque ces femmes étaient absentes, elle s’effrayait davantage encore de sa solitude.

Elle avait bien pleuré depuis deux jours en songeant à Clary et à Stephen.

Du reste, elle ignorait encore dans quel but on l’avait enlevée. Personne autre que les deux femmes qui la servaient n’avait pénétré dans sa chambre.

La nuit, elle n’osait point s’étendre dans ce vaste lit à colonnes sculptées, dont la ruelle était occupée par une glace, où sa propre image, réfléchie, avait glacé d’épouvante la craintive enfant la première fois qu’elle s’en était approchée. Cet instinct précieux de défense que la nature met au cœur des femmes l’avertissait que, debout, elle était moins exposée au danger inconnu qui la menaçait.

Elle dormait sur le fauteuil où Bembo venait de l’apercevoir. C’était sa couche.

Que les nuits lui semblaient longues ! c’était alors qu’elle frissonnait, la pauvre fille, au moindre bruit du vent frôlant les fenêtres ; c’était alors qu’elle croyait voir, à la lueur vacillante de sa lampe, les boiseries se mouvoir lentement, les portes closes glisser sur leurs gonds et les rideaux du lit solitaire agiter les plis abondants de leurs draperies immobiles.

Elle appelait Clary, Clary et Stephen.

Hélas ! Stephen la cherchait, mais c’était en cherchant Clary. — Et Clary, la noble fille, courbée sous la main de pierre d’un démon sans cœur et sans pitié, Clary se mourait assassinée.

Assassinée lentement, peu à peu. On la tuait à loisir. Elle buvait par petites gorgées la coupe amère du martyre. Un vampire était sur elle qui l’étreignait et suçait son jeune sang goutte à goutte…

Anna priait, confondant ses deux amours en sa naïve oraison et envoyant à Dieu les noms unis de sa sœur et de Stephen. La prière la consolait et la soutenait ; elle serait morte sans la prière.

En réveillant, ce matin, elle fut bien joyeuse : le soleil venait ainsi la visiter le matin des beaux jours dans Cornhill ; elle se crut dans sa petite chambre, et se dit qu’elle avait fait un horrible rêve.

Cela dura tant que sa main blanche couvrit ses jolis yeux comme un bandeau.

Puis le cavalier Angelo Bembo, qui la dévorait du regard, la vit tout-à-coup tressaillir et se lever avec effroi. Elle venait de rentrer dans la réalité. — Clary n’était point là ; sur sa tête appuyée ne se croisaient point les blancs rideaux de sa couchette. Ce rêve qu’elle avait fait, ce rêve affreux, c’était la vérité.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! murmura-t-elle en se laissant tomber sur ses genoux, n’enverrez-vous point Stephen à mon secours ?

Angelo Bembo sentit ses yeux devenir humides.

Anna demeura long-temps à genoux. Faible fille qui n’avait vu la vie que comme une succession de jours calmes, souriants, heureux, elle ne savait rien contre le malheur, et se courbait, brisée, au premier souffle de la souffrance.

Depuis ce matin-là, le cavalier Angelo Bembo vint bien souvent s’accouder sur l’appui de la fenêtre basse. Rêveur et poète, et offrant dans sa nature chevaleresque quelques teintes affaiblies du multiple et fier caractère de Rio-Santo lui-même, Bembo n’avait point de bouclier contre ces impressions soudaines qui entrent au cœur à l’improviste. Il n’avait point aimé encore selon son âme, et ces liaisons passagère où sa beauté physique et son brillant esprit l’avaient entraîné dans les salons du West-End, avaient été pour lui un passe-temps, ou moins que cela : un appendice à sa toilette, un complément de tenue.

Car il est malséant, dans un certain monde, de rompre en visière aux coutumes établies et de se passer de maîtresse, — à moins qu’on ne soit l’heureux possesseur de quelque pur sang tellement hors ligne, qu’on puisse raisonnablement concentrer en lui seul toutes ses affections.

Or, Bembo n’était pas positivement un sportman, bien qu’il fût un écuyer modèle. Il s’était donc vu forcer de filer une demi-douzaine de vaudevilles avec un nombre égal de blondes patronnesses d’Almack, lesquelles, en leur vie, filent autant de vaudevilles qu’elles ont de cheveux blonds dans leur gracieuse coiffure. Ces passions convenues, ces romans sus par cœur d’avance, l’avaient amusé ou ennuyé, nous n’en savons trop rien.

Son cœur s’était pris pourtant une fois ou deux, parce que son cœur avait bonne envie de se prendre. Mais Bembo était un cavalier de tact. Il avait senti bien vite le ridicule de sa conduite. En vérité, nous le disons, de même qu’il n’y a, pour pleurer aux drames de Shakspeare que les filles rougeaudes des petits merciers du Borough, de même il n’y a que l’héritier endimanché de quelque squire campagnard pour prendre au sérieux nos amours de bonne compagnie.

Si l’on était méchant, on pourrait affirmer qu’après cent cinquante intrigues nouées et dénouées de manière ou d’autre, l’âme d’une grande lady est toujours pure et virginale comme devant. Ce n’est pas avec l’âme que pèchent Leurs Seigneuries.

Bembo savait cela, bien qu’il ne fût guère philosophe et que son esprit délicat n’eût aucune tendance vers la satire. — Aussi, ne trouvant point où placer son cœur avide d’aimer et n’ayant point de cheval au sabot duquel il pût mettre sa tendresse, il s’était donné entier au dévoûment, et ne connaissait rien en ce monde, sinon don José, son ami et son maître.

Mais ce ne pouvait être là son dernier mot. Il était jeune et n’avait point de parti pris contre les femmes : son esprit fin et choisi le rendait incapable de tomber dans ce banal travers.

Il était indifférent, voilà tout, indifférent comme le fils de Thésée et mille autres sujets de la fable et de l’histoire. Il attendait son Aricie.

Ce matin-là, il commença d’être amoureux ; pendant les jours suivants il continua, jusqu’à ce qu’il fût bel et bien épris. Sa situation s’y prêtait merveilleusement ; il était triste et il était seul.

Ceci, pour beaucoup de lecteurs, diminuera le mérite de la longue veille du cavalier Bembo ; une seconde de réflexion suffira pour les ramener à un sentiment moins sévère. Certes, la présence d’Anna si près de lui abrégea souvent ses heures de solitude ; mais à l’âge d’Angelo on est entreprenant ; il y a plaisir à renverser les obstacles ; Angelo, était d’ailleurs fils de ces heureux climats où l’escalade et les échelles de soie sont des vérités. Pourtant il demeurait à son poste.

C’était donc un sacrifice de plus, et son rôle y gagnait manifestement.

Un matin, Bembo vit quelque chose d’étrange. Le jour n’était pas encore bien dégagé des dernières ombres du crépuscule ; Anna dormait dans un fauteuil. Une porte s’ouvrit au fond de la chambre et deux hommes entrèrent. L’un d’eux tenait un bougeoir, l’autre, tout enveloppé dans un chaud carrick à fourrures, suivait d’un pas indolent.

On juge si Bembo ouvrit de grands yeux.

Le premier des deux nouveau-venus s’avança doucement et fit un geste de surprise en voyant Anna dans le fauteuil. Il la croyait, sans doute, au lit, et son visage, tandis qu’il se tournait vers son compagnon en souriant obséquieusement, exprimait à peu près ceci :

— Elle dort… peu importe que ce soit dans un fauteuil.

L’homme au carrick ne daigna point répondre, et l’autre, qui semblait être quelque chose comme son valet, sinon pis que cela, bien qu’il ne portât pas de livrée, haussa le flambeau pour faire tomber la lumière sur le visage d’Anna endormie.

Bembo ne perdait pas un geste de ces deux hommes, dont l’un s’appelait Gilbert Paterson, et l’autre Godfrey de Lancester, comte de White-Manor.

  1. Sous-entendu house : maison où l’on est libre et à l’aise (petite maison}.