Les Origines de la France contemporaine/Tome 4/Livre III/Chapitre 2

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CHAPITRE II

Souveraineté des passions libres. — I. Les vieilles haines religieuses. — Montauban et Nîmes en 1790. — II. La passion dominante. — Sa forme aiguë, la crainte de la faim. — Les grains ne circulent plus. — Intervention et usurpation des assemblées électorales. — Maximum et code rural en Nivernais. — Les quatre provinces du Centre en 1790. — Cause permanente de la cherté. — L’anxiété et l’insécurité. — Stagnation des grains. — Les départements voisins de Paris en 1791. — Le blé prisonnier, taxé et requis par force. — Grosseur des attroupements en 1792. — Les armées villageoises de l’Eure, de la Seine-Inférieure et de l’Aisne. — Recrudescence du désordre après le 10 août. — La dictature de l’instinct lâché. — Ses expédients pratiques et politiques. — III. L’égoïsme du contribuable. — Issoudun en 1790. — Révolte contre l’impôt. — Les perceptions indirectes en 1789 et 1790. — Abolition de la gabelle, des aides et des octrois. — Les perceptions directes en 1789 et 1790. — Insuffisance et retard des versements. — Les contributions nouvelles en 1791 et 1792. — Retards, partialité et dissimulations dans la confection des rôles. — Insuffisance et lenteur des recouvrements. — Payement en assignats. — Le contribuable se libère à moitié prix. — Dévastation des forêts. — Partage des biens communaux. — IV. La cupidité du tenancier. — La troisième et la quatrième jacquerie. — La Bretagne, le Limousin, le Quercy, le Périgord et les provinces voisines en 1790 et 1791. — L’attaque et l’incendie des châteaux. — Les titres brûlés. — Les redevances refusées. — Les étangs détruits. — Caractère principal, moteur premier et passion maîtresse de la Révolution.

En cet état de choses, les passions sont libres ; il suffit qu’il y en ait une énergique et capable de grouper quelques centaines d’hommes, pour faire une faction ou une bande qui se lance à travers les fils dénoués ou fragiles du gouvernement passif ou méconnu. Une grande expérience va se faire sur la société humaine : grâce au relâchement des freins réguliers qui la maintiennent, on pourra mesurer la force des instincts permanents qui l’attaquent. Ils sont toujours là, même en temps ordinaire ; nous ne les remarquons point, parce qu’ils sont refoulés, mais ils n’en sont pas moins actifs, efficaces, bien mieux, indestructibles. Sitôt qu’ils cessent d’être réprimés, leur malfaisance se déclare comme celle de l’eau qui porte une barque et qui, à la première fissure, entre pour tout submerger.

I

Et d’abord ce n’est pas avec des fédérations, des embrassades, des effusions de fraternité, que l’on contiendra les passions religieuses. Dans le Midi, où les protestants sont persécutés depuis plus d’un siècle, il y des haines vieilles de cent ans[1]. — Vainement les édits odieux qui les opprimaient sont depuis vingt ans tombés en désuétude. Vainement, depuis 1787, tous les droits civils leur ont été restitués. Le passé survit dans les souvenirs qui le transmettent, et deux groupes sont en face l’un de l’autre, celui des protestants et celui des catholiques, chacun d’eux défiant, hostile, prompt à se mettre en défense, interprétant comme un plan d’attaque tous les préparatifs de son adversaire : en de telles circonstances, les fusils partent tout seuls. — Sur une alarme à Uzès[2], on verra tout d’un coup les catholiques, au nombre de deux mille, s’emparer de l’évêché et de l’hôtel de ville, les protestants, au nombre de quatre cents, s’assembler hors des murs sur l’Esplanade, et passer ainsi la nuit l’arme au bras, chaque troupe persuadée que l’autre va la massacrer, et appelant au secours l’une les catholiques de Jalès, l’autre les protestants de la Gardonnenque. — Entre deux partis ainsi disposés, il n’y aurait qu’un moyen d’empêcher la guerre civile : ce serait l’ascendant d’un tiers arbitre, étranger, présent, énergique. À cet effet, le commandant militaire du Languedoc propose un plan efficace : selon lui[3], les boutefeux sont, d’un côté les évêques du bas Languedoc, de l’autre côté MM. Rabaut-Saint-Étienne, le père et les deux fils, tous les trois pasteurs ; qu’on les rende responsables « sur leurs têtes » de tout attroupement, insurrection, ou tentative pour débaucher l’armée ; qu’un tribunal de douze juges soit choisi par les municipalités des douze villes ; qu’on traduise devant lui les délinquants ; qu’il prononce en dernier ressort et que la sentence soit exécutable à l’instant même. — Mais c’est justement le système inverse qui est de mode. Organisés en milices et confiés à eux-mêmes, les deux partis ne peuvent manquer de tirer l’un sur l’autre, d’autant plus que les nouvelles lois ecclésiastiques viennent, de mois en mois, frapper, comme autant de marteaux, sur la sensibilité catholique, et faire jaillir une pluie d’étincelles sur les amorces de tant de fusils chargés.

À Montauban, le 10 mai 1790, jour de l’inventaire et de l’expropriation des communautés religieuses[4], les commissaires ne peuvent entrer ; des femmes en délire se sont couchées en travers des portes ; il faudrait leur passer sur le corps, et un grand attroupement se forme aux Cordeliers, où l’on signe une pétition pour le maintien des couvents. — Témoins de cette effervescence, les protestants prennent peur : quatre-vingts de leurs gardes nationaux marchent sur l’hôtel de ville, et s’emparent à main armée du poste qui le couvre. La municipalité leur ordonne de se retirer ; ils refusent. — Là-dessus, les catholiques assemblés aux Cordeliers se précipitent en tumulte, lancent des pavés, ébranlent les portes à coups de poutres. Quelqu’un crie que les protestants réfugiés dans le corps de garde tirent par la fenêtre. Aussitôt la multitude furieuse envahit l’arsenal, s’arme de tout ce qu’elle y trouve, fusille le corps de garde ; cinq protestants sont tués, vingt-quatre blessés. Un officier municipal et la maréchaussée sauvent les autres, mais on les oblige à venir deux à deux, en chemise, à genoux, faire amende honorable devant la cathédrale, et, au sortir de là, on les met en prison. — Pendant le tumulte, des cris politiques ont été proférés ; on a crié : Vive la noblesse ! Vive l’aristocratie ! À bas la nation ! À bas le drapeau tricolore ! et Bordeaux, jugeant que Montauban est en révolte contre la France, envoie quinze cents hommes de sa garde nationale pour élargir les détenus. Toulouse veut aider Bordeaux ; la fermentation est terrible ; quatre mille protestants se sauvent de Montauban ; des cités armées vont se combattre comme jadis en Italie. Il faut qu’un commissaire de l’Assemblée nationale et du roi, Mathieu Dumas, vienne haranguer le peuple de Montauban, obtenir la délivrance des prisonniers et rétablir la paix.

Un mois après, à Nîmes[5], l’échauffourée, plus sanglante, tourne contre les catholiques. — À la vérité, sur cinquante-quatre mille habitants, les protestants ne sont que douze mille ; mais le grand commerce est entre leurs mains : ils tiennent les manufactures ; ils font vivre trente mille ouvriers, et, aux élections de 1789, ils ont fourni cinq députés sur huit. En ce temps-là les sympathies étaient pour eux ; personne n’imaginait alors que l’Église régnante pût courir un risque. À son tour, elle est attaquée, et voilà les deux partis qui s’affrontent. — Les catholiques signent une pétition[6], racolent les maraîchers du faubourg, gardent la cocarde blanche, et, lorsqu’elle est interdite, la remplacent par un pouf rouge, autre signe de reconnaissance. À leur tête est Froment, homme énergique, qui a de grands projets ; mais, sur le sol miné où il marche, l’explosion ne saurait être conduite. Elle se fait d’elle-même, au hasard, par le simple choc de deux défiances égales, et, avant le jour final, elle a commencé et recommencé déjà vingt fois par des provocations mutuelles, dénonciations, insultes, libelles, rixes, coups de pierre et coups de fusil. — Le 15 juin 1790, il s’agit de savoir quel parti donnera des administrateurs au district et au département ; à propos des élections, le combat s’engage. Au poste de l’évêché où se tient l’assemblée électorale, les dragons protestants et patriotes sont venus « trois fois plus nombreux qu’à l’ordinaire, mousquetons et pistolets chargés, la giberne bien garnie », et ils font patrouille dans les alentours. De leur côté, les poufs rouges, royalistes et catholiques, se plaignent d’être menacés, « nargués ». Ils font avertir le suisse « de ne plus laisser entrer aucun dragon à pied ni à cheval, sous peine de vie », et déclarent que « l’évêché n’est pas fait pour servir de corps de garde ». — Attroupements, cris sous les fenêtres : des pierres sont jetées ; la trompette d’un dragon qui sonnait le rappel est brisée ; deux coups de fusil partent[7]. Aussitôt les dragons font une décharge générale qui blesse beaucoup d’hommes et en tue sept. — À partir de ce moment, pendant toute la soirée et toute la nuit, on tire dans toute la ville, chaque parti croyant que l’autre veut l’exterminer, les protestants persuadés que c’est une Saint-Barthélemy, les catholiques que c’est « une Michelade ». Personne pour se jeter entre eux. Bien loin de donner des ordres, la municipalité en reçoit : on la rudoie, on la bouscule, on la fait marcher comme un domestique. Les patriotes viennent prendre à l’hôtel de ville l’abbé de Belmont, officier municipal, lui commandent, sous peine de mort, de proclamer la loi martiale, et lui mettent en main le drapeau rouge. « Marche donc, calotin, b…, j… f… ! Plus haut le drapeau, plus haut encore, tu es assez grand pour cela. » Et des bourrades, des coups de crosse. Il crache le sang n’importe, il faut qu’il soit en tête, bien visible, en façon de cible, tandis que, prudemment, ses conducteurs restent en arrière. Il avance ainsi, à travers les balles, tenant le drapeau, et se trouve prisonnier des poufs rouges, qui le relâchent en gardant son drapeau. — Second drapeau rouge tenu par le valet de ville, seconde promenade, nouveaux coups de fusil, les poufs rouges capturant encore ce drapeau, ainsi qu’un autre officier municipal. — Le reste de la municipalité et un commissaire du roi se réfugient aux casernes et font sortir la troupe. Cependant Froment et ses trois compagnies, cantonnés dans leurs tours et leurs maisons du rempart, résistent en désespérés. Mais le jour a paru, le tocsin a sonné, la générale a battu, les milices patriotes du voisinage, les protestants de la montagne, rudes Cévenols, arrivent en foule. Les poufs rouges sont assiégés ; un couvent de capucins, d’où l’on prétend qu’ils ont tiré, est dévasté, cinq capucins sont tués. La tour de Froment est démolie à coups de canon, prise d’assaut ; son frère est massacré, jeté en bas des murailles ; un couvent de jacobins attenant aux remparts est saccagé. Vers le soir, tous les poufs rouges qui ont combattu sont tués ou en fuite ; il n’y a plus de résistance. — Mais la fureur subsiste, et les quinze mille campagnards qui ont afflué dans la ville jugent qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment. En vain on leur représente que les quinze autres compagnies de poufs rouges n’ont pas bougé, que les prétendus agresseurs « ne se sont pas même mis en état de défense », que, pendant toute la bataille, ils sont restés au logis, qu’ensuite, par surcroît de précaution, la municipalité leur a fait rendre leurs armes. En vain l’assemblée électorale, précédée d’un drapeau blanc, vient sur la place publique exhorter les citoyens à la concorde. « Sous prétexte de fouiller les maisons suspectes, on pille, on dévaste ; tout ce qui ne peut être enlevé est brisé. » À Nîmes seulement, cent vingt maisons sont saccagées ; mêmes ravages aux environs ; au bout de trois jours, le dégât monte à sept ou huit cent mille livres. Nombre de malheureux sont égorgés chez eux, ouvriers, marchands, vieillards, infirmes ; il y en a qui, « retenus dans leur lit depuis plusieurs années, sont traînés sur le seuil de leur porte pour y être fusillés ». D’autres sont pendus sur l’Esplanade, au Cours Neuf, d’autres hachés vivants à coups de faux et de sabres, les oreilles, le nez, les pieds, les poignets coupés. Selon l’usage, des légendes horribles provoquent des actions atroces. Un cabaretier, qui a refusé de distribuer les listes anticatholiques, passe pour avoir dans sa cave une mine toute prête de barils de poudre et de mèches soufrées ; on le dépèce à coups de hache et de sabre ; on décharge vingt fusils sur son cadavre ; on l’expose devant sa maison avec un pain long sur la poitrine, et on le perce encore de baïonnettes en lui disant : « Mange, b…, mange donc ! » — Plus de cent cinquante catholiques ont été assassinés ; beaucoup d’autres, tout sanglants, « sont entassés dans les prisons », et l’on continue les perquisitions contre les proscrits ; dès qu’on les aperçoit, on tire sur eux comme sur des loups. Aussi des milliers d’habitants demandent leurs passeports et quittent la ville. — Cependant, de leur côté, les campagnards catholiques des environs massacrent six protestants, un vieillard de quatre-vingt-deux ans, un jeune homme de quinze ans, un mari et sa femme dans leur métairie. — Pour arrêter les meurtres, il faut l’intervention de la garde nationale de Montpellier. Mais, si l’ordre est rétabli, ce n’est qu’au profit du parti vainqueur. Les trois cinquièmes des électeurs se sont enfuis ; un tiers des administrateurs du district et du département a été nommé en leur absence, et la majorité des nouveaux directoires est prise dans le club patriote. C’est pourquoi les détenus sont traités d’avance en coupables : « Nul huissier n’ose leur prêter son ministère, ils ne sont pas admis à faire la preuve de leurs faits justificatifs, et personne n’ignore que les juges ne sont pas libres[8]. » — Ainsi finissent partout les commencements ou les éclats de la discorde religieuse et politique. Le vainqueur bâillonne la loi quand elle va parler pour ses adversaires, et, sous l’iniquité légale de son administration permanente, il écrase ceux qu’il a terrassés par la violence illégale de ses coups de main.

II

Des passions comme celle-ci sont l’œuvre de la culture humaine et ne se déchaînent que sur un territoire restreint. Il est une autre passion qui n’est ni historique ni locale, mais naturelle et universelle, la plus indomptable, la plus impérieuse, la plus redoutable de toutes, je veux dire la crainte de la faim. Car elle ne sait ni attendre, ni raisonner, ni voir au delà d’elle-même. À chaque canton ou commune il faut son pain, son approvisionnement sûr et indéfini. Que le voisin se pourvoie comme il pourra ; nous d’abord, ensuite les autres. Et, par des arrêtés, par des coups de force, chaque groupe garde chez lui les subsistances qu’il a, ou va prendre chez les autres les subsistances qu’il n’a pas.

À la fin de 1789[9], « le Roussillon refuse des secours au Languedoc ; le haut Languedoc au reste de la province, la Bourgogne au Lyonnais ; le Dauphiné se cerne ; une partie de la Normandie retient les blés achetés pour secourir Paris ». À Paris, il y a des sentinelles à la porte de tous les boulangers ; le 21 octobre, l’un d’eux est lanterné, et sa tête portée au bout d’une pique. Le 27 octobre, à Vernon, c’est le tour d’un négociant en blé, Planter, qui, l’hiver précèdent, a nourri les pauvres de six lieues à la ronde ; en ce moment, ils ne lui pardonnent pas d’envoyer des farines à Paris ; pendu deux fois, il est sauvé, parce que deux fois la corde casse. — Ce n’est que par force et sous escorte que l’on peut faire arriver du grain dans une ville ; incessamment les gardes nationales ou le peuple soulevé le saisissent au passage. En Normandie[10], la milice de Caen arrête sur les grands chemins le blé qu’on porte à Harcourt et ailleurs. En Bretagne, Auray et Vannes retiennent les convois de Nantes ; Lannion, ceux de Brest. Brest ayant voulu négocier, ses commissaires sont pris au collet ; couteau sur la gorge, on les contraint à signer l’abandon pur et simple des grains qu’ils ont payés, et ils sont reconduits hors de Lannion à coups de pierres. Là-dessus, 1 800 hommes sortent de Brest avec quatre canons, et vont reprendre leur bien, fusils chargés. Ce sont les mœurs des grandes famines féodales, et, d’un bout à l’autre de la France, sans compter les émeutes des affamés à l’intérieur des villes, on ne trouve qu’attentats semblables ou revendications pareilles. — « Le peuple armé de Nantua, Saint-Claude et Septmoncel, dit une dépêche[11], a de nouveau coupé les vivres au pays de Gex ; il n’y vient de blé d’aucun côté ; tous les passages sont gardés. Sans le secours du gouvernement de Genève qui veut bien prêter 800 coupées de blé à ce pays, il faudrait ou mourir de faim, ou aller, à main armée, enlever le grain aux municipalités qui le retiennent. » Narbonne affame Toulon ; sur le canal du Languedoc, la navigation est interceptée ; les populations riveraines repoussent deux compagnies de soldats, brûlent un grand bâtiment, veulent « détruire le canal lui-même ». — Bateaux arrêtés, voitures pillées, pain taxé de force, coups de pierres et coups de fusil, combats de la populace contre la garde nationale, des paysans contre les citadins, des acheteurs contre les marchands, des ouvriers et des journaliers contre les fermiers et les propriétaires, à Castelnaudary, à Niort, à Saint-Étienne, dans l’Aisne, dans le Pas-de-Calais, principalement sur la longue ligne qui va de Montbrison à Angers, c’est-à-dire dans presque toute l’étendue de l’immense bassin de la Loire, tel est le spectacle que présente l’année 1790. — Et pourtant la récolte n’a point été mauvaise. Mais le blé ne circule plus ; chaque petit centre s’est contracté pour accaparer l’aliment : de là le jeûne des autres et les convulsions de tout l’organisme, premier effet de l’indépendance plénière que la Constitution et les circonstances confèrent à chaque groupe local.

« On nous dit de nous assembler, de voter, de nommer des gens qui feront nos affaires : faisons les nous-mêmes. Assez de bavardages et de simagrées : le pain à deux sous, et allons chercher le blé où il y en a. » — Ainsi raisonnent les paysans, et, dans le Nivernais, le Bourbonnais, le Berry, la Touraine, les réunions électorales sont le boutefeu des insurrections[12]. À Saint-Sauge, « avant tout travail, l’assemblée primaire oblige les officiers municipaux, sous peine d’être décollés, à taxer le blé ; » à Saint-Géran, le pain, le blé et la viande ; à Châtillon-en-Bazois, toutes les denrées, et toujours à un tiers ou moitié au-dessous du cours, sans parler d’autres exigences. — Par degrés, ils en viennent à dresser un tarif de toutes les valeurs qu’ils connaissent, et proclament un maximum anticipé, par suite un code complet d’économie rurale et sociale : dans sa rédaction tumultueuse et décousue, on y voit leurs volontés et leurs sentiments comme dans un miroir[13]. C’est le programme villageois : avec des variantes locales, il faut que ses divers articles s’exécutent, tantôt l’un, tantôt l’autre, selon l’occasion, le besoin, le moment, en premier lieu l’article qui concerne les vivres. — Comme à l’ordinaire, le désir a produit la légende : les paysans se croient autorisés, ici par un décret de l’Assemblée nationale et du roi, là par une commission expresse donnée au comte d’Estrées. Déjà, au marché de Saint-Amand, « un homme monté sur un tas de blé a crié : Au nom du Roi et de la Nation, le blé à moitié au-dessous du cours ! » De plus, il est avéré qu’un chevalier de Saint-Louis, ancien officier des grenadiers royaux, marche à la tête de plusieurs paroisses et publie des ordonnances en son nom et au nom du roi, avec amende de huit livres pour quiconque refusera de se joindre à lui. — De toutes parts, il se fait un fourmillement de blouses et la résistance est vaine ; il y en a trop, la maréchaussée est noyée sous leur flot. Car ces législatures rurales sont la garde nationale elle-même, et quand elles ont voté la taxe ou la réquisition des vivres, elles ont des fusils pour l’imposer.

Bon gré, mal gré, il faut bien que les officiers municipaux prêtent aux insurgés leur ministère. Au Donjon, l’assemblée électorale a saisi le maire de l’endroit, avec menace de le tuer et d’incendier sa maison, s’il ne met pas la coupée de blé à 40 sous : il signe, et tous les maires présents avec lui, « sous peine de vie ». Aussitôt, « au son des fifres et des tambours », les paysans se répandent dans les paroisses voisines, se font délivrer le blé à 40 sous, et leur mine est si résolue, que quatre brigades de gendarmerie, envoyées contre eux, ne trouvent rien de mieux à faire que de se retirer. — Non contents de se garnir les mains, ils se ménagent des réserves. Le blé est prisonnier : dans le Nivernais et le Bourbonnais, les paysans tracent une ligne de démarcation que nul sac du pays ne doit franchir ; en cas de contravention, la corde et la torche sont là pour le délinquant. — Reste à surveiller l’application du règlement : dans le Berri, les paysans viennent par bandes à chaque marché pour maintenir partout leur tarif. En vain ou leur représente qu’ils vont rendre les marchés déserts : « ils répondent qu’ils sauront bien faire venir du grain, qu’ils iront en prendre chez tous les particuliers, et même de l’argent, s’ils en ont besoin ». De fait, « un grand nombre de personnes ont leurs greniers et leurs caves pillés » ; on contraint les fermiers à porter leur récolte dans un grenier commun ; on rançonne les riches ; « on fait contribuer les seigneurs ; on oblige à faire des donations de domaines entiers ; on enlève les bestiaux ; on veut ôter la vie aux propriétaires » ; et, comme les villes défendent leurs magasins et leurs marchés, on les attaque à force ouverte[14]. Bourbon-Lancy, Bourbon-l’Archambault, Saint-Pierre-le-Moutier, Montluçon, Saint-Amand, Château-Gontier, Decize, chaque petite cité est un îlot assailli par la marée montante de l’insurrection campagnarde. La milice y passe la nuit sous les armes ; des détachements de la garde nationale des grandes villes, des troupes réglées y viennent tenir garnison. À Bourbon-Lancy, pendant huit jours, le drapeau rouge est en permanence, et les canons restent sur la place chargés et braqués. Le 24 mai, Saint-Pierre-le-Moutier est attaqué, et, toute la nuit, des deux côtés on se fusille. Le 2 juin, Saint-Amand, menacé par vingt-sept paroisses, n’est sauvé que par ses préparatifs et par sa garnison. Vers le même temps, Bourbon-Lancy est attaqué par douze paroisses réunies, Château-Gontier par les sabotiers des forêts voisines ; une bande de quatre à cinq cents villageois arrête les convois de Saint-Amand et fait capituler leurs escortes ; une autre bande se fortifie dans le château de la Fin, et y tiraille un jour entier contre la troupe et la garde nationale. — Les grandes villes elles-mêmes ne sont pas en sûreté. Trois à quatre cents campagnards, conduits par leurs officiers municipaux, entrent de force à Tours pour contraindre la municipalité à baisser d’un tiers le prix du blé et à diminuer le prix des baux. Deux mille ardoisiers, armés de fusils, de broches et de fourches, pénètrent dans Angers pour obtenir un rabais du pain, tirent sur la garde, sont chargés par la garde nationale et la troupe ; nombre d’entre eux restent sur le carreau, deux sont pendus le soir même, et le drapeau rouge demeure exposé huit jours. « Sans le régiment de Picardie, disent les dépêches, la ville était pillée et incendiée. » — Par bonheur, comme la récolte s’annonce bien, les prix baissent ; comme les assemblées électorales sont closes, la fermentation se ralentit, et, vers la fin de l’année, ainsi qu’une éclaircie dans un orage permanent, on voit poindre une trêve dans la guerre civile de la faim.

Rompue en vingt endroits par des explosions isolées, la trêve n’est pas longue, et, vers le mois de juillet 1791, les troubles que provoque l’incertitude des subsistances recommencent pour ne plus cesser. Dans ce désordre universel, considérons seulement un groupe, celui des huit ou dix départements qui entourent et nourrissent Paris. — Là sont de riches pays à blé, la Brie, la Beauce, et, non seulement la récolte de 1790 a été bonne, mais la récolte de 1791 est très ample. On écrit de Laon au ministre[15] que, dans le département de l’Aisne, « il y a du blé pour deux années », que « les granges, ordinairement vides au mois d’avril, ne le seront pas cette année avant juillet », et que, par conséquent, « les subsistances sont assurées ». Mais cela ne suffit point ; car la cause du mal n’est pas dans le manque de blé. — Pour que dans une vaste et populeuse contrée, où les terrains, les cultures et les métiers diffèrent, chacun puisse manger, il faut que l’aliment arrive à la portée de ceux qui ne le produisent pas. Pour qu’il y arrive sans encombre, de lui-même, par le seul effet de l’offre et de la demande, il faut une police capable de protéger les propriétés, les transactions et les transports. À mesure que dans un État l’autorité devient plus faible, la sécurité devient moindre ; à mesure que la sécurité devient moindre, la répartition des subsistances devient plus difficile, et la gendarmerie est un rouage indispensable dans la machine qui nous apporte chaque jour notre pain quotidien. — C’est pourquoi, en 1791, le pain quotidien manque à beaucoup d’hommes. Par le seul jeu de la Constitution, aux extrémités et au centre, tous les freins, déjà si lâches, se sont desserrés et se desserrent chaque jour davantage. Les municipalités, qui sont les vraies souveraines, répriment plus mollement le peuple, les unes parce qu’il est plus hardi et qu’elles sont plus timides, les autres parce qu’elles sont plus radicales et qu’elles lui donnent toujours raison. La garde nationale s’est lassée, ne vient pas, ou refuse de faire usage de ses armes. Les citoyens actifs sont dégoûtés et restent chez eux. À Étampes[16], où ils sont tous convoqués par les commissaires du département pour aviser aux moyens de rétablir un ordre quelconque, il ne s’en présente que vingt ; les autres disent, pour s’excuser, que, si la populace les savait contraires à ses volontés, « elle brûlerait leurs maisons », et ils s’abstiennent. « Ainsi, écrivent les commissaires, la chose publique est abandonnée à la discrétion des artisans et des ouvriers, dont les vues sont bornées à leur simple existence. » — C’est donc le bas peuple qui règne, et les renseignements d’après lesquels il rend ses décrets sont des rumeurs qu’il adopte ou qu’il fabrique, pour recouvrir sous une apparence de raison les attentats de sa cupidité ou les brutalités de sa faim. À Étampes, « on lui a insinué que les blés vendus pour nourrir les départements au-dessous de la Loire sont embarqués à Paimbœuf, et de là conduits hors du royaume, pour être vendus à l’étranger ». Aux environs de Rouen, il se figure « qu’on engloutit les grains » tout exprès dans les mares, dans les étangs et dans les marnières ». Auprès de Laon, des comités imbéciles et jacobins attribuent la cherté des subsistances à l’avidité des riches et la malveillance des aristocrates : selon eux, « des millionnaires jaloux s’enrichissent aux dépens du peuple. Ils appréhendent ses forces », et, n’osant se mesurer avec lui « dans un combat honorable », ils ont recours « à la trahison ». Afin de le vaincre plus aisément, ils ont résolu de l’exténuer d’avance par l’excès de la misère et par la longueur du jeûne ; c’est pourquoi ils accaparent tout, « blés, seigles et farines, savons, sucre et eaux-de-vie[17] ». — De pareils bruits suffisent pour lancer dans les voies de fait une foule souffrante, et il est inévitable qu’elle prenne pour conseillers et conducteurs ceux qui la poussent du côté où déjà elle penche. Il faut toujours des chefs au peuple, et il les prend où il les trouve, tantôt dans son élite, tantôt dans sa canaille. À présent que la noblesse est chassée, que la bourgeoisie se retire, que les gros cultivateurs sont suspects, que le besoin animal exerce son despotisme intermittent et aveugle, ses ministres appropriés sont les aventuriers et les bandits. Il n’est pas nécessaire qu’ils soient très nombreux : dans un lieu plein de combustible, quelques boutefeux suffisent pour allumer l’incendie. On en compte « une vingtaine au plus dans chacune des villes d’Étampes et de Dourdan,… hommes n’ayant rien à perdre et tout à gagner dans les troubles : ce sont eux qui excitent toujours la fermentation et le désordre, et les autres citoyens, par leur indifférence, leur en fournissent les moyens ». Parmi les nouveaux guides de la foule, ceux dont on sait les noms sont presque tous des repris de justice, habitués par leur métier antérieur aux coups de main, aux violences, souvent au meurtre et toujours au mépris de la loi. — À Brunoy[18], les chefs de l’émeute sont « deux déserteurs du 18e régiment, condamnés, décrétés, impunis, qui, associés aux plus mauvais sujets et aux plus déterminés de la paroisse, marchent toujours armés et menaçants ». — À Étampes, les deux principaux assassins du maire sont un braconnier condamné plusieurs fois pour braconnage, et un ancien carabinier renvoyé de son régiment avec de mauvaises notes. Autour d’eux sont des artisans « sans domicile connu », ouvriers nomades, compagnons, apprentis, gens sans aveu, rôdeurs de route, qui, les jours de marché, affluent dans les villes et sont toujours prêts lorsqu’il y a quelque mauvais coup à faire. En effet, maintenant les vagabonds pullulent dans la campagne, et contre eux toute répression a cessé.

Depuis un an, écrivent plusieurs paroisses voisines de Versailles[19], on n’a pas vu de gendarmes, sauf celui qui apporte les décrets » ; c’est pourquoi, d’Étampes à Versailles, sur les routes et dans la campagne, « les meurtres et les brigandages » se multiplient. Des bandes de treize, quinze, vingt et vingt-deux mendiants dépouillent les vignobles, entrent le soir dans les fermes, se font donner de force à souper et à coucher, reviennent ainsi tous les quinze jours, et les fermes ou maisons isolées sont leur proie. Aux environs de Versailles, le 26 septembre 1791, un ecclésiastique a été tué chez lui ; le même jour, un bourgeois et sa femme ont été garrottés, puis volés. Le 22 septembre, près de Saint-Remy-l’Honoré, huit bandits ont fait leur main chez un fermier. Le 25 septembre, à Villiers-le-Sec, treize autres ont dévalisé un autre fermier, puis ajouté en manière de compliment : « Vos maîtres sont bien heureux de ne pas se trouver ici ; nous les aurions grillés au grand feu que voilà ». En moins d’un mois, dans un rayon de trois ou quatre lieues, il y a six attaques semblables, à main armée, à domicile, avec des propos de chauffeurs. « Après des entreprises aussi fortes et aussi audacieuses, écrivent les gens du pays, il n’est pas un habitant de la campagne un peu aisé qui puisse compter sur une heure de sûreté chez lui. Déjà plusieurs de nos meilleurs cultivateurs abandonnent leur exploitation, et d’autres menacent d’en faire autant, si ces désordres continuent. » — Ce qui est plus grave encore, c’est que, dans ces attaques, la plupart de ces bandits étaient « en uniforme national ». Ainsi la portion la plus indigente, la plus ignorante et la plus exaltée de la garde nationale s’enrôle pour le pillage. Il est si naturel de croire que l’on a droit à ce dont on a besoin, que les possesseurs du blé en sont les accapareurs, que le superflu des riches appartient aux pauvres ! C’est ce que disent les paysans qui dévastent la forêt de Bruyères-le-Châtel : « Nous n’avons ni bois, ni pain, ni travail ; nécessité n’a pas de loi. »

Impossible d’avoir les vivres à bas prix sous un pareil régime ; l’anxiété est trop grande, la propriété est trop précaire, le commerce est trop empêché, l’achat, la vente, le départ, l’arrivée et le payement sont trop incertains. Comment emmagasiner et transporter dans une contrée où ni le gouvernement central, ni l’administration locale, ni la garde nationale, ni la troupe ne font leur office, et où toute opération sur les subsistances, même la plus légale, même la plus utile, est subordonnée au caprice de vingt drôles qu’une populace suit ? Le blé demeure en grange, se cache, attend, et ne se glisse qu’à la dérobée vers les mains assez riches pour payer, outre son prix, le prix de son risque. Ainsi refoulé dans un canal étroit, il monte à un taux que la dépréciation des assignats élève encore, et non seulement la cherté se maintient, mais elle croît. — Là-dessus, pour guérir le mal, l’instinct populaire invente un remède qui l’aggrave : désormais le blé ne voyagera plus ; il est séquestré dans le canton où on le récolte. À Laon, « le peuple a juré de mourir plutôt que de laisser enlever ses subsistances ». À Étampes, où la municipalité d’Angers envoie un administrateur de son Hôtel-Dieu pour acheter deux cent cinquante sacs de farine, la commission ne peut être exécutée ; même, pendant plusieurs jours, le délégué n’ose avouer le motif de sa venue ; seulement « il se rend incognito et de nuit chez les différents fariniers de la ville ». Ceux-ci « s’offriraient bien à remplir la fourniture », mais « ils craignent pour leur vie, ils n’osent même pas sortir de chez eux ». — Mêmes violences dans le cercle de départements plus lointains, qui enveloppe ce premier cercle. À Aubigny, dans le Cher, les voitures de grains sont arrêtées, les administrateurs du district menacés, deux têtes sont mises à prix : une partie de la garde nationale est avec les mutins[20]. À Chaumont, dans la Haute-Marne c’est toute la garde-nationale qui se mutine ; un convoi de plus de trois cents sacs est retenu, l’hôtel de ville forcé, l’insurrection dure quatre jours, le directoire du département est en fuite, le peuple s’empare de la poudre et des canons. À Douai, dans le Nord, pour sauver un marchand de grains, ou le conduit en prison ; la foule force les portes, les soldats refusent de tirer, l’homme est pendu, le directoire du département se réfugie à Lille. À Montreuil-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, les deux chefs de l’émeute, un chaudronnier et un maréchal ferrant, « Béquelin dit Petit-Gueux », celui-ci sabre en main, répondent aux sommations de la municipalité que « pas un grain ne sortira, qu’à présent ils sont les maîtres », et que, si les officiers municipaux osent encore faire de pareilles proclamations, « on leur f… la tête à bas ». Nul moyen de résister ; la garde nationale convoquée ne vient pas ; les volontaires requis lèvent la crosse en l’air ; la foule attroupée sous les fenêtres crie vivat. Tant pis pour la loi quand elle s’oppose aux passions populaires ; « nous n’y obéirons pas, disent-ils, on fait des lois comme on veut ». — Effectivement, dans la Seine-Inférieure, à Tostes, six mille hommes des paroisses environnantes forment un corps délibérant et armé ; pour mieux établir leurs droits, ils ont amené sur des charrettes deux canons attachés avec des cordes. Alentour marchent vingt-deux gardes nationales, chacune sous son drapeau ; on a forcé les habitants paisibles à venir, « sous peine de vie » ; les officiers municipaux sont en tête. Ce parlement improvisé édicte sur les grains une loi complète qu’il envoie, pour la forme, à l’acceptation du département et de l’Assemblée nationale, et l’un des articles porte que défense sera faite aux laboureurs « de vendre leur blé ailleurs qu’aux marchés ». N’ayant plus d’autre débouché, il faudra bien que le blé vienne aux halles, et, quand les halles seront pleines, il faudra bien qu’il baisse de prix.

Déception profonde : même dans le grenier de la France le blé reste cher, et coûte environ un tiers de plus qu’il ne faudrait pour que le pain, conformément à la volonté du peuple, soit à deux sous la livre. — Là-dessus[21], à Gonesse, à Dourdan, à Corbeil, à Mennecy, à Brunoy, à Limours, à Brie-Comte-Robert, surtout à Étampes et Montlhéry, presque chaque semaine, à force de clameurs et de violences, on contraint les vendeurs à baisser leurs prix d’un tiers et davantage. Impossible aux administrations de maintenir dans leur halle la liberté de l’achat et de la vente. Le peuple a d’avance écarté la troupe de ligne : quelle que soit la tolérance ou la connivence des soldats, il sent vaguement qu’ils ne sont pas là pour laisser éventrer les sacs ou prendre les fermiers à la gorge ; afin de se débarrasser de toute entrave ou surveillance, il emploie la municipalité elle-même, et la force à se désarmer de ses propres mains. — Assiégés dans la maison commune, parfois sous les pistolets et les baïonnettes[22], les officiers municipaux expédient au détachement qu’ils attendaient l’ordre de s’en retourner, et supplient le directoire de ne plus leur envoyer de troupes ; car, s’il en vient, on leur a déclaré « qu’ils auraient à s’en repentir ». Point de troupes : à Étampes le peuple répète « qu’elles sont demandées et payées par les marchands de farine » ; à Montlhéry, « qu’elles ne servent qu’à armer les citoyens les uns contre les autres » ; à Limours, « qu’elles feront renchérir les grains ». Sur cet article, tous les prétextes semblent bons ; la volonté populaire est absolue, et, complaisamment, les autorités vont au devant de ses décrets. À Montlhéry, la municipalité, « pour éviter du sang », confine la gendarmerie aux portes de la ville, et c’est par son ordre que l’émeute a libre jeu. — Mais les administrateurs n’en sont pas quittes pour laisser faire le peuple ; il faut encore qu’ils sanctionnent ses exigences par leurs arrêtés. On va les prendre à l’hôtel de ville ; on les transporte sur la place du marché, et là, séance tenante, sous la dictée de la clameur qui fixe les prix, simples greffiers, ils proclament la taxe. Bien mieux, quand, dans un village, une troupe armée se met en route pour tyranniser le marché voisin, elle emmène son maire, bon gré mal gré, comme un instrument officiel qui lui appartient[23]. « Contre la force, point de résistance, écrit celui de Vert-le-Petit ; il nous a fallu partir à l’instant. » — « Ils m’ont déclaré, écrit celui de Fontenay, que, si je ne leur obéissais pas, ils allaient me pendre. » — Si quelque officier municipal hasarde une remontrance, on lui dit qu’il devient aristocrate ». Aristocrate et pendu, l’argument est irrésistible, d’autant plus qu’en fait on l’applique. — À Corbeil, le procureur-syndic qui réclame pour la loi est presque assommé, et trois maisons où on le cherche sont bouleversées. À Montlhéry, un marchand grainetier, que l’on accuse d’avoir mélangé avec de la farine de blé de la farine de fèves (deux fois plus chère), est massacré dans sa maison. À Étampes, le maire qui proclame la loi est tué à coups de trique. Les attroupements ne parlent « que d’incendier et de détruire », et les laboureurs, violentés, taxés, honnis, menacés de mort et volés, se sauvent en disant qu’ils ne reviendront plus au marché.

Tel est le premier effet de la dictature populaire ; comme toutes les forces dépourvues d’intelligence, elle opère à l’inverse de son objet : à la cherté elle ajoute la disette, et vide les marchés au lieu de les remplir. Il y avait parfois quinze ou seize cents sacs de blé sur celui d’Étampes ; dans la semaine qui suit cette insurrection, il n’en vient plus que soixante. À Montlhéry, où six mille hommes se sont attroupés, chacun d’eux, partage fait, n’obtient qu’un minot, et les boulangers de la ville n’ont pas de quoi cuire. — Là-dessus, les gardes nationaux en fureur disent aux fermiers qu’ils iront les visiter dans leurs fermes. En effet, ils y vont[24] ; le tambour roule sur les routes, autour de Montlhéry, de Limours et des autres grands marchés. On voit passer des colonnes de deux cents, trois cents, quatre cents hommes sous la conduite de leur commandant et de leur maire qu’ils conduisent. Ils entrent dans chaque ferme, montent dans les greniers, constatant la quantité de grain battu, font signer au propriétaire la promesse de l’apporter au marché la semaine suivante. Parfois, comme ils ont appétit, ils se font donner à boire et à manger sur place, et il ne faut pas les mettre en colère : tel fermier et sa femme manquent d’être pendus dans leur propre grenier. — Peine inutile : on a beau séquestrer et pourchasser le blé, il se terre ou s’esquive comme un animal effarouché. En vain les insurrections continuent ; en vain, dans tous les marchés du département[25], des attroupements armés soumettent les grains à la taxe. De mois en mois, le blé plus rare devient plus cher, et, de 26 francs, monte à 33. C’est que le laboureur violenté « n’apporte plus que très peu », juste « ce qu’il lui faut sacrifier pour se soustraire aux menaces ; il vend chez lui ou dans les auberges aux fariniers de Paris ». — Ainsi, en courant après l’abondance, le peuple est tombé plus avant dans la disette ; ses brutalités ont empiré sa misère, et c’est lui-même qui s’est affamé. Mais il est bien loin d’attribuer la faute à son insubordination ; ce sont ses magistrats qu’il accuse ; à ses yeux, « ils sont de connivence avec les accapareurs ». Sur cette pente il ne peut s’arrêter ; sa détresse accroît sa fureur, sa fureur accroît sa détresse, et, par une descente fatale, ses attentats le précipitent dans d’autres attentats.

À partir du mois de février 1792, on ne peut plus les compter, et les attroupements qui viennent requérir ou taxer les grains sont des armées. Il y en a une de six mille hommes qui vient gouverner le marché de Montlhéry[26]. Il y en a une de sept à huit mille hommes qui envahit le marché de Verneuil. Il y en a une de dix mille, puis de vingt-cinq mille hommes qui, pendant dix jours, reste organisée près de Laon. — Là, cent cinquante paroisses ont sonné le tocsin, et l’insurrection s’étend sur douze lieues à la ronde. Cinq bateaux de grains ont été arrêtés, et, malgré les injonctions du district, du département, du ministre, du roi, de l’Assemblée nationale, on refuse de les rendre. En attendant, on en use et on en jouit. « Les officiers municipaux des différentes paroisses rassemblées se sont fait payer de leurs vacations, savoir : 100 sous par jour pour le maire, 3 livres pour les officiers municipaux, 2 livres 10 sous pour les gardes, 2 livres pour les porteur. Ils ont arrêté que ces sommes seraient payées en grains, et ils taxent, dit on, les grains à 15 livres le sac. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils se les partagent et qu’il y a déjà quatorze cents sacs de distribués. » Vainement les commissaires de l’Assemblée nationale leur font un discours de trois heures ; le discours fini, on délibère devant eux s’ils seront pendus, ou noyés, ou coupés en morceaux et leurs têtes plantées sur les cinq piques du milieu dans la grille de l’abbaye. Contre la force militaire dont on les menace, ils ont fait leurs dispositions. Neuf cents hommes qui se relayent veillent jour et nuit au centre de ralliement, dans un camp bien choisi, permanent, et des guetteurs, postés dans les clochers de tous les villages circonvoisins, n’ont qu’à faire un signal pour y amener en quelques heures vingt-cinq mille hommes. — Tant que le gouvernement reste debout, il combat de son mieux ; mais, de mois en mois, il s’affaisse, et, après le 10 août, quand il est à terre, c’est l’attroupement, souverain universel et incontesté, qui prend sa place. À partir de ce moment, non seulement la loi qui protège les subsistances est sans force contre les perturbateurs de la circulation et de la vente, mais, en fait, l’Assemblée autorise les révoltés, puisque, par décret[27], elle éteint les procès commencés contre eux, abolit les sentences rendues, élargit tous ceux qui sont en prison ou aux fers. — Voilà les administrations, les marchands, les propriétaires, les fermiers, abandonnés aux affamés, aux furieux aux brigands : désormais les subsistances sont à qui veut et peut les prendre. « On vous dira, dit une pétition[28], que nous violons la loi. Nous répondrons à ces insinuations perfides que le salut du peuple est la suprême loi. Nous venons pour faire approvisionner les halles et que les prix du blé soient égaux dans toute la République. Car, n’en doutez pas, le patriotisme le plus pure (sic) s’éteint lorsqu’on n’a pas de pain… Résistance à l’oppression, oui, résistance à l’oppression, c’est le plus saint des devoirs ; est-il une oppression plus terrible que celle de manquer de pain ? Non, sans doute… Joignez-vous à nous, et ça ira, ça ira : nous ne pouvons mieux finir cette pétition que par cet air patriotique. » La supplique « été écrite sur un tambour, au milieu d’un cercle de fusils ; avec de tels accompagnements, elle vaut un ordre. — Ils le savent bien, et parfois, de leur autorité privée, ils se confèrent, non seulement le droit, mais encore le titre. Dans Loir-et-Cher[29], une bande de quatre à cinq mille hommes prend le nom de « Pouvoir souverain ». Ils vont de marché en marché, à Saint-Calais, à Montdoubleau, à Blois, à Vendôme, pour taxer les vivres, et leur troupe fait boule de neige ; car ils menacent « de brûler les meubles et d’incendier les propriétés de ceux qui n’auront pas le même courage qu’eux ». — En cet état de décomposition sociale, l’émeute est une gangrène où les parties saines sont infectées par les parties malades ; les attroupements se produisent et se reproduisent partout et sans cesse, gros et petits, pareils à des abcès pullulants, et renaissants, qui finissent par se rejoindre et se froisser douloureusement les uns les autres. Il y en a des villes contre les campagnes et des campagnes contre les villes. D’une part, « tout laboureur qui porte au marché passe (chez lui) pour aristocrate[30], et devient en horreur à ses concitoyens » du village. D’autre part, la garde nationale des villes se répand dans les campagnes et y fait des razzias pour ne pas mourir de faim[31]. Il est admis dans les campagnes que chaque municipalité a le droit de s’isoler. Il est admis dans les villes que chaque ville a le droit de se faire approvisionner par les campagnes. Il est admis par les indigents de chaque commune que la commune doit leur fournir le pain gratuitement ou à bon marché. Là-dessus, les pierres pleuvent et les coups de fusil partent : département contre département, district contre district, canton contre canton, on se dispute l’aliment, et les plus forts le prennent ou le gardent. — Et je n’ai décrit que le Nord, où depuis trois ans la récolte est bonne ! Et j’ai omis le Midi, où la circulation est interrompue dans le canal des Deux-Mers, où le procureur-syndic de l’Aude vient d’être massacré pour avoir voulu protéger le passage d’un convoi, où la moisson a été médiocre, où, en beaucoup d’endroits, le pain coûte six sous la livre, où, dans presque tous les départements, le setier de blé se vend deux fois plus cher que dans le Nord !

Spectacle étrange et le plus instructif de tous, car on y voit le fond de l’homme. Comme sur un radeau de naufragés sans vivres, il est retombé à l’état de nature ; le mince tissu d’habitudes et d’idées raisonnables dans lequel la civilisation l’enveloppait s’est déchiré et flotte en lambeaux autour de lui ; les bras nus du sauvage ont reparu, et il les agite. Pour les employer et pour se conduire, il n’a plus qu’un guide, celui des premiers jours, l’instinct alarmé de son estomac souffrant. Désormais ce qui règne en lui et par lui, c’est le besoin animal, avec son cortège de suggestions violentes et bornées, tantôt sanguinaires et tantôt grotesques. Imbécile ou effaré, et toujours semblable à un roi nègre, ses seuls expédients politiques sont des procédés de boucherie ou des imaginations de carnaval. Deux commissaires que Roland, ministre de l’intérieur, envoie à Lyon, peuvent voir à quelques jours de distance le carnaval et la boucherie[32]. — D’une part, sur la route, les paysans arrêtent tout le monde ; dans chaque voyageur le peuple voit un aristocrate qui se sauve, et tant pis pour ceux qui tombent sous sa main ! Près d’Autun, quatre prêtres qui, pour obéir à la loi, se rendaient à la frontière, ont été mis en prison « pour leur sûreté » ; un quart d’heure après, ils en sont tirés, et, malgré trente-deux cavaliers de la maréchaussée, on les massacre. « Leur voiture brûlait encore lorsque je passai, et les cadavres étaient étendus non loin de là. Leur conducteur était encore détenu, et ce fut en vain que je sollicitai son élargissement. » D’autre part, à Lyon, pendant trois jours, l’autorité vient de tomber aux mains des filles de la rue. « Elles se sont emparées du club central ; elles se sont érigées en commissaires de police ; elles ont signé des affiches en cette qualité ; elles ont fait des visites dans les magasins » ; elles ont rédigé un tarif de tous les vivres, depuis le pain et la viande « jusqu’aux pêches fines et aux pêches communes. Elles ont annoncé que quiconque oserait s’y opposer serait regardé comme traître à la patrie, adhèrent à la liste civile et poursuivi comme tel » : tout cela publié, proclamé, appliqué par « des commissaires de police femelles », elles-mêmes la plus basse fange des derniers bas-fonds. Les bonnes ménagères et les travailleuses n’en étaient pas, ni « les ouvriers d’aucune classe ». Dans cette parodie d’administration, les seuls acteurs étaient « des coquines, des souteneurs en petit nombre et quelques femmes de la lie ». — À cela aboutit la dictature de l’instinct lâché, là-bas, sur la grande route, à un massacre de prêtres, ici, dans la seconde ville de France, au gouvernement des catins.

III

La crainte de manquer de pain n’est que la forme aiguë d’une passion plus générale, qui est l’envie de posséder et la volonté de ne pas se dessaisir. Aucun instinct populaire n’avait été froissé plus longtemps, plus rudement, plus universellement, sous l’ancien régime ; et il n’en est aucun qui bouillonne davantage sous la contrainte, aucun qui, pour être contenu, exige une digue publique plus haute, plus épaisse, et tout entière bâtie de blocs durs. C’est pourquoi, dès le commencement, celui-ci crève ou submerge la mince et basse bordure, les levées de terre friable et croulante entre lesquelles la Constitution prétendait l’enserrer. — Le premier flot noie les créances de l’État, du clergé et de la noblesse. Aux yeux du peuple, elles sont abolies ; du moins, il s’en donne quittance. Là-dessus son idée est faite et fixe ; pour lui, c’est en cela que consiste la Révolution. Il n’a plus de créanciers, il ne veut plus en avoir, il n’en payera aucun, et d’abord il ne payera plus l’État.

Le 14 juillet 1790, jour de la Fédération, à Issoudun en Berry, la population, solennellement convoquée, venait prêter le beau serment qui devait assurer pour toujours la paix publique, la concorde sociale et le respect de la loi[33]. Probablement, ici comme ailleurs, on avait préparé une cérémonie touchante : il y avait des jeunes filles en blanc ; des magistrats lettrés et sensibles devaient prononcer des harangues philosophiques. Voilà qu’ils découvrent que le peuple rassemblé sur la place s’est muni de bâtons, de faux et de haches, et que la garde nationale ne l’empêchera pas de s’en servir ; au contraire, car elle aussi se compose presque tout entière de vignerons et de gens intéressés à la suppression des droits sur le vin, tonneliers, aubergistes, cabaretiers, ouvriers en futailles, charretiers des tonneaux, et autres de la même espèce, rudes gaillards qui entendent le contrat social à leur façon. Tant de décrets, d’arrêtés et de phrases qu’on leur expédie de Paris ou que leur débitent les autorités nouvelles ne valent pas un sou d’impôt maintenu sur chaque bouteille de vin. Plus de droits d’aides : ils ne font le serment civique qu’à cette condition expresse, et, le soir, ils pendent en effigie leurs deux députés, qui, à l’Assemblée nationale, « n’ont pas soutenu leurs intérêts ». Quelques mois plus tard, de toute la garde nationale convoquée pour protéger les commis, il ne vient à l’appel que le commandant et deux officiers. — S’il se rencontre un contribuable docile, on ne lui permet même pas de payer les droits ; cela semble une défection, presque une trahison. Trois poinçons ayant été déclarés, on les défonce à coups de pierres, on en boit une partie, on porte le reste à la caserne pour débaucher les soldats ; on menace le commandant de Royal-Roussillon, M. de Sauzay, qui a eu l’audace de sauver des commis, et, pour ce méfait, il manque d’être pendu lui-même. Requise de s’interposer et d’employer la force, la municipalité répond « que, pour si peu de chose, ce n’est pas la peine de compromettre la vie des citoyens », et la troupe de ligne, mandée à l’hôtel de ville, est obligée par les ordres du peuple de n’y aller que la crosse en l’air. Cinq jours après, les vitres du bureau des aides sont défoncées, l’écriteau arraché ; la fermentation ne cesse pas, et M. de Sauzay écrit que pour contenir la ville il faudrait un régiment. — À Saint-Amand, l’émeute éclate tout à fait, et n’est comprimée que par la violence. À Saint-Étienne-en-Forez, Berthéas, commis aux aides, et d’ailleurs accusé faussement d’accaparer les grains[34], est défendu inutilement par la garde nationale. Selon la coutume, pour lui sauver la vie on l’a mené en prison, et, pour plus de sûreté, la foule a exigé qu’on l’y attachât avec un collier de fer. Mais tout d’un coup, se ravisant, elle enfonce la porte, le traîne dehors et l’assomme. Étendu à terre, il remuait encore la tête et y portait la main, lorsqu’une femme, ramassant une grosse pierre, lui brisa le crâne. — Ce ne sont point là des faits isolés. Aux mois de juillet et d’août 1789, dans presque toutes les villes du royaume, les barrières ont été brûlées, et l’Assemblée nationale a beau ordonner de les rétablir, maintenir les droits et les octrois, expliquer au peuple les besoins publics, lui rappeler pathétiquement qu’elle l’a déjà soulagé d’ailleurs, le peuple aime bien mieux se soulager lui-même, tout de suite et tout à fait. Plus d’impôts sur les objets de consommation, ni au profit de l’État, ni au profit des villes. « Les perceptions d’entrées sur les vins et les bestiaux, écrit la municipalité de Saint-Étienne, sont presque nulles, et nos forces insuffisantes pour les appuyer. » — À Cambrai[35], deux émeutes successives ont obligé le bureau des aides et le magistrat de la ville à diminuer de moitié les droits sur la bière. Mais « le mal, borné d’abord à un coin de la province, s’est bientôt propagé » ; à présent, écrivent les grands baillis de Lille, Douai et Orchies, « nous n’avons presque plus de bureaux qui n’aient essuyé des avanies et où l’impôt ne soit absolument à la discrétion du peuple ». Ceux-là seuls payent qui le veulent bien ; aussi « la fraude ne saurait être plus grande qu’elle n’est ». — En effet, les contribuables sont ingénieux pour se défendre, et trouvent des arguments ou des arguties pour se soustraire aux droits. À Cambrai ils alléguaient que, puisque maintenant les privilégiés payent comme les autres, le trésor doit être assez riche[36]. À Noyon, Ham, Chauny et dans les paroisses circonvoisines, les bouchers, cabaretiers et aubergistes coalisés qui ont refusé les aides distinguent dans le décret spécial par lequel l’Assemblée les assujettit à la loi, et il faut un second décret spécial pour réduire ces nouveaux légistes. À Lyon, le procédé est plus simple : les trente-deux sections ont nommé des commissaires ; ceux-ci se prononcent contre l’octroi et invitent la municipalité à l’abolir. Il faut bien qu’elle y consente, car le peuple est là et furieux. Du reste, en attendant l’autorisation, il l’a prise, il s’est porté aux barrières, il a chassé les commis, et de grandes provisions de denrées, qui, « par une prédestination singulière », attendaient aux portes, entrent en franchise. — Contre cette mauvaise volonté universelle du contribuable, contre ces irruptions ou ces infiltrations de la fraude, le Trésor se défend comme il peut, répare sa digue emportée, bouche ses fissures, et la perception recommence. Mais comment serait-elle régulière et complète dans un État où les tribunaux n’osent juger les délinquants, ou les pouvoirs publics n’osent soutenir les tribunaux[37], où la faveur populaire protège, contre les tribunaux et contre les pouvoirs publics, les bandits les mieux avérés et les vagabonds les plus malfaisants ? — À Paris, où, après huit mois d’impunité, l’instruction a commencé contre les pillards qui, le 13 août 1789, ont brûlé les barrières, les officiers de l’élection, « considérant que leurs audiences sont devenues très tumultueuses, que l’affluence du peuple est inquiétante, que l’on a entendu des menaces de nature à donner de justes alarmes », sont contraints de surseoir, en réfèrent à l’Assemblée nationale ; et celle-ci, considérant que, « si l’on autorise les poursuites pour Paris, il faut les autoriser pour tout le royaume », se décide « à voiler la statue de la Loi[38] ».

Non seulement elle la voile, mais encore elle la défait, la refait et la mutile selon les exigences de la volonté populaire, et, en matière d’impôts indirects, tous ses décrets lui sont extorqués. — Dès l’origine, l’insurrection a été terrible contre la gabelle : dans l’Anjou seul, soixante mille hommes étaient ligués pour la détruire, et il a bien fallu abaisser le prix du sel de seize à six sous[39]. Mais cela ne suffit pas au peuple ; il a tant pâti de ce monopole qu’il ne veut pas en souffrir les restes, et il est toujours pour les contrebandiers contre les commis. — Au mois de janvier 1790, à Béziers, trente-deux employés, qui avaient saisi sur des contrebandiers armés une charge de faux-sel[40], sont poursuivis par la foule jusque dans l’hôtel de ville ; les consuls refusent de les défendre et se sauvent ; la troupe les défend, mais en vain. Cinq sont suppliciés, horriblement mutilés, puis pendus. — Au mois de mars 1790, Necker déclare que, d’après les relevés du dernier trimestre, le déficit dans le recouvrement de la gabelle monte à plus de quatre millions par mois, c’est-à-dire aux quatre cinquièmes de la recette ordinaire, et le monopole du tabac n’est pas mieux respecté que celui du sel. — À Tours[41], la milice bourgeoise refuse de donner main-forte aux employés, « protège ouvertement la contrebande », « et le tabac de contrebande se vend publiquement à la foire, sous les yeux de la municipalité qui n’ose s’y opposer ». — Par suite[42], toutes les recettes indirectes baissent à la fois. Du 1er mai 1789 au 1er mai 1790, la ferme générale, au lieu de 150 millions, n’en produit que 127 ; les aides et droits réunis, au lieu de 50 millions, n’en rendent que 31. Les ruisseaux qui venaient remplir le trésor public sont de plus en plus obstrués par les résistances populaires, et, sous la pression populaire, l’Assemblée finit par les boucher tout à fait. Au mois de mars 1790[43], elle abolit la gabelle, les traites, les droits sur les cuirs, l’huile, l’amidon et la marque des fers. Aux mois de février et de mars 1791, elle abolit les octrois et droits d’entrée dans toutes les villes et bourgs du royaume, tous les droits d’aides ou réunis aux aides, notamment toutes les taxes qui pèsent sur la fabrication, la vente ou la circulation des boissons. — À la fin le peuple l’a emporté, et, le 1er mai 1791, jour de l’application du décret, la garde nationale de Paris fait le tour des murs en jouant des airs patriotiques. Le canon des Invalides et celui du Pont-Neuf tonnent comme pour une victoire. Le soir, on illumine ; toute la nuit, on boit, et la kermesse est universelle. En effet la bière est à trois sous le pot, le vin à six sous la pinte ; c’est une baisse de moitié, et il n’y a pas de conquête plus populaire, puisqu’elle met l’ivresse à la portée de tous les gosiers[44].

Reste à pourvoir aux charges que défrayait l’octroi supprimé. En 1790, celui de Paris avait produit 35 910 859 livres, dont 25 059 446 pour l’État et 10 851 413 pour la ville. Comment la ville va-t-elle maintenant payer son guet, ses réverbères, le balayage de ses rues et l’entretien de ses hôpitaux ? Comment vont faire les douze cents autres villes et bourgs qui, du même coup, se trouvent dans le même cas ? Comment va faire l’État qui, par l’abolition de la ferme générale, des entrées et des aides, s’est privé tout d’un coup des deux cinquièmes de son revenu ? — Au mois de mars 1790, quand l’Assemblée a supprimé la gabelle et autres droits, elle a établi en remplacement une taxe de 50 millions à répartir sur l’impôt direct et sur les entrées des villes. Par conséquent, à présent que les entrées sont abolies, cette charge nouvelle tout entière retombe sur l’impôt direct. Est-il rentré, et rentrera-t-il ? — Certainement, à travers tant d’émeutes, l’impôt indirect est difficile à percevoir. Pourtant il révolte moins que l’autre, parce que les prélèvements de l’État y disparaissent dans le prix de la denrée, et que le fisc y cache sa main sous la main du marchand. Hier l’employé a passé dans la boutique, présenté son papier timbré : le débitant a payé sans trop de répugnance, sachant que demain il sera remboursé et au delà par le chaland ; la perception indirecte est achevée. S’il y a maintenant difficulté et débat, ce sera entre le débitant et le contribuable qui vient à la boutique faire ses petites provisions ; celui-ci gronde, mais contre la cherté, parce qu’il la sent, et peut-être contre le débitant qui empoche sa pièce blanche ; il ne s’en prend point à l’employé du fisc qu’il ne voit pas et qui n’est plus là. — Au contraire, dans la perception de l’impôt direct, c’est l’employé visible et présent qui lui enlève cette précieuse pièce blanche. De plus ce voleur autorisé ne lui donne rien en échange : sa perte est sèche ; quand il sortait de la boutique, c’était avec une cruche de vin, un pot de sel, ou autres denrées semblables ; quand il sort du bureau, il n’a dans la main qu’une quittance, un mauvais morceau de papier griffonné. — Or, à présent, il est maître dans sa commune, électeur, garde national, maire, seul autorisé à employer la force armée et chargé de se taxer lui-même. Venez donc lui demander de déterrer le magot enfoui où il a mis tout son cœur et toute son âme, le pot de terre où ses pièces blanches sont venues s’entasser une à une et qu’il a sauvé pendant tant d’années, au prix de tant de misères et de jeûnes, à la barbe du garnisaire, à travers les persécutions du subdélégué, de l’élu, du collecteur et du commis !

Du 1er mai 1789 au 1er mai 1790[45], les recettes générales, taille, accessoires de la taille, capitation, vingtièmes, au lieu de 161 millions, n’en rapportent que 28 ; dans les pays d’États, au lieu de 28 millions, le trésor en touche 6. Sur la contribution patriotique qui devait prélever le quart de tous les revenus au delà de 400 livres et 2 1/2 pour 100 de l’argenterie, des bijoux, de tout l’or et de tout l’argent monnayé que chacun avait en réserve, l’État reçu 9 700 000 livres. Quant aux dons patriotiques, leur total, y compris les boucles d’argent des députés, n’atteint que 361 587 francs ; et plus on examine les alentours de ces chiffres, plus on voit se réduire l’apport du villageois, de l’artisan, de l’ancien taillable. — En effet, depuis le mois d’octobre 1789, les privilégiés sont portés au rôle des contributions, et certainement ils forment la classe la plus aisée, la plus sensible aux idées générales, la plus véritablement patriote. Il est donc probable que, sur les 43 millions qui rentrent de l’impôt direct et de la contribution patriotique, ils ont versé la plus grosse part, peut-être les deux tiers, peut-être les trois quarts. En ce cas, pendant la première année de la Révolution, le paysan, l’ancien contribuable, n’aura rien ou presque rien tiré de sa poche. Par exemple, pour la contribution patriotique, l’Assemblée a laissé à la conscience de chacun le soin de fixer sa cote : au bout de six mois, elle découvre que les consciences sont trop larges, et se trouve obligée de confier ce droit aux municipalités. Par suite[46], tel qui se taxait à quarante-huit livres est taxé à cent cinquante ; tel autre, cultivateur, qui avait offert six livres est jugé capable d’en verser cent. Dans un régiment, ce sont toujours les mêmes, une petite élite de braves, qui vont au-devant des balles. Dans un État, ce sont toujours les mêmes, une petite élite de gens probes, qui vont au-devant du percepteur. Il faut une contrainte efficace dans le régiment pour suppléer à la bravoure de ceux qui n’en ont guère, dans l’État pour suppléer à la probité de ceux qui n’en ont pas. — C’est pourquoi, pendant les huit mois qui suivent, du 1er mai 1790 au 1er janvier 1791, la contribution patriotique ne fournit que 11 millions. Deux ans après, le 1er février 1793, sur les quarante mille rôles communaux qui doivent la répartir, il y en a sept mille qui ne sont pas encore faits ; sur 180 millions qu’elle devrait produire, 73 millions sont encore dus. — Or, dans toutes les branches de la recette, la résistance du contribuable produit un déficit semblable et des retards pareils[47]. Au mois de juin 1790, un député déclare à la tribune que, « sur trente-six millions d’impositions qu’on devrait recevoir par mois, on n’en reçoit que neuf[48]. » Au mois de novembre 1791, un rapporteur du budget dit que les recettes, qui devraient monter à quarante ou quarante-huit millions par mois, ne dépassent pas onze millions et demi. Au 1er février 1793, sur les impôts directs de 1789 et 1790, il reste encore dû cent soixante-seize millions. — Visiblement, contre les anciennes taxes, même autorisées et prolongées par l’Assemblée constituante, le peuple lutte de toute sa force, et l’on n’obtient de lui que ce qu’on peut lui arracher.

Sera-t-il plus docile aux taxes nouvelles ? L’Assemblée l’y exhorte et lui représente que, soulagé comme il l’est et patriote comme il doit l’être, il peut et doit s’acquitter. Il le peut ; car, étant dispensé de la dîme, des droits féodaux, de la gabelle, des octrois et des aides, à présent il est à son aise. Il le doit, car les impôts adoptés sont indispensables à l’État, équitables, répartis sur tous à proportion des fortunes, encaissés et dépensés sous un contrôle sévère, sans détournement ni gaspillage, selon des comptes exacts, clairs, périodiques et vérifiés. Sans nul doute, à partir du 1er janvier 1791, date du nouveau régime financier, chaque contribuable s’empressera de payer en bon citoyen, et les deux cent quarante millions du nouvel impôt foncier, les soixante millions du nouvel impôt mobilier, sans compter les autres, droits d’enregistrement, de patente et de douane, rentreront d’eux-mêmes, aisément et régulièrement.

Par malheur, avant que le percepteur puisse toucher les deux premières contributions, il faut qu’elles soient réparties, et à travers la complication des écritures, des formalités, des réclamations, parmi les résistances et les ignorances locales, l’opération se prolonge indéfiniment. L’impôt mobilier et foncier de 1791 n’est distribué par l’Assemblée entre les départements qu’au mois de juin 1791. Il n’est distribué par les départements entre les districts qu’aux mois de juillet, août et septembre 1791. Il n’est distribué par les districts entre les communes qu’aux mois d’octobre, novembre et décembre 1791. Ainsi, aux derniers mois de 1791, il n’est pas encore distribué par les communes entre les contribuables ; d’où il suit que, sur l’exercice de 1791, pendant toute l’année 1791, le contribuable n’a rien payé. — Enfin, en 1792, chacun commence recevoir sa cote. Avec quelle partialité et quelles dissimulations ces cotes sont faites, il faudrait un volume pour le dire. C’est que d’abord l’emploi de répartiteur est dangereux, et que les municipalités, chargées d’appliquer à chacun sa quote-part, ne sont pas à leur aise dans la maison commune. Déjà en 1790[49] les officiers municipaux de Montbazon ont été menacés de mort, si, au rôle de la taille, ils osaient taxer l’industrie, et ils se sont sauvés à Tours au milieu de la nuit. À Tours même, trois ou quatre cents insurgés du voisinage, traînant avec eux les officiers municipaux de trois bourgades, sont venus déclarer aux autorités de la ville « que, pour toute imposition, ils ne voulaient payer que quarante-cinq sous par ménage ». J’ai conté comment en 1792, dans le même département, « on tue, on assassine les municipaux » qui ont la hardiesse de publier les rôles de la contribution mobilière. Dans la Creuse, à Clugnac, au moment où le greffier en donne lecture, des femmes se jettent sur lui, lui arrachent le rôle, « le déchirent avec mille imprécations » ; le conseil municipal est assailli ; deux cents personnes lui lancent des pierres ; un de ses membres est renversé ; on lui rase les cheveux, et on le promène avec dérision dans le village. — Quand le petit contribuable se défend ainsi, on est averti de le ménager. Aussi bien, dans ces conseils de villageois, la répartition se fait de compère à compère. On se décharge en chargeant autrui : « on taxe les propriétaires ; on veut leur faire supporter tout l’impôt ». Surtout on taxe à outrance le noble, l’ancien seigneur, tellement qu’en plusieurs endroits son revenu ne suffit pas à payer sa cote. — D’autre part, on se fait pauvre ; on fausse ou l’on esquive les prescriptions de la loi. « Dans la plupart des municipalités, les maisons, bâtiments, usines[50], ne sont évalués qu’en raison de la valeur de la superficie, estimée comme terre de première classe, ce qui réduit leur cote à presque rien. » Et cette fraude n’a pas été pratiquée seulement dans les villages. « On pourrait citer des communes de huit à dix mille âmes de population, qui se sont si bien concertées à cet égard, qu’il ne s’y trouve point de maison estimée au-dessus de cinquante sous. » — Dernier expédient : la commune diffère le plus qu’elle peut la confection de ses rôles. Le 30 janvier 1792, sur 40 911, il n’y en a encore que 2 560 définitifs ; au 5 octobre 1792, dans 4 800 municipalités, les matrices ne sont pas faites ; et notez qu’il s’agit d’un exercice terminé depuis plus de neuf mois. À la même date, il y a plus de six mille communes qui n’ont pas encore commencé à percevoir la contribution foncière de 1791, plus de quinze mille communes qui n’ont pas encore commencé à percevoir la contribution mobilière de 1791 ; sur ces deux impositions, le Trésor et les départements n’ont encore touché que 152 millions, il en reste dû 222. Au 1er février 1793, sur le même exercice, il reste encore dû 161 millions, et, des 50 millions établis en 1790 pour remplacer la gabelle et autres droits supprimés, on en a touché 2. Enfin à cette même date, sur les deux contributions directes de 1792, qui devaient produire 300 millions, on a recouvré moins de 4 millions. — C’est un adage de débiteur qu’il ne faut payer que le plus tard possible. Quel que soit le créancier, État ou particulier, à force de traîner en longueur, on en tirera pied ou aile. L’adage est vrai, et, cette fois encore, le succès en va prouver la justesse. Pendant l’année 1792, le paysan commence à solder une portion de son arriéré, mais c’est en assignats. Or, en janvier, février et mars 1792, les assignats perdent trente-quatre, quarante et quarante-sept pour cent ; en janvier, février et mars 1793, quarante-cinq et cinquante pour cent ; en mai, juin et juillet 1795, cinquante-quatre, soixante et soixante-sept pour cent. Ainsi la vieille créance de l’État a fondu entre ses mains ; ceux qui ont gardé leurs écus gagnent cinquante pour cent et davantage. Bien mieux, plus ils atermoient, plus leur dette diminue, et déjà, à force de délais, ils ont trouvé le moyen de se libérer à moitié prix.

En attendant, ils font main basse sur les biens fonciers mal défendus de ce créancier trop faible. — Il est toujours difficile à des cerveaux bruts de se figurer comme une personne véritable, comme un propriétaire légitime, cet être abstrait, vague, invisible, qu’on nomme l’État, surtout quand on leur répète que l’État c’est tout le monde. Ce qui est à tout le monde est à chacun, et, puisque les forêts sont au public, le premier venu a le droit d’en user. Au mois de décembre 1789[51], dans les bois de Boulogne et de Vincennes, des bandes de soixante hommes et davantage abattent les arbres. Au mois d’avril 1790, dans la forêt de Saint-Germain, « jour et nuit, les patrouilles arrêtent des délinquants de tout genre » ; remis aux gardes nationales voisines et aux municipalités, ils sont relâchés presque aussitôt, même avec les bois coupés en fraude ». Contre « les insultes et les menaces réitérées du bas peuple », nulle répression ; un attroupement de femmes excitées par un ancien garde-française vient piller, à la barbe de l’escorte, une voiture de fagots confisquée au profit d’un hospice, et, dans la forêt, des bandes de maraudeurs font feu sur les patrouilles. — À Chantilly, trois officiers de chasse[52] sont blessés mortellement ; pendant dix-huit jours consécutifs, les deux parcs sont dévastés ; tout le gibier est tué, transporté à Paris, vendu. — À Chambord, le lieutenant de la maréchaussée écrit pour annoncer son impuissance ; les bois sont ravagés et même incendiés ; ce sont les braconniers qui maintenant sont les seigneurs du lieu ; ils ont fait brèche aux murs et dessèchent les étangs pour mettre le poisson à sec. — À Claix, en Dauphiné, un officier de la maîtrise, ayant obtenu contre les habitants la défense de couper du bois dans les îlots affermés, est saisi, supplicié pendant cinq heures, puis assommé à coups de pierres. — Vainement l’Assemblée nationale, par trois décrets et règlements, a mis les forêts sous la surveillance et la protection des corps administratifs ; ils ont trop peur de leurs administrés. Entre le pouvoir central qui est débile et lointain et le peuple qui est fort et présent, c’est pour le peuple qu’ils se décident. Des cinq municipalités qui entourent Chantilly, aucune ne veut prêter main-forte à la loi, et le directoire du district, le directoire du département, autorisent leur inertie. — Pareillement, près de Toulouse[53], où la superbe forêt de Larramet est dévastée en plein jour et à main armée, où le gaspillage populaire n’a rien laissé du taillis et des futaies que « quelques arbres épars et des restes de troncs coupés à diverses hauteurs », les municipalités de Toulouse et de Tournefeuille refusent toute assistance. Bien pis, en d’autres provinces, par exemple en Alsace, « des municipalités entières, leurs maires en tête, coupent les bois qui sont à leur bienséance et les emportent[54] ». — Si quelque tribunal veut appliquer la loi, c’est sans effet, à ses propres risques, au risque de ne pouvoir juger ou d’être contraint de se déjuger. À Paris, la sentence préparée contre les incendiaires de l’octroi n’a pu être rendue. À Montargis, la sentence rendue contre les maraudeurs, qui volaient des charretées de bois dans les forêts nationales, a dû être réformée, et par les juges eux-mêmes. Au moment où le tribunal prononçait la confiscation des charrettes et des bêtes saisies, des cris de fureur se sont élevés contre lui ; il a été insulté par l’assistance ; les condamnés ont déclaré tout haut qu’ils reprendraient de force leurs charrettes et leurs bêtes. Sur quoi « les juges se retirent dans la chambre du conseil, et bientôt après, remontant sur leurs sièges, annulent dans leur jugement tout ce qui regarde la confiscation ».

Pourtant cette justice, si dérisoire et si violentée qu’elle soit, est encore un reste de barrière. Quand elle tombe avec le gouvernement, tout est en proie ; il n’y a plus de propriétés publiques. — À partir du 10 août 1792, chaque commune ou particulier s’en approprie ce qui lui convient, produit ou sol. Les déprédateurs vont jusqu’à dire que, puisque le gouvernement ne les réprime plus, il les autorise[55]. « Ils ont détruit jusqu’à des plantations récentes de jeunes arbres. » Tel village près de Fontainebleau s’est partagé et a défriché un morceau entier de la futaie. À Rambouillet, du 10 août à la fin d’octobre, « la perte est de plus de 100 000 écus », et les agitateurs ruraux demandent avec menaces le partage de la forêt entre les habitants. Partout « les dévastations sont énormes », prolongées pendant des mois entiers, et telles, dit le ministre, que cette source de revenu public est pour longtemps tarie. — Les biens communaux ne sont pas plus respectés que les biens nationaux. Dans chaque commune, les gens hardis et besogneux, la populace rurale les exploite et en jouit, par privilège. Non contente de la jouissance, elle en veut encore la propriété, et, quatre jours après la chute du roi, l’Assemblée législative, perdant pied dans la débâcle universelle, donne aux indigents la faculté de pratiquer la loi agraire[56]. Désormais il suffira que, dans une commune, le tiers des habitants des deux sexes, servantes, manouvriers, bergers, valets de ferme ou d’écurie, et même pauvres à l’aumône, demande le partage des communaux. Tous les communaux, sauf les édifices publics et les bois, seront partagés en autant de lots égaux qu’il y aura de têtes ; les lots seront tirés au sort, et chaque individu prendra possession de son morceau. L’opération s’exécute, car « elle flatte infiniment les habitants les moins aisés ». Dans le district d’Arcis-sur-Aube, sur quatre-vingt-dix communes, il n’y en a qu’une douzaine où plus des deux tiers des votants aient eu le bon sens de se prononcer contre elle. Dorénavant, la commune cesse d’être un propriétaire indépendant ; elle n’a plus de réserve. En cas de détresse, il faut qu’elle se taxe et touche, si elle peut, les sous additionnels. Son revenu futur réside à présent dans la poche bien fermée des nouveaux propriétaires. — Cette fois encore, des convoitises privées ont fait prévaloir leurs courtes vues. National ou communal, c’est toujours l’intérêt public qui succombe, et il succombe toujours sous l’usurpation des minorités indigentes, tantôt par la faiblesse du pouvoir public qui n’ose s’opposer à leurs violences, tantôt par la complicité du pouvoir public qui leur confère les droits de la majorité.

IV

Quand la force publique manque pour protéger les propriétés publiques, elle manque aussi pour protéger les propriétés privées ; car les mêmes convoitises et les mêmes besoins s’attaquent aux unes et aux autres. Que l’on doive à l’État ou à un particulier, la tentation de ne pas payer est toujours égale. Dans les deux cas, il suffit de trouver un prétexte, pour nier la dette, et, pour trouver ce prétexte, la cupidité du tenancier vaut l’égoïsme du contribuable. « Puisque le régime féodal est aboli, il faut que rien n’en subsiste ; plus de créances seigneuriales. Si là-bas, à Paris, l’Assemblée en a maintenu plusieurs, c’est par mégarde ou par corruption ; nous apprendrons bientôt qu’elle les a supprimées toutes. En attendant, faisons-nous donner quittance, et allons brûler les titres là où ils sont. »

Sur ce raisonnement, la jacquerie recommence ; à vrai dire, elle est universelle et permanente. Comme dans un corps où les éléments derniers de la substance vivante sont altérés par un trouble organique, on démêle le mal dans les parties qui semblent saines ; là où il n’éclate pas, il est sur le point d’éclater ; une anxiété continuelle, un malaise profond, une fièvre sourde, dénotent sa présence. Ici le débiteur ne paye pas, et le créancier n’ose poursuivre. Ailleurs ce sont des éruptions isolées : à Auxon[57], dans un domaine épargné par la grande jacquerie de juillet 1789, les bois sont ravagés, et les paysans, furieux d’être dénoncés par les gardes, marchent sur le château occupé par un vieillard et par une enfant. Tout le village est venu, hommes et femmes ; à coups de hache ils défoncent la porte barricadée et tirent sur les voisins qui viennent au secours. — En d’autres endroits, dans les districts de Saint-Étienne et de Montbrison, « on enlève impunément les arbres des propriétaires, on démolit leurs murs de clôture et de terrasse ; ceux qui se plaignent sont menacés de mort et de voir abattre leurs maisons ». Près de Paris, autour de Montargis, Nemours et Fontainebleau, nombre de paroisses refusent d’acquitter les droits de dîme et de champart que l’Assemblée vient de consacrer une seconde fois ; on dresse des potences, avec menace d’y accrocher les percepteurs, et, aux environs de Tonnerre, les redevables attroupés tirent sur la maréchaussée qui vient protéger les redevances. — Là-bas, près d’Amiens, la comtesse de la Mire[58], dans sa terre de Davencourt, voit arriver chez elle la municipalité du village qui l’invite à renoncer à ses droits de champart et de tiers. Elle refuse ; on insiste. Elle refuse encore ; on l’avertit « qu’il lui arrivera malheur ». En effet, deux officiers municipaux font sonner le tocsin, et le village accourt avec des armes. Un domestique a le bras cassé par une balle ; pendant trois heures, la comtesse et ses deux enfants sont chargés d’avanies et de coups ; on la force à signer un papier qu’on ne lui permet pas de lire ; en parant un coup de sabre, elle a le bras fendu, du coude au poignet ; le château est pillé ; elle ne parvient à s’évader que grâce au zèle de quelques domestiques. — En même temps, de larges éruptions s’étalent sur des provinces entières ; presque sans interruption l’une succède à l’autre, et la fièvre reprend des portions qu’on croyait guéries, tant qu’enfin ces ulcères confluents se rejoignent et font une seule plaie de toute la surface du corps social.

À la fin de décembre 1789, la fermentation chronique devient aiguë en Bretagne. Selon l’ordinaire, les imaginations ont forgé un complot, et, au dire du peuple, si le peuple attaque, c’est pour se défendre. Le bruit a couru[59] que M. de Goyon, près de Lamballe, vient de réunir dans son château nombre de gentilshommes et six cents soldats. Aussitôt le maire et la garde nationale de Lamballe sont partis en force ; ils l’ont trouvé chez lui tout pacifique, sans autre compagnie que deux ou trois amis, et sans autres armes que quatre fusils de chasse. — Mais le branle est donné, et, le 15 janvier, la grande Fédération de Pontivy a exalté les cervelles. On a bu, chanté, crié, célébré les décrets nouveaux, devant des paysans armés qui n’entendent pas le français, encore bien moins les termes légaux, et qui, au retour, raisonnant entre eux en bas-breton, interprètent la loi d’une étrange manière. « À leur sens, un décret de l’Assemblée nationale est un décret de prise de corps ; » or les principaux décrets de l’Assemblée sont contre les nobles ; donc ce sont là, contre les nobles, autant de décrets de prise de corps. — Quelques jours après, vers la fin de janvier, pendant tout le mois de février et jusqu’au mois d’avril, l’opération s’exécute tumultuairement, par des attroupements de villageois et de vagabonds, autour de Nantes, Auray, Redon, Dinan, Ploërmel, Rennes, Guingamp, et d’autres villes encore. Partout, écrit le maire de Nantes[60], « les gens de la campagne croient s’affranchir de leurs redevances en brûlant les titres ; dans cette persuasion, les meilleurs d’entre eux y concourent », ou laissent faire ; et les excès sont énormes, parce que plusieurs exercent « des vengeances particulières, et que tous sont échauffés par le vin ». À Beuvres, « les paysans et vassaux de la seigneurie, après avoir brûlé les titres, s’établissent dans le château et menacent de l’incendier, si on ne leur livre d’autres papiers qu’ils prétendent qu’on leur cache ». Près de Redon, l’abbaye de Saint-Sauveur est réduite en cendres. Redon est menacé ; Ploërmel est presque assiégé. Au bout d’un mois, on compte trente-neuf châteaux attaqués, vingt-cinq où les titres ont été brûlés, douze où les propriétaires ont dû signer l’abandon de leurs droits. Deux châteaux qui commençaient à flamber ont été sauvés par la garde nationale. Celui du Bois-au-Voyer a été incendié tout à fait ; plusieurs ont été saccagés. Par surcroît, « plus de quinze procureurs fiscaux, greffiers, notaires, officiers de justice seigneuriale, ont été pillés ou brûlés », et les propriétaires se réfugient dans les villes parce que la campagne est maintenant inhabitable pour eux.

En même temps, sur un autre point, une seconde tumeur s’est ouverte[61]. Elle a percé dans le bas Limousin dès le commencement de janvier : de là l’inflammation purulente a gagné le Quercy, le haut Languedoc, le Périgord, le Rouergue, et, au mois de février, depuis Tulle jusqu’à Montauban, depuis Agen jusqu’à Périgueux et Cahors, elle couvre trois départements. — Là aussi, selon la règle, l’attente a créé son objet. À force de souhaiter une loi qui supprime toutes les redevances, on se figure qu’elle est faite ; et l’on répète que « le roi et l’Assemblée nationale ont ordonné des députations pour planter le Mai et pour éclairer les châteaux » — De plus, et toujours selon l’usage, les bandits, les gens sans aveu sont en tête avec les furieux, et conduisent l’opération à leur manière. Dès qu’une bande s’est formée, elle arrête sur les chemins, dans les champs, dans les chaumières isolées, les campagnards tranquilles qu’elle aura soin de mettre en avant, si l’on en vient aux coups. — À la contrainte elle ajoute la terreur. Des potences sont dressées pour quiconque payera les droits casuels ou les redevances annuelles, et des paroisses du Quercy menacent leurs voisins du Périgord de les mettre à feu et à sang sous huitaine, s’ils ne font pas en Périgord ce qu’elles font en Quercy. — Le tocsin sonne, le tambour bat, et, de commune en commune, « la cérémonie » s’accomplit. On prend de force au curé les clefs de l’église, on en brûle les bancs et parfois les boiseries marquées aux armes du seigneur. On va chez le seigneur, on arrache ses girouettes et on l’oblige à fournir son plus bel arbre avec plumes et rubans pour l’orner, sans oublier les trois mesures avec lesquelles il prélève ses redevances en grains ou farine. On plante ce mai sur la place du village, on attache au sommet les girouettes, les rubans, les plumes, les trois mesures et cette inscription : « Par ordre du roi et de l’Assemblée nationale, quittance finale des rentes. » Cela fait, il est visible que le seigneur, n’ayant plus ni girouettes, ni banc à l’église, ni mesures à prélèvement, n’est plus seigneur et ne pourra plus rien prélever. Partant, acclamations, kermesse et orgie sur la place. Seigneur, curé, riches, quiconque peut payer est mis à contribution ; on mange, on boit, « le peuple ne désenivre pas ». — En cet état, comme il a des armes, il frappe, et, quand on lui résiste, il incendie. Dans l’Agénois, un château au marquis de Lameth, un autre à M. d’Aiguillon dans le haut Languedoc celui de M. de Bournazel, dans le Périgord celui de M. de Bar, sont brûlés ; M. de Bar est assommé de coups ; six autres sont tués dans le Quercy. Nombre de châteaux aux environs de Montauban et dans le Limousin sont assiégés à coups de fusil ; plusieurs sont pillés. — Des bandes de douze cents hommes sont en campagne : « on en veut à toutes les propriétés » ; on répare les torts : « on juge à nouveau des procès jugés depuis trente ans, et l’on rend des sentences qu’on exécute ». — Si quelqu’un manque au nouveau code, il est puni, et au profit des nouveaux souverains : dans l’Agénois, un gentilhomme ayant payé la rente que comportait son fief, le peuple lui prend sa quittance, le met à l’amende d’une somme égale à celle qu’il a versée, et vient sous ses fenêtres manger cet argent, en triomphe et avec dérision.

Contre ces fourmilières soulevées d’usurpateurs brutaux, plusieurs gardes nationales encore énergiques, beaucoup de municipalités encore amies de l’ordre, nombre de gentilshommes encore résidants usent de leurs armes. Quelques brigands, arrêtés en flagrant délit, sont jugés prévôtalement, et, sur-le-champ, exécutés pour l’exemple. Pour tous les gens du pays, le péril social est manifeste et pressant : si de tels attentats restaient impunis, il n’y aurait plus de propriétés ni de lois en France. Aussi bien le parlement de Bordeaux requiert des poursuites ; quatre-vingt-trois bourgs et villes signent des adresses et envoient à l’Assemblée nationale une députation extraordinaire pour demander que l’on continue les procédures commencées, que l’on punisse les coupables détenus, et surtout que l’on maintienne les prévôtés. — En réponse, l’Assemblée inflige l’improbation la plus rude au parlement de Bordeaux, et commence la démolition de tout l’ordre judiciaire[62]. Dès à présent, elle sursoit à l’exécution de tous les jugements prévôtaux. Quelques mois plus tard, elle obligera le roi à déclarer que les procédures instruites contre la jacquerie de la Bretagne seront regardées comme non avenues, et que les mutins arrêtés seront mis en liberté. Pour toute répression, elle expédie au peuple français une exhortation sentimentale, douze pages de fadeurs littéraires, qui semblent écrites par Florian pour ses Estelle et ses Némorin[63]. — Par une conséquence inévitable, aux alentours du brasier mal éteint, de nouveaux foyers s’allument. Dans le district de Saintes[64], M. Dupaty, conseiller au parlement de Bordeaux, après avoir épuisé les voies de douceur, avait fini par assigner ceux de ses tenanciers qui ne voulaient pas lui payer ses rentes ; là-dessus, la paroisse de Saint-Thomas de Cosnac, jointe à cinq ou six autres, s’ébranle et vient assaillir ses deux châteaux de Bois-Roche et de Saint-Georges-des-Agouts ; ils sont saccagés, puis brûlés ; son fils s’échappe à travers les coups de fusil. Le notaire et régisseur Martin est visité de même ; ses meubles et son argent sont pillés ; « sa fille éprouve les outrages les plus affreux », et un détachement, poussant jusque chez le marquis de Cumont, l’oblige, sous peine d’être incendié, à donner décharge de toutes les redevances. En tête des incendiaires sont les officiers municipaux de Saint-Thomas, excepté le maire, qui s’est sauvé. — C’est que le régime électoral institué par l’Assemblée constituante commence à produire ses effets. « Presque partout, écrit le commissaire du roi, on a éliminé les grands propriétaires, et les emplois sont occupés par des hommes qui remplissent strictement les conditions d’éligibilité. Il en résulte une sorte d’acharnement des gens peu riches à vexer ceux qui ont des héritages considérables. » — Six mois plus tard, dans le même département, à Aujac, Migron, Varaise, les gardes nationales et les autorités villageoises décident qu’on ne payera plus ni dîmes, ni agriers, ni champarts, ni aucun des droits conservés. En vain le département casse leur arrêté, envoie des commissaires, des gendarmes, un huissier. Les commissaires sont chassés, on tire sur l’huissier et sur les gendarmes ; le vice-président du district qui allait faire son rapport au département, est saisi en route, et contraint de donner sa démission. Sept paroisses se sont coalisées avec Aujac, dix avec Migron ; Varaise a sonné le tocsin, les villages sont soulevés à quatre lieues à la ronde, quinze cents hommes armés de fusils, de faux, de cognées et de fourches, apprêtent leurs bras. Il s’agit de délivrer le principal meneur de Varaise, Planche, qui a été arrêté, et de punir Latierce, maire de Varaise, que l’on soupçonne d’avoir dénoncé Planche. Latierce est roué de coups, on lui « fait subir mille tourments pendant trente heures » ; puis on se met en marche avec lui sur Saint-Jean-d’Angély, et l’on exige l’élargissement de Planche. La municipalité, qui d’abord a refusé, finit par consentir, à condition qu’on lui rendra Latierce en échange. En conséquence, Planche est mis en liberté, reçu avec des cris de triomphe. Mais Latierce n’est pas rendu ; au contraire, on le supplicie une heure durant, puis on le massacre, et le directoire du district, moins soumis que la municipalité, est forcé de fuir. — De tels symptômes ne sont pas douteux, et il y en a de pareils en Bretagne : évidemment, les âmes sont toujours insurgées. Au lieu de se vider, l’abcès social se remplit et se gonfle ; il va crever une seconde fois aux mêmes places, et, en 1791 comme en 1790, la jacquerie s’étale sur la Bretagne comme sur le Limousin.

C’est que la volonté du paysan est d’une autre nature que la nôtre, bien plus fixe et bien plus tenace. Quand une pensée s’accroche en lui, elle y prend naissance par une croissance obscure et profonde, sur laquelle la parole et le raisonnement n’ont pas de prise ; une fois implantée, elle végète à sa guise, non à la nôtre, et nul texte législatif, nul arrêté judiciaire, nulle remontrance administrative ne peut changer l’espèce de fruit qu’elle produit. Ce fruit, élaboré depuis des siècles, est le sentiment d’une spoliation excessive, et partant le besoin d’une décharge complète. Ayant trop payé à tout le monde, ils ne veulent plus rien payer à personne, et cette idée, vainement comprimée, se redresse toujours à la façon d’un instinct. — Au mois de janvier 1791[65], les bandes se reforment en Bretagne ; c’est que les propriétaires d’anciens fiefs ont réclamé l’acquittement de leurs rentes. D’abord les paroisses coalisées refusent de rien payer aux régisseurs ; puis les gardes nationales rustiques viennent dans les châteaux contraindre les propriétaires. Le plus souvent c’est le commandant de la garde nationale, parfois c’est le procureur de la commune qui dicte au seigneur la renonciation ; de plus on lui fait souscrire des billets au profit de la paroisse ou de divers particuliers. Selon eux, c’est restitution et dédommagement : puisque tous les droits féodaux sont abolis, il est tenu de leur rendre ce qu’il a reçu d’eux l’année dernière ; puisqu’ils se sont dérangés, il est tenu de « les salarier pour leur course ». — Deux troupes principales, l’une de quinze cents hommes, opèrent ainsi autour de Dinan et de Saint-Malo ; pour plus de sûreté, dans les châteaux de Saint-Tual, Besso, Beaumanoir, la Rivière, la Bellière, Châteauneuf, Chenay, Chausavoir, Tourdelin et Chalonge, ils brûlent les titres ; par surcroît, ils mettaient le feu à Châteauneuf, quand la troupe arriva. — Aux débuts, une vague idée d’ordre social et légal semble encore flotter dans leurs cerveaux : à Saint-Tual, avant de prendre 2000 livres à l’homme d’affaires, ils obligent le maire à leur en donner la permission écrite ; à Yvignac, leur chef, requis de présenter ses pouvoirs, déclare « qu’il est autorisé par la volonté générale de la populace de la nation[66] ». — Mais, au bout d’un mois, battus par la troupe, furieux des coups qu’ils ont donnés et qu’ils ont reçus, excités par la faiblesse des municipalités qui relâchent les prisonniers, ils deviennent des bandits de la pire espèce. Dans la nuit du 22 au 23 février, le château de Villefranche, à trois lieues de Malestroit, est attaqué ; trente-deux coquins, le visage masqué, conduits par un chef en uniforme national, enfoncent la porte. Les domestiques sont garrottés ; le propriétaire, M. de la Bourdonnaye, un vieillard, sa femme, âgée de soixante ans, sont meurtris de coups, liés sur leur lit ; puis on approche leurs pieds du feu, et on les chauffe. Cependant, argenterie, linge, étoffes, bijoux, deux mille francs en argent, jusqu’aux montres, boucles et bagues, tout est pillé, chargé sur les onze chevaux des écuries, emporté. — Quand il s’agit de la propriété, un genre d’attentat entraîne tous les autres, et la cupidité limitée du censitaire s’achève par la rapacité illimitée du brigand.

Cependant, dans les provinces du Sud-Ouest, les mêmes causes ont produit les mêmes effets, et, vers la fin de l’automne, quand, la récolte faite, les propriétaires ont demandé leurs rentes en argent ou en nature, le paysan, immuable dans son idée fixe, a de nouveau refusé[67]. À l’entendre, s’il y a une loi contre lui, elle n’est pas de l’Assemblée nationale ; ce sont les ci-devant seigneurs qui l’ont extorquée ou fabriquée ; elle est donc nulle. Que les administrateurs du département et du district la proclament autant de fois qu’ils voudront ; il n’en a cure, et, à l’occasion, il saura bien les en punir. Composées de censitaires comme lui, les gardes nationales de village sont avec lui, et, au lieu de le réprimer, le soutiennent. Pour commencer, il replante les Mais en signe d’affranchissement et les potences en signe de menace. — Dans le district de Gourdon, la troupe et la maréchaussée ayant été envoyées pour les abattre, aussitôt le tocsin sonne ; un flot de paysans, quatre à cinq mille hommes, armés de faux et de fusils, arrivent de toutes les paroisses environnantes ; les cent soldats, retirés dans une église, capitulent après un siège de vingt-quatre heures, et sont contraints de nommer les propriétaires qui ont demandé au district leur intervention : ce sont MM. Hébray, de Fontanges, et encore d’autres. Toutes leurs maisons sont détruites de fond en comble, ils se sauvent pour ne pas être pendus ; les châteaux de Repaire et de Salviat sont brûlés. Au bout de huit jours, le Quercy est en feu, trente châteaux sont détruits. — Le chef d’une garde nationale rustique, Joseph Linard, à la tête de l’armée villageoise, pénètre dans Gourdon, s’installe à l’hôtel de ville, se déclare protecteur du peuple contre le directoire du district, écrit au département, au nom de « ses frères d’armes », et vante son patriotisme. En attendant, il commande en conquérant, ouvre les prisons, promet que, si l’on congédie la maréchaussée et la troupe, il va se retirer, lui et ses gens, en bon ordre. — Mais ces sortes d’autorités tumultuaires, instituées par acclamation pour l’attaque, sont impuissantes pour la résistance. À peine Linard s’est-il retiré, que la sauvagerie se déchaîne. « La tête des administrateurs est mise à prix ; leurs maisons sont les premières dévastées ; toutes les maisons des citoyens riches sont mises au pillage ; il en est de même des châteaux et des habitations de campagne qui annoncent quelque aisance. » — Contre cette jacquerie qui se propage, quinze gentilshommes, réunis à Castel chez M. d’Escayrac[68], font appel à tous les bons citoyens pour marcher au secours des propriétaires attaqués ; mais il y a trop peu de propriétaires dans la campagne, et chaque ville n’a pas trop des siens pour se garder elle-même. Après quelques escarmouches, M. d’Escayrac, abandonné par la municipalité de son village, blessé, se retire en Languedoc chez le comte de Clarac, maréchal de camp. Là aussi, le château est entouré[69], bloqué, assiégé par la garde nationale du lieu. M. de Clarac descend, parlemente ; on lui tire des coups de fusil. Il remonte et jette de l’argent par la fenêtre ; on ramasse l’argent et l’on tire de nouveau sur lui. Le feu est mis au château ; M. d’Escayrac est tué de cinq coups de fusil : M. de Clarac et un autre, réfugiés dans un souterrain voûté, presque étouffés, n’en sont retirés que le surlendemain matin par les gardes nationales du voisinage ; celles-ci les emmènent à Toulouse, où on les retient en prison, et où l’accusateur public informe contre eux. En même temps, le château de Bagat, près de Montcuq, est démoli ; l’abbaye d’Espagnac, près de Figeac, est attaquée à coups de fusil ; on force l’abbesse à restituer toutes les rentes qu’elle a perçues et à rembourser quatre mille livres pour les frais d’un procès que le couvent a gagné il y a vingt ans.

Après de pareils succès, il est inévitable que la révolte s’étende, et, au bout de quelques semaines ou de quelques mois, elle est permanente dans les trois départements voisins. — Dans la Creuse[70], on menace les juges de mort s’ils ordonnent le payement des cens, et l’on promet le même sort aux propriétaires qui réclameront leurs rentes. En plusieurs endroits, surtout dans la montagne, les paysans, « considérant qu’ils sont la nation et que les biens du clergé sont nationaux », veulent qu’au lieu de les vendre on les leur partage. Cinquante paroisses, autour de La Souterraine, ont reçu des lettres incendiaires qui les invitent à venir en armes à la ville « pour se faire exhiber par force et au péril de leur sang tous les titres des rentes foncières ». De huit lieues à la ronde, les paysans s’ébranlent au son du tocsin, précédés de leurs officiers municipaux en écharpe ; ils sont plus de quatre mille et traînent avec eux un chariot plein d’armes ; c’est pour reviser et constituer à nouveau la propriété du sol. — Dans la Dordogne[71], des arbitres qui se sont désignés eux-mêmes s’interposent impérieusement entre le propriétaire et le métayer au moment de la récolte, pour empêcher le propriétaire de réclamer et le métayer de fournir la dîme et le rêve : toute convention de cette espèce est interdite ; quiconque dérogera au nouveau système, propriétaire ou métayer, sera pendu. À cet effet, dans les districts de Bergerac, Excideuil, Ribérac, Mussidan, Montignac et Périgueux, les milices rurales, conduites par les officiers municipaux, vont de commune en commune, pour faire signer aux propriétaires leur désistement, et ces visites « sont toujours accompagnées de vols, d’outrages et de mauvais traitements, auxquels on n’échappe que par une soumission absolue ». De plus, ils demandent l’abolition « de toute espèce d’impôts et le partage des terres ». — Impossible « aux propriétaires un peu riches » de rester à la campagne ; de tous côtés, ils se réfugient à Périgueux, et là, formés en corps de troupe, avec la gendarmerie et la garde nationale de la ville, ils parcourent les cantons pour rétablir l’ordre. Mais il n’y a nul moyen de persuader aux paysans que c’est l’ordre qu’on rétablit. Avec cette opiniâtreté d’imagination que nul obstacle n’arrête et qui, comme une source vive, finit toujours par trouver une issue, le peuple déclare que « les gendarmes et les gardes nationales » qui sont venus le contraindre « étaient des prêtres et des gentilshommes déguisés ». — D’ailleurs les théories nouvelles sont descendues jusque dans les bas-fonds, et rien de plus facile que d’en tirer l’abolition des dettes ou même la loi agraire. À Ribérac, où les paroisses voisines ont fait invasion, l’orateur des séditieux, un tailleur de village, tirant de sa poche le catéchisme de la Constitution, argumente avec le procureur-syndic et lui prouve que les insurgés ne font qu’exercer les droits de l’homme. En premier lieu, il est dit dans le livre que « les Français sont égaux et frères, qu’ils doivent se secourir » les uns les autres ; « donc, les maîtres doivent partager, surtout cette année qui est disetteuse. En second lieu, il est écrit que tous les biens appartiennent à la nation », et c’est pour cela « qu’elle s’est emparée des biens de l’Église ; or la nation se compose de tous les Français » et la conclusion est claire. Aux yeux du tailleur, puisque les biens des particuliers français appartiennent à tous les Français, il y a droit, lui tailleur, au moins pour sa quote-part. — On va vite et loin sur cette pente ; car chaque attroupement entend jouir tout de suite et à sa façon. Nul souci des voisins, ni des conséquences, même immédiates et physiques, et, en vingt endroits, la propriété usurpée périt elle-même sous la main des usurpateurs.

C’est dans le troisième département, celui de la Corrèze, qu’on peut le mieux observer cette destruction gratuite[72]. Non seulement, depuis le commencement de la Révolution, les paysans y ont refusé de payer les rentes ; non seulement ils ont « planté des Mais armés de crocs de fer pour pendre » le premier qui oserait les réclamer ou les payer ; non seulement les violences, qui sont de toute espèce, sont commises « par des communes entières », et « la garde nationale des petites communes y participe » ; non seulement les coupables décrétés de prise de corps restent libres, et « on ne parle que de pendre les huissiers qui feront des actes », mais encore, avec la propriété des eaux, la réserve, la conduite, la distribution des eaux sont bouleversées, et, dans un pays où les pentes sont raides, on imagine les suites d’une pareille opération. — À trois lieues de Tulle, dans un vallon formant demi-cercle, un étang profond de vingt pieds sur une étendue de trois cents arpents était fermé par une épaisse chaussée du côté d’une gorge très profonde, toute peuplée de maisons, de moulins et de cultures. Le 17 avril 1791, une troupe, assemblée au son du tambour, cinq cents hommes armés des trois villages voisins se mettent à démolir la digue. Le propriétaire, député suppléant à l’Assemblée nationale, M. de Sedières, n’est averti qu’à onze heures du soir ; il monte à cheval avec ses hôtes et ses domestiques, charge les misérables fous, et, à coups de pistolet, de fusil, les disperse ; il était temps : la tranchée qu’ils creusaient avait déjà huit pieds de profondeur ; l’eau affleurait presque ; une demi-heure plus tard, l’effroyable masse roulante se déversait sur les habitants de la gorge. — Mais, contre l’attaque universelle et continue, de tels coups de main, rares et rarement heureux, ne sont pas une défense. La troupe de ligne et la gendarmerie, toutes deux en voie de refonte ou de décomposition, sont peu sûres ou trop faibles. Il n’y a que trente hommes de cavalerie dans la Creuse et autant dans la Corrèze. La garde nationale des villes est surmenée par tant d’expéditions dans la campagne, et l’argent manque pour lui payer ses déplacements. Enfin, l’élection aux mains du peuple amène au pouvoir des hommes disposés à tolérer tous les excès populaires. À Tulle, les électeurs du second degré, choisis presque tous parmi les cultivateurs, et de plus catéchisés par le club, ne nomment pour députés et pour accusateur public que des candidats déclarés contre les rentes et contre les étangs. — Aussi bien, vers le mois de mai, la démolition générale des digues a commencé. À une lieue et demie du chef-lieu, sur un vaste étang, l’opération dure, sans opposition, une semaine entière ; ailleurs, quand les gardes ou la gendarmerie arrivent, on tire dessus. Vers la fin de septembre, dans tout le département, toutes les chaussées sont rompues : à la place des étangs, il reste des marais infects ; les moulins ne tournent plus ; l’arrosage manque aux prairies. Mais les démolisseurs emportent des panerées de poissons, et le sol de l’étang rentre dans leurs communaux. — Ce n’est pas encore la haine qui les pousse, c’est l’instinct d’acquisition : toutes ces mains violentes, qui se tendent et se raidissent à travers la loi, en veulent à la propriété, et non au propriétaire : elles sont avides bien plutôt qu’hostiles. L’un des seigneurs de la Corrèze, M. de Saint-Victour, est absent depuis cinq ans ; dès le commencement de la Révolution, quoique ses rentes féodales fissent la moitié du revenu de sa terre, il a défendu d’employer, pour les percevoir, les moyens de rigueur ; par suite, depuis 1789, il n’en a perçu aucune. De plus, ayant beaucoup de blé en réserve, il a prêté pour quatre mille francs de grains à ceux de ses tenanciers qui en manquaient. Enfin, il est libéral, et, dans la ville voisine, à Ussel, il passe même pour Jacobin. Malgré tout cela, il est traité comme les autres ; c’est que les paroisses de sa terre sont « clubistes », gouvernées par une compagnie de niveleurs ruraux et pratiques ; dans l’une d’elles « les brigands, s’étant constitués en municipalité », ont choisi leur chef pour procureur-syndic. Partant, le 22 août, quatre-vingts paysans armés ont ouvert la chaussée de son grand étang, au risque de submerger le village voisin, qui est venu la refermer. Dans les deux semaines suivantes, ses cinq autres étangs ont été démolis ; quatre à cinq mille francs de poisson ont été volés ; le reste pourrit dans les herbes[73]. Pour mieux assurer l’expropriation, on a voulu brûler ses titres ; son château, assailli dans la nuit et à deux reprises, n’a été sauvé que par la garde nationale d’Ussel. À présent ses métayers et domestiques hésitent à cultiver, ils sont venus demander au régisseur s’ils pouvaient faire les semailles. Nul recours auprès des autorités : les administrateurs, les juges, même lorsqu’il s’agit de leurs propres biens, « n’osent se montrer ouvertement », parce « qu’ils ne se voient pas en sûreté sous le bouclier de la loi ». — À travers la loi ancienne ou nouvelle, la volonté populaire poursuit opiniâtrement son œuvre et atteint forcément son objet.

Aussi bien, quels que soient les grands noms, liberté, égalité, fraternité, dont la Révolution se décore, elle est par essence une translation de la propriété : en cela consiste son support intime, sa force permanente, son moteur premier, et son sens historique. — Jadis, dans l’antiquité, on avait vu des exécutions pareilles, les dettes abolies ou réduites, les biens des riches confisqués, les terres publiques partagées ; mais l’opération se renfermait dans une cité, et se bornait à un petit territoire. Pour la première fois, elle s’accomplit en grand et dans un État moderne. — Jusqu’ici, dans ces vastes États, lorsque les couches profondes se soulevaient, c’était toujours contre la domination de l’étranger ou contre l’oppression des consciences. En France, au quinzième siècle, en Hollande au seizième, en Angleterre au dix-septième, le paysan, l’artisan, le manœuvre avait pris les armes contre l’ennemi ou pour sa foi. Au zèle religieux ou patriotique a succédé le besoin de bien-être, et le nouveau motif est aussi puissant que les autres ; car, dans nos sociétés industrielles, démocratiques, utilitaires, c’est lui qui désormais gouverne presque toutes les vies et provoque presque tous les efforts. Refoulée pendant des siècles, la passion s’est redressée en secouant les deux grands poids qui l’accablaient, gouvernement et privilèges. À présent, elle se débande impétueusement de tout son jeu, comme une force brute, à travers toutes les propriétés légales et légitimes, publiques ou privées. Les obstacles qu’elle rencontre ne font que la rendre plus destructive : par delà les propriétés, elle s’attaque aux propriétaires, et achève les spoliations par les proscriptions.

  1. Mot de Jeanbon-Saint-André à Mathieu Dumas, envoyé pour rétablir la paix à Montauban (1790) : « C’est le jour de la vengeance et nous l’attendons depuis cent ans. » (Mémoires de Mathieu Dumas.)
  2. Dampmartin, I, 187 (témoin oculaire).
  3. Archives nationales, F7, 3223, et 3216. Lettres de M. de Bouzols, maréchal de camp, en résidence à Montpellier, 21, 25 et 28 mai 1790.
  4. Mary Lafon, Histoire d’une ville protestante (avec les pièces originales, extraites des archives de Montauban).
  5. Archives nationales, F7, 3216. Procès-verbal de la municipalité de Nîmes, et rapport de l’abbé de Belmont. — Rapport des commissaires administrateurs, 28 juin 1790. — Pétition des catholiques, 20 avril. — Lettres de la municipalité, des commissaires et de M. de Nausel sur les événements des 2 et 3 mai. — Lettre de M. Rabaut-Saint-Étienne, 12. mai. — Pétition de la veuve Gas, 30 juillet. — Rapport (imprimé) de M. Alquier, 19 février 1791 — Mémoire (imprimé) du massacre des catholiques de Nîmes, par Froment (1790). — Nouvelle adresse de la municipalité de Nîmes, présentée par le maire, M. de Margueritte, député (1790), imprimée. — Mercure de France, 23 février 1791.
  6. La pétition est signée par 3127 personnes, outre 1560 qui ont apposé leur croix, déclarant ne savoir écrire. — La contre-pétition du club est signée de 162 noms.
  7. Ce dernier fait, affirmé dans le rapport de M. Alquier, est nié par la municipalité. Selon elle, les poufs rouges attroupés autour de l’évêché n’avaient pas de fusils.
  8. Archives nationales, F7, 3216. Lettre de M. de Lespin, major à Nîmes, au commandant de la Provence, M. de Périgord, 27 juillet 1790. « Les trames, les conspirations, que l’on avait attribuées au parti vaincu et que l’on croyait découvrir dans les dépositions de quatre cents hommes emprisonnés, s’évanouissent à mesure que la procédure avance. Les véritables coupables ne se rencontreront que dans les dénonciateurs. »
  9. Buchez et Roux, III, 240 (mémoire des ministres, 28 octobre 1789). — Archives nationales, D, XXIX, 3. Délibération du conseil municipal de Vernon (4 novembre 1789).
  10. Archives nationales, KK, 1105. Correspondance de M. de Thiard, 4 novembre 1789. — Autres faits semblables, 4 septembre, 23 octobre, 4 et 19 novembre 1789, 27 janvier et 27 mars 1790.
  11. Archives nationales, F7, 3257. Lettre de Gex, 29 mai 1790. — Buchez et Roux, VII, 198, 369 (septembre-octobre 1790).
  12. Archives nationales, H, 1453. Correspondance de M. de Bercheny, commandant des quatre provinces du Centre. Lettres du 25 mai, 11, 19, 27 juin 1790. — Archives nationales, D, XXIX, 4. Délibération des administrateurs du district de Bourbon-Lancy, 26 mai.
  13. Archives nationales, H, 1453. Procès-verbal d’une dizaine de paroisses du Nivernais, 4 juin. La livre de pain blanc à 2 sous et de pain bis à 1 sou et demi. Les laboureurs à 30 sous, les faucheurs à 10 sous, les charrons à 10 sous, les huissiers à 6 sous par lieue. Le beurre à 8 sous, la viande à 5 sous, le lard à 8 sous, l’huile à 8 sous la pinte. La toise de maçonnerie à 40 sous, la paire de grands sabots à 3 sous. « Rendre tous les usages et pacages qui ont été pris par justice. Les chemins seront libres partout comme auparavant. Toutes les rentes seigneuriales seront supprimées. Les meuniers ne prendront que le trente-deuxième du boisseau. Les seigneurs de notre département rendront tous les bordelages et biens mal acquis. Le curé de Bièze n’aura d’autre emploi que de dire sa messe à neuf heures et les vêpres à deux heures, en été comme en hiver ; il mariera et enterrera gratis, sauf à nous de lui payer sa pension. Les messes lui seront payées 6 sous ; il ne sortira de sa cure que pour dire son bréviaire et visiter honnêtement ses paroissiens et paroissiennes. Les chapeaux de 3 livres à 30 sous. La grosse de clous d’emballage à 3 livres. Les curés ne tiendront que des servantes sages de cinquante ans. Les curés n’iront ni aux foires, ni aux marchés. Tous les curés auront la même condition que celui de Bièze. Il n’y aura plus de gros marchands de blé. Les commis qui auront fait des prises injustes rendront l’argent. Les fermiers finiront à la Saint-Martin. M. Le comte, quoique absent, M. de Tontenelle et M. Le commandant signeront sans difficulté. M. Le curé de Mingot résiliera par écrit sa cure ; (il) s’est sauvé avec sa servante, il a même manqué sa messe le premier vendredi de la Fête-Dieu, et il est à présumer qu’il a couché dans les bois. Les menuisiers seront taxés au prix des charrons. Les courroies de bœuf à 40 sous, les jougs à 10 sous. Les maîtres payeront la moitié des tailles. Les notaires ne prendront que la moitié de ce qu’ils prenaient autrefois, ainsi que les contrôleurs. La commune proteste se pourvoir contre ce qu’elle aurait oublié dans le présent article, soit de fait, soit de droit. » (Signé par une vingtaine de personnes, dont plusieurs maires ou greffiers de municipalités.)
  14. Archives nationales, H, 1453. Même correspondance, 29 mai, 11 et 17 juin. 15 septembre 1790. — Ib., F7, 3257. Lettre des officiers municipaux de Marsigny, 3 mai : des officiers municipaux de Bourbon-Lancy, 5 juin. Extrait des lettres écrites à M. Amelot, 1er juin.
  15. Archives nationales, F7, 3185 et 3186. Lettre du président du tribunal du district de Laon, 8 février 1792.
  16. Archives nationales, F7, 3268. Procès-verbal et observations des deux commissaires envoyés à Étampes, 22-25 septembre 1791.
  17. Archives nationales, 17, 3265. Le document suivant, entre beaucoup d’autres, montrera les conceptions et les expédients de l’imagination populaire. — Pétition de plusieurs habitants de la commune de Forges (Seine-Inférieure) : « au bon et incorruptible ministre de l’intérieur ». (16 octobre 1792.) Après trois bonnes récoltes successives, la disette dure toujours. Sous l’ancien régime, le blé regorgeait, on en nourrissait les porcs, on engraissait les veaux avec du pain. Il est donc certain que le blé est détourné par les accapareurs et les ennemis du nouveau régime. Les fermes sont trop grandes : divisez-les. Il y a trop de pâturages : mettez tout en blé. Forcez chaque propriétaire ou fermier à déclarer sa récolte ; qu’on en proclame le chiffre au prône ; en cas de mensonge, que l’homme soit mis à mort ou en prison, et son blé confisqué. Obligez tous les cultivateurs des environs à ne vendre qu’à Forges, etc., etc.
  18. Archives nationales, F7, 3268. Rapport des commissaires envoyés par le département, 11 mars 1792 (à propos de l’insurrection du 4 mars). — Mortimer-Ternaux, I, 381.
  19. Archives nationales, F7, 3268. Lettres de plusieurs maires, administrateurs de district, cultivateurs de Vélizy, Villacoublay, La Celle-Saint-Cloud, Montigny, etc, 12 novembre 1791. — Lettre de M. de Narbonne, 13 janvier 1792 ; de M. Sureau, juge de paix du canton d’Étampes, 17 septembre 1791. — Lettre de Bruyères-le-Châtel, 28 janvier 1792.
  20. Archives nationales, F7, 3203. Lettre du directoire du Cher, 25 août 1791. — F7, 3240. Lettre du directoire de la Haute-Marne, 6 novembre 1791. — F7, 3248. Procès-verbal des membres du département du Nord, 18 mars 1791. — F7, 3250. Procès-verbal des officiers municipaux de Montreuil-sur-Mer, 16 octobre 1791. — F7, 3265. Lettre du directoire de la Seine-Inférieure, 22 juillet 1791. — D, XXIX, 4. Remontrances des municipalités assemblées à Tostes, 21 juillet 1791. — Pétition des officiers municipaux des districts de Dieppe, Cany et Caudebec, 22 juillet 1791.
  21. Archives nationalesF7, 3268 et 3269, passim.
  22. Archives nationalesF7, 3268 et 3269, passim. Délibération du directoire de Seine-et-Oise, 20 septembre 1791 (à propos de l’insurrection du 16 septembre à Étampes). — Lettre de Charpentier, président du district, 19 septembre. — Rapport des commissaires du département, 11 mars 1792 (sur l’insurrection de Brunoy du 4 mars). — Rapport des commissaires du département, 4 mars 1792 (sur les insurrections de Montlhéry des 13 et 20 février). — Délibération du directoire de Seine-et-Oise, 16 septembre 1791 (sur l’insurrection de Corbeil). — Lettres des maires de Limours, de Lonjumeau, etc.
  23. Archives nationales, F7, 3268 et 3269, passim. — Procès-verbal de la municipalité de Montlhéry, 28 février 1792. « Nous ne pouvons vous faire un plus grand détail, sans nous exposer à des extrémités qui ne pourraient que nous être très-fâcheuses. » — Lettre du juge de paix du canton, 25 février. « La clameur publique m’apprend que, si j’envoie des mandats d’arrêt à ceux qui ont massacré Thibault, le peuple se soulèvera. »
  24. Archives nationales, F7, 3268 et 3269, passim. Rapports de la gendarmerie, 24 février 1792 et jours suivants. — Lettre du brigadier de Limours, 2 mars ; du régisseur de la ferme de Plessis-le-Comte, 23 février.
  25. Archives nationales, F7, 3268 et 3269, passim. — Mémoire à l’Assemblée nationale par les citoyens de Rambouillet, 17 septembre 1792.
  26. Archives nationales, F7, 3268 et 3269, passim. Procès-verbal de la municipalité de Montlhéry, 27 février 1792. — Buchez et Roux, XIII, 421 (mars 1792), et XIII, 317. — Mercure de France, 25 février 1792. (Lettres de M. Dauchy, président du directoire du département ; de M. de Gouy, envoyé du ministre, etc.) — Moniteur, séance du 15 février 1792.
  27. Décret du 3 septembre 1792.
  28. Archives nationales, F7, 3268 et 3269. Pétition des citoyens de Montfort-l’Amaury, Saint-Léger, Gros-Rouvre, Gelin, Laqueue, Méré, aux citoyens municipaux de Rambouillet.
  29. Archives nationales, F7, 3230. Lettre d’un administrateur du district de Vendôme, avec délibération de la commune de Vendôme, 24 novembre 1792.
  30. Archives nationales, F7, 3255. Lettre des administrateurs du département de Seine-Inférieure, 25 octobre 1792. — Lettres du comité spécial de Rouen, 22 et 25 octobre 1792. « Il semble que, plus on stimule le zèle et le patriotisme des cultivateurs, plus ils s’opiniâtrent à fuir les halles, qui sont toujours dans un dénûment absolu. »
  31. Archives nationales, F7, 3265. Lettre de David, cultivateur, 10 octobre 1792. — Lettre des administrateurs du département, 13 octobre 1792, etc. — Lettre (imprimée) du ministre à la Convention, 4 novembre. — Proclamation du Conseil exécutif provisoire, 31 octobre 1792. (Le setier de grain de deux cent quarante livres poids se vend 60 francs dans le Midi, et moitié moins dans le Nord.)
  32. Archives nationales, F7, 3255. Lettres de Bonnemant, 11 septembre 1792 ; de Laussel, 22 septembre 1792.
  33. Archives nationales, H, 1453. Correspondance de M. de Bercheny, 28 juillet, 24 et 26 octobre 1790. — Cette disposition a persisté. Après les journées de juillet 1830, il y eut une grande insurrection à Issoudun contre les droits réunis ; sept à huit mille vignerons brûlèrent les archives, les bureaux des droits et traînèrent dans les rues un employé, en disant à chaque réverbère : « Il faut le pendre. » Le général, envoyé pour réprimer l’émeute, n’entra que par capitulation ; au moment où il arrivait à l’hôtel de ville, un homme du faubourg de Rome lui passa sa grosse serpe au cou en disant : « Plus de commis, ou il n’y a rien de fait. »
  34. Archives nationales, F7, 3203. Lettre du directoire du Cher, 9 avril 1790. — Ib., F7, 3255. Lettre du 4 août 1790. Jugement du présidial, 4 novembre 1790. — Lettre de la municipalité de Saint-Étienne, 5 août 1790.
  35. Archives nationales, F7, 3248. Lettre de M. Sénac de Meilhan, 10 avril 1790. — Lettre des grands baillis, 30 juin 1790.
  36. Buchez et Roux, VI, 403. Rapport de Chabroud sur l’insurrection de Lyon des 9 et 10 juillet 1790. — Duvergier, Collection des décrets. Décrets des 4 et 15 août 1790.
  37. Archives nationales, F7, 3255. Lettre du ministre, 2 juillet 1790, au directoire de Rhône-et-Loire. « Le roi est informé que, dans l’étendue de votre département, et notamment dans les districts de Saint-Étienne et de Montbrison, la licence est portée au comble, que les juges n’osent poursuivre, qu’en plusieurs endroits les officiers municipaux sont à la tête du désordre que dans les autres, les gardes nationales n’obéissent pas aux réquisitions. » — Lettre du 5 septembre 1790. « Dans le bourg de Thizy, des brigands se sont portés dans divers établissements de filature de coton, les ont détruits en partie, et, après avoir pillé les marchandises, les ont publiquement vendues à l’encan. »
  38. Buchez et Roux, VI. 345. Rapport de M. Muguet, 1er juillet 1790.
  39. Procès-verbaux de l’Assemblée nationale (séance du 24 octobre 1789). — Décret du 27 septembre 1789, applicable le 1er octobre. Autres adoucissements applicables le 1er janvier 1790.
  40. Mercure de France, 27 février 1790 (mémoire du garde des sceaux, 16 janvier). — Observations de M. Necker sur le rapport fait par le Comité des finances, dans la séance du 12 mars 1790.
  41. Archives nationales, H, 1453. Correspondance de M. de Bercheny, 24 avril, 4 et 6 mai 1790. « Il est bien à craindre que l’impôt du tabac n’ait le même sort que celui du sel. »
  42. Mercure de France, 31 juillet 1790 (séance du 10 juillet). M. Lambert, contrôleur général des finances, informe l’Assemblée « des obstacles que des insurrections continuelles, des brigandages, des maximes de liberté anarchique, imposent, d’un bout de la France à l’autre, à la perception des taxes. D’un côté, on persuade au peuple qu’en refusant avec fermeté un impôt contraire à ses droits il en obtiendra l’abolition. Ailleurs, la contrebande se fait à force ouverte ; le peuple la protège, et les gardes nationales refusent de marcher contre la nation. En d’autres lieux, on excite des haines, des divisions entre les troupes et les préposés aux barrières : ceux-ci sont massacrés, les bureaux incendiés, pillés et les prisons forcées. » — Mémoire à l’Assemblée nationale, par M. Necker, 21 juillet 1790.
  43. Décrets des 21 et 22 mars 1790, applicables le 21 avril suivant. — Décrets des 19 février et 2 mars 1791, applicables le 1er mai suivant.
  44. E. et J. de Goncourt, La société française pendant la Révolution, 204. — Maxime du Camp, Paris, sa vie et ses organes, VI, 11.
  45. Compte des revenus et dépenses au 1er mai 1789. — Mémoire de M. Necker, 21 juillet 1790. — Mémoires présentés par M. de Montesquiou, 9 septembre 1791. — Comptes rendus, par le ministre Clavière, 5 octobre 1792. 1er février 1795. — Rapport de Cambon, février 1793.
  46. Boivin-Champeaux, 231.
  47. Mercure de France, 28 mai 1791 (séance du 22 mai). — Discours de M. d’Allarde : « La Bourgogne n’a encore rien payé de 1790. »
  48. Moniteur, séance du 1er juin 1790. Discours de M. Fréteau. — Mercure de France, 26 novembre 1791. Rapport de Laffon-de Ladébat.
  49. Archives nationales, H, 1453. Correspondance de M. de Bercheny, 5 juin 1790, etc. — F7, 3226. Lettres de Chenantin, cultivateur, 7 novembre 1792, et du procureur syndic, 6 novembre. — F7, 3269. Procès-verbal de la municipalité de Clugnac, 5 août 1792. — F7, 3202. Lettre du ministre de la justice Duport, 3 janvier 1792. « Le défaut absolu de force publique dans le district de Montargis y rend absolument impossible toute opération du gouvernement et toute exécution des lois. L’arriéré des impôts à recouvrer y est très considérable, et les contraintes dangereuses à décerner et impossibles à mettre à exécution, tant par la crainte des huissiers qui n’osent s’en charger, que par la violence des contribuables auxquels on n’a aucun frein à opposer. »
  50. Rapport au Comité des finances, par Ramel, 19 floréal an ii. (La Constituante avait fixé la contribution foncière d’une maison au sixième de sa valeur locative.)
  51. Mercure de France, 12 décembre 1789. — Archives nationales, F7, 3268. Mémoire des officiers commandant le détachement de la garde nationale parisienne en station à Conflans-Sainte-Honorine (avril 1790). Certificat des officiers municipaux de Poissy, 31 mars.
  52. Mercure de France, 12 et 26 mars 1791. — Archives nationales, H, 1453. Lettre du lieutenant de la maréchaussée de Blois, 22 avril 1790. — Mercure de France, 24 juillet 1790. Deux des meurtriers disaient à ceux qui voulaient sauver l’officier de la maîtrise : « On pend bien à Paris. Allez, vous êtes des aristocrates. On parlera de nous dans les gazettes de Paris. » (Dépositions des témoins.) — Décrets et proclamations pour la protection des forêts, 3 novembre et 11 décembre 1789. — Autre en octobre 1790. — Autre le 29 janvier 1791.
  53. Archives nationales, F7, 3219. Lettre du bailli de Virieu, 26 janvier 1792.
  54. Mercure de France, 3 décembre 1791 (lettre de Sarrelouis, du 15 novembre 1791). — Archives nationales, F7, 3223. Lettre des officiers municipaux de Montargis, 8 janvier 1792.
  55. Archives nationales, F7, 3268. Lettre du directeur des domaines nationaux à Rambouillet, 31 octobre 1792. — Compte rendu du ministre Clavière, 1er février 1793.
  56. Décrets du 14 août 1792, du 10 juin 1793. — Archives nationales, Missions des Représentants, D, § 1. (Délibération du district de Troyes, 2 ventôse an III.) — À Thennelières, le tirage des lots a eu lieu le 10 fructidor an II, et on l’a recommencé en faveur de la servante de Billy, officier municipal très influent, et qui « était l’âme de ses collègues ». — Ib., Précis des opérations du district d’Arcis-sur-Aube, au 30 pluviôse an III. « Les deux tiers des communes ont de ces sortes de biens. La majeure partie a voté et effectué le partage, ou s’en occupe actuellement. »
  57. Mercure de France, 7 janvier 1790. (Château d’Auxon, dans la Haute-Saône.) — Archives nationales, F7, 3255 (lettre du ministre au directoire de Rhône-et-Loire, 2 juillet 1790). — Mercure de France, 17 juillet 1790 (rapport de M. de Broglie, 13 juillet, et décret des 13-18 juillet). — Archives nationales, H, 1453 (correspondance de M. de Bercheny, 21 juillet 1790).
  58. Mercure de France, 19 mars 1790. Lettre d’Amiens, 28 février. (Mallet du Pan ne public dans le Mercure que des lettres signées et authentiques.)
  59. Archives nationales, KK, 1105 (correspondance de M. de Thiard ; lettres du chevalier de Bévy, 26 décembre 1789, et autres, jusqu’au 5 avril 1790). — Moniteur, séance du 9 février 1790. — Mercure de France, 6 février et 6 mars 1790 (liste des châteaux).
  60. Archives nationales, KK, 1105, (correspondance de M. de Thiard). — Lettres du maire de Nantes, 16 février 1790, de la municipalité de Redon, 19 février, etc.
  61. Mercure de France, 6 et 27 février 1790 (discours de M. de Foucault, séances des 2 et 6 février). — Moniteur (mêmes dates) (rapport de Grégoire, 9 février, discours de M. Sallé-de-Choux et de M. de Noailles, 9 février). — Mémoire des députés de la ville de Tulle, rédigé par l’abbé Morellet (d’après les délibérations et adresses des quatre-vingt-trois bourgs et villes de la province).
  62. Moniteur, séance du 4 mars 1790. — Duvergier, Décrets du 6 mars 1790 et des 6-10 août 1790.
  63. L’adresse est du 11 février 1790. Cette pièce, d’un comique extraordinaire, suffirait pour faire comprendre toute l’histoire de la Révolution.
  64. Archives nationales, F7, 3203. Lettres du commissaire du roi, 30 avril et 9 mai 1790. — Lettre du duc de Maillé, 6 mai. — Procès-verbaux des administrateurs du département, 12 novembre 1790. — Moniteur, VI, 515.
  65. Archives nationales, F7, 3225. Lettre du directoire d’Ille-et-Vilaine, 10 janvier 1791, et lettre de Dinan, 29 janvier. — Mercure de France, 2 et 16 avril 1791. Lettres de Rennes, 20 mars ; de Redon, 12 mars.
  66. Expressions du procès-verbal.
  67. Moniteur, séance du 15 décembre 1790 (adresse du département du Lot, 7 décembre). — Séance du 20 décembre (discours de M. de Foucault). — Mercure de France, 18 décembre 1790 lettre de Belves en Périgord, 7 décembre). — Ib., 22 janvier et 29 janvier 1791 (lettre de M. de Clarac, 18 janvier).
  68. 17 décembre 1790.
  69. 7 janvier 1791.
  70. Archives révolutionnaires du département de la Creuse, par Duval (lettre des administrateurs du département, 31 mars 1791). — Archives nationales, F7, 3209. Délibération du directoire du département, 12 mai 1791. — Procès-verbal de la municipalité de La Souterraine, 23 août 1791
  71. Archives nationales, F7, 3269. — Arrêté du directoire du district de Ribérac, 5 août 1791, et réquisition du procureur-syndic, 4 août. — Lettres du même directoire, 9 et 22 août. — Lettres du procureur-syndic du département, 24 août et 11 septembre. — Lettre du commissaire du roi, 22 août.
  72. Archives nationales, F7, 3204. — Lettres du directoire du département, 2 juin 1791, 8 et 22 septembre. — Du ministre de la justice, 15 mai 1791. — De M. de Lentilhac, 2 septembre. — De M. Melon de Pradou, commissaire du roi, 8 septembre. — Mercure de France, 14 mai 1791 (lettre d’un témoin, M. de Loyac, 25 avril 1791).
  73. Archives nationales, F7, 3204. Lettres de M. de Saint-Victour, 25 septembre, 2 et 10 octobre 1791. — Lettre du régisseur de la terre de Saint-Victour, 18 septembre.