Les Pères de l’Église/Tome 3/Livre III/Chapitre III

La bibliothèque libre.


Texte établi par M. de GenoudeSapia (Tome troisièmep. 219-222).

CHAPITRE III.


La tradition fondée par les apôtres s’est conservée dans l’Église par la succession des évêques nommés par eux ; ce que les hérétiques ne peuvent nier.


Examinons maintenant, et montrons à ceux qui cherchent la vérité de bonne foi, comment la tradition que l’Église a reçue des apôtres s’est propagée ensuite dans tout le monde chrétien. Pour cela nous aurons à rappeler quels furent ceux qui furent institués évêques des Églises par les apôtres, quels furent leurs successeurs dans cette fonction jusqu’au temps où nous sommes, et comment ils enseignèrent constamment la même doctrine et la même foi. Car il faut admettre que s’il y avait des mystères trop relevés pour être révélés au peuple, les apôtres durent en réserver la connaissance à ceux de leurs disciples qui étaient plus avancés dans la perfection, et auxquels ils confiaient la direction des Églises. Ils voulaient que ceux qui devaient leur succéder dans le sacerdoce fussent parfaits et irréprochables ; car si leur conduite était digne et sage, il en résulterait un bien immense ; au contraire, les plus grands malheurs pour l’Église seraient la conséquence de leur incapacité ou de leur mauvaise conduite.

Mais, comme il serait trop long de rappeler ici les noms de tous ceux qui ont successivement dirigé chacune des Églises, il suffira de rappeler les noms de ceux qui se sont succédé dans la direction de celle de ces Églises qui est la plus ancienne, la plus célèbre, celle qui fut fondée à Rome par les glorieux apôtres saint Pierre et saint Paul, qui a reçu d’eux-mêmes le précieux dépôt de la tradition et de la foi prêchée chez toutes les nations ; et nous laisserons en dehors de la communion des fidèles tous ceux qui, soit pour satisfaire leurs passions ou une vaine gloire, soit par aveuglement, soit par perversité, ont quitté les sentiers de la vérité. Car c’est à cette Église de Rome, à cause de sa primauté, que doivent se rattacher toutes les autres Églises et tous les fidèles répandus sur la terre, la considérant comme le principal dépôt de la tradition transmise par les apôtres.

Les apôtres, après avoir fondé cette Église de Rome, en remirent l’administration à Linus, qu’ils en instituèrent évêque. Saint Paul, dans ses lettres à Timothée, fait mention de cet évêque Linus. Son successeur fut Anaclet : après Anaclet ce fut Clément que l’on investit de l’épiscopat ; celui-ci avait connu les apôtres et conversé avec eux, il avait encore toutes vivantes dans son souvenir leurs prédications et les instructions relatives à la tradition ; et il n’était pas le seul, car il existait encore alors beaucoup d’autres personnages qui avaient reçu les enseignements de la foi de la bouche même des apôtres. C’est sous l’épiscopat de ce même Clément qu’un dissentiment fort grave s’étant élevé entre les chrétiens de Corinthe, il leur adressa de Rome, à cette occasion, plusieurs lettres pleines d’éloquence, où il les rappelait à la paix et à l’union, fortifiait leur foi, et leur rappelait les principes de la tradition qu’il avait reçue lui-même des apôtres. Il leur annonçait donc un Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, créateur de l’homme, et qui avait puni par le déluge les crimes de la terre ; qui ensuite avait suscité Abraham, avait délivré son peuple du joug des Égyptiens, avait fait entendre sa voix à Moïse et lui avait fait connaître ses commandements ; qui avait aussi envoyé les prophètes et avait préparé l’enfer pour le démon et les anges rebelles. Ce Dieu tout-puissant était le père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui était annoncé à toutes les Églises. Tels sont les enseignements relatifs à la tradition apostolique, qui se trouvent dans ces lettres, où l’on peut vérifier et lire ce que nous disons ici ; car cet écrit est bien plus ancien que les faux docteurs qui voudraient aujourd’hui nous faire croire à un autre Dieu qui serait au-dessus de notre Dieu, le créateur du ciel et de la terre.

Le successeur de ce Clément fut Évariste ; à Évariste succéda Alexandre ; Sixte vint ensuite et fut le sixième qui fut nommé depuis les apôtres. Il fut remplacé par Télesphore, qui souffrit glorieusement le martyre ; son successeur fut Hyginus ; à Hyginus succéda Pie, et à Pie Anicet. Soter ayant succédé à Anicet, c’est Éleuthère, le douzième depuis les apôtres, qui se trouve maintenant investi de l’épiscopat. Par cette succession des évêques, la tradition et le dépôt de la vérité que l’Église a reçus des apôtres ont été transmis jusqu’à nous ; ainsi nous démontrons avec évidence que le dépôt d’une foi unique, la foi du salut, confié aux Églises par les apôtres, s’est conservé jusqu’à nous et nous a été transmis dans toute sa pureté.

Nous pouvons nous étayer aussi de l’autorité de saint Polycarpe, qui enseigna ces mêmes doctrines, les seules vraies, et qui en transmit le dépôt à l’Église. Or, saint Polycarpe les tenait des apôtres eux-mêmes ; il avait conversé avec un grand nombre de personnes qui avaient vu notre Seigneur ; il avait été investi par les apôtres de l’épiscopat de Smyrne en Asie ; nous l’y avons vu nous-mêmes dans notre première jeunesse. Il persévéra dans sa foi jusqu’à un âge très-avancé, et il sortit enfin de cette vie, après avoir souffert glorieusement et courageusement le martyre. Tous les prêtres qui sont aujourd’hui en Asie, et qui ont été les successeurs de saint Polycarpe, ont confessé les mêmes doctrines ; or, je pense que le témoignage de saint Polycarpe offre un caractère plus imposant d’autorité et de vérité que les protestations de Valentin et de Marcion, et de tous ceux qui partagent leurs dangereuses erreurs. C’est ce même Polycarpe qui, étant venu à Rome sous le pontificat d’Anicet, ramena dans le sein de l’Église un grand nombre de ces hérétiques dont nous avons parlé plus haut, en leur prêchant ces mêmes vérités qu’il tenait des apôtres, et dont il transmettait le dépôt à l’Église naissante. Il existe encore des personnes qui lui ont entendu raconter que saint Jean, disciple de notre Seigneur, étant à Éphèse, alla au bain, mais qu’ayant aperçu l’hérétique Cérinthe, il en sortit précipitamment en s’écriant, « qu’il craignait que les bains ne vinssent à s’écrouler par l’effet de la seule présence de Cérinthe, cet ennemi de la vérité. » On raconte aussi qu’un jour saint Polycarpe ayant rencontré Marcion, celui-ci l’aborda en lui disant : Me connais-tu ? Polycarpe répondit : Je vous connais pour le premier-né de Satan. Ce qui montre combien les apôtres et ensuite leurs disciples ont voulu éviter d’avoir aucune communication, même par la parole, avec ceux qui ont altéré la vérité. C’est le conseil que donne saint Paul lorsqu’il dit : « Fuyez celui qui est hérétique, après le premier ou le second avertissement, sachant qu’un tel homme est perverti, et qu’il pèche, étant condamné par son propre jugement. » Il existe d’ailleurs une excellente épître, adressée par saint Polycarpe aux fidèles de Philippes, dans laquelle ceux qui désirent faire leur salut trouveront une explication parfaite tant du véritable caractère de la foi que de la manière dont la vérité doit être annoncée. Enfin nous avons dans Paul, qui fonda l’Église d’Éphèse, où Jean lui succéda, et où il resta jusqu’au règne de Trajan, un témoin sincère et irréfragable de la tradition transmise par les apôtres.