Les Plaintes d’une Amoureuse (trad. Hugo)

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William Shakespeare
(traduction et notes par François-Victor Hugo)
Les Plaintes d’une Amoureuse
Textes établis par François-Victor Hugo
Œuvres complètes de Shakespeare
Tome XV : Sonnets – Poëmes – Testament
Paris, Pagnerre, 1872
p. 285-300
Le Viol de Lucrèce Le Pèlerin passionné


LES PLAINTES D’UNE AMOUREUSE



I

Couché au haut d’une colline dont la gorge profonde répétait le récit plaintif d’une vallée sœur, je suivais ce duo avec une attention concentrée, et j’en écoutais le triste refrain, quand tout à coup j’aperçus une étrange fille toute pâle, qui déchirait des papiers, brisait des bagues en deux, et déchaînait sur toute sa personne la pluie et le vent du désespoir.

II

Sur sa tête était comme une ruche de paille tressée qui lui garantissait le visage du soleil ; en la regardant alors, on aurait pu s’imaginer entrevoir le squelette d’une beauté usée et finie. Mais le temps n’avait pas fauché en elle toute jeunesse, et la jeunesse ne l’avait pas toute quittée ; au contraire, en dépit de la rage terrible du ciel, quelque beauté perçait encore à travers le treillis de ses rides hâtives.

III

Maintes fois, elle portait à ses yeux un mouchoir sur lequel étaient imprimés des dessins de fantaisie, et elle en trempait les images soyeuses dans l’eau amère que sa douleur débordante avait condensée en larmes ; souvent elle lisait les inscriptions qu’il portait, et aussi souvent elle exhalait une douleur inarticulée dans des cris de toute mesure, tantôt perçants et tantôt sourds.

IV

Parfois, elle levait ses yeux en feu comme pour en foudroyer le ciel ; parfois, elle en faisait retomber les pauvres flammes sur le globe terrestre ; parfois, elle étendait la vue droit devant elle ; parfois, elle prêtait ses regards à tous les lieux à la fois sans les fixer nulle part, confondant l’imagination et la réalité dans son délire.

V

Ses cheveux, qui n’étaient ni flottants ni attachés en nattes régulières, accusaient une main insouciante de coquetterie. En effet, quelques mèches dénouées descendaient de son chapeau de paille, pendant le long de ses joues pâles et flétries : d’autres tenaient encore à leur réseau de fil, et, fidèles au lien, ne s’en échappaient pas, bien que négligemment tressées dans un mol abandon.

VI

Elle tira d’un panier mille brimborions d’ambre, de cristal et de jais incrusté, qu’elle jeta un à un dans la rivière en pleurs au bord de laquelle elle était assise. Elle mêlait avec usure ses larmes à ces larmes, comme le monarque dont la main prodigue les largesses, non à la misère, qui réclame peu, mais au luxe, qui mendie tout.

VII

Elle prit nombre de billets pliés qu’elle parcourut, puis, après un soupir, mit en pièces et jeta au flot ; elle brisa beaucoup de bagues d’or et d’os couvertes de devises, auxquelles elle assigna la vase pour sépulcre ; elle tira encore d’autres billets tristement écrits en lettres de sang, précieusement enveloppés d’un lacet de soie écrue et scellés avec un secret curieux.

VIII

Elle les baigna maintes fois de ses larmes, les couvrit de baisers, et s’apprêtant à les déchirer : « Ô sang trompeur, s’écria-t-elle, registre de mensonges ! que de faux témoignages tu portes ! L’encre eût été mieux à sa place ! sa couleur est plus noire et plus infernale ! » Cela dit, au comble de la rage, elle met en pièces toutes ces lettres, dont elle anéantit le contenu dans l’éclat de son mécontentement.

IX

Un homme vénérable faisait paître son troupeau dans le voisinage. Cet homme avait été jadis un joyeux vivant, au courant des querelles de la cour et de la ville ; il avait traversé les heures les plus légères et remarqué comme elles s’envolent. Vite il s’approche de cette singulière affligée, et, en vertu du privilége de l’âge, demande à connaître brièvement l’origine et les motifs de sa douleur.

X

Il se laisse glisser sur son bâton noueux, et, s’asseyant près d’elle à une distance convenable, la prie une seconde fois de lui faire partager ses chagrins dans une confidence : s’il est une chose qu’elle puisse réclamer de lui pour calmer ses angoisses, la charité de l’âge la lui promet d’avance.

XI

« Mon père, dit-elle, quoique vous aperceviez en moi l’injurieuse flétrissure des heures, n’allez pas juger que je suis vieille ; ce n’est pas l’âge, mais le chagrin qui m’accable. Maintenant encore, j’aurais l’épanouissement d’une fleur fraîche éclose, si j’avais consacré mon amour à moi-même et non à un autre.

XII

» Mais, malheur à moi ! J’ai trop vite écouté les doux propos d’un jeune homme qui voulait gagner mes grâces. La nature l’avait doué de tant de charmes extérieurs, que les yeux des jeunes filles se collaient à toute sa personne. L’amour, manquant de gîte, l’avait choisi pour retraite, et, depuis qu’il était installé en si beau lieu, il était dans un nouveau sanctuaire et déifié de nouveau.

XIII

» Ses cheveux bruns pendaient en boucles frisées, et le plus léger souffle du vent en jetait sur ses lèvres les mèches soyeuses. Ce qu’il est doux de faire se fait si complaisamment ! Tout regard jeté sur lui enchantait l’âme, car sur ses traits étaient esquissées en petit les splendeurs dont l’imagination sème le paradis.

XIV

» La virilité ne faisait que poindre à son menton ; le duvet du phénix commençait seulement à paraître, semblable à un velours non tondu sur sa peau incomparable, dont la nudité ressortait sous ce voile naissant et gagnait une nouvelle valeur à ce sacrifice, Et les affections les plus méticuleuses, hésitant, ne savaient au juste si sa beauté perdait ou gagnait au changement.

XV

» Ses qualités étaient aussi rares que sa beauté ; il avait une voix virginale, et en usait généreusement ; mais, si les hommes le provoquaient, c’était une tempête, comme on en voit souvent entre avril et mai, alors que les vents, quoique déchaînés, ont un souffle si doux. La tendresse supposée de son âge couvrait ainsi d’un voile menteur sa brusque franchise.

XVI

» Qu’il montait bien à cheval ! On disait souvent que sa monture empruntait sa fougue à l’écuyer. Fière de sa servitude, ennoblie par une telle domination, comme elle savait tourner, bondir, galoper, s’arrêter ! C’était une question controversée de savoir si le cheval tenait son élégance du cavalier, ou le cavalier son adresse de la docilité du coursier.

XVII

» Mais le verdict se prononçait vite en faveur du maître. Ses manières personnelles donnaient la vie et la grâce à ce qui l’approchait et le parait. Sa distinction était en lui, non dans son luxe. Tous les ornements, embellis par la place même qu’ils occupaient, étaient autant d’accessoires qui, dans leur savante disposition, n’ajoutaient rien à sa grâce, mais tenaient de lui toute la leur.

XVIII

» De même, au bout de ses lèvres dominatrices, toutes sortes d’arguments et de questions profondes, de promptes répliques et de fortes raisons dormaient et s’éveillaient sans cesse pour son service. Pour faire rire le pleureur et pleurer le rieur, il avait une langue et une éloquence variées, attrapant toutes les passions au piége de son caprice.

XIX

» Aussi régnait-il sur tous les cœurs jeunes et vieux ; tous, hommes et femmes, enchantés, vivaient avec lui par la pensée ou lui formaient un respectueux cortége partout où il apparaissait. Les consentements ensorcelés devançaient ses désirs : tous, se demandant pour lui ce qu’il souhaitait, interrogeaient leur propre volonté, et la faisaient obéir à la sienne.

XX

» Beaucoup s’étaient procuré son portrait, pour se rappeler sa vue et y fixer leur pensée ; semblables à ces fous qui gardent dans leur imagination la perspective magnifique des parcs et des châteaux qu’ils rencontrent en route, et, se les appropriant par la pensée, trouvent dans leur illusion plus de jouissance que le seigneur goutteux qui les possède en réalité.

XXI

» Ainsi beaucoup qui n’avaient jamais touché sa main aimaient à se supposer maîtresses de son cœur. Moi-même, hélas ! qui vivais en liberté, et qui m’appartenais en toute propriété, séduite par tant d’art et de jeunesse réunis, j’ai livré mes affections à son pouvoir charmeur, et, ne gardant que la tige, lui ai donné toute ma fleur.

XXII

» Pourtant, je ne voulus, comme quelques-unes de mes pareilles, rien réclamer de lui, ni rien céder à ses désirs : obéissant aux prescriptions de l’honneur, je gardai mon honneur à une distance salutaire. L’expérience me faisait un rempart du spectacle des cœurs encore saignants qui, enchâssés dans ce bijou faux, formaient son trophée d’amour.

XXIII

» Mais, hélas ! à laquelle de nous les précédents ont-ils fait éviter le malheur prédestiné qu’elle doit subir elle-même ? Laquelle a jamais forcé l’exemple à mettre les périls passés en travers de ses désirs ? Les conseils peuvent réprimer un instant un impérieux penchant ; car souvent, quand notre passion fait rage, un avis donne, en l’émoussant, plus d’acuité à nos esprits.

XXIV

» Mais nos sens ne sont pas satisfaits d’être ainsi courbés sous l’expérience des autres et privés des jouissances qui leur semblent si douces, par crainte des malheurs qui prêchent pour notre sauvegarde. Ô désir ! que tu es éloigné de la sagesse ! Tu ne peux t’empêcher de goûter à ce que tu veux, bien que la raison pleure et te crie : Tout est fini !

XXV

» En effet, je pouvais me dire d’avance : Cet homme est un trompeur, et je connaissais les échantillons de sa noire perfidie ; j’avais appris dans combien de vergers divers il jetait ses racines, et vu que de déceptions se doraient de son sourire ; je savais que les serments n’étaient pour lui que les entremetteurs du vice ; je me disais que ses lettres et ses paroles artificieuses n’étaient que les noires bâtardes de son cœur adultère.

XXVI

» Dans ces conditions, je gardais depuis longtemps ma cité, lorsqu’il se mit à m’assiéger ainsi : « Douce vierge, ayez pour ma jeunesse souffrante quelque sentiment de pitié, et ne vous défiez pas de mes serments sacrés ; nulle n’a reçu jusqu’ici la foi que je vous engage ; car, si j’ai été entraîné aux festins de l’amour, vous êtes la première que j’y aie invitée en lui offrant mes vœux.

XXVII

» Toutes les fautes que vous m’avez vu faire de par le monde sont erreurs des sens et non du cœur ; l’amour n’en est pas cause ; elles ont leur raison d’être là où il n’y a des deux parts ni sincérité ni tendresse. S’il en est qui ont trouvé la honte, c’est qu’elles l’ont elles-mêmes cherchée, et j’ai d’autant moins de remords qu’elles ont plus part à ma faute.

XXVIII

» Parmi tant de femmes que j’ai vues, il n’en est aucune dont la flamme ait embrasé ainsi mon cœur, aucune qui ait apporté le moindre trouble à mon humeur, ou qui ait jamais charmé mes loisirs ; je leur ai fait du mal, mais elles ne m’en ont jamais fait ; j’ai mis ma livrée à leurs cœurs, mais le mien est resté libre et est toujours le maître souverain de son empire.

XXIX

» Voyez ces perles pâles et ces rubis rouges comme du sang, tributs que m’ont envoyés leurs caprices blessés : dans ce symbole des émotions que je leur causais à la fois, leur anxiété était peinte sous le blanc livide, et leur confusion sous les nuances cramoisies, — effets de la crainte et de la tendre pudeur qui, campées dans leurs cœurs, luttaient sur leurs physionomies.

XXX

» Et, tenez, examinez ces bijoux où des mèches de cheveux sont amoureusement tressées avec un lacet d’or ; je les ai reçus de plusieurs beautés qui m’ont supplié en pleurant de daigner les accepter, — tout enrichis de pierres précieuses dont la rareté, le prix et les vertus étaient exposés dans des sonnets profonds.

XXXI

» Là, étaient vantées la beauté et la dureté du diamant et l’action de ses qualités invisibles ; l’émeraude au vert profond dont la fraîcheur soulage la vue morbide des yeux affaiblis, le saphir couleur du ciel et l’opale où mille nuances sont mêlées, chaque pierre enfin devenait, dans une spirituelle devise, un sourire ou une larme.

XXXII

» Eh bien ! tous ces trophées d’affections ardentes, — gages de tant de désirs pensifs et suppliants, — la nature ne veut pas que je les accapare ; elle veut que je les dépose là où je dois m’humilier moi-même, devant vous, origine et but de mon pèlerinage, comme autant d’offrandes qui vous sont dues, puisque moi, leur autel, je vous ai pour patronne.

XXXIII

» Oh ! avancez donc votre main, cette main indescriptible dont la blancheur est impondérable à la balance aérienne de l’éloge. Prenez, pour en disposer à votre guise, ces dons symboliques qu’ont sanctifié les soupirs sortis de tant de seins brûlants ; tout ce qui dépend de moi, votre serviteur, vous obéit et se subordonne à vous ; et toutes ces affections éparses viennent se combiner dans votre total.

XXXIV

» Tenez ! cette devise m’a été envoyée par une nonne, une sainte sœur de la réputation la plus pure, qui s’est soustraite aux nobles galanteries de la cour, et dont les charmes incomparables faisaient radoter la jeunesse en fleur. Car elle était recherchée par des esprits du plus riche blason ; mais, après avoir gardé une froide distance, elle s’est retirée du monde pour passer sa vie dans l’éternel amour.

XXXV

» Mais, Ô ma bien-aimée, quel mérite y a-t-il à renoncer à ce qu’on n’a pas et à maîtriser ce qui ne résiste pas ? À murer un cœur qui n’a pas reçu d’impression et à supporter avec une patience enjouée des liens qui ne gênent pas ? Celle qui réussit ainsi à préserver son honneur, échappe par la fuite aux balafres du combat, et triomphe par son absence, et non par sa valeur.

XXXVI

» Oh ! pardonnez-moi, je ne me vante de rien qui ne soit vrai : le hasard qui m’a conduit en sa présence a mis sur-le-champ ses forces à bout, et maintenant elle voudrait s’envoler de la cage du cloître : un religieux amour a fermé les yeux de la religion ; elle avait voulu s’enfermer pour ne pas être tentée, et maintenant, pour tenter tout, elle voudrait la liberté.

XXXVII

» Quelle puissance vous avez, oh ! laissez-moi vous le dire ! Les cœurs brisés qui m’appartiennent ont vidé toutes leurs fontaines dans ma source, et moi je les verse toutes à même dans votre Océan. Comme je les domine et comme vous me dominez, je suis obligé pour votre triomphe de condenser toutes ces larmes en un philtre d’amour qui vous guérisse de votre froideur.

XXXVIII

» Mes mérites ont pu charmer une sainte nonne qui, bien que disciplinée et nourrie dans la grâce, s’est laissé prendre par les yeux dès qu’ils ont commencé à l’assaillir. Adieu alors tous les vœux et tout les engagements ! Ô tout-puissant amour ! pas de serment, pas de lien, pas d’espace en qui tu trouves un scrupule, un nœud ou une limite, car tu es tout, et tout ce qui n’est pas toi est à toi.

XXXIX

» Quand tu nous presses, que valent les leçons de l’expérience surannée ? Quand tu nous enflammes, comme ils résistent froidement ces obstacles de fortune, de respect filial, de loi, de famille, de réputation ! L’amour s’arme de paix contre la règle, contre la raison, contre l’honneur, et il adoucit, au milieu des angoisses qu’il cause, l’amertume de toutes les violences, de tous les coups, de toutes les alarmes !

XL

» Et voici que tous les cœurs qui dépendent de mon cœur, le sentant se briser, saignent douloureusement et vous conjurent, par de suppliants soupirs, de déserter la batterie que vous dirigez contre moi, et de prêter une oreille favorable à mes tendres projets, en accueillant avec confiance les vœux indissolubles qui vous offrent et vous engagent ma foi. »

XLI

» Cela dit, il abaissa ses yeux humides dont le regard était jusque-là pointé sur mon visage. Une rivière de larmes, s’en échappant comme d’une source, s’écoulait rapidement le long de ses joues en gouttes amères. Oh ! que de grâces le ruisseau empruntait à ce canal dont les roses éclatantes prenaient une splendeur nouvelle sous le cristal liquide qui les couvrait !

XLII

» Ô mon père, quelle infernale sorcellerie il y a dans l’étroite sphère d’une seule larme ! Quand les yeux sont inondés, quel est le cœur de roc qui peut rester sec ? Quelle est la poitrine assez froide pour ne pas se réchauffer ? Effet contradictoire des pleurs ! la passion brûlante et la chasteté glacée y perdent, l’une ses feux, et l’autre sa froideur.

XLIII

» Car, voyez ! son émotion, qui n’était qu’une ruse de métier, fit sur-le-champ dissoudre en larmes ma raison. Alors je dépouillai ma blanche étole de pudeur, je rejetai toute chaste sauvegarde et tout scrupuleux décorum ; et, me montrant à lui comme il se montrait à moi, je fondis toute à mon tour ; avec cette différence qu’il m’avait versé le poison, et que je lui versais le baume.

XLIV

» Il employait à ses artifices une masse de matière subtile à laquelle il donnait les formes les plus étranges : rougeurs enflammées, flots de larmes, pâleurs défaillantes ; il prenait et quittait tous les visages, pouvant, au gré de ses perfidies, rougir à d’impurs propos, pleurer de douleur, ou devenir blanc et s’évanouir avec des mines tragiques.

XLV

» Aucun des cœurs placés à sa portée ne pouvait éviter la grêle de ses traits accablants, tant il donnait à sa beauté l’air doux et inoffensif. C’est sous ce voile qu’il séduisait celles qu’il voulait frapper ; le premier à se récrier contre la chose qu’il cherchait. Au moment où il brûlait de la plus ardente luxure, il prêchait la virginité pure et vantait la froide pudeur.

XLVI

» Ainsi, il couvrait d’un unique vêtement de grâce la nudité du démon caché en lui ; si bien que les novices donnaient accès au tentateur qui planait au-dessus d’elles avec l’air d’un chérubin. Quelle naïve jeune fille ne se serait pas éprise ainsi ? Hélas ! j’ai succombé, et pourtant je me demande si je ne recommencerais pas devant de telles instances.

XLVII

» Oh ! dire que ces larmes empoisonnées, dire que cette flamme menteuse qui brillait ainsi sur sa joue, dire que ces soupirs forcés qui tonnaient dans son cœur, dire que cette haleine funeste sortie de son sein gonflé, dire que toute cette émotion d’emprunt, qui n’avait que l’apparence, séduiraient encore l’infortunée déjà séduite et pervertiraient de nouveau une fille repentie (22) ! »


fin des plaintes d’une amoureuse.


Notes sur Les Plaintes d’une Amoureuse

(22) La traduction du poëme Les plaintes d’une Amoureuse a été publiée pour la première fois dans la Revue de Paris du 15 novembre 1856, précédée de ces quelques lignes :

« L’authenticité de l’œuvre que voici n’est pas douteuse. Publiée pour la première fois par l’éditeur Thomas Thorpe dans le même volume que les Sonnets, elle parut en 1609 avec cette signature : William Shakespeare. Bien que daté de 1609, ce poëme nous semble avoir été composé longtemps auparavant. Il est, selon nous, de la première manière de Shakespeare et doit être assigné, ainsi que les Sonnets eux-mêmes, à cette période de la vie du poëte où il subissait, malgré lui peut-être, l’influence encore si puissante de la littérature italienne.

» On retrouve dans ces vers la même forme que dans ses premiers poëmes et dans ses premières pièces, la même profusion d’images, le même cliquetis de mots, le même esprit qui caractérise son style jusqu’à la fin du seizième siècle. À partir du dix-septième siècle, la langue de Shakespeare change : elle lui devient plus personnelle ; elle se simplifie et s’agrandit ; elle est, pour ainsi dire, moins spirituelle et plus passionnée, moins didactique et plus dramatique. Roméo et Juliette nous apparaît comme le type de la première manière, le Roi Lear comme le type de la seconde.

» Quoi qu’il en soit de notre interprétation, le public français ne lira pas sans émotion ces quatre cents vers, qui sont traduits ici pour la première fois et qui ont par conséquent l’attrait d’une chose inédite. Devant ce morceau fruste, découvert par nous dans les fouilles d’une littérature disparue, il se sentira pris de la même curiosité respectueuse qu’il aurait devant le fragment de quelque marbre antique nouvellement exhumé. Et, en reconnaissant dans cette composition inachevée la main souveraine du maître, il s’écriera : Ceci est de Shakespeare, comme, devant un bas-relief du Parthénon, il s’écrie : Ceci est de Phidias.

« François-Victor Hugo. »

Le Viol de Lucrèce Le Pèlerin passionné
Les Plaintes d’une Amoureuse