La Cithare (Gille)/Les Plaintes de Sappho

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La Cithare, Texte établi par Georges Barral Voir et modifier les données sur WikidataLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 69-74).
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LES PLAINTES DE SAPPHO



I




Ô Cléis ! attiré par tes charmes subtils,
Mon cœur prisonnier tremble au filet de tes cils.
L’amour qui dompte tout m’oppresse et me torture ;
Je t’aime : Laisse-moi dénouer ta ceinture,
M’enivrer de parfums et contempler encor
Ton corps harmonieux semblable au safran d’or.
Rien ne peut m’apaiser ; ma lèvre n’est point lasse.
Viens ! voici des joyaux et des roses ; enlace

 
À ton front rayonnant quelque myrte argenté.
Une fraîche guirlande ajoute à la beauté ;
Et j'admire surtout ta chevelure ceinte
De pavots délicats, de lierre et d'hyacinthe.


II





Qu’il est amer et doux d’aimer ! En son milieu
La nuit est calme et douce, et la rosée en feu
Des étoiles scintille à la voûte azurée.
L’heure s’enfuit hélas ! et la lune empourprée
Derrière les cyprès a disparu, longeant
Les monts où brille encore un sillage d’argent.
Je reste solitaire et triste dans ma couche.
Ô cruelle Cléis ! ta bouche a fui ma bouche

Et ma douleur attend vainement le sommeil.
Je brûle de désir, et mon amour, pareil
Au vent glacé du nord qui s’abat sur les chênes,
Ébranle mes espoirs et soulève mes peines.


III




Cléis aux bras de rose ! il est égal aux dieux
Celui qui, se mirant au miroir de tes yeux,
Assis à tes côtés, entend ta voix plus douce
Que le bruit du ruisseau qui coule sous la mousse.
Dès que perle ton rire agréable ou moqueur
Je sens se déchirer et se fondre mon cœur ;
Mais si je t’aperçois, mon âme dépourvue
De courage défaille, un voile éteint ma vue,

Ma gorge se dessèche, et j’espère et je crains ;
Une étrange langueur se glisse dans mes reins.
Je tremble ; un feu subtil pénètre dans mes veines,
Et mes membres brisés semblent chargés de chaînes.