Les Précurseurs (Rolland)/Contre le Bismarckisme vainqueur

La bibliothèque libre.
Les PrécurseursÉditions de l’Humanité (p. 219-220).

XXV

Contre le Bismarckisme vainqueur

Le Populaire de Paris avait demandé à Romain Rolland un article, à l’occasion de l’arrivée du Président Wilson. Romain Rolland, alors malade, à Villeneuve, en Suisse, répondit :

Jeudi, 12 décembre 1918.

« Mon cher Longuet,


« Votre lettre du 6 ne m’arrive qu’aujourd’hui, naturellement ouverte par la censure militaire, et elle me trouve alité depuis quinze jours, avec une grippe tenace. Je ne puis donc vous écrire l’article que vous me demandez.

« Je vous dirai seulement que, durant ces quinze jours, la lecture des nouvelles de France m’a été souvent plus pesante que la fièvre. Les Alliés se croient victorieux. Je les regarde (s’ils ne se ressaisissent) comme vaincus, conquis, infectés par le Bismarckisme.

« Sans un puissant coup de barre, je vois à l’horizon un siècle de haines, de nouvelles guerres de revanche et la destruction de la civilisation européenne. J’ajoute que, pour celle-ci, je n’aurai pas un regret, si les peuples vainqueurs se montrent aussi incapables de diriger leurs destinées.

« Puissent-ils, au milieu des triomphes enivrants, mais trompeurs, du présent, reprendre conscience de leurs écrasantes responsabilités envers l’avenir ! Et qu’ils songent que chacune de leurs erreurs ou de leurs abdications sera payée par leurs enfants et leurs petits-enfants !

« Excusez ces lignes maladroites d’un convalescent et croyez-moi, mon cher Longuet, votre dévoué

Romain Rolland.
(Le Populaire. Paris, 21 décembre 1918.)