Les Présences invisibles/03

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Librairie académique Perrin (p. 14-19).

III

L’INVISIBLE AMI

Jésus-Christ en lequel se résument toutes nos espérances, n’est pas un mythe, un symbole, une création poétique ou légendaire, mais une personnalité historique, un homme qui a foulé notre terre, qui, né d’une femme, a vécu comme nous pour mourir aussi comme nous, et qui, affirment tous ses disciples, est ressuscité. « Du pays inconnu dont aucun voyageur n’est jamais revenu », lui est revenu ; et depuis, entre cette région mystérieuse et le monde qui nous entoure, il n’y a plus d’abîme infranchissable, mais seulement un voile épais et limpide à la fois ainsi que les eaux d’une mer profonde ; nous y jetons notre espérance comme les marins leur ancre, et sans rien distinguer à travers l’océan lumineux, impénétrable à nos regards mortels, nous sentons que notre espoir a trouvé quelque part un roc solide où il s’est fixé d’une façon inébranlable. Notre âme, vaisseau fragile, frémit et s’agite encore au souffle des ouragans superficiels, ils ne l’emportent plus çà et là sur les écueils où elle se briserait, elle demeure solidement fixée dans les calmes et sûres profondeurs que les orages ne troublent pas.

L’Évangile nous raconte qu’au moment de quitter ses disciples, ou plutôt de devenir invisible à leurs yeux, Jésus leur dit : « Je suis tous les jours avec vous jusqu’à la fin du monde. » (Math., xxviii, 20). Ceux qui depuis vingt siècles ont cru à cette promesse, peuvent certifier qu’elle fut tenue. Leur témoignage et notre misère nous attirent vers l’Ami divin. Il nous appelle, et nul n’eût jamais d’aussi tendres accents : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. (Math.x, 28.)… Je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre, j’entrerai et je souperai avec lui, et lui avec moi. » (Apoc.iii, 20.)

Si notre âme en détresse répond à cet appel par la confiance, elle découvre un céleste asile, un refuge où, enveloppée par l’amour de son Sauveur, elle ne sera plus seule, mais entourée d’une multitude d’autres âmes ressuscitées comme lui et grâce à lui. En effet, « Dieu, nous déclare-t-Il, n’est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants, car en Lui tous vivent, » (Lucxx, 38.) Et de même que le Dieu mystérieux d’Israël se définit ainsi : Je suis Celui qui est (Exodeiii, 14), le Christ dit : Je suis la Vie, (Jeanxii, 6.) À ceux qui viennent à lui, Il accorde, non pas la vague promesse d’une renaissance lointaine, mais la certitude d’une vie qui ne cessera jamais, malgré les apparences.

Lorsque la tendre et inquiète sœur de François Ier, la Marguerite des Marguerites, touchait à la fin d’une existence voluptueuse et tourmentée qu’elle regrettait tout en la maudissant, puisqu’elle s’écriait : « Qui m’aurait proposé une pareille vie, je me serais plutôt noyée », on lui parlait pour la réconforter d’un monde meilleur, mais secouant tristement la tête, elle répliquait : « Nous serons bien longtemps morts sous terre avant d’en arriver là. » Beaucoup de gens, chrétiens peut-être, ont, je le crains, la même désolante conception de l’immortalité que la pauvre reine de Navarre, Qu’ils écoutent, ceux-là, Notre-Seigneur Jésus répondre au malfaiteur repentant qui expirait près de lui sur le Calvaire : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » (Lucxxiii, 43.) « En absolvant Marie-Magdeleine, en exauçant le larron, à moi aussi, tu as donné l’espérance », dit la prose sublime du Dies iræ.

Nous acceptons pour nos bien-aimés et pour nous, ô Christ, invisible Ami, cet espoir que tu nous offres. Ton Évangile est la bonne nouvelle de la vie éternelle. Après toi qui la réalisas, tes apôtres la proclamèrent. Elle rayonne dans leur Livre qui est le tien… En cet Évangile, nous te chercherons. Lorsque nous t’aurons trouvé, Toi vivant, nous chercherons en toi nos autres amis invisibles, les chères âmes auxquelles nos âmes restent liées, et grâce à toi, nous les rencontrerons.



L’HÔTE

Tu frappes à la porte ; entre dans la maison :
Sans doute elle est pauvre et petite,
Et perdue au milieu de l’immense horizon,
Très indigne de ta visite.

Elle eut jadis un chaud foyer, un beau jardin,
Mais le vent souffla des collines,
Et le feu s’éteignit, et l’âpre gel soudain
Assassina les fleurs divines.

La misère depuis y règne et la douleur
Qui, jamais lasse d’y descendre,
Vient s’accroupir auprès de l’âtre sans chaleur
Pour se lamenter sur la cendre.

Mais tu connais trop bien ces fantômes hideux
Pour que leur aspect t’épouvante ;
Chagrin et pauvreté t’obéissent tous deux,
Et la mort même est ta servante.


Comme nous tu luttas dans l’ombre et tu vainquis,
Malgré l’effort de l’adversaire ;
Tu m’apportes le bien si chèrement acquis,
Le trésor qui m’est nécessaire.

Tu frappes à la porte ; entre, ô mon Bien-aimé,
Chez celle qui languit et pleure.
Du misérable abri qui ne t’est pas fermé,
Tu sauras faire ta demeure.