Les Principes et les Mœurs de la République/Les principes républicains/III

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III

qu’est-ce que l’égalité ?


La liberté qui attribue à l’homme le gouvernement de lui-même et constitue sa personnalité, n’est pas un privilége, mais elle est l’apanage de l’humanité elle-même. À ce titre, toutes les créatures humaines sont égales : elles ont les mêmes droits innés et inviolables. Pierre a beau être moins fort, ou moins habile, ou moins riche que Jacques ; il n’en est pas moins, comme homme, c’est-à-dire comme être libre, l’égal de Jacques, et celui-ci abuserait de sa force, de son habileté ou de sa richesse en l’opprimant, ou en le traitant comme une créature inférieure.

L’égalité découle donc nécessairement de la liberté. Dire que les hommes sont libres, c’est dire qu’ils sont égaux, puisqu’en vertu de cette liberté chacun doit être son propre maître, et que nul ne peut se faire le maître des autres que par usurpation.

Considérée dans l’ordre civil ou politique, cette égalité devient celle des citoyens. Ils doivent être égaux devant la loi, en ce sens qu’ils doivent être tous indistinctement soumis à la même loi : c’est ce que l’on nomme plus particulièrement l’égalité civile ; et ils doivent aussi être égaux dans la loi, en ce sens qu’ils doivent tous participer à la formation des pouvoirs chargés de la faire ou de l’exécuter : c’est ce que l’on appelle spécialement l’égalité politique. Sans cette double égalité, les membres de la société, au lieu de former, comme il est juste et conforme à l’intérêt général, un seul et même corps, sont divisés en classes distinctes et nécessairement hostiles : la loi n’étant pas la même pour tous, on a une classe de privilégiés en face du reste de la nation ; et tous ne participant pas au gouvernement de la chose publique, d’un côté sont les gouvernants et de l’autre les gouvernés.

Plus de priviléges, plus de distinctions de castes ou de classes, tous citoyens au même titre, telle est l’égalité dans l’État. Elle n’existe pleinement que dans la république.

Peut-elle aller jusqu’au nivellement de toutes les fortunes sous un même cordeau ? Non, car ce nivellement serait la ruine de la liberté. Mais ce doit être l’effet de la liberté même, éclairée par une solide instruction, et de lois habilement combinées en vue de l’intérêt public, d’éteindre dans la société la misère, de développer le bien-être général et de rapprocher de plus en plus les conditions sociales.

Ceci nous conduit au troisième terme de la devise républicaine : la fraternité.