Les Principes et les Mœurs de la République/Les principes républicains/V

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V

la vertu dans la république.


Montesquieu a dit que la vertu est le fondement du gouvernement républicain, comme la peur est celui du gouvernement despotique.

La vérité de cette pensée ressort clairement de ce que nous avons exposé jusqu’ici.

Le gouvernement républicain est, avons-nous dit, celui de la chose publique, administrée par tous dans l’intérêt de tous. Il exige, par conséquent, que les citoyens dont il se compose consultent, dans la part qu’ils sont appelés à y prendre, non tel ou tel intérêt particulier, mais uniquement l’intérêt général, et qu’ils sachent y sacrifier au besoin leur intérêt. Sans ce désintéressement et ce dévouement à la chose publique, c’est-à-dire, en un mot, sans la vertu civique, il n’y a pas de république. Elle cesse d’être la chose de tous pour devenir la proie des intrigants ou des ambitieux, exploitant au profit de leurs convoitises la portion de pouvoir qui leur est dévolue. Elle est dès lors perdue, et son nom même ne tarde pas à disparaître. Le despotisme vit d’égoïsme et de corruption, mais les républiques en meurent.

Précisons le rôle de la vertu dans la république en la considérant en particulier par rapport à chacun des principes qui composent la devise républicaine.

La république laisse à chaque citoyen toute sa liberté d’action ; mais, pour que cette entière liberté ne dégénère pas en licence, il faut que ceux qui en jouissent sachent se gouverner eux-mêmes et respecter les droits des autres. Or, ce respect de soi-même et des autres, qui a son principe dans celui de la dignité humaine, fait précisément partie de ce qu’on nomme la vertu. Il y a sans doute des lois pour réprimer la licence, qui est la négation même de la liberté ; mais la sagesse antique l’a bien dit : « Que sont les lois sans les mœurs ? » Sans les mœurs de la liberté, les lois sont impuissantes à la préserver des excès qui la ruinent et ouvrent la porte au despotisme. Citoyens, voulez-vous vivre libres au sein de la république, apprenez à respecter en votre personne et dans celle des autres la dignité humaine ?

Ce respect de la dignité humaine est aussi le meilleur garant de l’égalité que la république doit établir entre les citoyens. Quiconque respecte sincèrement la dignité humaine ne cherche pas à s’élever au-dessus de ses concitoyens, comme s’il était d’une nature à part, mais il repousse toute distinction humiliante pour eux ; et, ne prétendant pas se faire leur supérieur, il ne leur permet pas de le traiter lui-même comme un inférieur. Ainsi se fonde réellement l’égalité républicaine, qui repousse à la fois l’esprit de domination et le servilisme. Ainsi sont chassés en même temps ces deux fléaux des républiques : la vanité avec ses insolentes prétentions, et l’envie avec ses basses révoltes.

La fraternité enfin, d’après ce que nous en avons dit, relève plutôt des mœurs que de la législation. Elle est la vertu par excellence, et cette vertu, nous l’avons dit aussi, est l’indispensable auxiliaire de toute constitution républicaine. Elle soutient et achève l’harmonie sociale.

On voit donc combien il est juste de dire avec Montesquieu que la vertu est le principe du gouvernement républicain. Elle est à la république ce que le vice est au despotisme.