Les Principes fondamentaux de la géométrie/1

La bibliothèque libre.
Traduction par Léonce Laugel.
Gauthier-Villars, imprimeur-libraire (p. 6-26).


CHAPITRE I.

LES CINQ GROUPES D’AXIOMES.





§ 1.

Les éléments de la Géométrie et les cinq groupes d’axiomes.


Convention. — Concevons trois différents systèmes d’êtres : les êtres du premier système, nous les nommerons points et nous les désignerons par A, B, C, … ; les êtres du deuxième système, nous le nommerons droites et nous les désignerons par a, b, c, … ; les êtres du troisième système, nous les nommerons plans et nous les désignerons par α, β, γ, … ; les points seront aussi nommés éléments de la Géométrie linéaire ; les points et les droites, éléments de la Géométrie plane ; et les points, les droites et les plans, éléments de la Géométrie de l’espace ou éléments de l’espace.

Concevons que les points, droites et plans aient entre eux certaines relations mutuelles et désignons ces relations par des mots tels que : « sont situés », « entre », « parallèle », « congruent », « continu » ; la description exacte et complète de ces relations a lieu au moyen des axiomes de la Géométrie.

Les axiomes de la Géométrie se partagent en cinq groupes ; chacun de ces groupes, pris individuellement, exprime certaines vérités fondamentales de même catégorie qui dérivent de notre intuition. Nous désignerons ces groupes comme il suit :

I, 1-7. Axiomes d’association.
II, 1-5. Axiomes de distribution.
III. Axiome des parallèles (Postulat d’Euclide).
IV. 1-6. Axiomes de congruence.
V. Axiome de la continuité (Axiome d’Archimède).


§ 2.

Le groupe d’axiomes I : Axiomes d’association.


Les axiomes de ce groupe établissent une association entre les notions précédemment indiquées, points, droites et plans. Ces axiomes sont les suivants :

I, 1. Deux points distincts, A, B, déterminent toujours une droite a ; nous poserons AB = a ou BA = a.

Au lieu de « déterminent », nous emploierons aussi d’autres tournures de phrase ; par exemple : A « est situé sur » a ; A « est un point de » a ; a « passe par A et par B » ; a « joint A et B » ou « joint A à B ». Lorsque A est situé sur a et, en outre, sur une autre droite b, nous emploierons aussi le mode d’expression : « Les droites a et b ont le point A en commun », et ainsi de suite.

I, 2. Deux points distincts quelconques d’une droite déterminent cette droite, et sur toute droite il y a au moins deux points ; c’est-à-dire que, si l’on a AB = a et AC = a et B ≠ C, on a aussi BC = a.

I, 3. Trois points A, B, C non situés sur une même droite déterminent toujours un plan α ; nous poserons ABC = α.

Nous emploierons aussi les tournures : A, B, C « sont situés dans » le plan α ; « sont des points de » α, et ainsi de suite.

I, 4. Trois points quelconques A, B, C d’un plan α, non situés sur une même droite, déterminent ce plan α.

I, 5. Lorsque deux points A et B d’une droite a sont situés dans un plan α, il en est de même tout point de a.

Nous dirons en ce cas : « La droite a est située dans le plan α », et ainsi de suite.

I, 6. Lorsque deux plans α, β ont un point A en commun, ils ont encore au moins un autre point B en commun.

I, 7. Sur tout plan il y a au moins trois points non situés sur la même droite et, dans l’espace, il y a au moins quatre points non situés dans le même plan.

Les axiomes I, 1-2 renferment des énoncés qui ne sont relatifs qu’aux points et aux droites, c’est-à-dire aux éléments de la Géométrie plane, nous pouvons donc, pour abréger, les nommer axiomes planaires du groupe I, par opposition aux axiomes I, 3-7, que l’on désignera sous le nom d’axiomes spatiaux de ce groupe.

Des théorèmes qui dérivent des axiomes I, 1-7, je ne citerai que les deux suivants :

Théorème I. — Deux droites situées dans le même plan ont un seul point en commun ou bien n’en ont aucun ; deux plans n’ont aucun point en commun ou bien ont une droite en commun ; un plan et une droite non située dans ce plan n’ont aucun point en commun ou bien en ont un seul.

Théorème II. — Par une droite et un point non situé sur cette droite, et de même par deux droites distinctes ayant un point en commun, il passe toujours un plan et un seul.


§ 3.

Le groupe d’axiomes II : Axiomes de distribution[1]


Les axiomes de ce groupe définissent l’idée exprimée par le mot « entre » et permettent, en se basant sur cette idée, d’effectuer la distribution des points sur une droite, dans un plan et dans l’espace.

Convention. — Les points d’une droite ont entre eux une certaine relation qui s’exprime en particulier au moyen du mot « entre ».

II, 1. — A, B, C désignant trois points en ligne droite, si B est situé entre A et C il l’est aussi entre C et A.

II, 2. — A et C (fig. 2) désignant deux points d’une droite il y a au moins un point B situé entre A et C et au moins un point D tel que C soit situé entre A et D.

II, 3. — De trois points d’une droite, il en est toujours un et un seul situé entre les deux autres.

II, 4. — Quatre points quelconques A, B, C, D d’une droite peuvent toujours être distribués d’une manière telle que B soit situé entre A et C et aussi entre A et D, et que C soit situé entre A et D et aussi entre B et D.

Définition. — Le système formé par deux points A et B situés sur une droite est dit un segment, et nous le désignerons par AB ou BA. Les points situés entre A et B sont dits les points du segment AB ou encore à l’intérieur du segment AB ; tous les autres points de la droite a sont dits à l’extérieur du segment AB. Les points A et B sont dits les extrémités du segment AB.

II, 5. — Soient A, B, C trois points non en ligne droite et a une droite


dans le plan ABC qui ne passe par aucun des points A, B, C : si la droite a passe par un point du segment AB, elle passera toujours ou bien par un point du segment BC ou bien par un point du segment AC.

Les axiomes II, 1-4 renferment des énoncés qui ne sont relatifs qu’aux points d’une droite et peuvent donc être nommés axiomes linéaires du groupe II ; l’axiome II, 5 renferme un énoncé relatif aux éléments de la Géométrie plane, et sera dit par conséquent l’axiome planaire du groupe II.


§ 4.

Conséquences des axiomes d’association et de distribution.


Des axiomes linéaires II, 1-4 nous déduisons d’abord sans peine les théorèmes suivants :

Théorème III. — Entre deux points quelconques d’une droite il y a toujours une infinité de points.

Théorème IV. — Étant donné, sur une droite, un nombre fini de points, on peut toujours distribuer ces points en une suite A, B, C, D, E, … , (fig. 4), telle que B soit situé entre A d’une part et C,


D, E, … , K de l’autre, puis que C soit situé entre A, B d’une part et D, E, … , K de l’autre, ensuite que D soit situé entre A, B, C d’une part et E, … , K de l’autre, et ainsi de suite. Outre cette distribution il n’y en a qu’une autre, la distribution inverse, qui jouisse de la propriété énoncée.

Théorème V. — Toute droite a située dans un plan α sépare tous les autres points de ce plan en deux régions qui ont la propriété suivante : tout point A de l’une, joint à tout point B de l’autre, détermine un segment AB sur lequel est situé un point de la droite a ; au contraire, deux points quelconques A, A’ d’une même région déterminent un segment AA’ qui ne renferme aucun point de a.

Convention. — Soient A, A’, O, B quatre points situés sur une droite a et tels que O soit situé entre A et B mais non entre A et A’; nous dirons alors : Les points A et A’ sont situés sur la droite a du même côté du point O, et les points A et B sont situés sur la droite a de côtés différents du point O.


L’ensemble des points d’une droite a situés d’un même côté d’un point O est dit un demi-rayon (demi-droite) issu de O ; de la sorte tout point d’une droite la partage en deux demi-rayons.

En faisant usage des notations du théorème V, nous dirons : Les points A, A’ sont situés dans le plan α du même côté de la droite a, et les points A, B sont situés dans le plan α de côtés différents de la droite a.

Définition. — Un système de segments AB, BC, CD,…, KL qui relie les points A et L est dit une ligne brisée. Cette ligne brisée sera désignée aussi pour abréger par ABCD…KL. Les points situés sur les segments AB, BC, CD, …, KL, ainsi que les points A, B, C, D, …, K, L, sont tous dits les points de la ligne brisée. En particulier, si le point L coïncide avec le point A la ligne brisée sera dite un polygone et s’appellera le polygone ABCD…K. Les segments AB, BC, CD, KA en seront dits les côtés, et les points A, B, C, D,…, K les sommets. Les polygones ayant 3, 4, 5,… ; n côtés se nomment en particulier triangles, quadrilatères, pentagones,…, n-gones.

Lorsque les sommets d’un polygone sont tous distincts, lorsque aucun sommet ne tombe sur un côté et enfin lorsque deux côtés quelconques n’ont aucun point en commun, le polygone est dit simple.

En s’appuyant sur le théorème V nous obtenons alors sans difficultés sérieuses les théorèmes suivants :

Théorème VI. — Tout polygone simple dont les sommets sont tous situés dans un plan α et partage les points de ce plan, qui n’appartiennent pas à la ligne brisée formant ce polygone, en deux régions : l’une intérieure, l’autre extérieure, jouissant de la propriété suivante :

Si A est un point de l’intérieur (point intérieur) et B un point de l’extérieur (point extérieur), toute ligne brisée joignant A et B a au moins un point en commun avec le polygone ; au contraire, si A et A’


sont deux points intérieurs et B et B’ deux points extérieurs, il y a toujours alors des lignes brisées joignant respectivement A et A’, et B et B’ et n’ayant aucun point en commun avec le polygone. Il existe dans le plan α des droites dont tout le cours a lieu à l’extérieur du polygone ; mais il n’en existe aucune, au contraire, dont tout le cours ait lieu à l’intérieur du polygone.

Théorème VII. — Tout plan α partage les autres points de l’espace en deux régions ayant la propriété suivante : Tout point A de l’une détermine par sa jonction avec tout point B de l’autre un segment AB qui renferme un point de α ; au contraire, deux points quelconques A et A’ d’une même région déterminent toujours un segment AA’ qui ne renferme aucun point de α.

Convention. — En faisant usage des notations de ce théorème VII, nous dirons : Les points A, A' sont situés dans l’espace d’un même côté du plan α, et les points A, B sont situés dans l’espace de côtés différents du plan α.

Le théorème VII exprime les vérités les plus importantes relatives à la distribution des éléments dans l’espace. Ces vérités sont donc exclusivement des conséquences des axiomes considérés jusqu’ici, et il n’est donc pas nécessaire d’introduire dans le groupe II aucun nouvel axiome spatial.


§ 5.

Le groupe d’axiomes III : Axiome des parallèles (Postulat d’Euclide).


L’introduction de cet axiome simplifie les principes fondamentaux de la Géométrie dont il facilite ainsi très considérablement l’édification. Nous l’énoncerons ainsi :

III. — Dans un plan α, par un point A pris en dehors d’une droite a, l’on peut toujours mener une droite et une seule qui ne coupe pas la droite a ; cette droite est dite la parallèle à a, menée par le point A.

Cet énoncé de l’axiome des parallèles renferme deux affirmations : la première énonce que dans le plan α il passe toujours par A une droite qui ne rencontre pas a, et la seconde qu’il ne peut en exister qu’une.

C’est la seconde affirmation de notre axiome qui est essentielle ; l’on peut aussi lui donner la tournure suivante :

Théorème VIII. — Lorsque dans un plan deux droites a, b ne rencontrent pas une troisième droite c du même plan, elles ne se rencontrent pas non plus.

En effet, si a et b avaient un point A en commun, il pourrait dans ce plan exister deux droites a, b, passant par A et qui ne rencontreraient point c ; mais cela serait en contradiction avec la seconde affirmation de l’axiome des parallèles, sous notre énoncé primitif. Réciproquement, du théorème VIII résulte également la seconde affirmation de l’axiome des parallèles sous notre énoncé primitif.

L’axiome des parallèles III est un axiome planaire.


§ 6.

Le groupe d’axiomes IV : Axiomes de congruence.


Les axiomes de ce groupe définissent la notion de congruence ou de déplacement.

Convention. — Les segments ont entre eux certaines relations que le mot « congruent » en particulier sert à exprimer.

IV, 1. — Si l’on désigne par A, B deux points d’une droite a, et par A' un point de cette même droite ou bien d’une autre droite a', l’on pourra toujours, sur la droite a', d’un côté donné du point A', trouver un point et un seul B', tel que le segment AB soit congruent au segment A'B', ce que l’on écrit

.

Tout segment est congruent à lui-même, c’est-à-dire que l’on a toujours

.

Le segment AB est toujours congruent au segment BA, ce que l’on écrit

.

Nous dirons aussi plus rapidement que tout segment peut être porté sur une droite donnée d’un côté donné d’un point donné d’une manière univoque.

IV, 2. — Lorsqu’un segment AB est congruent au segment A'B' et de même au segment A"B", alors A'B' est aussi congruent au segment A"B", c’est-à-dire que si l’on a et , l'on aura aussi .

IV, 3. — Sur la droite a, soient AB et BC (fig. 8) deux segments


sans points communs, et soient ensuite deux segments A’B’ et B’C’ deux segments situés sur la même droite ou sur une autre droite a’, également sans points communs ; si l’on a et on aura toujours aussi .

Définition. — Soit α un plan quelconque et soient h, k deux demi-droites quelconques distinctes situées dans ce plan, issues d’un point O et appartenant à des droites distinctes. Le système formé par ces deux demi-droites nous le nommerons un angle et nous le désignerons par ou . Des axiomes II, 1-5 on peut aisément conclure que les deux demi-droites h, k, y compris le point O, séparent les points restants du plan α en deux régions jouissant de la propriété suivante : A désignant un point de l’une des régions et B un point de l’autre, toute ligne brisée qui joint A et B ou bien passe par O, ou bien a au moins un point en commun avec h ou avec k. Au contraire, A et A’ désignant des points d’une même région, il y a toujours une ligne brisée joignant A et A’ et qui ne passe ni par O ni par aucun point des demi-droites h, k. L’une de ces régions se distingue de l’autre par cette circonstance que tout segment qui joint deux points de cette région y est situé tout entier. Cette région se nomme l' intérieur de l’angle (h, k), par opposition avec l’autre qui se nomme l’extérieur de l’angle (h, k). Les demi-droites h, k sont dites les côtés de l’angle, et le point O en est dit le sommet.

IV, 4. — Soit, dans un plan α, un angle , et soit, dans un plan α', une droite a’. Supposons encore que, dans le plan α’, un côté déterminée de la droite a’ soit assigné. Désignons par h' une demi-droite prise sur la droite a’ et issue d’un point O’ de cette droite. Dans le plan α’, il existera alors une demi-droite k' et une seule, telle que l’angle (h, k) soit congruent à l’angle (h', k') et qu’en même temps tous les points à l’intérieur de l’angle (h', k') soient situés du côté assigné de a', ce que nous exprimerons par la notation

.

Tout angle est congruent à lui-même, c’est-à-dire que l’on a toujours

.

L’angle (h, k) est toujours congruent à l’angle (k, h), ce que l’on écrit

,

Nous dirons aussi, en abrégeant, que dans un plan donné tout angle peut être, d’une manière univoque, porté d’un côté assigné d’une demi-droite donnée.

IV, 5. — Un angle (h, k) étant congruent à l’angle (h', k') ainsi qu’à l’angle (h", k"), l’angle (h', k') le sera aussi à l’angle (h, k), c’est-à-dire que si l’on a

,


on aura toujours aussi

.

Convention. — Soit ABC un triangle assigné ; désignons les deux demi-droites issues de A et passant par B et C, respectivement par h, k. L’angle (h, k) est dit l’angle du triangle ABC renfermé par les côtés AB et AC ; il est dit encore l’angle opposé au côté BC du triangle. Cet angle renferme à son intérieur tous les points à l’intérieur du triangle ABC et on le désignera par ou .

IV, 6. — Dans deux triangles ABC et A'B'C', si les congruences


sont vérifiées, les congruences


le seront toujours également.

Les axiomes IV, 1-3 renferment des énoncés qui n’ont trait qu’aux congruences entre segments situés sur des droites. Ils seront, par suite, dits les axiomes linéaires au groupe IV. Les axiomes IV, 4-5 renferment des énoncés qui ont trait aux congruences entre angles. L’axiome IV, 3-6 rattache la notion de congruence de segments à celle de congruence d’angles. Les axiomes IV, 3-6 renferment des énoncés qui ont trait aux éléments de la Géométrie plane et seront nommés par suite les axiomes planaires du groupe IV.


§ 7.

Conséquences des axiomes de congruence.


Convention. — Soit un segment AB congruent à un segment A’B’. Puisque, d’après l’axiome IV, 1, le segment AB est également congruent au segment AB de IV, 2, il s’ensuit que A’B’ est congruent à AB, ce que nous exprimerons en disant : les deux segments AB et A'B’ sont congruents entre eux.

Convention. — Soient A, B, C, D, ..., K, L et A’, B’, C’, D’, ...,K’, L’ deux séries de points sur les droites respectives a et a’, telles que les segments correspondants AB et A’B’, AC et A’C’, BC et B'C’, ..., KL et K’L’ soient respectivement congruents entre eux : on dit que les deux séries de points sont congruentes entre elles ; A et A’, B et B’, C et C’,…, L et L’ sont dits les points correspondants des deux séries ponctuelles congruentes.

Des axiomes linéaires IV, 1-3, nous concluons aisément les théorèmes suivants :

Théorème IX. — De deux séries ponctuelles congruentes, A, B, ..., K, L et A’, B’, ..., K’, L' si la première est ordonnée de telle sorte que B soit situé entre A d’une part et C, D, K, L de l’autre, que C soit situé entre A, B d’une part et D,..., K, L de l’autre, et ainsi de suite, les points A’, B’, C’, ...,K’, L’ seront ordonnés de même, c’est-à-dire que B’ sera situé entre A’ d’une part et C’, D’, ..., K’, L' de l’autre, que C’ sera situé entre A’, B’ d’une part et D’, ..., K’, L’ de l’autre, et ainsi de suite.

Convention. — Soit un angle (h, k) congruent à un angle (h', k' ). Puisque, d’après l'axiome IV, 4, l’angle (h, k) est congruent à , de l’axiome IV, 5 il s’ensuit que est congruent à , ce que nous exprimerons en disant les deux angles (h, k) et (h', k') sont congruents entre eux.

Définition. — Deux angles qui ont même sommet et un côté commun, et dont les côtés non communs sont en ligne droite, sont dits supplémentaires. Deux angles qui ont le même sommet et dont les côtes sont en ligne droite sont dits opposés par le sommet.

Un angle qui est congruent à son supplémentaire est dit un angle droit.

Convention. — Deux triangles ABC, A'B'C' sont dits congruents entre eux lorsque les congruences

,


sont toutes vérifiées.

Théorème X. — (Premier théorème de congruence des triangles. — Dans deux triangles ABC, A'B'C', si les congruences

0


sont vérifiées, les deux triangles sont congruents entre eux.

Démonstration. — D’après l’axiome IV, 6, les congruences


sont vérifiées et, par suite, il suffit de démontrer que les côtés BC et B’C’ (fig. g) sont congruents entre eux. Supposons, au contraire, que


BC ne soit pas congruent a B’C’ et déterminons sur B’C’ le point D’ tel que  ; les deux triangles ABC, A'B'D' auront deux côtés respectivement congruents et l’angle compris entre ces côtés congruent ; en vertu de l’axiome IV, 6, les deux angles et seront donc congruents entre eux. Maintenant, d’après l’axiome IV, 5, les deux angles et devraient donc aussi être congruents entre eux ; or, ceci est impossible, car, d’après l’axiome IV, 4, un angle ne peut être porté que d’une seule et unique manière à partir d’un point donné d’un côté donné d’une droite donnée dans un plan. La démonstration du théorème X est, de la sorte, complètement établie.

On démontrerait tout aussi aisément la proposition suivante :

Théorème XI. — (Deuxième théorème de congruence des triangles) — Dans deux triangles, lorsqu’un côté et les deux angles adjacents sont respectivement congruents entre eux, les deux triangles sont aussi congruents entre eux.

Nous sommes en mesure maintenant de démontrer les importantes propositions suivantes :

Théorème XII. — Lorsque deux angles sont congruents entre eux, il en est de même de leurs supplémentaires .

Démonstration. — Choisissons les points A'C'D' sur les côtés passant par B' en sorte que l’on ait

Dans les deux triangles ABC et A'B'C', les côtés AB, CB et les côtés A'B', C'B' sont respectivement congruents entre eux, et comme, en


outre, les angles compris entre ces côtés sont, par hypothèse, également congruents entre eux, du théorème X résulte la congruence des triangles en question, c’est-à-dire que l’on a les congruences

.

D’autre part, puisque, en vertu de l’axiome IV, 3, les segments AD et A'D' sont congruents entre eux, du théorème X résulte encore la congruence des triangles CAD et C'A'D', c’est-à-dire que l’on a les congruences

 ;


d’où, en considérant les triangles BCD et B'C'D' de l’axiome IV, 6, s’ensuit la congruence des anges et .

Une conséquence immédiate du théorème XII est la congruence des angles opposés par le sommet.

Théorème XIII. — Dans le plan , soit un angle (h, k) congruent a l’angle (h', k’) dans un plan α; soit ensuite l une demi-droite du plan α et issue du sommet de l’angle (h, k) et ayant son cours à l’intérieur de


cet angle : il existera toujours alors dans le plan α' une demi-droite l’ issue du sommet de l’angle (h', k’) ayant son cours à l’intérieur de cet angle et telle que l’on ait

Démonstration. — Désignons les sommets respectifs des angles (h,k), (h',k’) par 0 et 0’ et déterminons sur les côtés h, k et h', k’ les points A, B, et A’, B’ tels que l’on ait les congruences

En vertu de la congruence des triangles OAB et O’A’B’, on aura

La droite AB coupe l en C ; déterminons alors sur le segment A’B’ le point C’ tel que l’on ait  ; je dis alors que O’C’ est la demi-droite l’ cherchée. En effet, de et , on peut aisément, au moyen de l’axiome IV, 3, déduire la congruence  ; on voit clairement aussi que les triangles OAC et O’A’C’ sont congruents entre eux, et qu’il en est encore de même des triangles OBC et O'B'C'. On conclut de là les affirmations qu’énonce le théorème XIII.

D’une façon pareille nous obtenons la proposition suivante :

Théorème XIV. — Soient h, k, l d’une part, et h’, k’, l’ d’autre part, trois demi-droites issues respectivement d’un même point et situées dans un même plan.

Si les congruences


sont vérifiées, il en sera toujours également de même de

En s’appuyant sur les théorèmes XII et XIII, on démontre le théorème très simple qui suit, théorème qu’Euclide (à tort selon moi) a mis au rang des axiomes.

Théorème XV. — Tous les angles droits sont congruents entre eux.

Démonstration. — Soit l’angle BAD (fig. 12) congruent à son


supplémentaire CAD, et de même soit l’angle B'A'D' congruent à son supplémentaire C'A'D'. Alors je dis que les angles


sont tous des angles droits.

Supposons, ce qui est le contraire de notre proposition, que l’angle droit B’A’D’ ne soit pas congruent à l’angle droit BAD et portons alors sur la demi-droite AB de telle sorte que le côté AD" provenant de cette opération tombe soit à l’intérieur de l’angle BAD, soit à l’intérieur de l’angle CAD. Supposons, par exemple, que le premier de ces cas ait lieu. À cause de la congruence des angles B'A'D' et BAD", du théorème XII résultera que l’angle C'A'D' sera aussi congruent à l’angle CAD" ; puisque les angles B'A'D' et C'A'D' doivent être congruents entre eux, l’axiome IV, 5 nous enseigne qu’alors l’angle BAD" devra être congruent à l’angle CAD" ; or, puisque est congruent à , nous pouvons, en vertu du théorème XIII, déterminer à l’intérieur de l’angle CAD une demi-droite AD" issue de A et telle que soit congruent à en même temps que le soit aussi à . Maintenant était congruent à  ; par suite, il faudrait aussi, en vertu de l’axiome IV, 5, que soit congruent à . Or, cela est impossible, car, d’après l’axiome IV, 4, un angle ne peut être porté dans un plan donné d’un côté donné d’une demi-droite donnée que d’une seule et unique manière. Nous avons donc démontré le théorème XV.

Nous pouvons maintenant introduire de la manière que l’on sait les désignations d’ « angle aigu » et d’ « angle obtus ».

Le théorème relatif à la congruence des angles et adjacents à la base d’un triangle isoscèle ABC résulte immédiatement de l’application de l’axiome IV, 6, au triangle ABC et au triangle BAC.

En adjoignant à ce théorème le théorème XIV, on démontre aisément de la manière connue la proposition suivante :

Théorème XVI. — (Troisième théorème de congruence des triangles) — Dans deux triangles, lorsque les trois côtés sont respectivement congruents entre eux, les triangles sont congruents entre eux.

Convention. — Un nombre quelconque fini de points est dit une figure. Si tous les points de la figure sont situés dans un plan, elle sera dite une figure plane.

Deux figures sont dites congruentes, lorsque l’on peut en faire correspondre les points deux à deux d’une manière telle que les segments et les angles correspondants des deux figures soient respectivement tous congruents entre eux.

Les figures congruentes, comme le font voir les théorèmes XII et IX, jouissent des propriétés suivantes : Trois points d’une figure qui sont en ligne droite sont également en ligne droite dans toute figure congruente à la première. Dans les figures congruentes la distribution des points dans des plans correspondants par rapport à des droites correspondantes est toujours la même. Il en est encore de même de l’ordre de succession des points correspondants sur des droites correspondantes.

Le théorème le plus général relatif à la congruence pour le plan et pour l’espace s’exprime comme il suit :

Théorème XVII — Lorsque (A, B, C,…) et (A’, B’, C’,…) sont des figures planes congruentes, si l’on désigne par P un point dans le plan de la première figure, on pourra toujours déterminer dans le plan de la seconde figure un point P’, tel que (A, B, C,…, P) et (A’, B’, C’,…, P’, ) soient également des figures congruentes.

Si la figure (A, B, C,...) contient au moins trois points qui ne soient pas en ligne droite, la détermination de P’ ne sera possible que d’une seule et unique manière.

Théorème XVIII. — Lorsque (A, B, C,…) et (A’, B’, C’,…) sont des figures congruentes, si l’on désigne par P un point quelconque, on pourra toujours déterminer un point P’, tel que les figures (A, B, C,…, P) et (A’, B’, C’,…, P’) soient également congruentes.

Si la figure (A, B, C,...) renferme au moins quatre points qui ne soient pas situés dans un même plan, la détermination de P’ ne sera possible que d’une seule et unique manière.

Ce théorème renferme un très important résultat : c’est que toutes les vérités spatiales relatives à la congruence, c’est-à-dire aux déplacements dans l'espace, sont exclusivement des conséquences (adjonction faite des groupes I et II d’axiomes) des six axiomes liniéaires et plans de la congruence précédemment énoncés ; par conséquent, l’axiome des parallèles n’est pas nécessaire pour leur établissement.

Si aux axiomes de la congruence nous adjoignons encore l’axiome III, des parallèles, nous arrivons aisément à établir les propositions connues :

Théorème XIX. — Lorsque deux parallèles sont coupées par une troisième droite, les angles alternes-externes, alternes-internes et correspondants sont respectivement congruents ; réciproquement la congruence des angles respectifs portant les désignations ci-dessus a pour conséquence le parallélisme des deux droites en question.

Théorème XX. — Les angles d’un triangle forment ensemble deux angles droits.

Définition. — Lorsque M est un point quelconque d’un plan , l’ensemble de tous les points A, tels que les segments MA soient tous congruents entre eux, est dit une circonférence ; le point M est dit le centre de la circonférence.

De cette définition et en employant les groupes III-IV d’axiomes, l’on déduit aisément les théorèmes connus relatifs à la circonférence, en particulier celui qui énonce la possibilité de faire passer une circonférence par trois points non en ligne droite, ainsi que celui qui à trait à la congruence des angles inscrits dans le même segment et encore celui relatif aux angles du quadrilatère inscriptible.


§ 8.

Le groupe V d’axiomes : Axiome de la continuité (axiome d’Archimède).


Cet axiome rend possible l’introduction, dans la Géométrie, de la notion de la continuité ; pour énoncer cet axiome nous devons auparavant faire une convention relative à l’égalité de deux segments sur une droite. Nous pouvons à cet effet ou bien prendre pour fondement les axiomes sur la congruence des segments et dans ce cas désigner comme « égaux » les segments congruents, ou bien, en nous basant sur les groupes d’axiomes I-III, convenir de la manière dont, au moyen de constructions appropriées (voir Chap. V, § 24), un segment doit être porté sur une droite donnée à partir d’un point donné, en sorte que l’on obtienne un nouveau segment qui lui soit « égal ».

Une de ces conventions faite, l’axiome d’Archimède s’énoncera ainsi :

V. Soit A, un point quelconque situé sur une droite entre les points


quelconques donnés A et B. Construisons alors les points (fig. 13) tels que soit situé entre , que soit et ainsi de suite, et tels en outre que les segments


soient égaux entre eux ; alors dans la série de points il existera toujours un certain point , tel que B soit situé entre A et .

L’axiome d’Archimède est un axiome linéaire.

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Note ([2]), Remarquons qu’aux cinq précédents groupes d’axiomes l’on peut encore ajouter l’axiome suivant qui n’est pas d’une nature purement géométrique et qui, au point de vue des principes, mérite une attention particulière.

Axiome d'intégrité (Vollständigkeit) ([3]).

Au système des points, droites et plans, il est impossible d’adjoindre d’autres êtres de manière que le système ainsi généralisé forme une nouvelle Géométrie où les axiomes des cinq groupes I-V soient tous vérifiés ; en d'autre termes : les éléments de la Géométrie forment un système d'êtres qui, si l'on conserve tous les axiomes, n’est susceptible d’aucune extension.

Cet axiome ne nous dit rien sur l’existence de points limites ni sur la notion de convergence ; néanmoins l’on peut en l’invoquant démontrer ce théorème de Bolzano en vertu duquel, pour tout ensemble de points situés sur une droite entre deux points de celle-ci, il doit toujours nécessairement exister un point de condensation. La valeur de cet axiome au point de vue des principes tient donc à ce que l’existence de tous les points limites en est une conséquence et que, par suite, cet axiome rend possible la correspondance univoque et réversible des points d’une droite et de tous les nombres réels. D’ailleurs, dans le cours des présentes recherches, nous ne nous sommes servi nulle part de cet « axiome d’intégrité ».



  1. C’est M. Pasch qui, dans son Cours de Géométrie moderne, a le premier étudié en détail ces axiomes. L’axiome II, 5 en particulier est dû à M. Pasch.
    (D. Hilbert.)
  2. M. Hilbert a bien voulu écrire cette Note inédite pour la traduction de son Mémoire, ainsi qu’une longue addition à la conclusion. Le traducteur saisit avec empressement cette occasion pour présenter ici ses très cordiaux remerciements à M. L. Gérard, professeur au Lycée Charlemagne, et à M. P. Sückel, professeur à l’Université de Kiel, pour leurs précieux conseils et leur aide dans la correction des épreuves. Il ne saurait oublier non plus de remercier encore une fois M. Hilbert et M. Teubner d’avoir autorisé la publication de ce Mémoire.
  3. Comparer ma Communication à la réunion de savants tenue à Munich en 1899 : Ueber des Zahlbegriff (Berichte der Deutschen Mathematiker-Vereingung, 1900.)
    D. Hilbert