Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/21

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 520-523).
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saint Jean


CHAPITRE XXI


JÉSUS APPARAIT A SES DISCIPLES PRÈS DE LA MER DE TIBÉRIADE. — PIERRE, SUPRÊME PASTEUR. — IL INTERROGE JÉSUS-CHRIST AU SUJET DE SAINT JEAN. — CONCLUSION.


Après cela, Jésus apparut de nouveau à ses disciples près de la mer de Tibériade ; or il apparut ainsi. Simon Pierre et Thomas, appelé Didyme, et Nathanaël[1], qui était de Cana en Galilée, et les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples, étant ensemble, Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous allons aussi avec vous[2]. Ils sortirent donc et montèrent dans la barque ; et cette nuit-là ils ne prirent rien. Le matin venu, Jésus se tint sur le rivage : cependant ses disciples ne le reconnurent point. Jésus leur dit : Jeunes hommes, avez-vous du poisson ? Non, répondirent-ils. Il leur dit : Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. Ils le jetèrent ; et ils ne pouvaient plus le tirer à cause de la multitude des poissons. Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C’est le Seigneur. Simon Pierre ayant entendu que c’était le Seigneur, se ceignit de sa tunique (car il était nu), et se jeta à la mer[3]. Les autres disciples vinrent dans la barque (car ils n’étaient éloignés de la terre que d’environ deux cents coudées), en tirant le filet plein de poissons. Lorsqu’ils furent descendus à terre, ils virent des charbons allumés, et un poisson mis dessus, et du pain. Jésus leur dit : Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. Simon Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet plein de cent cinquante-trois grands poissons. Et quoiqu’il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. Jésus leur dit : Venez, mangez. Et nul de ceux qui étaient assis n’osait lui demander : Qui êtes-vous ? sachant que c’était le Seigneur. Et Jésus vint, et prenant le pain, il leur en donna, et du poisson pareillement. Ce fut la troisième fois que Jésus apparut à ses disciples, depuis qu’il était ressuscité des morts[4].

15 Lorsqu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Il lui répondit : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes agneaux. Il lui dit une seconde fois : Simon, fils de jean, m’aimes-tu ? Pierre lui répondit : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes agneaux. Il lui dit pour la troisième fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre fut contristé de ce que Jésus lui demandait pour la troisième fois : M’aimes-tu ; et il lui dit : Seigneur, vous connaissez toutes choses, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes brebis[5]. En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et un autre te ceindra, et te conduira où tu ne voudras pas[6]. — Il dit cela, indiquant par quelle mort il glorifierait Dieu[7]. — Et après avoir ainsi parlé, il lui dit : Suis-moi[8]. Pierre, s’étant retourné, vit venir après lui le disciple que Jésus aimait, lequel, pendant la cène, reposa sur son sein, et dit : « Seigneur, qui est celui qui vous trahira[9] ? » Pierre donc, l’ayant vu, dit à Jésus : Seigneur, et à celui-ci qu’adviendra-t-il ? Jésus lui dit : Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne : que t’importe[10] ? Toi, suis-moi. Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait point. Et Jésus ne dit pas : Il ne mourra point ; mais : Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ?

24 C’est ce disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites ; et nous savons que son témoignage est vrai[11]. Jésus fit encore beaucoup d’autres choses ; si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu’il faudrait écrire[12].

  1. Voy. i, 45.
  2. Les Apôtres avaient renoncé à la pêche comme profession ; mais, dit saint Augustin, ils s’y livraient encore de temps en temps.
  3. De sa tunique, la revêtit, et l’attacha avec une ceinture. — Nu, presque nu, n’ayant que le vêtement de dessous.
  4. Comp. xx, 19 et 26.
  5. Pierre a réparé son triple reniement par une triple protestation d’amour, il est investi de la dignité de Pasteur suprême sur les brebis et les agneaux, c’est-à-dire sur le troupeau tout entier, sur toute l’Église de Jésus-Christ.
  6. Te ceindra, le chargera de chaînes. — Te conduira à la croix.
  7. On sait que saint Pierre fut crucifié à Rome sous l’empereur Néron.
  8. À ces mots, Jésus fit quelques pas en avant, et Pierre le suivit (vers. 20). Le Sauveur voulait sans doute faire entendre, par cette action symbolique, que Pierre le suivrait à la croix ; car au vers. 22 il met sa mort par le martyre en opposition avec la mort naturelle de saint Jean.
  9. Comp. xiii, 23.
  10. Qu’il demeure ainsi, qu’il soit exempt d’une mort violente, jusqu’à ce que je vienne, après une mort naturelle, l’enlever au ciel. En grec, si je veux qu’il demeure (sur la terre) jusqu’à ce que je vienne (pour le jugement dernier), etc. ; cette leçon paraît préférable.
  11. Les vers. 24-23 sont un nouvel épilogue de l’Évangile de saint Jean (comp. xx, 30), devenu nécessaire après l’addition du chap. xxi. — A cause de la forme plur. nous savons, quelques-uns pensent que ces deux derniers vers. ne sont pas de saint Jean, mais qu’ils ont été ajoutés soit par des disciples de Notre-Seigneur, entre autres saint André (p. 381), soit par les prêtres de l’Église d’Éphèse. Mais rien n’oblige à admettre cette conclusion. Saint Jean, dans sa première Ëpître, emploie aussi la forme plurielle : Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons ; cette forme, que les rhéteurs appellent communicative, convient parfaitement au style épistolaire. Or la première Épitre, comme nous l’avons dit plus haut, est la préface et la lettre d’envoi de l’Évangile : pourquoi donc saint Jean n’aurait-il pu terminer par une conclusion qui rappelât la préface, et dont le style, par conséquent, prit le caractère épistolaire ?
  12. Locution hyperbolique presque réalisée par les faits, dit Corn. Lapierre : les discours et les livres composés sur la vie du Sauveur ne sont-ils pas vraiment innombrables ? On trouve des hyperboles non moins fortes dans les livres rabbiniques, et même dans Cicéron, par ex. II Philipp. xxvii.