Les Questions politiques et sociales/01

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LES QUESTIONS


POLITIQUES ET SOCIALES.




I.

L'ASSISTANCE ET LA PREVOYANCE PUBLIQUE.

RAPPORT DE LA COMMISSION.




Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de démontrer à personne que les pouvoirs publics doivent plus que jamais faire les plus grands efforts, afin que la misère tempère ses rigueurs et que la généralité des citoyens arrive à l’aisance par le plus court chemin possible, autant que chacun le méritera par son amour du travail, son aptitude et sa bonne conduite. C’est l’œuvre que 1789 a léguée à notre temps. Comme dit M. Dupin dans son commentaire sur la constitution de 1848, hoc opus, hic labor.

La constitution de 1848 ayant assigné, dans les termes les plus formels[1], cette tâche aux pouvoirs qu’elle a institués, l’assemblée actuelle chargea une commission, dite de l’assistance et de la prévoyance publiques, de lui présenter un programme à cet effet. Afin d’investir les opérations de la commission de plus de solennité et d’y assurer le concours de plus de savoir et d’expérience, l’assemblée l’avait composée extraordinairement de trente membres, et la plupart des choix étaient tombés sur des hommes considérables, dont plusieurs étaient versés de longue main dans la pratique des affaires. Les élémens dont la commission était formée semblaient garantir qu’il sortirait de ses travaux un ensemble de propositions dignes d’exciter la reconnaissance des masses populaires et celle de tous les bons citoyens, qui souhaitent ardemment que l’état se pacifie.

Au moment de publier ces pages, qui ont pour objet l’examen du rapport de cette commission, j’éprouve un véritable embarras. Ce rapport a été assailli avec une sorte d’acharnement ; on en a parlé comme s’il exprimait l’opinion du rapporteur seul, et l’on a accusé celui-ci d’être systématiquement opposé aux intérêts populaires. En critiquant ce document, car j’ai à y signaler, à ce que je crois, de graves défauts, il semble qu’on se rende solidaire de tous ceux qui l’ont déjà blâmé, et c’est cette solidarité que je décline absolument. Je ne considère point le rapport comme appartenant au rapporteur tout seul. Quelle que soit l’influence qu’acquiert bientôt M. Thiers partout où il siége, une grande commission de trente membres, parmi lesquels on compte beaucoup d’illustrations, pense par elle-même. La forme seule est tout entière à M. Thiers ; mais, à cet égard, le rapport est une de ces œuvres que, si l’on est juste, on ne peut que louer. Quant au reproche adressé au rapporteur d’être systématiquement l’ennemi des intérêts populaires, je ne le discuterai pas. D’abord, j’ai à m’occuper non du rapporteur, quelque haute position qu’il ait, mais de la commission, qui seule est responsable. En second lieu, il ne s’agit pas de scruter ici la conscience des hommes : c’est Dieu et, quand les événemens sont définitivement consommés, l’histoire qui ont ce droit. La polémique ne l’a pas, quoiqu’elle se l’arroge. Je ne puis cependant m’empêcher de dire que je trouve l’accusation souverainement injuste. Né plébéien, M. Thiers n’a jamais récusé son origine. À une époque où la manie des titres avait gagné tant de notabilités bourgeoises et où une multitude de personnes, à défaut de parchemins, sophistiquaient leurs noms de manière à y donner une apparence nobiliaire, deux hommes d’état, les plus éloquens de nos assemblées ; pour ne pas dire de l’Europe entière et dont la supériorité était si bien reconnue, qu’ils furent presque toujours ministres, tour à tour ou ensemble (et pourquoi ne fut-ce pas constamment de cette dernière façon !), furent inébranlables dans leur résistance à l’entraînement de l’universelle vanité. Ils se firent un point d’honneur de demeurer roturiers. M. Thiers était l’un des deux. Or, quand on a ainsi à cœur de ne pas se séparer de la masse du peuple, peut-on être accusé d’en être l’ennemi ?

Mais trêve de préliminaires. Analysons le rapport. Avant tout, il n’est pas inutile de donner quelques renseignemens sur la teneur de cette pièce et sur la part qui y est faite à chacun des sujets spéciaux. Sur 156 pages, 21 sont consacrées aux principes généraux, à l’exposé des caractères et des conditions de la bienfaisance publique et privée, 9 aux établissemens qui concernent l’enfance et l’adolescence, les crèches, les salles d’asile, les sociétés de patronage, les hospices de sourds-muets et d’aveugles et autres institutions analogues ; 38 à ce qui concerne l’âge mûr, en trois chapitres qui ont pour objet : le droit au travail, les institutions de crédit, y compris le crédit foncier, et les associations d’ouvriers. Les moyens de parer aux chômages accidentels occupent 16 pages. Vient ensuite la colonisation, qui en absorbe 12, dont une partie pour les défrichemens de l’intérieur, ou colonies agricoles d’adultes. L’abolition de la mendicité par le moyen des dépôts prend 2 pages ; l’amélioration des logemens, 3 ; les sociétés de secours mutuels en ont 9. Les institutions qui sont destinées à soulager la vieillesse, mais dont les ressources sont amassées par l’âge mûr, les caisses d’épargne et la caisse des retraites ; remplissent 30 pages. Quelques aperçus sur les hospices en forment 3, et une dizaine de pages consacrées à résumer tout ce qui précède couronnent le document.

Essayons maintenant de qualifier les diverses parties du rapport.

Au sujet de l’enfance, des projets de loi sont annoncés : l’un sur les tours pour les enfans abandonnés, un autre sur le travail des enfans dans les manufactures, un troisième sur l’apprentissage, le dernier sur les jeunes détenus, qu’on enverrait tous dans des colonies agricoles pénitentiaires du genre de celle de Mettray. La sous-commission qui a formulé ces projets de loi examinera s’il ne serait pas possible de multiplier les maisons de sourds-muets et de jeunes aveugles, qui sont admirablement tenues chez nous, mais dont le nombre est bien disproportionné aux besoins. On recherchera aussi les moyens à employer pour propager les crèches et les salles d’asile, pour mieux régler les bureaux de nourrices, pour mieux garantir contre la cupidité des femmes de la campagne les enfans abandonnés que l’administration leur confie. Il est facile de voir que presque toutes ces améliorations supposent une augmentation du budget de l’état, des départemens ou des communes, afin de nommer des inspecteurs et de multiplier les inspections, de fournir aux salles d’asile et aux crèches des locaux spacieux et bien aérés, de payer des mois de nourrices et des subventions aux hospices dans lesquels seront rétablis les tours. De même la bonne exécution d’une loi sur le travail des enfans suppose que les familles soient moins dénuées. Ainsi les vues de la commission en faveur de l’enfance impliquent un accroissement dans la richesse de la société ; notons cette conclusion pratique, nous en ferons usage plus tard.

La section du rapport qui concerne l’âge mûr est celle qui offre la discussion la plus forte. Les inconvéniens, les périls extrêmes du droit au travail sont lucidement déduits. L’idée d’institutions de crédit où tout le monde pourrait puiser indistinctement et presque à volonté est chimérique : où est donc le capital que ces institutions auraient à distribuer ? Le rapport fait bonne justice de ce plan avec lequel on a un moment abusé les imaginations populaires. Quant au crédit foncier, il est incontestable que c’est un mot qui a fait naître des illusions, cependant la commission le traite trop sévèrement. Que les associations qui ont fait tant de bien dans l’Allemagne du nord et en Pologne soient, telles qu’elles existent dans ces contrées, inapplicables chez nous, on ne saurait se refuser à le reconnaître. L’Allemagne du nord et la Pologne sont des pays de grande propriété, et c’est principalement pour la petite propriété que, chez nous, le crédit foncier est réclamé. Cependant il ne ressort pas de la nature des choses que l’homme qui offre un gage, aussi solide, aussi impossible à détourner que la terre, n’emprunte qu’à 10 pour 100, ainsi qu’on le voit en France. Un taux aussi élevé de l’intérêt est non-seulement regrettable, mais remédiable.

Les associations d’ouvriers commanditées par l’état ont contre elles une objection invincible : pour les commanditer, l’état n’aurait d’autre moyen que de puiser dans la bourse des contribuables, dont la majorité est pauvre. Prendre aux pauvres pour fournir à une classe de personnes moins nécessiteuses dans beaucoup de cas le moyen de s’élever au rang d’entrepreneurs d’industrie, serait d’une injustice extrême ; le rapport le montre de cette manière saisissante qui est propre à M. Thiers. Les associations de ce genre qui furent constituées avec les 3 millions votés en 1848 ne pouvaient s’accepter que comme des expériences d’économie sociale : comme institutions destinées à se multiplier indéfiniment, il n’y faut pas songer, c’est évident ; mais est-ce là tout ce qu’il y avait à dire sur le principe d’association dans ses rapports avec le travail ?

M. l’archevêque de Dublin, dans un discours prononcé en 1847, a dit que tout le monde, sans exception, faisait, bon gré, mal gré, de l’économie politique par le fait même de disserter sur les questions sociales et financières. Seulement, ajoute le savant prélat, les uns la font bonne ; ce sont ceux dont les raisonnemens reposent sur des principes, tandis que d’autres la font détestable, ce sont ceux qui prennent leur point de départ dans des préjugés vulgaires ou dans des sophismes qui, pour être rhabillés de neuf, n’en sont pas moins le plus souvent aussi anciens que la sottise humaine. En 1848, les ouvriers, sur la trace des meneurs auxquels ils se confiaient alors, faisaient de l’économie politique radicalement mauvaise, quand ils applaudissaient au système des associations dites fraternelles, dans lesquelles le patron, avec le capital dont il est le représentant, sinon le propriétaire, n’eût été et dans la répartition des produits n’eût obtenu rien de plus que le dernier homme de peine. Leur économie politique n’était pas moins vicieuse, quand ils réclamaient que l’état se chargeât de leur fournir des instrumens de travail, c’est-à-dire des capitaux ; mais on en ferait d’une qualité bien suspecte, si l’on prononçait une condamnation absolue contre le principe d’association, traduction et développement de la sociabilité même. Voilà pourtant ce qu’a fait la commission, ou tout au moins ce qu’elle semble faire. Nous citons textuellement : « Elle (la commission) déclare qu’elle ne croit pas à des collections d’individus les propriétés nécessaires pour l’exploitation d’une industrie quelconque, » et j’ai vainement cherché dans le rapport un passage qui corrigeât l’absolu de cette sentence, en laissant quelque chance à l’esprit d’association appliqué au travail. L’assemblée constituante de 1789 se laissa entraîner un jour jusqu’à décréter que les personnes d’une même industrie ne peuvent avoir des intérêts communs (décret dû 17 juin 1791) ; une erreur qui, chez la glorieuse assemblée de 1789, s’expliquait par l’ardeur de la lutte contre les ci-devant corporations d’arts et métiers dont les tronçons s’agitaient et cherchaient à se rejoindre dans un sentiment, contre-révolutionnaire, serait sans excuse de nos jours. Depuis nos orages, plusieurs esprits d’une rare distinction, après avoir analysé la société dans le but de découvrir ce qui lui manque pour sa stabilité et sa liberté, se sont accordés à reconnaître que l’esprit d’association, sous les mille formes qu’il peut légitimement revêtir, donnait le moyen de lever une foule de difficultés, de pourvoir à une foule de besoins et d’instituer de fortes garanties. Il y a dix années au moins que M. Rossi, dans un savant mémoire sur les changemens qu’appelait la législation française, insistait sur la part qu’il fallait accorder à l’association, part que la constituante, la convention, l’empire et les régimes suivans, sous le jour de préoccupations diverses, mais également fâcheuses, avaient eu le tort de lui refuser. Dans cette œuvre, qui porte l’empreinte d’une méditation profonde, et qui mériterait bien aujourd’hui d’être elle-même méditée par les publicistes, Rossi s’exprimait en ces termes : « Il faut que l’association puisse se plier aux phases diverses du phénomène de la production et à celles du fait encore plus compliqué de la distribution de la richesse. » Que les associations que Rossi avait dans la pensée fussent différentes des ateliers sociaux de M. Louis Blanc ou des associations ouvrières de 1848, on n’en saurait douter ; mais l’esprit d’association reste avec la certitude d’un immense avenir. Les ouvriers sont destinés à en recueillir le fruit, tout comme les autres classes de la société. C’est, au reste, un sujet sur lequel il y aurait lieu à s’étendre beaucoup. Pour aujourd’hui, je me réduis à cette observation, que la commission a traité de la façon la plus sommaire un principe d’où il y a de magnifiques résultats à attendre avec l’aide du temps, et dont des aujourd’hui il est possible de signaler les bienfaits envers les ouvriers eux-mêmes. De bonne foi, convient-il de juger un principe d’après les caricatures qu’en ont faites de maladroits amis ?

Les moyens de parer aux chômages, que propose la commission et qu’elle-même ne recommande qu’avec réserve et timidement, consisteraient à ménager les travaux nombreux et variés que l’état fait exécuter, de manière à avoir de l’emploi à offrir aux bras inoccupés pendant les crises industrielles. Quand on examine le sujet de près, on ne voit pas qu’il y ait rien d’important à tirer de là. L’état, dit le rapport, n’a pas seulement des terrassemens à offrir aux ouvriers inoccupés, « il a des fossés à creuser, des murailles à élever autour, de ses places fortes, des ouvrages d’art à construire sur les routes ; il a des machines à fabriquer pour les chemins de fer qui lui sont confiés, et surtout pour les nombreux bâtimens de la marine militaire ; il a de plus à confectionner des voitures pour l’artillerie et la cavalerie, enfin de la chaussure, des vêtemens, du linge pour le soldat, et, même sous une république, il a des palais nationaux à décorer. Il a donc, l’orfèvrerie et les ouvrages de mode exceptés, presque tous les genres de travail à faire exécuter. »

Si jusqu’ici l’état, dans les cas de chômage, s’est borné à offrir des terrassemens aux ouvriers, avec un peu de maçonnerie, c’est que c’est le seul emploi qu’on ait de disponible à peu près partout, sur place ou peu de distance, et auquel puissent s’adapter tous les ouvriers. L’état a beau avoir des machines à vapeur à commander pour sa marine, il ne peut les offrir aux canuts de Lyon ou aux tisserands de Lille. Il ne peut davantage faire faire à Saint-Quentin, à Mulhouse, des voitures et harnachemens pour l’artillerie et la cavalerie. Ces articles-là ne peuvent être confiés à des ouvriers novices pour l’artillerie, ce sont presque des ouvrages de précision, et on les fait exécuter par des compagnies d’ouvriers militairement organisés à cet effet. Une machine à vapeur exige des mains plus exercées encore. Les approvisionnemens de l’armée en chaussures et vêtemens ont besoin d’être préparés d’avance et bien confectionnés, ce qui rend impossible d’en charger le premier venu, et d’attendre, pour les commander, qu’une crise ait éclaté. Quand l’industrie spéciale des constructions mécaniques est en souffrance, l’état déjà a contracté l’habitude de commander d’avance, autant que le budget le permet, quelque machine à M. Cavé ou à MM. Cail et Derosne, ou à M. Schneider. Il ne laisse pas non plus quelquefois de faire des demandes extraordinaires d’autres articles, pour empêcher les fabriques de fermer ; mais tout cela est extrêmement borné. Reste cependant que l’état a pris les devans sur la commission. Quand il s’agit d’occuper des bras tels que ceux des populeuses industries qui préparent les tissus de soie, de coton ou de laine, comme il faut les employer sans déplacement, il n’y a rien de mieux à leur proposer que de grands terrassemens, avec quelques muraillemens de l’espèce la plus commune. Ce que l’état pourrait faire, ce qu’il est répréhensible de ne pas faire assez, c’est d’avoir, dans les cartons du ministère des travaux public ou de la guerre, des projets de ce genre parfaitement étudiés, qui puissent, sur un signe du gouvernement, être mis aussitôt à exécution. Il est déplorable qu’après la révolution de février, à Paris même, on ait été réduit, faute d’avoir rien prévu, à des terrassemens puérils au Champ-de-Mars, à une gare inutile du chemin de fer de l’ouest au boulevard du Montparnasse, où l’on dépensera 8 millions au moins pour étendre une ligne de fer, de combien ? de 400 mètres. Il y a lieu de croire que si les ateliers nationaux du Champ-de-Mars et autres similaires démoralisèrent si profondément les hommes qui y étaient, réunis, il faut l’attribuer en partie à ce que ces ouvriers comprenaient qu’on les appliquait à des travaux dérisoires.

La commission a eu, relativement aux chômages, une autre idée, qui est encore moins pratique : ce serait que l’état s’abstînt de travaux publics aux époques où l’industrie privée est très occupée, et qu’il réservât « et ses travaux utiles et ses ressources financières » pour le moment où, « des milliers d’ouvriers se promenant oisifs sur nos places publiques, ils deviennent les dociles et funestes instrumens des factions. » A cet arrangement, il y aurait un double avantage, dit-on : pendant les jours de prospérité, on détournerait moins de bras de l’agriculture, on n’occasionnerait, pas une hausse factice des salaires et des matériaux, et, la crise venue, on aurait de la besogne à offrir aux ouvriers. La proposition n’est que spécieuse. L’état et l’industrie privée font l’un et l’autre de grands travaux dans les temps de prospérité, parce qu’alors les ressources abondent. Les particuliers ont fait des profits dont ils cherchent le placement, et l’impôt, par l’extension de la consommation et des affaires, rendant davantage, les chambres alors se montrent faciles pour ouvrir des crédits aux entreprises de l’état. État et particuliers, tout le monde entreprend plus dans les temps prospères que dans les temps calamiteux, quand on a des capitaux que quand on en manque. Ainsi a marché le monde, ainsi il marchera toujours. Les expédieras neufs que la commission propose, pour parer aux chômages, manquent donc d’efficacité.

Il est une observation utile que la commission pouvait mettre en relief à ce sujet : lorsque la bienfaisance privée est en éveil, l’autorité, en se concertant avec elle, obtient les plus heureux résultats. Une somme même médiocre peut suffire à adoucir les rigueurs d’une crise industrielle, pourvu que celle-ci soit locale, car, lorsque le chômage est la conséquence d’une catastrophe politique et qu’ainsi il est général, il n’y a pas de force humaine qui puisse empêchés les populations de souffrir, la société d’être envahie par la misère. La commission aurait pu fort opportunément rappeler comme un modèle à imiter ce qui se passa à Lyon il y a quelques années. On a une grande force en pareilles matières quand on s’appuie sur des expériences positives. En 1837, la crise des États-Unis eut un violent contre-coup à Lyon vingt mille ouvriers furent presque subitement sans travail. Une réunion libre de bons citoyens, qui, je le crois, existait déjà sous le titre de commission de prévoyance, se mit à l’œuvre de concert avec le préfet, qui était M. Rivet. Une souscription ouverte dans la ville produisit 55,000 francs ; M. le duc d’Orléans envoya 50,000 francs ; un concert donné à Paris rendit environ 20,000 francs : on eut en tout 127,000 francs. Qu’était-ce, pour couvrir une perte de salaires qui allait à 2 millions par mois ? Mais le zèle intelligent du préfet et des membres de la commission fit de ces 127,000 francs un trésor inépuisable. On donna une feuille de route aux ouvriers qui n’étaient pas Lyonnais, on en casa dans les villes du voisinage ; plusieurs, qui avaient des ressources, attendirent chez eux. On n’eut, en fin de compte, que six mille personnes à nourrir ; mais, à 1 franc par jour seulement, en trois ou quatre semaines tout l’encaisse eût été consommé. Le problème semblait donc insoluble. Au lieu de désespérer, la commission, puissamment soutenue par le préfet, se fit, à ses risques et périls, adjudicataire de divers travaux des ponts-et-chaussées et de la guerre, dont les plans étaient tout prêts, et dont l’utilité était constatée. Elle y distribua son monde avec un soin et un ordre remarquables, avec des attentions toutes paternelles. Dans les ateliers les plus éloignés de la ville, il y avait des cantines où l’on vendait les vivres au prix coûtant. On garantit un minimum de salaire de 1 franc 50 centimes ; mais, au-delà d’une certaine tâche, les ouvriers, devaient recevoir une haute paie proportionnelle à ce qu’ils auraient fait. Le tarif était assez large pour qu’un homme robuste pût gagner jusqu’à 3 francs. Un membre de la commission, ancien officier du génie, M. Monmartin, organisait et dirigeait les travaux. Il était de sa personne partout où il y avait un ordre à donner, une réprimande à administrer, un encouragement à décerner, une injustice à réparer. Ce déploiement de sollicitude cordiale, cette activité généreuse, empressée, électrisèrent les ouvriers, parce qu’en même temps on se montrait envers eux clairvoyant, ferme sur l’article du devoir, et, en cas de nécessité, sévère. L’ouvrier est loin de détester la sévérité ; il l’aime, pourvu qu’elle soit juste et impartiale. Il n’est docile et soumis qu’envers ceux qu’il estime, et il n’estime ses chefs que quand il les sait non-seulement éclairés, équitables, probes et bons, mais aussi très résolus à maintenir la discipline et à se faire respecter. On travailla donc très sérieusement aux ateliers de Lyon ; on y travailla bien. La commission n’eut, en définitive, à débourser de son fonds que 55,000 francs : Elle commandita en outre de 10,000 francs une caisse particulière, qui faisait des avances aux ouvriers sur leurs métiers sans en demander le dépôt ; elle remit aussi 5,000 fr. au mont de piété, pour qu’il augmentât ses avances et la crise fut traversée.

Le chapitre de la colonisation comprend et les colonies agricoles à l’intérieur, c’est-à-dire le défrichement des terrains jusqu’ici incultes, qui sont assez étendus en France, et la fondation de colonies au dehors, ou plus généralement l’envoi de populations plus ou moins nombreuses dans d’autres contrées, placées ou non sous la loi de la France. La commission considère comme chimérique l’idée de colonies agricoles dans l’intérieur. Elle a raison, si elle veut dire que l’organisation, sur le sol français, de colonies agricoles dont les élémens, ramassés de toutes parts, seraient juxtaposés sur la base mouvante du phalanstère ou casernés sous une discipline militaire, aurait l’inconvénient de coûter beaucoup pour rapporter médiocrement. Des colonies formées de cultivateurs qu’on attirerait par des concessions de terre gratuites ou à bas prix dans des terrains de qualité passable réussiraient beaucoup mieux que la commission ne paraît le croire ; mais des terres en friche de qualité passable, le gouvernement n’en a pas, si ce n’est quelques forêts nationales en plaine dont la superficie est bornée. S’il fallait qu’il acquît d’abord le terrain, la colonisation reviendrait fort cher. Et puis ici revient la même objection qu’on a justement élevée contre le système d’après lequel l’état serait tenu de fournir des capitaux aux citoyens. De quel droit l’état imposerait-il tous les contribuables, qui en majorité sont panures, pour fournir un domaine à quelques-uns qui n’ont pas plus de titres que leurs voisins ?

Elles-mêmes cependant, les colonies agricoles soumises à une discipline plus ou moins militaire, tout en offrant un mode de culture plus coûteux, que le travail libre, se recommanderaient d’un certain point de vue où en des temps tels que le nôtre l’autorité est admise à se placer. Par là on pourrait fixer et surveiller une partie de cette population flottante et déclassée qui s’agite dans notre pays, et qui est toujours prête à le bouleverser. Ce serait même, circonstance précieuse, le moyen de la moraliser. Sous cette forme, la contrainte que la société est en droit, pour sa légitime défense, d’exercer contre les vagabonds, serait moins dure que sous aucune autre. On dit que le travail paisible des champs guérit les fous, à plus forte raison pourrait-il calmer des esprits en révolte et rétablir des corps épuisés, tantôt par le besoin, tantôt par l’inconduite. L’expérience faite par la Hollande autorisait, à cet égard, des espérances.

Quant aux colonies extérieures dans des possessions françaises et aux émigrations sur des territoires lointains où flotte un autre drapeau que celui de la France, la commission estime que l’inaptitude à coloniser, dont on accuse les Français, nous est calomnieusement imputée, et elle espère que l’Algérie en donnera la preuve. À son gré, la colonisation en Algérie offre une belle carrière, à ceux de nos compatriotes qui veulent se faire par leur travail le patrimoine que ne leur ont pas légué leurs pères. Eh bien ! colonisons l’Algérie ; mais comment s’y prendre ? La commission ne l’indique pas, même en termes généraux. Après avoir exprimé le désir de détourner vers nos possessions d’Afrique « ce courant d’émigrans qui abandonne l’ancien monde pour le nouveau, » elle se contente de dire : « Cette colonisation sera impossible sans l’intervention de l’état. » Qu’entend-elle par là ? Que l’état ne s’est pas encore assez mêlé de la colonisation de l’Algérie ? On aurait plutôt lieu de soutenir que l’état s’en est trop mêlé. En m’exprimant ainsi, je n’ai pas en vue seulement les essais désastreux de colonisation qui ont été si légèrement tentés depuis la révolution, en 1848 et 1849, et où chaque famille a coûté à l’état, infructueusement dans beaucoup de cas, 6,000 francs environ, somme qu’elle eût regardée nommé une fortune, et qui l’eût été dans le plus grand nombre des cas, si on la lui avait remise dans la métropole. Si, comme le rapport l’affirme, et je ne le contredirai pas, « l’Afrique abonde en vegas tout aussi belles que la plaine de Grenade, qui n’attendent que la main de l’homme, » mais que l’homme ne vient pas chercher, il faut s’en prendre à ce que le régime de l’Algérie repousse les gens qui du pays de Bade ou de la Suisse, vont au loin s’établir sur l’Ohio et le Mississipi. Le régime de l’Algérie plaît, fort peu aux hommes industrieux, parce qu’on y sent beaucoup trop la main de l’état. Un pays d’où la moindre affaire est renvoyée, par-delà les mers, à Paris, pour recevoir une solution ou plutôt pour l’attendre, n’attirera jamais les bons colons. L’Afrique, telle que nous la gouvernons, ruine nos finances sans nous procurer même une gloire véritable. Ce n’est pas que nos soldats n’y aient fait preuve de la plus admirable bravoure, et nos officiers d’un prodigieux et infatigable dévouement à la patrie ; mais cet héroïsme est rendu vain pour la gloire de la France, parce que nous ne le fécondons pas par une administration intelligente. En fait de colonies. la gloire solide n’existe pas, s’il n’y a pas quelque profit à côté, car une colonie n’est fondée et ne perpétue la mémoire de ses fondateurs, peuple ou chef, que lorsqu’elle rapporte quelque chose, c’est-à-dire lorsqu’elle a une agriculture, un commerce, une population civilisée fixée sur le sol. Tout cela manque en Algérie ; nous n’avons pas su l’y mettre. Là-dessus la commission, pour justifier ce qui s’est fait, répond que l’Afrique « a formé les soldats et les généraux qui ont défendu la France contre l’anarchie, et qui la font aujourd’hui respecter du monde. » Je ne conteste pas que nous n’ayons eu de cette manière une certaine compensation des trésors que nous y avons dépensés ; mais ce n’est pas là de la colonisation. Qu’on nous vante tant qu’on le voudra l’Algérie comme une école militaire, nous aurons encore le droit de trouver que, comme telle, elle coûte cher ; mais pas de confusion. Ne raisonnons pas à la façon des grognards qui, de quelque sujet qu’on leur parle, répondent par un épisode de la bataille d’Austerlitz. La commission n’avait pas reçu le mandat de rechercher les moyens de faire l’éducation de l’armée française. Elle avait à signaler les moyens de faciliter le travail, d’assister l’homme industrieux dans sa lutte contre la misère, dans ses efforts pour s’élever à l’aisance. Il est possible que l’Algérie soit destinée à y servir : c’est un espoir qu’il est certainement permis de conserver ; mais, encore une fois, quel est le chemin à suivre ? La commission ne l’a pas montré, ou elle ne l’a montré qu’à rebours. En Algérie, il faudrait à l’homme industrieux, à l’esprit d’entreprise en général, plus de liberté ; on ne nous parle que de l’intervention directe de l’autorité.

Puisque la commission s’occupait de la colonisation, on pouvait s’attendre à ce qu’elle mentionnât les plans qui se sont produits depuis quinze ou vingt ans en Angleterre, qui y ont été l’objet de la discussion publique et de la délibération officielle, et qui ont été adoptés par des associations puissantes auxquelles ils ont valu des succès désormais constatés. Nous voulons parler, par exemple, des idées de M. Wakefield, consignées par lui dans un traité spécial, qui sont en vigueur à l’égard de la partie la plus florissante de l’Australie. Jamais une colonie n’a réussi que lorsqu’elle a eu un système d’économie industrielle et sociale qui fût en rapport avec le climat, avec l’aptitude et les penchans des colons. Dans le Canada, que la commission nous vante plus que de raison, car ce n’était qu’un embryon lorsque nous le perdîmes, il y avait une donnée sociale assez arrêtée, on y avait transporté la tenure féodale des terres ; mais on ne savait quoi produire au-delà des plus stricts besoins des colons, et c’était une raison suffisante pour que la colonie végétât. À Saint-Domingue, qui était une colonie magnifique, la perle des Indes occidentales, on avait copié l’esclavage antique et on avait une production parfaitement appropriée, le sucre. C’est sur des bases analogues, la culture du coton et l’esclavage, qu’est fondée la grandeur des états du sud de l’Union américaine. Ni la féodalité, ni l’esclavage ne sauraient être proposés aujourd’hui pour l’économie sociale d’une colonie française. Les Anglais paraissent avoir trouvé, selon la diversité des cas, divers programmes dans lesquels une donnée d’économie industrielle, je veux dire une certaine production, une certaine culture, se combine avec une donnée sociale sympathique à la liberté. Celles de leurs colonies qui se développent sont ainsi pourvues chacune du sien. Les Américains du nord des États-Unis en possèdent un qui est libéral et qui va admirablement au climat moyen des régions dites de l’Ouest. Jusqu’à quel point la pensée de M. Wakefleld ou le système américain ; ou quelque autre des combinaisons déjà expérimentées, cadre-t-il avec les circonstances qu’offre l’Algérie ? Le sujet méritait d’être traité par la commission, et il était digne du rapporteur. Tant que la commission ne l’abordera pas, elle ne produira sur la question de la colonisation que des dissertations sans issue[2].

L’abolition de la mendicité serait fort désirable. La mendicité dépouille l’homme même qui est dans la nécessité d’y recourir de cette fierté qui est l’un des attributs de l’homme honnête et libre. À plus forte raison, est-ce une flétrissure, lorsqu’elle est volontaire et préméditée, lorsqu’on s’en fait par goût une profession. Le pauvre alors n’est plus un concitoyen digne d’intérêt, c’est un fainéant qui appartient à la police. D’un autre côté, les dépôts de mendicité ne sont pas des écoles de moralité. En améliorer la tenue exigera de grands efforts dont le succès n’est pas certain ; les multiplier requerrait de fortes sommes : ce ne pourra être que l’œuvre du temps, la commission l’entend ainsi.

Au sujet de l’amélioration des logemens, comment faire et quoi faire ? Déjà la police municipale a le droit d’astreindre les propriétaires à certains soins dans l’intérêt de la santé publique. On va, par une loi spéciale, qui a déjà subi l’épreuve de deux lectures au sein de l’assemblée, l’armer de dispositions nouvelles à l’aide desquelles elle pourra commander des mesures, d’assainissement peu coûteuses[3]. Envers les garnis spécialement affectés aux ouvriers, la surveillance minutieuse de l’autorité est facile à justifier. Il n’en est pas de même pour les logemens ordinaires. Jusqu’à quel point l’autorité pourrait-elle interdire la location de pièces qui ne présenteraient pas certaines conditions d’aérage, de lumière, d’espace, et en général de salubrité ? Telle pièce où un homme seul sera assez bien, s’il y porte quelque attention, deviendra un séjour malsain pour trois ou quatre personnes ; mais une seule personne malpropre, qui aura par exemple les habitudes des chiffonniers de Paris, dont M. Frégier a tracé le triste portrait, empestera le local où quatre personnes soigneuses vivraient sainement. Quand il assume la responsabilité de provoquer, de la part des autorités municipales, des règlemens sur le régime intérieur des habitations, le législateur ne saurait être trop circonspect, trop réservé. On tombe facilement alors dans l’inquisitorial. Pour avoir trop voulu protéger l’ouvrier, fréquemment on l’aura vexé, et en pure perte. Que lui répondre, s’il allègue qu’il n’a pas le moyen de louer une pièce plus spacieuse ? Y aurait-il alors des indemnités de logement comme celles qu’on donne aux officiers de l’armée ?

ll y a une classe de logement qui est essentiellement malsaine, ce sont les caves où vivent beaucoup d’ouvriers en tous pays d’Europe, et qui, en France, offrent des spectacles affligeans, que récemment a décrits M. Blanqui pour la ville de Lille. S’il y a des logemens à frapper d’interdit, ce sont ceux-là. Dans cette humidité, au milieu de cet air lourd qui ne se renouvelle pas, dans ces tanières où jamais n’entre un rayon de soleil, l’homme s’étiole et dépérit ; mais il faut des cas aussi bien caractérisés pour que le législateur puisse donner aux autorités locales un droit exorbitant sur la propriété, tel que celui de la frapper d’interdit. Avec des administrations municipales comme on en voit en temps de révolutions, une loi pareille mènerait loin ; même dans les temps réguliers, il est impossible que le vague des indications ne donne pas lieu à des abus ; dans les lois et les règlemens, le vague engendre l’arbitraire, et l’arbitraire sème l’irritation dans le public.

C’est ce que les Anglais ont bien senti. Dans une loi toute récente. (31 août 1848) sur la matière, ils ont accordé a des corps administratifs, constitués pour la surveillance de l’hygiène des villes, la faculté de l’interdit, mais il est expressément stipulé que c’est contre les caves seules, et encore, pour ce qui est des constructions existantes, contre certaines caves très clairement désignées. Voici la teneur de l’article : « Aucune cave établie, à partir de la présente loi, ne pourra être louée comme habitation, et on ne pourra louer de même aucune cave antérieurement bâtie qui n’aura pas été louée encore. Quant aux caves déjà occupées comme logement, on ne pourra les louer séparément pour cet usage, à moins qu’elles n’aient 1° 7 pieds anglais (2 mètres 10 centimètres) de haut, dont 3 (91 centimètres) au-dessus du niveau de la rue ; 2° en avant un fossé d’environ 2 pieds 6 pouces de largeur au bas, creusé jusqu’à 6 pouces au-dessous du fond de la cave, lequel fossé devra être bien asséché ; 3° un foyer, un réceptacle au balayage (ash-pit), des lieux d’aisances et une fenêtre commode qui ne soit pas condamnée. Toute infraction à cet article entraînera une amende de 20 livres sterling (500 francs). Pour se conformer à la loi, les propriétaires de caves actuellement louées n’ont qu’un délai d’un an. » Au lieu de s’en tenir à des prescriptions de ce genre, la commission spéciale, dont la commission générale et jusqu’à présent l’assemblée elle-même ont approuvé le travail, a sacrifié à la manie réglementaire, qui est le travers de l’administration française, et c’est ainsi que l’interdit est admis en termes généraux et illimités ; il est aussi accompagné de cette série de formalités qui font que, chez nous, la moindre affaire dure quelquefois autant que le siége de Troie[4].

Pour que le logement de l’ouvrier soit sain, il faut deux choses : 1 ° qu’il veuille lui-même le tenir propre et exempt de miasmes, ce qui est possible jusqu’à un certain point dans la plupart des cas, pourvu que certaines conditions générales aient été remplies dans la voirie de la cité et dans la construction des maisons ; 2° qu’il ait une certaine aisance, afin qu’il puisse payer un logement passablement spacieux et s’entourer de ces soins qui contribuent tant à assurer la pureté de l’air. Avec ces deux conditions, tout devient possible ; hors de là, on aura beau tracer des règlemens minutieux pour la tenue intérieure des maisons, l’on n’obtiendra rien d’important. La bienfaisance privée bâtira quelques cités ouvrières, où il n’y aura place que pour une toute petite minorité, et le grand nombre continuera de croupir dans les gîtes qu’il occupe aujourd’hui. En fait de propreté, il n’y a de règlement sûr d’être obéi que celui qu’on se fait soi-même. La moyenne des populations françaises n’a pas autant que d’autres peut-être l’instinct de la propreté ; nous sommes sous ce rapport inférieurs au Hollandais, au Belge, à l’ouvrier saxon, qui tient sa chambrette si propre avec un médiocre salaire Rassurons-nous cependant : l’ouvrier français a le ferme désir de s’élever ; il est jaloux de se bien vêtir ; le culte de la personne lui vient quand il en a le moyen ; la propreté du domicile vient forcément avec celle du vêtement, et, une fois qu’il a goûté des jouissantes de la propreté, le Français y tient tout autant qu’un autre.

Pour être praticable et pour avoir de la portée, une loi sur la salubrité des habitations doit consister en deux séries distinctes de prescriptions, relatives l’une à la voirie générale de la cité, l’autre à la construction même des maisons, afin qu’elle soit en rapport avec cette voirie générale ; la première, comprenant un système dégoûts, des conduites et distributions d’eaux, un bon pavage ; un bon plan d’alignement, des ordonnances pour l’enlèvement des boues et immondices ; la seconde, embrassant les dispositions nécessaires pour que les égouts de la cité servent à assécher chaque maison d’une manière permanente, tant dans les allées et les cours que dans l’intérieur des logemens, et pour qu’il n’existe aucun cloaque ni aucun dépôt d’eaux ménagères. Quelques ordonnances spéciales règlent des sujets spéciaux, tels que les garnis et les caves. L’autorité alors a fait tout ce qui dépend d’elle pour la salubrité publique ; pour le reste, on s’en remet aux citoyens eux-mêmes. Quand l’autorité tente d’aller au-delà, elle s’expose à fatiguer les citoyens, à les blesser et à s’épuiser elle-même en efforts stériles. C’est ainsi que l’a compris le parlement anglais dans la grande loi d’assainissement qui porte la date du 31 août 1848, loi dont, à en juger par leurs rapports, il ne paraît pas, chose surprenante, que la commission générale de l’assistance et de la prévoyance publiques ni la commission spéciale des logemens aient eu connaissance[5], car elle ne l’ont pas mentionnée.

On pourrait rattacher aux travaux de la voirie municipale la construction de quartiers tout entiers, après avoir exproprié ceux des propriétaires qui ne cèderaient pas leurs maisons à l’amiable. La question de savoir jusqu’à quel point la faculté d’expropriation pour cause d’utilité publique devrait recevoir cette extension a donné lieu à une vive controverse. Quand il s’agirait de quartiers tout entiers, l’utilité publique serait facile à établir ; hors de là, elle serait bien moins certaine. La commission spéciale, et jusqu’ici l’assemblée sur ses traces, admet l’expropriation pour des cas où il s’agirait des moindres acquisitions. Elle semble même ne l’admettre que pour ces cas-là. Sous cette forme, l’abus serait plus probable. On n’entreprend pas de vexer cent ou cent cinquante propriétaires à la fois, en leur achetant leurs maisons malgré eux ; l’enjeu de la commune serait trop gros. On se gêne moins pour en tourmenter un ou deux.

C’est ici le lieu de signaler à la reconnaissance publique le nom de M. de Germiny, qui avait pris l’initiative d’un grand projet destiné à assainir un vaste quartier de Rouen, tout occupé par les ouvriers (le quartier Martainville). La proposition de M. de Germiny vient d’être rejetée par le conseil municipal de Rouen. Elle n’aurait cependant que médiocrement coûté à la commune, ou, pour parler plus exactement, elle ne lui aurait coûté que pour des travaux de voirie, tels que des égouts et des élargissemens de la voie publique. Il est à souhaiter, pour l’honneur du conseil municipal de Rouen, qu’après un plus ample informé, il revienne sur sa décision négative.

J’ai déjà été bien long sur ce sujet des logemens : il me faut pourtant dire encore que l’autorité excède ses pouvoirs d’une façon dangereuse, quand elle tente de réglementer par le menu une affaire de ce genre. C’est s’ingérer dans les détails de la vie intime plus qu’il ne convient. Si l’autorité s’immisce dans les logemens autrement que par des prescriptions générales analogues à la législation anglaise, pourquoi ne pas s’occuper de même en détail de la nourriture, et puis de l’habillement, du chauffage, de l’éclairage ? Nous nageons alors en plein socialisme : l’état se mêle de tout, préside à tout, envahit tout, et la société devient un couvent ou une caserne. Quand on combat le socialisme, on doit être attentif à ne pas le copier.

La commission a accordé une attention particulière aux caisses de secours mutuels, aux caisses d’épargne, à la caisse des retraites. Elle a pour les caisses d’épargne un grand respect que tout le monde doit partager ; elle leur maintient le patronage de l’état, qui consiste en ce qu’il se fait le dépositaire de leurs fonds, en garantit la restitution, et en sert un intérêt convenable. Elle étend aux caisses de secours le bienfait de cette protection sous plusieurs formes ; non-seulement le trésor sera leur caissier, mais encore le conseil d’état examinera leurs statuts, afin qu’ils soient conformes à la raison, et qu’ils cessent de contenir des calculs que l’arithmétique désavoue ; source d’irréparables désappointemens pour les sociétaires. Après cet examen, on leur accorderait la qualité d’établissemens d’utilité publique, afin qu’elles fussent aptes à recevoir des dons et des legs.

Relativement aux caisses de secours mutuels, la commission exposer peut-être trop en raccourci, et sans en tirer de conclusion suffisante, quelques observations d’un grand intérêt. En soi, la pensée de ces sociétés est utile et morale ; elles ne sont cependant pas sans inconvéniens possibles, je ne dis pas assez, sans périls. Dans un assez grand nombre de circonstances, les sociétés de secours mutuels, telles qu’elles ont été jusqu’ici presque toutes, c’est-à-dire uniquement composées de personnes de la classe ouvrière et administrées par les ouvriers seuls, sont devenues des sociétés politiques où l’on a discuté, exclusivement du point de vue de l’ouvrier, les questions sociales. On s’y communiquait les griefs qu’on avait ou qu’on croyait avoir contre les chefs d’industrie, et les notions d’économie sociale qu’on avait puisées à des sources trop souvent suspectes. On s’y est ainsi aigri mutuellement : déplorable mutualité ! Les hommes ardens s’y sont érigés en meneurs cet ont intimidé ceux qu’ils ne pouvaient convaincre. Les sociétés secrètes ont cherché à y exercer de l’influence, et elles y sont parvenues. Bientôt, sous le prétexte, plausible au premier aspect, de parer aux souffrances du chômage, on a dénaturé les caisses de secours. On les a rendues plus onéreuses aux ouvriers, parce qu’alors il n’a plus suffi d’avoir en réserve une petite somme proportionnée aux chances de maladie de 3 ou 400 personnes ; il a fallu amasser une sorte de trésor, et, après avoir réuni ainsi de fortes sommes, on leur donnait une destination préjudiciable aux hommes laborieux, qui sont l’immense majorité, et funeste à l’ordre public. C’est de cette manière qu’on a soutenu bien souvent, en Angleterre et en France, des grèves auxquelles le grand nombre était contraint de participer par les menaces d’une minorité audacieuse et sans frein, et qui toujours étaient sans résultat, excepté pour quelques meneurs avides de faire sentir leur domination à tout hasard, et peu amoureux du travail. Quelquefois même les sociétés de secours mutuels se sont changées en instrumens de guerre civile. Il n’est personne qui ne sache l’histoire des mutuellistes et des ferrandiniers de Lyon et de Saint-Étienne. Au commencement, c’étaient des associations de secours mutuels très recommandables ; en 1834, elles formèrent l’armée de la rébellion qui nos métropoles manufacturières du sud-est.

Une société de secours mutuels, pour bien réussir, je veux dire, pour n’imposer que de modiques sacrifices aux sociétaires et remplir leur attente, pour accomplir sa mission d’humanité sans mélange de désordre public, doit être strictement limitée à secourir les malades et à aider leurs familles. Elle doit s’abstenir de donner des retraites ; beaucoup de celles qui l’ont tenté s’y sont ruinées. Elle doit s’interdire de fournir quoi que ce soit en cas de chômage. Si la commission avait ouvert une enquête, elle aurait obtenu de chefs d’industrie de Paris et de la province ; surtout de l’Alsace, des renseignemens très curieux. Je connais, à Paris, une société de secours, instituée dans un établissement qui compte quatre cents ouvriers, et où il suffit d’une cotisation mensuelle de 80 centimes par tête. Il est vrai que, dans cet établissement que dirige un homme éclairé et excellent[6], on est parvenu à vaincre, la répugnance que l’hôpital inspire à la plupart des ouvriers alors le secours, fixé à 1 fr. 50 c. par jour, profite à la famille ; mais il ne faudrait porter le versement qu’à 1 fi. 60 c. par mois ou 19 fr. 20 c. par an, pour que l’indemnité quotidienne fût de 3 fr., ce qui est élevé.

Les statuts des sociétés de secours mutuels seraient combinés d’une manière plus avantageuse aux sociétaires et plus conforme à l’ordre public, si les intéressés consentaient à les soumettre à la sanction du conseil d’état ; à cela ; l’état peut non les contraindre, mais les engager par l’octroi de quelques services et de quelques faveurs. Encore faudrait-il cependant que ces faveurs ou ces services fussent assez considérables pour persuader les sociétaires, et la commission ne paraît point y avoir assez songé. Sous ce rapport, le gouvernement a beaucoup mieux apprécié la position ; il offre, sous condition, un subside qui n’a rien de compromettant pour les finances de l’état. La commission enfin n’a tenu aucun compte d’une pensée féconde dont le gouvernement l’avait saisie à l’occasion des sociétés de secours, et qui eût trouvé ainsi son application ailleurs ; nous y reviendrons un peu plus loin, le sujet en vaut la peine. En résumé, voilà encore un sujet à l’égard duquel le travail de la commission est médiocrement satisfaisant.

À l’égard de la caisse des retraites, a-t-elle fait beaucoup mieux ? Elle se prononce énergiquement contre la retenue obligatoire. Les motifs de sa résistance, que le rapporteur expose parfaitement, ne laisseront de doute à aucun de ceux qui jugent ces questions-là avec leur raison. L’état ne peut gérer de force les intérêts, de trente millions de personnes. De ce que les individus peuvent mal conduire leurs affaires, il ne suit pas qu’on doive se substituer à eux. Une société où l’état se mettrait à la place de tous, et s’érigerait d’autorité en dépositaire des économies de presque toute la nation, serait sous une loi despotique. Le gouvernement qui assumerait tant de responsabilité, serait insensé. La chance du mal est la conséquence inévitable de la liberté humaine. Il ne faut pas que, dans nos sociétés civilisées, amoureuses de liberté, lors même quelles paraissent la répudier, les gouvernemens veuillent faire autrement que Dieu même, qui, en donnant aux hommes le libre arbitre, a entendu qu’ils pourraient faire bien ou faire mal, et qui leur a préparé à tous la récompense ou la peine, selon leur choix. La retenue obligatoire, quand on l’envisage de près, se montre impraticable ; et, par rapport aux ouvriers et par rapport à l’état. Par rapport aux ouvriers, il en est un grand nombre qu’on ne pourrait faire contribuer régulièrement, à moins d’organiser l’inquisition. Par rapport à l’état la difficulté est d’un autre genre. L’état deviendrait le gardien de sommes inouies, dont aucun gouvernement ne voudrait ni ne pourrait accepter le dépôt, qu’il échouerait à faire valoir. Selon les différens calculs que présente M. Thiers, en se plaçant dans différentes hypothèses, on se trouverait en effet, au bout d’un certain nombre d’années, en face de 30 milliards, ou de 23, ou au moins de 15. Réduisez à moitié encore, et la somme restera exorbitante. Cette objection cependant perdrait de sa force, si on prenait le parti de substituer à une caisse unique, administrée par l’état, un grand nombre de caisses locales que l’état pourrait surveiller, mais dont l’administration et les ressources resteraient distinctes : parti fort sage, car ce serait le seul moyen d’attirer à l’institution une certaine quantité de dons volontaires. Beaucoup de personnes se décideraient à une donation immédiate, ou à un legs en faveur de la caisse des retraites de leur ville ou de leur profession dans la ville, qui y seraient beaucoup moins portées, si leur largesse devait aller s’engloutir dans une caisse unique ; dont l’avoir profiterait à la France entière. C’est un aspect de la question qui a échappé à la commission, quoiqu’il eût été signalé par plusieurs personnes.

La retenue obligatoire une fois écartée, la caisse des retraites, ne s’alimentant plus que de dépôts volontaires, devient urge institution fort désirable. Le gouvernement la proposait peu de semaines avant la révolution de février, il avait bien raison ; il l’aurait eu davantage, si la proposition fût venue quelques années plus tôt. La commission cependant y est peu sympathique. Elle n’y consent, que par manicle de concession aux erreurs du public, comme pour faire la part du feu. On n’aurait songé à la caisse des retraites, suivant elle, qu’au mordent où les fausses doctrines, inventées pour séduire et tromper la multitude, commençaient à élever comme le lit d’un torrent qui, déborde. L’appréciation est injuste. Qu’on dise que l’ouvrier qui met des fonds à la caisse d’épargne, qui les y laisse prudemment grossir, et se forme un petit capital avec lequel il devient chef d’industrie à son tour sur une petite échelle, est un homme très recommandable, qui enrichit la société en lui formant du capital, en lui suscitant en sa personne un membre de plus en plus utile, par la sollicitude duquel une famille tout entière sera élevée à une condition bien meilleure, on n’exprimera rien que de vrai ; mais faudra-t-il réprouver comme un égoïste (le rapport ajoute à vue assez étroite)[7], celui qui, au lieu d’aller à la caisse d’épargne, passe à la caisse des retraites, pour y placer 20 ou 30 francs par an, dans la supposition même où nette caisse serait constituée sur la base des tontines, et où par conséquent l’argent qu’elle recevrait serait placé à fonds perdu ? Tenons compte de ce que le même homme, dans le même esprit, se cotisera vraisemblablement de 20 ou 30 francs par an aussi pour la caisse de secours mutuels. Or, quand un ouvrier a distrait de son salaire une somme annuelle de 40 à 60 francs, il a déjà fait beaucoup ; je suppose un ouvrier ordinaire et non l’homme d’élite, qui reçoit un salaire exceptionnel. Si, au lieu d’aller frapper à la porte de la caisse des retraites, il eût pris le chemin de la caisse d’épargne, et qu’il y eût déposé 20 ou 30 francs, est-ce qu’il aurait pu avoir amassé, une fois à la force de l’âge, une somme qui lui permît de rien entreprendre ? Non, car il faut une durée de trente-six ans pour qu’un dépôt de 30 francs par an engendre, avec les intérêts cumulés, une somme de 3,000 francs. Au moins dans ce cas, dira-t-on, il eût mieux agi dans l’intérêt de ses enfans. Ce n’est pas certain, par plusieurs motifs. S’il avait eu la faculté de retirer ses fonds à volonté, il est permis de craindre qu’il n’eût été tenté de le faire souvent dans ce laps de temps de plus d’un tiers de siècle, pour s’engager dans des spéculations aventureuses pour dépenser inconsidérément dans le plaisir. Il n’en serait rien resté alors, ni à ses enfans ni à lui-même. Sa vieillesse eût obéré sa famille. Ainsi qu’il était dit dans le travail d’une commission libre, qui s’était constituée, il y a sept ans, sous la présidence de M. Molé, et dont le rapport a servi de point de départ à la plupart des études sur la matière : « à l’inverse de ce qui a lieu dans les familles aisées, où des rentes viagères ne semblent pouvoir être constituées au profit des ascendans qu’au détriment des héritiers, la constitution d’une pension de retraite sur la tête des chefs de famille qui vivent de salaire, dans des classes où l’héritage est presque inconnu, empêche les vieillards d’être à la charge de leurs enfans, leur permet d’achever leurs jours au milieu d’eux, entourés de soins, que la pension qu’ils apportent rend et plus faciles et plus affectueux. Les maires des villes populeuses peuvent certifier ce que nous avançons ici douchant les conditions d’existence des vieillards qui appartiennent aux classes ouvrières. Il y a tel arrondissement de Paris où il a suffi d’une allocation de 8 francs par mois pour retenir au sein de leur famille ceux que l’âge et le dénûment allaient en exiler. »

Même avec le caractère de la tontine, la caisse des retraites est déjà une forme de la prévoyance, forme imparfaite, soit ; mais il y a quelque chose de bien plus imparfait, c’est de n’avoir de prévoyance d’aucune sorte et d’aller au cabaret boire ce qu’il serait possible d’épargner. Si vous retirez du cabaret, par le moyen d’une prévoyance tout individuelle, l’homme qui est enclin à le fréquenter, c’est déjà un service que vous lui rendez. Vous lui donnez le commencement de la prévoyance, le reste viendra ensuite, très probablement, par un enchaînement naturel.

Mais le gouvernement n’est pas forcé, s’il ouvre des caisses de retraite, de les organiser toutes sur le pied de la tontine ; il peut bien, à côté des placemens en viager, instituer des caisses où la totalité des versemens en capital, sans les intérêts, reviendrait à la famille ; il peut donner la faculté de passer de celle-ci, qui semble avoir moins de déférence pour le sentiment de la famille, à celle-là qui le ménagerait davantage, sans réciprocité. Enfin il peut n’instituer que cette dernière sorte de caisse de retraites : Avec ce système ; la quotité des pensions différerait assez peu de ce qu’on obtient par la tontine[8]. Cette combinaison moyenne se présente comme une transaction à laquelle la commission aurait dû donner un assentiment explicite, par le motif suivant :

Une commission spéciale de l’assemblée a été chargée de présenter un rapport sur la caisse des retraites. Ce rapport est déposé depuis le 6 octobre. Il a été imprimé et il est dans le domaine public. Il est d’un homme dont la capacité financière est notoire, M. Benoist d’Azy. On y trouve des renseignemens curieux sur l’Angleterre, la Prusse, la Belgique, où la caisse des retraites est en vigueur sur la base de la tontine. L’institution y est disculpée particulièrement du reproche d’égoïsme (pages 16 et 52). Cependant, pour écarter toute objection et mieux assurer le succès de la loi dans le sein de l’assemblée, la commission spéciale a renoncé au principe des tontines, et stipulé que tous les versemens en capital, mais sans intérêt, seraient restitués à la famille. La grande commission de l’assistance et de la prévoyance publiques avait donc sur ce point la besogne toute faite. Il est vrai qu’elle conclut par deux lignes d’approbation de la caisse des retraites ainsi conçue, mais c’est après une suite de raisonnemens qui les condamne fort au long.

La commission de l’assistance et de la prévoyance publiques exprime, même, avec une singulière vivacité, son dissentiment au sujet de la subvention qui, dans le projet du gouvernement, serait accordée à la caisse des retraites. Elle adresse à ce projet, non directement, mais par la méthode meurtrière du tir à ricochet, le mot d’extravagance. Elle aura à se mettre d’accord avec la commission spéciale des caisses de retraites, qui a le bon esprit d’adopter, sauf quelques modifications de détail, l’idée du gouvernement[9]. C’est ici le lieu d’une réflexion qui se présente plus d’une fois à l’esprit quand on lit le rapport de la commission de l’assistance et de la prévoyance publiques : on serait quelquefois tenté de croire qu’elle a oublié la situation politique et sociale dans laquelle nous nous trouvons engagés. Certainement, si nous étions aux États-Unis, où l’aisance est à peu près sans exception, où le travail est abondant et la rétribution large, l’état pourrait complètement se dispenser de toute espèce de coopération en faveur des institutions de prévoyance ; mais nous ne sommes pas aux États-Unis. La misère prend notre société à la gorge, et la sécurité sociale en est compromise. Des passions violentes ont été soulevées, et si aujourd’hui elles nous laissent une trêve, elles peuvent recommencer demain. Quand tout marche régulièrement, quand la prospérité est générale, il serait absurde, extravagant, que l’état s’ingérât dans les institutions de prévoyance pour y jeter l’argent des contribuables ; mais faut-il hésiter, quand on est en présence de souffrances cruelles, quand il s’agit de ramener, par quelques témoignages de bienveillance, des classes entières, quand il est si urgent d’accoutumer le grand nombre à la pratique d’une vertu qui est un des attributs distinctifs de l’homme libre et la sauvegarde de l’ordre social ? Considérez, si vous le voulez, comme des sommes dépensées pour l’éducation publique, ces subventions fort modiques après tout[10] ; qu’y trouverez-vous alors à redire ?

La commission termine son examen par les hospices. Elle serait d’avis que, pour en rendre l’usage moins pénible aux classes pauvres, qui s’en trouvent humiliées, on employât, dans certains cas, les nouvelles ressources dont on disposerait, en secours distribués à domicile, quand il s’agirait de maux temporaires, en petites pensions de plus longue durée, quand les infirmités seraient incurables. Elle pense pourtant qu’à cet égard une solution définitive ne peut être adoptée « avant beaucoup de discussions et d’expériences. » C’est que les soins en cas de maladie, sont plus intelligens à l’hospice que dans la famille du pauvre, où tout art manque, où l’aérage et le chauffage sont imparfaits, et la même somme dépensée dans un établissement commun produit une plus grande étendue de bien.

Je crois avoir maintenant analysé fidèlement et discuté avec toute l’impartialité qui est en mon pouvoir le programme de la commission. Pour le qualifier d’un mot, il est négatif. Des dispositions positives de quelque efficacité, on les y chercherait en vain. Ce qu’elle recommande au sujet des chômages serait de la plus médiocre vertu ; les chapitres sur la colonisation sur les logemens, sur les caisses de secours et sur presque tous les autres sujets pratiqués, sembleraient attester même qu’elle ne s’est pas livrée à une étude approfondie des moyens organiques à faire intervenir. Sa préoccupation principale, exclusive, aura été d’avertir les ouvriers, le public tout entier, de la périlleuse voie où certaines doctrines entraînaient l’opinion. Elle se sera dit : Le plus grand service que nous ayons à rendre à la France est d’écarter ce mauvais vent qui souffle sur le pays. Pour nous abriter contre ce torrent d’innovations malfaisantes, opposons-nous à toute innovation. La négation est ainsi devenue pour elle une idée systématique. Quelqu’un disait après avoir lu ce rapport : « Nous sommes heureux de posséder les hospices, car s’ils n’existaient pas, et qu’on les eût proposés à ce moment, la commission eût trouvé des raisonnemens sans réplique pour démontrer qu’ils sont impossibles. »

Cette situation d’esprit n’est pas politique : Ce n’est pas que l’enseignement ainsi donné au public par la commission ne soit opportun et ne doive rester. La morale de cet enseignement, c’est, en effet, qu’il faut se déshabituer du détestable penchant que nous avons tous à attendre de l’état l’amélioration de notre sort. On a fait de l’état une divinité semblable aux génies des Mille et une Nuits, qui instantanément changeaient la face de toute chose et disposaient d’inépuisables trésors, tandis qu’il n’a aucune ressource qui lui soit propre, et que tout ce qu’il distribue, il le tire de nos bourses, il le prend sur les fruits du travail de la masse des citoyens, qui est pauvre, car, en tant que nation, nous sommes dans une affligeante pauvreté. Le riche est une rare exception, et on ne peut retirer de lui, par l’impôt, qu’une petite fraction des revenus de l’état, à moins de le spolier, ce qui serait nuisible au peuple lui-même, en ce sens que de cette manière on dissiperait le capital qui alimente le travail national et lui donne quelque fécondité au profit de toutes les classes. Il faut donc renoncer aux rêves dont nous avons été bercés, que l’état peut être une providence pour chacun de nous, nous trouver du travail, nous procurer des capitaux, veiller sur chacun de nos pas, assister comme un ange gardien a tout ce que nous faisons, soit comme producteurs, soit comme consommateurs. Ce tuteurs, s’il se mettait à nous accompagner, nous embarrasserait et nous déplairait fort ; car ce serait ce préfet, ce sous-préfet, ce procureur de la république, ce gendarme, que, tous tant qu’ils sont, dans un accès d’insubordination, nous avons pris en haine ou en défiance. Et enfin qu’est-ce que le culte en vertu duquel nous allons demander notre salut à l’état, converti, dans notre imagination, en une idole toute-puissante, sinon la répudiation de la liberté, pour la possession de laquelle notre patrie a fait tant de sacrifices ? Ce n’est pas à l’état, c’est à nous-mêmes qu’il faut que nous nous adressions avant tout. Nous devons être à nous-mêmes notre première providence. Si nous ne pouvions l’être, c’est que nous aurions eu un accès de vanité misérable quand nous cherchâmes à être libres. L’assistance publique a souvent à agir ; mais, si elle devenait envers des individus une habitude de tous les instans, envers quelques classes une loi permanente, au lieu de leur être vraiment utile, elle leur nuirait ; elle leur désapprendrait les vertus qui font la force de l’esprit, la noblesse de l’ame, elle amollirait le nerf de leurs bras, et, dans aucun cas, il ne faut l’ériger en un droit dès qu’il s’agit d’assistance et de bienfaisance, ne prononçons pas le mot de droit ; ainsi qu’on l’a dit dans un des plus beaux discours qui aient été entendus depuis la résolution de février, tenons-nous-en à la formule du devoir. La bienfaisance est un devoir pour le riche, un devoir pour l’état, dans la limite de sa puissance ; mais ce devoir, tout impérieux qu’il est, ne crée pas, pour le pauvre, un droit qu’il puisse revendiquer comme un homme libre réclame son dû. Le sentiment du droit enivre aisément celui qui l’invoque. Du sentiment du devoir, au contraire, naissent les plus belles passions, et c’est lui qui excelle à rapprocher et à unir les hommes[11]. L’assistance, la charité, la fraternité, peu importe le nom, en même temps que c’est l’accomplissement d’un devoir chez le riche, impose au pauvre un devoir réciproque, celui de se rendre digne d’être le concitoyen et l’égal devant la loi, le frère devant Dieu, d’hommes bienfaisans, celui de témoigner, lui aussi, par son affection et sa reconnaissance, qu’il est imbu du sentiment de la charité, et c’est ainsi que chacun concourt au bonheur de tous et sert au bon ordre dans l’état.

Telles sont les idées que la commission, les jugeant ébranlées dans les esprits, a cru à propos de raffermir ; hors de là, en effet, pas de société possible. Les hommes qui parlent ainsi ne sont pas les ennemis du peuple ; les ennemis du peuple ne sont pas ceux qui rappellent au peuple les vrais principes. S’il y avait en France des ennemis systématiques du peuple, ce serait plutôt ceux qui lui promettent l’impossible et qui confondent tous les principes sociaux ; mais ne nous accusons pas les uns les autres d’être les ennemis du peuple : cette polémique envenimée ne fait pas les affaires des classes pauvres. Unissons-nous, concertons-nous sincèrement, loyalement ; c’est ce qui améliorera le sort de ceux qui souffrent et fera les affaires de tous.

Mais, si l’on ne peut, sans une injustice extrême, prétendre que le langage de la commission soit celui d’ennemis du peuple, est-ce à dire que ce soit celui d’hommes d’état ayant conscience de ce que la situation actuelle de la société a de menaçant, et appréciant l’urgence d’une conciliation entre les intérêts sociaux qu’on est parvenu à diviser ? Non. La commission a exposé quelques principes généraux parfaitement sains, et elle en a fait des applications critiques qui, pour la plupart, sont exactes. De la part d’un prédicateur dans sa chaire, ou de philosophes réunis en académie, c’eût été suffisant peut-être : on demande à des hommes politiques des conclusions plus pratiques et plus prochaines. Le prédicateur a rempli sa tâche quand il a déposé dans notre cœur le germe d’un bon sentiraient, le philosophe quand il a éclairé notre raison. L’homme politique, le législateur est tenu à des actes[12] : or, je ne vois point quel acte de quelque portée ressort du travail de la commission ; je n’y lis même rien qui témoigne du penchant à agir. On a fait table rase de différens faux systèmes ; c’est bien : d’autres l’avaient déjà fait d’une manière moins brillante, n’importe, il était bon d’y revenir ; mais quel système a-t-on ? car il en faut un. L’amélioration de son sort que la multitude cherchait de bonne foi dans le droit au travail, dans toutes les impraticables combinaisons des écoles socialistes, la commission me montre clairement qu’elle ne réside ni dans la formule de celui-ci, ni dans le plan de celui-là ; elle ne m’indique point où elle peut être. Elle m’avertit que dans certains parages de l’espace ouvert devant nous il y a un abîme béant : grand merci ! mais n’avez-vous pas une boussole à me donner, pour que je marche vers le but ? La multitude est là, qui grondait en 1848, et jusqu’au 13 juin 1849, qui maintenant est moins agitée, mais dont les passions ne sont qu’endormies. Il faudrait pourtant avoir quelque bonne parole à lui apporter, quelque parole qui dût être suivie d’effet, car tout ce qui sera verba et votes, praetereaque nihil, n’est plus de mise. À la foule de ces hommes qui souffrent, il faut une ferme espérance à laquelle ils puissent se cramponner. Dégoûtée des rêves dont on l’avait bercée, elle sent que les changemens à vue sont impossibles dans la société ; mais, pour être irrévocablement pacifiée, elle a besoin d’un idéal auquel elle puisse croire, non-seulement pour l’autre monde, mais pour celui-ci. Elle se contenterait de voir poindre l’aurore de cet avenir, si elle croyait qu’il luira de plus en plus sur les générations suivantes, sous la condition de s’en montrer de plus en plus dignes. Or, que lui offre-t-on en perspectives ? Rien. Quel idéal lui montre-t-on ? Aucun. Comme si la civilisation française était parvenue à ses colonnes d’Hercule, qu’il n’y eut rien à y changer, rien à ajouter !

La commission de l’assistance et de la prévoyance publiques ne s’est donc point acquittée de sa tâche. Dès que je me place à quelque point de vue autre que celui d’une polémique négative, je n’aperçois plus que des lacunes dans son programme.

D’abord, pour nous en tenir aux institutions de bienfaisance proprement dites, voici une double catégorie d’omissions qu’on peut y signaler 1° pour ce qui est de la bienfaisance publique, elle a trop restreint son examen, elle a négligé des institutions qui auraient exigé une discussion toute particulière. En ce temps-ci, les élucubrations mêmes des théoriciens purs méritent qu’on s’y arrête ; c’est ainsi que la commission a insisté sur le droit au travail, conception qui, grace à Dieu, est restée dans le domaine de la spéculation théorique. À plus forte raison devait-elle examiner ce qui, chez de grandes nations, a été sanctionné par l’expérience : elle s’en est abstenue. 2° Sans doute la commission n’avait pas à entrer dans le détail des manifestations de la bienfaisance privée ; mais il est des cas où celle-ci se combine de la façon la plus heureuse avec la bienfaisance publique, où elle lui communique une vertu extraordinaire, et où, par son concours, elle assure des effets d’une grande portée politique, qu’autrement on ne saurait comment atteindre. La commission n’en pouvait ignorer, d’abord parce que le mot d’ignorance ne saurait, sous aucun prétexte ni sous aucune forme, être appliqué à une réunion d’hommes aussi distingués ; ensuite l’assemblée était officiellement saisie de projets de la compétence directe de la commission, et qui avaient ce caractère : cependant la commission n’en a pas dit un mot.

Ainsi, pour citer quelques exemples de ces deux sortes d’omissions, la commission a complètement passé sous silence la taxe des pauvres, qui, en Angleterre, date du règne d’Élisabeth, et qui, établie en vertu d’une série de lois amendées et recomposées en un corps homogène par l’acte de 1834, semble devoir s’y perpétuer indéfiniment. Le régime actuel de la taxe des pauvres, en Angleterre, a au moins deux avantages : la subsistance est assurée aux populations dans les chômages ordinaires, et il n’y a plus rien qui favorise le penchant à L’oisiveté, parce que l’homme valide, du moment qu’il reçoit du secours, est soumis à une contrainte qui lui pèse et qu’il secoue dès qu’il le peut : c’est d’être enfermé dans la maison de travail (workhouse). Les événemens feront inévitablement revenir la taxe des pauvres dans la discussion publique en France. Il paraît impossible qu’on s’en passe dans tout pays où le système des grandes manufactures s’est développé ; elle est en usage dans l’Union américaine, au sein des états même les plus renommés pour leur civilisation, le Massachusetts, le Connecticut. C’est donc, dans le travail de la commission, une lacune qu’on s’explique difficilement.

Il y avait pourtant une bonne raison pour que la commission ne tînt pas ainsi dans un oubli complet la taxe des pauvres, considérée comme une mesure générale de la bienfaisance publique : c’est que nous avons beau croire ne pas l’avoir, nous la possédons positivement, sous un autre nom, avec une destination spéciale qui ne laisse pas que d’être fort étendue. Ce que les intéressés glorifient et font glorifier sous le titre pompeux et la protection du travail national n’est que la taxe des pauvres, et ne peut même se défendre qu’à ce titre. Je défie que, pour motiver ce système de politique commerciale, on trouve une autre raison que celle-ci : « Dans le cas où l’on supprimerait la protection, les ouvriers de telle et de telle industrie seraient sans emploi, et il faut bien les nourrir. » Dans ce dire, il y a beaucoup d’exagération : je le montrerais, je le crois, si c’était ici le lieu ; admettons-le pourtant comme parfaitement exact. Il n’en sera pas moins vrai que la protection se résout en un impôt, mis sur le consommateur au profit de ces industries, et, du point de vue de l’égalité devant la loi, c’est un système insoutenable, car aucun Français n’a le droit d’imposer à son bénéfice le reste de ses concitoyens, et l’on ne doit d’impôt qu’à l’état ; mais, à titre de charité, et, à ce titre seul, la mesure s’explique et un peut en soutenir la convenance. Quand bien même ce système protecteur ne serait pas une des fermes de la taxe des pauvres, du moment qu’elle est en pleine activité, depuis trois siècles, chez une grande nation, notre proche voisine, et qu’elle y est à demeure ; du moment qu’une autre grande nation, éminemment digne, malgré L’étendue de l’océan qui nous en sépare, de l’attention de nos hommes publics par ses institutions et sa prospérité, se l’est assimilée, la grande commission de l’assistance et de la prévoyance publiques ne pouvait se dispenser de la discuter ; elle ne l’a même pas nommée.

Comme exemple des cas où la bienfaisance privée intervient à côté de la bienfaisance publique, pour rendre des services signalés, revenons aux caisses de secours mutuels, sujet plus complexe qu’il ne le semble au premier abord.

L’absence de représentans plus ou moins nombreux des classes aisées dans les sociétés de secours mutuels a des inconvéniens de bien des genres, une comptabilité mal tenue, une mauvaise administration, parfois même du gaspillage et de la débauche[13], et, ce qui est plus grave encore, les fonds, qui étaient destinés à soulager des malades et à empêcher les enfans de souffrir pendant que le père est éloigné du travail par la maladie, sont détournés de leur destination sacrée pour soutenir des coalitions ; ils l’ont été pour salarier des agens de discorde et solder la guerre civile au sein de nos cités. Le concours de la bourgeoisie dans les sociétés de secours mutuels produirait de grands biens sans mélange de mal. Plus habilement administrées, les caisses auraient toute leur puissance de secours ; leurs ressources recevraient la meilleure destination, la seule légitime. Il serait impossible désormais d’en faire des foyers de discorde ; les agitateurs y seraient contenus ou s’en écarteraient d’eux-mêmes. Le malheur de notre temps, c’est qu’on est parvenu à couper la société en deux camps, entre lesquels un fossé profond est creusé, la bourgeoisie d’un côté, les ouvriers de l’autre. Vainement ces deux intérêts sont, de par la force des choses, solidaires ; on les a mis en état d’hostilité, tantôt flagrante, tantôt dissimulée. Le rapprochement entre ces deux forces si bien faites pour s’entr’aider sera le signe que la révolution est terminée et que nous sommes sauvés. Tout ce qui est de nature à favoriser cet accord doit être accueilli avec empressement et reconnaissance. Or, on concevrait difficilement rien qui y fût plus propre qu’une institution au sein de laquelle le bourgeois et l’ouvrier réunis spontanément, en grand nombre, s’occuperaient, à titre d’associés et de collègues, d’une œuvre de bienfaisance dont profiteraient les classes nécessiteuses en y contribuant elles-mêmes. Il y aurait là de quoi adoucir les cœurs les plus ulcérés et ramener les ames les plus rebelles. Toutes les occasions qu’on pourra faire naître, à propos des caisses de secours ou autrement, de mettre en contact les ouvriers et la bourgeoisie sur ce pied-là, auront les effets les plus salutaires ; ce ne sera pas de la philanthropie creuse, ce sera de la politique grande et féconde.

En m’exprimant sur ce ton d’espérance, ce n’est pas du roman que je fais, je suis les indications de l’histoire. La ville de Nantes possède une institution trop peu imitée, la Société industrielle, qui, parmi ses utiles attributions, comprend une caisse de secours mutuels qu’alimentent des souscriptions d’ouvriers et de bourgeois. En 1834, lorsque Lyon était en pleine rébellion, et que Paris même était le théâtre d’une émeute formidable, une fermentation sourde régnait à Nantes. On montait à ce moment une machine à vapeur destinée à mouvoir une scierie mécanique. Les scieurs de long, se jugeant menacés dans leur gagne-pain, avaient comploté de la briser. Les sociétés secrètes, qui étaient répandues sur tout le territoire de la France, prêtes à souffler le feu des qu’apparaissait une étincelle, les y excitaient. La démonstration, si elle avait eu lieu, eût entraîné vraisemblablement dans Nantes un soulèvement qui, répondant à la levée de boucliers de Lyon et de Paris, aurait pu avoir les plus funestes conséquences ; mais la Société industrielle intervint comme médiatrice. Le président de la caisse de secours, M. Dechaille, convoqua les scieurs de long qui étaient sociétaires. Les scieurs de long, exhortés par cet homme de bien, promirent de rester tranquilles, et, en gens d’honneur qu’ils étaient, ils tinrent parole[14].

L’idée d’utiliser la bienfaisance privée en appelant les personnes des classes aisées à concourir à la formation des caisses de secours mutuels, sert de base à un projet de loi très remarquable, dont le gouvernement a saisi l’assemblée. Les personnes aisées deviendraient membres des sociétés de secours, sous le titre de fondateurs, en fournissant une cotisation au moins double, en échange de laquelle elles auraient le droit de déverser les secours sur des ouvriers qui n’auraient, pu payer eux-mêmes. La bienfaisance publique s’associerait à la bienfaisance privée au moyen de diverses dispositions dont la plus saillante serait la répartition annuelle, entre les sociétés conformes à la loi, d’une somme d’un million à prendre sur les fonds de secours attribués au ministère du commerce. Le président de chacune des sociétés qui voudraient participer au bénéfice de la loi serait nommé par le président de la république. De cette façon, dans chaque ville, des hommes entourés de l’estime de tous, attachés à l’ordre, pénétrés d’un véritable esprit de conciliation, emploieraient leur influence bienfaisante en faveur des sociétés de secours, et la feraient sentir aux sociétés elles-mêmes.

Cette simple idée d’un rapprochement libre et amical, flatteur pour l’ouvrier sans offrir rien dont la dignité des classes aisées pût souffrir, méritait le meilleur accueil. Dans mon humble opinion, si on la mettait seule dans un des plateaux de la balance, en plaçant de l’autre côté le programme tout entier de la commission, son rapport et ses promesses, c’est elle qui l’emporterait. Alors je me demande comment il a pu se faire que la commission, qui en était officiellement saisie, n’ait pas cru devoir y accorder la moindre mention dans son rapport général.

Autre lacune, qui frappe le lecteur attentif : la commission a entièrement laissé de côté une question éminemment pratique et bien intéressante, celle du personnel de la bienfaisance publique. À cette question s’en rattache, par un lien étroit, une autre dont l’importance est aisée à sentir : y aurait-il moyen de faire concorder dans un assez grand nombre de cas, la bienfaisance publique et la bienfaisance privée, en donnant à celle-ci, autant qu’elle y pourrait consentir, une action collective par une certaine organisation du personnel charitable, organisation qui serait sanctionnée par la loi et tirerait de la loi une certaine force ? Cette question a été traitée par un homme généreux, M. Armand de Melun, dans un petit écrit que tout le monde a entre les mains[15]. La bienfaisance privée, quand elle agit collectivement, est non-seulement plus éclairée ; mais encore plus active que lorsque chacun suit son impulsion solitaire ; elle y gagne, donc beaucoup en utilité. Jusqu’à quel point la loi peut-elle intervenir, non précisément pour réglementer cette action collective, mais pour la faciliter ? N’existe-t-il pas des corps qui deviendraient naturellement les centres de cette action collective ? En d’autres termes, convient-il ou ne convient-il pas d’agrandir le rôle qu’ont si naturellement déjà le clergé et les communautés religieuses dans l’œuvre de la bienfaisance, en respectant la liberté de tous ? Je n’ai pas la prétention de résoudre cette question, je l’énonce, on en reconnaît, sur le simple énoncé, la grande portée, et, sans être injuste, on peut reprocher à la commission de ne l’avoir pas abordée.

Il y aurait maintenant à examiner le rapport d’un point de vue tout différent, duquel on domine mieux le sujet. Dans la série des chapitres que nous avons passés en revue, sur les traces de la commission, à chaque pas pour ainsi dire on se heurte contre une pierre d’achoppement, qui est toujours la même : la pauvreté de la société. Multiplier les crèches, les salles d’asile, les maisons d’aveugles et de sourds-muets, serait très bien ; mais il faudrait pour cela augmenter les impôts, et la société française est déjà trop chargée, elle est trop pauvre. La loi sur le travail des enfans est une loi d’humanité, mais ce sont les parens d’abord qui se refusent à s’y conformer ; ils ne sauraient se passer du salaire que leur procure le travail précoce de leurs enfans, ils sont trop pauvres La réouverture des tours, encore une affaire de budget qu’entravera (en supposant que la mesure ait été jugée bonne en soi) la pauvreté publique ; de même l’établissement de colonies pénitentiaires pour les jeunes détenus. Le crédit, dont des novateurs brouillés avec les principes de l’économie sociale voudraient subitement étendre les avantages aux ouvriers par des procédés dénués de bon sens et d’équité, le crédit manque non-seulement aux ouvriers, mais à d’intelligens entrepreneurs d’industrie et aux cultivateurs, par divers motifs, dont le principal est que le capital est rare, ou que la société est pauvre. La modicité des salaires, qui empêche les ouvriers, ou beaucoup d’entre eux, de faire des réserves pour les temps de chômage, est l’effet de plusieurs causes, dont la plus puissante est que la société est pauvre. La colonisation obérerait le trésor et le public par la même raison, la publique pauvreté. Les dépôts de mendicité, quand bien même ils seraient irréprochables aux yeux du moraliste, ne sauraient se multiplier : l’obstacle est toujours le même. Une partie des logemens des ouvriers est d’une saleté hideuse, est fétide et malsaine ; parce que d’une part les entrepreneurs de bâtimens ne trouveraient pas assez de capitaux pour faire la spéculation d’en ériger de nouveaux, et, d’autre part, l’ouvrier reste dans ces bouges, parce qu’il n’a pas le moyen de payer le logement plus salubre qui est tout auprès. Ainsi de suite.

Arrêtons-nous un peu plus sur cette pauvreté collective de la société ; elle est le nœud de la question. C’est le sentiment de cette pauvreté qui aura paralysé la commission et lui aura inspiré l’humeur négative dont son travail est empreint dans toutes ses parties. La commission se sera dit qu’il était impossible de pousser plus avant l’action de la bienfaisance publique, que la société n’en avait pas le moyen. — Il n’est que trop vrai ; mais alors c’était à cette pauvreté collective de la société qu’il fallait s’attaquer. Là est le point stratégique ; il fallait y porter toutes ses forces.

La société est pauvre ; si l’on développe cette proposition, voici ce qu’on y trouve :

Le revenu brut de la société, ce fonds sur lequel elle vit en le régénérant sans cesse par son travail, et qu’elle augmente dans les temps réguliers, quand elle est sobre, sage et bien gouvernée, ce fonds est trop peu considérable, relativement à la population, pour que celle-ci tout entière ait de l’aisance. Une fois que la répartition de ce revend brut a eu lieu conformément aux principes sur lesquels se sont constituées civilement toutes les nations de l’Europe, la charité publique et la charité privée ont beau s’ingénier pour accroître la part des malheureux, cette part reste faible, insuffisante, non-seulement relativement à leur ambition, qui, par instans, sous le souffle des passions révolutionnaires, devient excessive, mais relativement aux vœux de la philanthropie la moins exigeante. Elle reste insuffisante, parce que c’est inévitable du moment que le fonds commun est exigu eu égard au nombre des parties prenantes. Les réformateurs contemporains ont presque tous imaginé qu’il fallait changer le mode de répartition des produits du travail, et leurs innovations ont consisté à proposer des modes de répartition qu’ils supposaient neufs, quoique ce fût quelque peu renouvelé des Grecs. Ces réformateurs se sont trompés : erreur fatale, qui, si l’on s’y laissait aller, nous conduirait à un abîme dont nous avons pu de l’œil mesurer la profondeur, car, après la révolution de février, la société française roula tout au bord. Les principes qui président aujourd’hui à la répartition des produits du travail sont ceux qui conviennent à une société libre ; ils découlent de la liberté même. La société ne peut s’y soustraire qu’en abjurant la liberté, et la prétendue organisation du travail qu’on opposait à ces principes n’eût organisé que la servitude et la misère générale. Ces principes, contre lesquels on a poussé beaucoup de clameurs depuis quelques années et surtout depuis la révolution de février, n’eussent pas cessé d’être entourés de respect, si l’on se fût souvenu que, de même que tous les principes sociaux, ils n’ont pu dire leur dernier mot du premier coup, et qu’ils sont, avec le temps, avec et par le progrès des mœurs, perfectibles dans leurs applications successives ; mais je n’ai pas ici à défendre ces principes : la commission ne les attaque point, elle en a garde ; ce qu’elle sait le mieux, c’est de faire la guerre, à ceux qui les dénigrent. L’amélioration populaire en masse, le bien-être de chaque ouvrier des villes ou des champs en particulier, dépendent de la grandeur de la richesse produite par le travail collectif de la nation et par chacun particulièrement. Le problème est de rendre fécond le travail de tous et de chacun. Une fois ce point obtenu, le reste, c’est-à-dire l’aisance générale et individuelle, ira de soi. S’il est une vérité bien établie aux yeux de ceux qui sont versés dans l’économie sociale, c’est celle-ci : à mesure qu’augmente, proportionnellement au nombre des hommes, la quantité de richesse produite par le travail de la société, la part qui revient à la foule, à l’ouvrier, devient plus grande, non-seulement en quantité absolue, mais relativement. Tout le monde s’en trouve mieux, mais c’est l’ouvrier qui reçoit le supplément le plus gros. Vérité consolante pour l’homme qui souffre ! vérité rassurante pour l’homme qui aime ses semblables, de même que pour l’homme d’état, auquel la misère, apparaît comme une cause de perturbations publiques, et qui cherche la paix de la société dans la conciliation des intérêts ! vérité qui n’est pas seulement démontrée par les raisonnemens et les observations de la science économique, mais qui aujourd’hui ressort comme un cri de la conscience du genre humain par l’esprit du siècle, car elle revient à définir le progrès : un mouvement qui rapproche tous les hommes d’un niveau qui monte sans cesse !

Le problème qui pèse comme un cauchemar sur nous ne peut se résoudre sérieusement que de cette manière : accroître la puissance productive du travail de la société. Hélas ! parmi les hommes, il y aura toujours des malheureux, ceux-ci poursuivis par une fatalité inexorable, ceux-là dépouillés par des accidens politiques ou commerciaux ; le progrès lui-même, l’invention d’une machine plus parfaite ou d’un procédé nouveau, ravira à d’autres leur pain. Il y en aura toujours qu’une incorrigible paresse ou les dérèglemens de leur vie enchaîneront à la misère. Il restera, donc toujours des souffrances sur lesquelles la charité publique et la charité privée auront a répandre leur baume ; mais ; par le développement de la puissance productive du travail, le nombre des malheureux ira en diminuant sans cesse, et ce ne seront plus des classes entières qui sembleront vouées à la privation. Les moyens même que chacun aura de soulager les incurables et les victimes que la civilisation aura broyés sous son char seront beaucoup plus étendus : une société riche a plus de ressources pour la charité qu’une société pauvre.

Parlons la langue du pot au feu, c’est de notre sujet : en ce moment, la société française ne réussit pas à se procurer, par le moyen de son travail (que ce soit directement, ou indirectement à l’aide des échanges avec les autres peuples, ce n’est pas ce qui importe ici), en alimens sains, en vêtemens divers, en matières propres au chauffage et à l’éclairage, en meubles, en livres, en toutes les choses enfin qui répondent aux besoins de l’homme civilisé, une quantité qui soit suffisante pour le bien-être de trente-six millions d’hommes. Voilà ce que veulent dire ces mots : la France est pauvre. Cette insuffisance de la production, cette stérilité relative du travail national est-elle un mal absolu, irrémédiable ? Non, car s’il est vrai que l’on ne puisse signaler sur la terre aucun peuple qui soit parfaitement exempt de la lèpre de la misère, on peut du moins en indiquer quelques-uns chez lesquels la quote-part du commun des hommes est assez grande pour qu’on puisse raisonnablement la qualifier de bien-être. Il en est au moins deux, les habitans de la Grande-Bretagne[16] et les Américains des États-unis. L’infériorité de la France en fait de richesse, par rapport à d’autres peuples aujourd’hui, aurait-elle pour origine que nous soyons une nation subalterne par nos qualités ? Non, personne au monde n’oserait le soutenir, et, si quelqu’un le tentait, quatorze siècles d’histoire et le témoignage du genre humain tout entier protesteraient contre l’assertion et imposeraient silence au téméraire. Alors viendrait-elle de ce que notre territoire soit ingrat ? Non, car de toutes parts on s’accorde à en célébrer la fertilité en même temps que le charme de notre climat. Si la France est pauvre, il faut l’attribuer à des causes qui sont essentiellement artificielles, et à l’influence desquelles nous pouvons nous soustraire graduellement. C’est le moment ou jamais de faire un effort.

La pauvreté relative de la nation française ne peut s’expliquer que parce qu’on y aura été moins heureux qu’ailleurs, depuis un siècle ou deux, dans le choix de la direction à donner aux intérêts de la société ; elle ne peut provenir que de certains caractères imprimés à notre législation, à notre système administratif, à notre politique intérieure et extérieure. Comme des nations puissantes et éclairées ne sont jamais gouvernées malgré elles, il faut bien confesser en toute humilité que nous tous du public, nous devons avoir eu de grands travers d’esprit ou de funestes passions, probablement les deux, qui nous auront troublé la vue. Toutes ces causes auront agi, les unes immédiatement, les autres d’une façon médiate, sur le travail national. C’est ainsi qu’il a été et qu’il est moins fécond que celui des Anglais ou des Américains. Et pourtant ces deux peuples conçoivent pour eux-mêmes un ordre social meilleur, je veux dire plus favorable à l’aisance générale ; ils pensent y atteindre par la modification successive de leurs lois, en rendant celles-ci de plus en plus conformes aux principes qui régissent les peuples libres. Pour les personnes qui scrutent le fond des choses, l’histoire de la civilisation même sous un certain aspect, n’est que le développement successif de la puissance productive du genre humain, c’est-à-dire l’agrandissement graduel de la quantité d’objets répondant aux besoins des hommes qui résulte du travail journalier d’un individu[17]. Ce n’est donc point s’aventurer que d’affirmer qu’il y a lieu d’accomplir chez nous une œuvre législative très vaste et très variée d’où résulterait immanquablement un surcroît de fécondité dans le travail national, et par conséquent la diminution de la misère. Sans doute, avec cette législation devrait aller de pair le progrès des mœurs, quid leges sine moribus, a dit le poète il y a dix-huit siècles. Eh ! qui donc le conteste ? Ce ne sera pas l’œuvre d’un jour ni d’un an ; mais qui donc le prétend ? Mettons-nous promptement et résolûment à l’œuvre, et ne nous en laissons pas distraire : nous n’y serons ainsi que tout juste le temps nécessaire.

Mais ce changement successif et gradué de la législation, en quoi peut-il consister ? Pour l’indiquer avec quelque précision, il aurait fallu faire la biographie de l’homme industrieux, un exposé de sa vie réelle, telle qu’elle se passe chez nous, et mettre en parallèle le tableau correspondant en Angleterre et aux États-Unis. Il y aurait eu à prendre l’homme du moment qu’il entre dans l’atelier ou dans sa profession, du moment même qu’il s’y prépare, et le placer successivement en présence des différentes lois qui peuvent affecter le travail, de la loi politique, de la loi civile, de la loi militaire aussi bien que de la loi commerciale et de la loi administrative. Comme producteur et comme consommateur, il y aurait eu à le placer successivement en présence de l’autorité communale, en présence de l’état, en présence du maître d’école qui façonne son esprit ; il eût fallu surtout lui ménager un tête-à-tête avec le fisc. De cette étude faite simultanément sur les trois pays aurait jailli une vive lumière. Il en serait ressorti que l’homme qui travaille, et par là j’entends le chef d’industrie tout comme l’ouvrier, est beaucoup plus gêné dans l’exercice de ses facultés chez nous que dans la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Le Français industrieux est, par rapport à l’Anglais ou à l’Américain, ce qu’est l’homme qui a une main liée derrière le dos par rapport à celui qui a la libre jouissance de ses deux bras. Comment s’étonner qu’il ait une moindre puissance dans le travail ?

La commission a entièrement, négligé cette partie du sujet dévolu à ses méditations, quoique ce fût la principale : c’est ce qui l’a condamnée à l’impuissance, malgré la réunion de talens et de capacités qu’elle offrait. Les plus habiles gens ne sauraient avancer devant eux, quand ils se sont jetés dans une impasse.

Impuissance ! c’est le mot de la situation, c’est le nom de l’époque. La commission de l’assistance et de la prévoyance. publiques s’est trouvée impuissante, il n’en pouvait être autrement, parce que l’assemblée, dont elle est le reflet, l’est elle-même à un degré dont l’histoire offrirait peu d’exemples. L’assemblée est dans l’impuissance, parce qu’elle est l’image du pays, qui a cessé d’avoir une idée nette et une volonté positive sur quoi que ce soit. Chacun, reployé sur soi, caresse ses petites opinions ou plutôt ses petites vanités. Nous sommes la caricature de l’homme juste d’Horace ; l’univers ébranlé tomberait en éclats, le choc de ses débris ne nous réveillerait pas de nos rêves d’amour-propre. Et voilà pourtant le spectacle dépourvu de noblesse et de sérieux qu’offre en ce moment la société française ! Mais elle changera d’attitude ; elle en changerait, quand bien même il ne lui resterait plus qu’à périr, et je proteste contre cette opinion désespérée. Elle trouverait en elle-même la force de s’appliquer la pensée de César qui disait à son moment suprême : Il faut qu’un empereur meure debout.

  1. La constitution de 1848 s’ouvre (§ 1 du préambule) par l’engagement des pouvoirs publics « d’assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la société, d’augmenter l’aisance de chacun par la réduction graduée des dépenses publiques et des impôts, et de faire parvenir tous les citoyens, sans nouvelle commotion, par l’action successive et constante des institutions et des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité, de bien-être et de lumières. »
    L’article 13 de la constitution est ainsi conçu :
    « La constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie.
    « La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité de rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations volontaires et l’établissement, par l’état, les départemens et les communes, de travaux publics propres à employer des bras inoccupés ; elle fournit l’assistance aux enfans abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources et que leurs familles ne peuvent secourir. »
    Divers membres de phrases épars dans les articles de la constitution et dans le préambule sont dans le même sens. Le tout n’est peut-être pas bien philosophiquement coordonné ni toujours clairement exprimé, mais les événemens et l’état des esprits y donnent un commentaire plus que suffisant.
  2. Le sujet de la colonisation a été traité en détail par M. Wakefield dans un ouvrage intitulé a View of the art of colonization, et par M. Merivale, actuellement sous-secrétaire d’état des colonies, dans un cours d’économie politique fait à l’université d’Oxford, et publié en deux volumes, sous le titre de Lectures on the colonization and colonies.
  3. La proposition est de M. de Melun (du Nord) ; le rapporteur de la commission spéciale est M. de Riancey.
  4. Le recours au conseil d’état est admis pour les cas d’interdit dans le projet de loi.
  5. Cette loi, qui est un modèle, n’a été citée dans les délibérations de l’assemblée sur ce sujet que par un seul orateur ; encre cet orateur proposait-il un amendement contraire à l’esprit de la loi anglaise.
  6. M. Claude Arnoux, ancien élève de l’École Polytechnique.
  7. Page 118, plus loin, page 119, il est dit un égoïste insouciant ; on va jusqu’à dire, page 131, qu’admettre le principe des tontines, c’est passer par-dessus toutes les raisons de moralité et de propriété.
  8. La différence équivaut à peu près à 1 pour 100 dans le taux d’intérêt qui sert à calculer les pensions. C’est comme si on prenait le taux de 4 au lieu de 5. C’est ce qui résulte des calculs exposés (page 51) dans le premier rapport de M. Benoist d’Azy, dont il va être parlé.
  9. Voyez le rapport supplémentaire présenté au nom de la commission des caisses de retraites et de secours, par M. Benoist d’Azy, le 18 février 1850.
  10. Il s’agit d’une somme de 25 francs par souscripteur qui serait acquise seulement aux cent mille premiers, sous la condition d’un versement de 15 fr. au moins par an répété pendant cinq ans : c’est en tout 2,500,000 francs.
  11. Voyez le discours de M. Dufaure, séance du 14 septembre 1848.
  12. Dans le langage polit que des Anglais et des Américains, une loi s’appelle un acte.
  13. Je renvoie sur ce point aux écrits de MM. Degérando, Alban de Villeneuve-Bargemont, etc.
  14. M. Dechaille est mort depuis plusieurs années ; il avait constitué la Société industrielle de Nantes avec M. C. Mellinet et M. Brieugnes, morts tous les deux aussi.
  15. De l’intervention de la Société pour prévenir et soulager la misère.
  16. En disant la Grande-Bretagne, j’exclus l’Irlande.
  17. On trouvera quelques observations sur ce sujet dans la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1848, article intitulé Question des travailleurs.