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Les Rétractations (Augustin)/I

La bibliothèque libre.
Œuvres complètes de Saint Augustin, Texte établi par Poujoulat et RaulxL. Guérin & Cie (p. 307-340).

LES RÉTRACTATIONS





LIVRE PREMIER.

révision des livres écrits avant la promotion à l’épiscopat.


CHAPITRE PREMIER.

CONTRE LES ACADÉMICIENS — TROIS LIVRES.


1. Lors donc que j’eus abandonné tout ce que j’avais acquis ou tout ce que je souhaitais d’acquérir des biens qu’on désire dans ce monde, et que je me fus entièrement voué aux libres loisirs de la vie chrétienne, bien que je ne fusse pas encore baptisé, j’écrivis d’abord contre ou sur les Académiciens. Leurs arguments inspirent à plusieurs le désespoir de la vérité ; ils éloignent le sage de donner son adhésion à aucune réalité, et de considérer quoi que ce soit comme certain et manifeste ; car d’après eux tout est incertitude et obscurité. J’avais été ébranlé par ces arguments et je voulais les détruire en leur opposant des raisons aussi fortes que possible. Par la miséricorde et l’assistance de Dieu, j’y parvins.

2. Mais dans ces trois livres, je regrette d’avoir si souvent nommé la Fortune[1] ; non pas sans doute que j’aie voulu par ce nom entendre quelque divinité, mais seulement le cours fortuit des événements se manifestant dans les biens et les maux, soit au dedans, soit au dehors de nous. De là en effet viennent ces mots : «par hasard, peut-être, accidentellement, d’aventure, fortuitement ; » mots dont nulle religion ne défend de se servir, mais qui tous doivent se rapporter à la Providence divine. Je ne m’en suis pas tu, du reste, puisque j’ai dit :

« Peut-être ce que nous appelons vulgairement la fortune est-il le gouvernement d’un ordre caché, et ce que nous nommons le hasard n’est-il autre chose que l’effet d’une cause secrète et d’une raison inconnue. » Je l’ai dit ; et pourtant je me repens d’avoir employé là le mot de fortune, quand je vois des hommes assujettis à la fâcheuse habitude de dire au lieu de : « Dieu l’a voulu, » « la fortune l’a voulu. » En cet autre passage : « Il a été établi soit par nos mérites, soit par une nécessité de nature, qu’une âme de création divine, mais attachée aux choses mortelles, ne pourrait jamais arriver au port de la philosophie[2] ; » je devais ou ne rien dire de l’une et de l’autre de ces deux alternatives, parce que sans cela le sens pouvait être complet ; ou bien me borner à dire : « par nos mérites, » ce qui est vrai de la misère qu’Adam nous a léguée ; et il ne fallait pas ajouter : « soit par une nécessité de nature, » puisque cette dure nécessité de notre nature vient à bon droit de l’iniquité antérieure et originelle. De même aussi dans cette phrase : « Il ne faut rendre aucun culte, il faut au contraire renoncer absolument à tout ce qui se voit par les regards mortels, à tout ce qui s’atteint par les sens[3], » j’aurais dû ajouter : « tout ce qui s’atteint par les sens de ce corps mortel ; » car il y a aussi un sens intérieur et spirituel. Mais je parlais alors à la manière de ceux qui n’appliquent le mot sens qu’au corps et qui ne jugent sensibles que les choses corporelles. Aussi partout où je me suis exprimé ainsi, l’équivoque n’a pas été assez évitée, excepté pour ceux qui sont habitués à cette locution. Ailleurs j’ai dit : « Ne pensez-vous pas que vivre heureusement, ce n’est rien autre que de vivre selon ce qu’il y a de meilleur dans l’homme ? » Et voulant expliquer ces paroles : « ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, » j’ai ajouté un peu plus loin : « Qui pourrait douter qu’il n’y a rien de meilleur dans l’homme que cette partie de son âme à la domination de laquelle il convient que tout ce qui est dans l’homme obéisse ? Or, cette partie, afin que vous n’en demandiez pas une autre définition, c’est l’esprit, la raison[4]. » Cela est vrai, car de tout ce qui appartient à la nature humaine, rien n’est meilleur en elle que la raison et l’esprit. Mais quiconque veut vivre heureusement, ne doit pas vivre seulement selon la raison ; car il vivrait selon l’homme, tandis que, pour pouvoir atteindre à la béatitude, c’est selon Dieu qu’il doit vivre. Pour arriver à cette béatitude, notre âme ne se doit pas contenter d’elle-même, elle se doit soumettre à Dieu. Répondant ensuite à mon interlocuteur, je lui disais : « Vous ne vous trompez pas absolument ici ; que ce soit d’un heureux présage pour la suite, je vous le souhaite volontiers[5]. » Quoique je me sois servi de ce terme, non pas sérieusement, mais en jouant, je ne voudrais pas en user. Car je ne sache pas avoir lu le mot de présage (omen) dans nos saintes Écritures[6] ni dans les œuvres d’aucun auteur ecclésiastique ; cependant c’est de là que vient le mot d’abomination qui se rencontre souvent dans les saintes Lettres.

3. Au second livre, c’est une fable ridicule et extravagante que celle de la philocalie et de la philosophie qui sont sœurs et nées d’un même père[7]. En effet, ou ce qu’on nomme philocalie ne s’entend que de pures bagatelles ; elle n’est, dès lors, en aucune façon sœur de la philosophie ; ou bien si ce mot a quelque valeur parce qu’il signifie traduit en latin « l’amour du beau, » et qu’il y a une vraie et suprême beauté dans la sagesse, la philocalie et la philosophie ne sont dans la sphère incorporelle et supérieure qu’une seule et même chose ; elles ne peuvent donc aucunement être deux sœurs.

Ailleurs, en traitant de l’âme, j’ai avancé « qu’elle doit retourner plus sûrement dans le ciel[8]. » Plus sûrement aussi aurais-je dû dire qu’elle doit aller plutôt que retourner ; et cela à cause de ceux qui pensent que les âmes humaines tombées on chassées du ciel par suite de leurs péchés, sont précipitées dans ces corps[9]. Mais je n’ai pas hésité à dire au ciel, comme si j’eusse dit à Dieu qui en est l’auteur et le créateur ; de même que saint Cyprien n’a pas balancé à écrire : « Notre corps étant de la terre et notre âme venant du ciel, nous sommes nous-mêmes terre et ciel[10]. » Aussi est-il écrit dans l’Ecclésiaste : « L’esprit retourne à Dieu qui l’a donné[11]. » Ce qui se doit entendre sans déroger à la parole de l’Apôtre : « Ceux qui ne sont pas encore nés n’ont rien « fait de bien ni de mal[12]. » Donc il ne peut y avoir de doute : Dieu lui-même est une certaine région originelle de la béatitude de l’âme ; Dieu qui l’a, non pas engendrée de lui-même, mais formée de rien comme il a formé le corps de terre. Quant à ce qui regarde l’origine de l’âme et la manière dont elle se trouve dans le corps, vient-elle de celui qui le premier a été créé et fait âme vivante ; en est-il créé une pour chaque homme ? Je l’ignorais alors et je ne le sais point encore aujourd’hui.

4. Dans le troisième livre j’ai dit : « Si vous me demandez mon sentiment, je crois que le souverain bien de l’homme est dans la raison[13].» J’aurais dit avec plus de vérité en Dieu. C’est de Dieu en effet que pour être heureuse la raison doit jouir comme de son souverain bien. Il me déplaît aussi d’avoir écrit : « On peut jurer par tout ce qui est divin[14]. » De même quand j’ai dit des Académiciens qu’ils « connaissaient la vérité et qu’ils donnaient à ce qui lui ressemble le nom de vraisemblance, » et que j’ai taxé de fausse cette vraisemblance à laquelle ils croyaient, j’ai eu tort et pour deux motifs : d’abord parce qu’il n’est pas exact que ce qui a quelque ressemblance avec le vrai soit faux, puisque c’est une vérité dans son genre ; ensuite parce que je leur attribuais de croire à ces faussetés qu’ils nommaient vraisemblances, tandis qu’ils n’y croyaient pas et qu’ils affirmaient au contraire que le sage n’y peut adhérer. Mais comme ils appelaient ces mêmes vraisemblances probabilités, c’est ce qui m’a fait m’exprimer de la sorte. J’ai loué aussi Platon et les Platoniciens ou les philosophes de l’Académie[15], et je les ai exaltés plus que ne doivent l’être des impies ; je m’en repens à bon droit ; surtout, quand je songe que c’est contre leurs profondes erreurs qu’il faut partout défendre la doctrine chrétienne. Quand également, en comparaison des arguments de Cicéron dans ses livres académiques, j’ai nommé bagatelles[16] ces raisonnements invincibles que j’ai opposés aux siens ; quoique j’aie dit cela en jouant et par manière d’ironie, j’ai eu tort, je ne le devais pas dire.

Cet ouvrage commence par : « Plût à Dieu, Romanien, qu’un homme. »


CHAPITRE II.

DE LA VIE BIENHEUREUSE. — UN LIVRE.

Ce livre de la Vie Bienheureuse, je l’ai composé, non pas après, mais entre mes livres contre les Académiciens. Le jour de ma naissance en fut l’occasion, et il fut achevé en trois jours de discussion, ainsi qu’il l’indique lui-même. Il établit que nous tous, qui nous livrions à cette recherche, nous tombâmes d’accord, que la vie bienheureuse ne peut consister que dans la parfaite connaissance de Dieu. J’ai regret d’avoir accordé plus que je n’aurais dû, à Manlius Théodore, homme d’ailleurs savant et chrétien, à qui j’ai dédié ce livre[17]. Je suis peiné aussi de m’être souvent servi du mot de « Fortune ; » comme également d’avoir dit que durant cette vie, la béatitude n’habite que dans la raison du sage[18], quel que fût l’état de son corps ; tandis que la parfaite connaissance de Dieu, c’est-à-dire la plus grande que puisse posséder l’homme, ne se peut espérer, au témoignage de l’Apôtre, que dans la vie future. C’est cette vie future qui seule doit être appelée bienheureuse, parce que le corps, devenu incorruptible et immortel, sera alors soumis à l’âme sans aucune souffrance et sans aucune résistance. J’ai trouvé dans mon manuscrit ce livre interrompu et fort écourté ; il avait été ainsi transcrit par quelques-uns de nos frères, et depuis que j’ai entrepris la révision actuelle, je n’ai pu encore en recouvrer un texte intégral qui pût me servir à faire des corrections. Ce livre commence ainsi : « Si la volonté même vous conduisait au port de la philosophie. »


CHAPITRE III.

DE L’ORDRE. — DEUX LIVRES.

1. À cette même époque, et entre les livres sur les Académiciens, j’en écrivis deux sur l’Ordre, où je traite cette grande question Si l’ordre de la divine Providence contient tous les biens et les maux. Mais comme je remarquai que cette matière, si difficile à comprendre, ne pouvait, qu’avec assez de peine, parvenir par la discussion jusqu’à l’intelligence de mes interlocuteurs, je préférai les entretenir de l’ordre à observer dans leurs études et au moyen duquel on peut s’élever des choses corporelles aux incorporelles.

2. Mais il me déplaît dans ces livres d’avoir prononcé souvent encore le mot de « Fortune[19]. » Je regrette aussi de n’avoir pas ajouté « du corps », quand j’ai nommé les sens[20] comme également d’avoir beaucoup attribué aux sciences libérales[21], qu’ignorent beaucoup de saints et que plusieurs connaissent sans être des saints. Je suis fâché d’avoir parlé des Muses, même en plaisantant, comme de déesses[22] ; d’avoir appelé « l’admiration » un défaut[23], et d’avoir dit de philosophes sans piété véritable, qu’ils avaient brillé de l’éclat de la vertu. De même j’ai, non pas sur la foi de Platon ou des Platoniciens, mais de moi-même, admis deux mondes, l’un sensible, l’autre intelligible, allant même jusqu’à supposer que Notre-Seigneur l’avait voulu enseigner, parce qu’il n’a pas dit : « Mon royaume n’est point du monde » mais « mon royaume n’est point de ce monde[24]. » Il y a bien cependant quelque locution qui peut s’entendre ainsi ; et si le Seigneur Jésus a eu en vue un autre monde, ce monde-là doit plus convenablement s’entendre de celui où il y aura une « nouvelle terre » et « de nouveaux cieux » alors que cette prière sera accomplie : « Que votre règne arrive[25] » Aussi Platon ne s’est-il pas trompé en ce qu’il a dit qu’il y a un monde intelligible ; si toutefois nous avons soin de faire attention à la chose même et non à un mot qui, sur cette matière, n’est pas dans les habitudes de l’Église. Il a appelé monde intelligible cette raison éternelle et immuable par laquelle Dieu a fait le monde. Si on niait cette raison, il faudrait admettre que Dieu a fait ce qu’il a fait sans raison, ou bien que, pendant qu’il le faisait ou avant qu’il le fit, il ne savait pas ce qu’il faisait ; ce qui serait arrivé s’il n’y avait pas eu en lui la raison de le faire. Que si au contraire cette raison était en lui, ce dont on ne saurait douter, c’est elle que Platon paraît avoir voulu désigner sous le nom de monde intelligible. Toutefois, si nous eussions été assez avancé déjà dans les sciences ecclésiastiques, nous ne nous fussions pas servi de ce terme.

3. Il me déplaît aussi qu’après avoir dit : « Le plus grand soin doit être apporté aux bonnes mœurs, » j’aie ajouté bientôt après : « Car autrement notre Dieu ne pourrait nous exaucer : tandis que ceux qui vivent bien, il les exaucera très-facilement[26] » On pourrait inférer de ces paroles que Dieu n’exauce pas les pécheurs. Quelqu’un a dit cela dans l’Évangile, mais il ne connaissait pas encore le Christ, qui déjà lui avait ouvert les yeux du corps[27]. Je suis au regret d’avoir donné tant de louanges au philosophe Pythagore[28]. Celui qui les écouterait ou les lirait, pourrait penser que je crois qu’il n’y a point d’erreurs dans la doctrine pythagoricienne, au lieu qu’il y en a de nombreuses et de capitales.

Cet ouvrage commence ainsi : « L’ordre des choses, mon cher Zénobe. »


CHAPITRE IV.

LES DEUX LIVRES DES SOLILOQUES.


1. En même temps j’écrivis, sous l’inspiration de mon zèle et de mon amour, deux livres pour chercher la vérité sur des choses que je désirais surtout connaître, m’interrogeant et me répondant, comme si nous étions deux, la raison et moi, quoique je fusse seul. C’est pour cela que j’ai nommé ce traité Soliloques ; mais il est resté imparfait ; et cependant le premier livre recherche et montre ce que doit être celui qui veut posséder la sagesse, cette sagesse qu’on perçoit non pas par les sens, mais par l’intelligence : et à la fin de ce même livre il est établi par une certaine argumentation que ce qui est vrai est immortel. Dans le second, il est longtemps question de l’immortalité de l’âme, mais la discussion n’est pas menée complètement à fin.

2. Dans ces livres, je n’approuve pas ce que j’ai dit dans une prière : « Dieu qui n’avez voulu faire savoir la vérité qu’aux cœurs purs[29] ». Car on peut répondre que beaucoup de gens qui n’ont pas le cœur pur savent beaucoup de vérités ; et je ne définis pas ici quel est le genre de vérité que les cœurs purs peuvent seuls connaître ; je ne définis pas non plus ce que c’est que savoir. De même pour ce passage : « Dieu, dont le royaume est tout le monde qu’ignorent les sens[30] ; » il fallait ajouter, s’il est question de Dieu : « Vous qu’ignorent les sens d’un corps mortel.» Et s’il est question du monde que les sens ignorent, c’est-à-dire du monde futur formé d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle, il fallait y ajouter aussi : les sens d’un corps mortel. Mais je me servais encore de cette manière de parler qui attache au mot de « sens » la signification de sens corporels. Aussi n’ai-je pas à revenir sans cesse sur les remarques que j’ai faites plus haut à ce sujet[31] ; on voudra bien s’y reporter chaque fois que pareille locution se présentera dans mes ouvrages.

3. Quand j’ai dit du Père et du Fils : « Celui qui engendre et celui qu’il engendre est un[32] ; »je devais dire sont un, comme la divine Vérité le dit elle-même : « Mon Père et moi nous sommes un[33]. » Il me déplaît aussi d’avoir dit que dans cette vie l’âme, en con naissant Dieu, est déjà bienheureuse, à moins que ce ne soit en espérance. De même, ce passage est mal sonnant : « Il n’y a pas qu’une seule voie qui mène à la sagesse[34]. » Car il ne peut y avoir d’autre voie que le Christ qui a dit : « Je suis la voie[35]. » J’aurais dû éviter d’offenser ici les oreilles religieuses ; quoique pourtant autre soit cette voie universelle, autres les voies

que chante le Psalmiste : « Faites-moi connaître vos voies, Seigneur, et enseignez-moi vos sentiers[36]. » Ensuite lorsque j’ai écrit : « Il faut absolument fuir ces choses[37], » je devais prendre garde de paraître incliner vers la fausse maxime de Porphyre qui affirme qu’il faut fuir tout ce qui est corps. Il est vrai, je n’ai pas dit « toutes les choses sensibles : j’ai dit « ces choses, » c’est-à-dire les choses corruptibles. Mais il valait mieux dire : De telles choses sensibles n’existeront pas dans les nouveaux cieux et la nouvelle terre du siècle futur.

4. En un autre endroit j’ai dit encore : « Les savants formés aux connaissances libérales, les tirent certainement d’eux-mêmes par l’étude, comme si elles y étaient ensevelies dans l’oubli, et ils les en déterrent en quelque sorte[38]. » Je blâme cette phrase ; il est en effet plus croyable que si des esprits qu’on interroge bien font une réponse vraie sur certaines matières qu’ils n’ont pas étudiées ; cela vient de ce que la lumière de la raison éternelle dans laquelle ils voient ces vérités immuables, leur est présente autant qu’ils peuvent la recevoir, et non pas de ce qu’ils les avaient connues autrefois et qu’ils les ont oubliées, comme le pensent Platon et quelques autres. C’est une opinion que j’ai combattue autant que l’occasion m’en a été offerte dans le 12e livre de la Trinité[39]. Cet écrit commence ainsi : « Je roulais en moi-même beaucoup de sujets différents. »


CHAPITRE V.

de l’immortalité de l’âme. — un livre.


1. Après les livres des Soliloques, étant revenu de la campagne à Milan, j’écrivis le livre de l’Immortalité de l’Âme, dont j’avais voulu faire comme une sorte de mémorial pour terminer les Soliloques que j’avais laissés inachevés. Je ne sais de quelle manière il tomba malgré moi entre les mains du public et se trouva compris dans mes opuscules. Il est si obscur par la complication et la brièveté de ses raisonnements, qu’il fatigue à la lecture même mon attention et qu’à peine m’est-il intelligible.

2. De plus, n’ayant en vue que les âmes des hommes, j’ai dit en un passage de ce livre « Il ne peut y avoir aucune connaissance dans celui qui n’a rien appris. » J’ai ajouté ailleurs : « La science n’embrasse que ce qui appartient à quelque connaissance[40]. » Il ne m’est pas venu à l’esprit que Dieu n’acquiert aucune connaissance, et qu’il a cependant la science de toutes choses, et dans cette science la prescience de l’avenir. De même en est-il pour ce qui est écrit : « Il n’y a de vie avec la raison que la vie de l’âme[41] ; » en effet, la vie en Dieu n’est pas sans la raison, puisque en lui est la vie souveraine et la souveraine raison. Et aussi ce que j’ai avancé plus haut : « Ce qui se comprend est toujours de la même manière[42] ; » puisque l’on comprend l’âme et qu’elle n’est pas toujours de la même manière. Mais ce que j’ai dit : « L’âme ne se peut séparer « de la raison éternelle, parce qu’elle ne lui est pas unie localement[43], » certes je ne l’aurais pas dit si j’eusse été alors assez instruit dans les Lettres sacrées pour me rappeler qu’il est écrit : « Vos péchés font une séparation entre « Dieu et vous[44] ». D’où il est donné à comprendre que l’on peut appliquer l’idée de séparation à des choses qui n’ont pas été unies par les lieux, mais incorporellement.

3. Qu’ai-je voulu signifier par ceci : « L’âme, si elle manque de corps, n’est pas dans ce monde[45] ? » Je ne saurais me le rappeler. En effet, est-ce que les âmes des morts ne manquent pas de corps, ou ne sont pas dans ce monde ? Comme si les enfers n’étaient pas dans ce monde. Mais puisque j’ai regardé la privation du corps comme un bien, j’ai probablement voulu entendre sous le nom de corps les maux corporels. Que s’il en est ainsi, je me suis servi d’une expression trop inusitée. C’est aussi avec témérité que j’ai dit : « La souveraine essence donne au corps par le moyen de l’âme une forme par laquelle il est, tout autant qu’il est. Donc le corps subsiste par l’âme et il tient son être de cela même qui l’anime, soit universellement comme le monde, soit particulièrement comme tout animal dans le monde[46]. » Tout cela est très téméraire. Ce livre commence par ces mots : « Si la science existe quelque part. »


CHAPITRE VI.

livres des arts libéraux.


Vers le même temps, lorsque j’étais à Milan, me disposant à recevoir le baptême, je tentai aussi d’écrire les Livres des arts libéraux, interrogeant ceux qui étaient avec moi et qui n’éprouvaient pas d’éloignement pour des études de ce genre. Mon désir était de conduire ou de parvenir, comme à pas sûrs, aux choses incorporelles par les choses corporelles. Mais je ne pus achever que le livre de la Grammaire, qui fut ensuite perdu de ma bibliothèque, et six volumes sur la Musique, considérée dans ce qui a rapport avec ce qu’on nomme le Rhythme. Ces six livres, je les achevai après mon baptême, et étant en Afrique de retour d’Italie ; je n’avais fait que les commencer à Milan. Des cinq autres arts que j’avais également abordés, c’est-à-dire la Dialectique, la Rhétorique, la Géométrie, l’Arithmétique et la Philosophie, j’avais seulement posé les principes et nous les avons également perdus ; mais je pense qu’ils sont entre les mains de quelqu’un.


CHAPITRE VII.

des mœurs de l’église catholique et des mœurs des manichéens. — deux livres.


1. J’étais baptisé, je me trouvais à Rome et je ne pouvais tolérer la jactance des Manichéens qui se vantent de la fausse et fallacieuse continence ou abstinence pour laquelle, afin de tromper les ignorants, ils se préfèrent aux vrais chrétiens, avec qui ils ne sont pas dignes d’être comparés. J’écrivis donc deux livres, l’un sur les Mœurs de l’Église catholique, l’autre sur les Mœurs des Manichéens.

2. Dans celui qui traite des mœurs de l’Église catholique, j’ai apporté un témoignage où on lit : « À cause de vous, nous sommes frappés tout le jour ; on nous regarde comme des brebis de tuerie[47]. » J’ai été trompé par une faute de mon exemplaire, et je ne me souvenais pas assez des Écritures, avec lesquelles je n’étais pas encore familier. Les autres exemplaires ne portent pas : « à cause de vous, nous sommes frappés tout le jour ; » mais « nous sommes frappés de mort » ou, comme disent d’autres, « nous sommes mis à mort. » Ce sens est indiqué comme le plus vrai par les versions grecques, et c’est de cette langue, d’après la traduction des Septante, que les anciennes Écritures divines ont été transportées en latin. Cependant, je me suis beaucoup appuyé sur ce texte dans ma discussion[48], et je ne réprouve nullement comme faux ce que j’ai dit sur le fond des choses. Seulement, je n’ai pas démontré suffisamment par ces paroles la concordance que je désirais établir entre l’Ancien et le Nouveau Testament. D’où est venue mon erreur, je l’ai dit ; d’ailleurs, j’ai démontré cette concordance par beaucoup d’autres témoignages[49].

3. Semblablement, et presqu’aussitôt après, j’ai invoqué un passage du livre de la Sagesse, d’après mon exemplaire, où on lisait : « La sagesse enseigne la sobriété, la justice et la vertu[50]. » De cette citation j’ai déduit des choses très-vraies, mais à l’occasion d’une faute de copie[51]. Quoi de plus vrai en effet que de soutenir que la sagesse enseigne la vérité de la contemplation, que je supposais signifiée par le nom de sobriété ; et la probité des actes, que je croyais figurée par les deux autres mots justice et vertu ? Or, les manuscrits les plus authentiques de la même version disent : « Elle enseigne la sobriété et la sagesse, la justice et la vertu. » Le traducteur latin a nommé ici les quatre vertus qui sont le plus souvent dans la bouche des philosophes ; appelant sobriété la tempérance, donnant à la prudence le titre de sagesse, énonçant la force par le mot de vertu, et réservant à la justice seule son propre nom. Mais beaucoup plus tard nous avons trouvé dans les exemplaires grecs que ces quatre vertus portent, dans le livre de la Sagesse, les mêmes noms que leur donnent les Grecs. Ce que j’ai emprunté au livre de Salomon : « Vanité des vaniteux, dit l’Ecclésiaste[52], » je l’ai lu dans plusieurs textes, mais le grec ne l’a pas. Il dit : « Vanité des vanités. » Je ne l’ai vu qu’après. Je me suis assuré que le latin était plus exact, en disant des vanités plutôt que des vaniteux. Toutefois les déductions que j’ai tirées de ce texte fautif sont parfaitement légitimes, comme on peut s’en assurer[53].

4. Quant à ce que j’ai dit : « Celui-là même que nous voulons connaître, c’est-à-dire Dieu, commençons par l’aimer d’un entier amour[54] ; » il aurait mieux valu employer le mot sincère, que le mot entier ; car il ne faudrait pas que l’on pût supposer que l’amour de Dieu ne pourra pas être plus grand lorsque nous le verrons face à face. Que l’on veuille donc bien accepter cette expression en ce sens que l’entier amour soit le plus grand que nous puissions espérer, tant que nous marchons dans la foi ; il sera en effet plus complet, il sera absolument complet, mais par la claire vue. De même en parlant de ceux qui secourent les pauvres, ce que j’ai écrit : « Ils sont appelés miséricordieux quand même ils seraient assez sages pour n’être plus troublés par aucune souffrance d’esprit[55], » ne se doit point prendre comme si j’avais prétendu qu’il y a dans cette vie de tels sages ; je n’ai pas dit : « parce qu’ils sont » mais « quand même ils seraient. »

5. En un autre endroit, je me suis exprimé ainsi[56] : « Mais lorsque cette charité fraternelle il aura nourri l’âme attachée à votre sein et l’aura fortifiée jusqu’à la rendre capable de suivre Dieu ; aussitôt que sa majesté aura commencé à se dévoiler à l’homme autant qu’il lui suffit pendant son séjour sur cette terre, l’ardeur de la charité s’allume tellement, et c’est un tel incendie d’amour divin, que tous les vices sont consumés, l’homme purifié et sanctifié, et que la divinité de cette parole sacrée : Je suis un feu dévorant[57], se manifeste avec éclat. » Les Pélagiens pourraient penser que j’ai affirmé la possibilité d’une telle perfection dans la vie mortelle : qu’ils ne se l’imaginent point. Cette ardeur d’amour capable de monter à la suite de Dieu, et de consumer tous les vices, peut naître et grandir en cette vie ; mais quant à achever ce pourquoi elle naît, et délivrer l’homme de tout vice, elle ne le peut. Cependant une aussi grande merveille s’accomplit par cette même ardeur d’amour, quand elle peut l’être et là où elle le peut, ainsi : comme le baptême de la régénération purifie de la culpabilité de tous les péchés qu’entraîne la tache originelle ou qu’a contractée l’iniquité humaine ; de la même manière cette perfection purifie de toute la souillure des penchants mauvais dont l’infirmité humaine ne peut être exempte en cette vie. C’est dans ce sens, en effet, que doit être comprise cette parole de l’Apôtre : « Le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle ; la purifiant dans le baptême de l’eau par la parole, afin qu’elle parût devant lui une Église glorieuse, sans tache, sans rides, sans quoi que ce fût de ce genre[58]. » Car ici-bas est le baptême de l’eau par la parole, au moyen duquel l’Église est purifiée. Or, quand l’Église entière dit ici-bas : « Remettez-nous nos offenses[59], » elle n’est pas sans tache, sans ride, sans défaut de ce genre ; et cependant c’est de ce qu’elle reçoit ici-bas qu’elle s’élève à la perfection, à cette gloire qui n’est pas d’ici-bas.

6. Dans l’autre livre qui a pour titre : Des Mœurs des Manichéens, ce que j’ai avancé en ces termes : « La bonté de Dieu dispose tellement toutes les défections qu’elles sont là où elles doivent être le plus convenablement, jusqu’à ce que par un mouvement ordonné elles reviennent au point d’où elles s’étaient éloignées[60], » ne doit pas être pris comme si toutes ces choses revenaient au point d’où elles se sont écartées, ainsi que le croyait Origène ; mais seulement les choses qui sont sujettes à retour. Ainsi ceux qui sont punis du feu éternel ne reviennent pas à Dieu, qu’ils ont abandonné. C’est cependant la loi de toutes les défections de demeurer là où elles doivent être le plus convenablement ; aussi ces damnés qui ne reviennent pas demeurent plus convenablement dans le supplice. Ailleurs j’ai dit : « Presque personne ne doute que les scarabées ne vivent de leurs excréments cachés et mis en boules[61] ; » mais beaucoup de gens en doutent, et il en est même qui n’en ont jamais entendu parler. Cet ouvrage commence par ces mots : « Nous avons assez fait, je pense, dans nos autres livres… »


CHAPITRE VIII.

de la grandeur de l’âme.


1. C’est dans la même ville, à Rome, que j’ai écrit un dialogue où sont traitées diverses questions relatives à l’âme, à savoir : d’où elle est, ce qu’elle est, quelle est sa grandeur, pourquoi elle a été donnée au corps, ce qu’elle devient quand elle s’unit au corps, et quand elle s’en sépare. Mais ce que nous avons discuté avec le plus de soin et d’application, c’est sa grandeur ; désirant démontrer, si nous le pouvions, qu’elle n’est pas grande à la manière du corps, et que cependant elle est quelque chose de grand. Aussi cette étude a donné son nom à tout le livre qui a été appelé : De la Grandeur de l’Âme.

2. Lorsque j’ai dit dans ce livre : « L’âme me paraît avoir apporté avec elle tous les arts ; et ce qu’on nomme apprendre ne me semble pas autre chose que se rappeler et se souvenir[62] ; » il ne faut pas induire, de cette parole, que je suppose que l’âme ait vécu pendant un temps, soit ici-bas, dans un autre corps, soit ailleurs, dans un corps ou sans corps, ni qu’elle ait appris antérieurement dans une autre vie les connaissances sur lesquelles elle répond quand on l’interroge et sur lesquelles elle n’a pas encore été instruite ici-bas. Il se peut faire, en effet, comme nous l’avons remarqué dans le présent ouvrage[63], qu’elle en soit capable parce qu’elle est une nature intellectuelle, en relation non-seulement avec les choses intellectuelles, mais avec les immuables, et ainsi ordonnée que, lorsqu’elle se tourne vers les objets avec lesquels elle est en rapport ou vers elle-même, elle puisse, autant qu’elle les voit, donner à leur sujet des réponses véritables. Sans doute elle n’a pas apporté avec elle et ne connaît pas tous les arts de cette manière ; en effet, elle ne saurait, sans avoir été enseignée, parler des arts qui se rapportent aux sens corporels, comme presque toute la médecine, comme toute l’astronomie. Mais sur ce que l’intelligence seule suffit à comprendre, ainsi que je l’ai dit, elle peut, quand elle s’interroge ou qu’on l’interroge bien et quand elle réfléchit, répondre justement.

3. Ailleurs : « Je voudrais, ai-je dit, faire ici bien des additions, et me contraindre, tandis que je vous enseigne, à ne rien faire autre chose que de me rendre à moi-même, à qui je me dois surtout. » J’aurais dû plutôt dire : « Me rendre à Dieu, à qui surtout je me dois. » Mais comme l’homme doit d’abord se rendre à lui-même, afin que partant de soi comme d’un degré il s’élève jusqu’à Dieu, à l’exemple de l’enfant prodigue, qui commença à revenir à soi avant de dire : « Je me lèverai et j’irai à mon père[64] » voilà pourquoi je me suis exprimé de la sorte. Peu après, du reste, j’ai ajouté : « Puissé-je devenir aussi l’ami et l’esclave de Dieu[65] ! » Ces mots : « à qui je me dois surtout, » je les entendais donc par rapport aux hommes ; en effet, je me dois beaucoup plus à moi qu’aux autres hommes, quoique je me doive à Dieu plus qu’à moi-même. Ce livre commence ainsi : « Puisque je vous vois des loisirs surabondants. »


CHAPITRE IX.

du libre arbitre. — trois livres.


1. Pendant que nous résidions encore à Rome, nous voulûmes discuter la question de l’origine du mal. Nous désirions dans ces conférences, s’il était possible et autant qu’il serait possible avec l’aide de Dieu, rendre à notre intelligence un compte exact et réfléchi de ce que nous en croyions déjà par notre soumission à l’autorité divine. Et comme après avoir profondément débattu la question, il demeura constant pour nous que le mal ne provenait que du libre arbitre de la volonté, les trois livres qui furent le produit de ce débat s’intitulèrent du Libre Arbitre. C’est en Afrique, et étant déjà ordonné prêtre à Hippone, que j’ai terminé le second et le troisième comme je l’ai pu alors.

2. Parmi les nombreux sujets que traitent ces livres, plusieurs questions incidentes, que je ne pouvais résoudre ou qui auraient demandé alors de plus longs développements, sont renvoyées : toutefois de chaque côté et sur tous les points de ces questions où l’on ne découvrait pas ce qui était le plus en harmonie avec la vérité, notre raisonnement concluait que, quelle que fût cette vérité, il fallait croire ou même il était démontré que Dieu doit en être béni. Le débat, en effet, fut entrepris à l’occasion de ceux qui nient que l’origine du mal se trouve dans le libre arbitre et qui soutiennent que, s’il en est ainsi, on doit accuser Dieu, le créateur de toutes les natures ; ils veulent de cette manière, dans les aberrations de leur impiété (car ce sont les Manichéens), faire intervenir une sorte de nature du mal, coéternelle à Dieu et immuable comme Lui. Quant à la grâce par laquelle Dieu a prédestiné ses élus et prépare les volontés de ceux qui parmi eux jouissent déjà de leur libre arbitre, il n’en a point été traité dans ces livres, la question n’étant pas là précisément. Mais lorsqu’il y a eu lieu de faire mention de cette grâce, on l’a rappelée en passant et non pas comme s’il s’agissait de la défendre par une argumentation approfondie. Autre chose est, en effet, de rechercher d’où vient le mal ; autre chose, de rechercher par où l’on retourne au bien primitif et par où l’on arrive à un plus grand.

3. Ainsi donc, que les Pélagiens, ces nouveaux hérétiques qui affirment le libre arbitre au point de ne plus laisser place à la grâce de Dieu, puisqu’ils prétendent que cette grâce est donnée selon nos mérites ; que les Pélagiens ne s’exaltent pas comme si j’avais soutenu leur cause, en disant du libre arbitre beaucoup de choses qu’exigeait la nature de cette discussion. Ainsi, par exemple, dans le premier livre, j’ai dit que la justice de Dieu tirait vengeance des méfaits, et j’ai ajouté : « Ces méfaits ne seraient pas punis justement, s’ils n’étaient pas l’œuvre de la volonté[66]. » Comme, de plus, je démontrais que la bonne volonté elle-même est un grand bien, et si grand, qu’il est à bon droit préférable à tous les biens corporels et extérieurs, j’ai dit : « Vous voyez déjà, je pense, qu’il dépend de notre volonté de jouir ou d’être privés d’un bien si vrai et si grand ; qu’y a-t-il en effet qui soit autant dans la volonté que la volonté elle-même[67] ? » Et ailleurs : « Pourquoi donc, je le demande, songerions-nous à douter que, n’eussions-nous jamais été sages auparavant, c’est par la volonté que nous méritons et que nous menons une vie louable et heureuse, comme c’est par la volonté que nous méritons et que nous menons une vie honteuse et misérable[68] ? » Dans un autre endroit encore : « Il suit de là, je le répète, que quiconque veut vivre régulièrement et honnêtement, s’il s’attache à ce vouloir par préférence aux choses passagères, acquiert un si grand bien avec tant de facilité, qu’il ne lui faut, pour avoir ce qu’il a voulu, que le vouloir[69]. »

Ailleurs, j’ai dit aussi : « Cette loi éternelle, à la considération de laquelle il est temps de revenir, a établi avec une fermeté inébranlable que le mérite est dans la volonté, la récompense et le supplice dans la béatitude et la misère[70]. » Et ailleurs : « Ce que chacun choisit de suivre et d’embrasser, est positivement au pouvoir de la volonté[71] » Dans le second livre : « L’homme lui-même, en tant qu’homme, est quelque chose de bon, puisque, quand il veut bien vivre, il le peut[72]. » J’ai dit encore en un autre endroit : « Rien ne se peut faire de bien sans le libre arbitre de la volonté[73]. » Dans le troisième livre : « Qu’est-il besoin de chercher d’où vient ce mouvement qui éloigne la volonté du bien immuable et l’entraîne au bien passager ; puisque nous avouons qu’il ne saurait être qu’un mouvement de l’âme, mouvement volontaire, et par suite mouvement coupable ; et tout ce qu’on peut enseigner d’utile là-dessus n’a pour effet que de nous faire condamner et comprimer ce mouvement pour diriger notre volonté vers la jouissance du bien éternel en la relevant des chutes vers les choses temporelles[74] ? » Et ailleurs : « Votre réponse est le cri de la vérité même ; autrement vous ne pourriez sentir qu’il n’y a en notre puissance que ce que nous faisons quand nous le voulons. Aussi n’est-il rien tant en notre pouvoir que la volonté même. Car aussitôt que nous voulons, elle est là sous la main et sans retard[75]. » De même, en un autre endroit : « Si vous êtes loué de voir ce que vous devez faire, bien que vous ne le voyiez que dans Celui qui est l’immuable vérité, combien plus louable est Celui qui a ordonné de vouloir, qui en a donné le pouvoir et qui ne permet point qu’on ne veuille pas impunément ? » Et j’ai ajouté : « Si chacun doit ce qu’il a reçu et si l’homme est ainsi fait qu’il pèche par nécessité, pécher est un devoir pour lui. Donc quand il pèche, il fait ce qu’il doit. Mais c’est un crime de parler de la sorte ; personne n’est donc par sa nature nécessité à pécher[76]. » Et encore : « Quelle pourrait être avant la volonté, la cause de la volonté ? En effet, ou c’est la volonté même, et on ne se sépare pas de cette racine de la volonté ; ou bien ce n’est pas la volonté, et alors elle est sans péché. Donc, ou la volonté est la cause première du péché, ou la cause première du péché n’est pas un péché, et on ne peut imputer le péché si ce n’est au pécheur. On ne peut donc imputer le péché qu’à celui qui l’a voulu[77]. » Et un peu plus loin : « Qui pèche en un acte dont on ne peut aucunement se garder ? Or on pèche ; donc on peut s’en garder[78]. » Voilà le témoignage que Pélage m’a emprunté dans un de ses livres ; j’ai répondu à ce livre et j’ai voulu que mon traité eût pour titre : De la Nature et de la Grâce.

4. Dans celles de mes paroles que je viens de citer et dans d’autres semblables, comme il n’est point fait mention de la grâce de Dieu, dont il ne s’agissait pas alors, les Pélagiens estiment ou peuvent estimer que nous avons professé leurs sentiments : erreur. C’est par la volonté que l’on pèche et que l’on vit bien ; nous l’avons démontré dans ces passages. Donc si par la grâce de Dieu la volonté elle-même n’est délivrée de la servitude qui La fait esclave du péché, et aidée à dompter les vices, les hommes ne peuvent vivre ni avec piété ni avec justice. Et si ce bienfait divin qui la délivre ne la prévenait, il faudrait l’attribuer à ses mérites ;

alors ce ne serait plus la grâce, car la grâce se donne gratuitement. Nous en avons traité suffisamment dans nos autres opuscules, en réfutant ces ennemis de la grâce, ces hérétiques nouveaux. Néanmoins dans ces livres du Libre Arbitre, qui étaient dirigés contre les Manichéens, et non pas contre eux, puisqu’ils n’existaient point encore, nous n’avons pas entièrement gardé le silence sur cette grâce de Dieu, que leur criminelle impiété cherche à détruire. En effet nous avons dit dans le second livre que non-seulement les grands biens, mais les plus petits ne peuvent venir que de Celui d’où viennent tous les biens, c’est-à-dire de Dieu. Et un peu plus loin : « Les vertus qui font bien vivre sont les grands biens ; les formes apparentes des différents corps, sans lesquelles on peut bien vivre, sont les moindres biens ; les puissances de l’âme sans lesquelles on ne peut bien vivre, sont les biens moyens. Personne n’use mal des vertus ; les autres biens, les moyens et les moindres, on en peut user bien ou mal. Et la raison pour laquelle personne n’use mal de la vertu, c’est que l’œuvre de la vertu est le bon usage de ces biens dont nous pouvons aussi ne pas bien user ; or, en usant bien, on n’use pas mal. C’est pourquoi dans la surabondance et la grandeur de sa bonté, Dieu nous a accordé non-seulement les grands biens, mais les moyens et les moindres. Cette bonté, il la faut louer plus dans les grands biens que dans les moyens, et plus dans les moyens que dans les plus petits ; mais plus encore dans la totalité, que s’il ne nous les avait pas accordés tous[79]. » Et ailleurs : « Quant à vous, tenez pour certain et avec une inébranlable piété, qu’il ne vous arrive aucun bien, soit que vous le sentiez, soit que vous le compreniez, soit que vous y pensiez en quelque manière, que ce bien ne vienne de Dieu. » J’ai dit encore ailleurs : « Comme l’homme qui est tombé de lui-même ne peut pas se relever de lui-même, saisissons avec une foi ferme la main de Dieu qui nous est tendue d’en-haut, c’est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ[80]. »

5. Dans le troisième livre, après ces paroles que Pélage a empruntées à mes opuscules, ainsi que je l’ai rapporté : « Qui pèche en un acte dont on ne peut aucunement se garder ? Or on pèche ; donc on peut s’en garder, » j’ai ajouté immédiatement : « Toutefois, il y a certains actes commis par ignorance, qui sont blâmés et qu’on juge dignes d’être corrigés, comme nous le lisons dans les divines Écritures. L’Apôtre dit en effet : J’ai obtenu miséricorde parce que j’ai agi dans l’ignorance[81]. Et le Prophète dit aussi : Ne vous souvenez pas des fautes de ma jeunesse et de mon ignorance[82]. Il y a aussi des actes de nécessité qui sont blâmables : quand par exemple l’homme veut faire bien et qu’il ne le peut. Car que signifient ces paroles : Le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je hais, je le fais ; et encore : Le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l’y trouve pas[83] ? Et ceci : La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ; car ils sont opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez[84]. Mais tout cela regarde les hommes qui naissent sous cet arrêt de mort. Car si c’était là la nature de l’homme et non son châtiment, il n’y aurait pas là de péchés. En effet si on ne s’écarte pas de l’état où on a été formé naturellement, et qu’on ne puisse être mieux, quand on agit ainsi, on fait ce qu’on doit. Si l’homme était naturellement bon, il ferait autrement ; mais maintenant, puisqu’il est ainsi, il n’est pas bon et il n’est pas en son pouvoir de l’être, soit qu’il ne voie pas ce qu’il devrait être, soit qu’il le voie et qu’il ne puisse pas y arriver. C’est un châtiment : qui en doute ? Or, tout châtiment, s’il est juste, est la peine du péché et s’appelle supplice. Que si la peine est injuste, comme personne ne doute que c’en soit une, elle est imposée à l’homme par une domination injuste. Mais comme ce serait une folie de douter de la justice et de la toute-puissance de Dieu, cette peine est juste, et elle a été méritée par quelque péché. Car aucune domination injuste n’a pu, pour livrer l’homme aux tortures d’un châtiment injuste, le soustraire à Dieu à son insu ou le lui arracher malgré lui et comme de force, par la terreur ou par la victoire. Il faut donc s’arrêter à croire que ce juste châtiment vient de l’arrêt qui condamne l’homme[85]. » Je dis aussi en un autre endroit : « Approuver le faux, le prendre pour le vrai, se tromper malgré soi, et devant les résistances douloureuses des liens charnels, ne pouvoir s’affranchir des œuvres de la passion, ce n’est pas la nature originelle de l’homme, c’est la peine de sa condamnation. Mais lorsque nous parlons de la libre volonté de faire le bien, nous entendons parler de celle dans laquelle l’homme a été créé[86]. »

6. Ainsi, bien avant que l’hérésie pélagienne apparût, nous avons discuté comme si c’eût été contre elle. Car, en disant que tous les biens, c’est-à-dire les grands, les moyens et les petits, viennent de Dieu, on rencontre dans les moyens le libre arbitre de la volonté, parce que nous pouvons en faire un mauvais usage ; il est tel cependant que sans lui nous ne pouvons bien vivre. Ce bon usage est une vertu, et elle se compte parmi les grands biens dont nul ne peut faire un mauvais usage. Et comme tous les biens, ainsi que je l’ai dit, les grands, les moyens et les petits, viennent de Dieu, il s’ensuit que le bon usage de la libre volonté, qui est une vertu et se compte parmi les grands biens, vient aussi de Dieu. J’ai remarqué ensuite de quelle misère justement infligée aux pécheurs délivre la grâce de Dieu, puisque l’homme de lui-même et par son libre arbitre a bien pu tomber, mais n’a pu se relever. C’est à cette misère que se rapportent l’ignorance et l’impuissance dont souffre tout homme dès le moment de sa naissance ; et personne n’est affranchi de ce mal que par là grâce de Dieu[87]. Or, les Pélagiens ne veulent pas que cette misère provienne d’une juste condamnation, car ils nient le péché originel. Quand même l’ignorance et l’impuissance auraient été des attributs naturels et primitifs de l’homme, Dieu n’en saurait encourir de reproche : il l’en faudrait louer au contraire, ainsi que nous l’avons examiné dans ce même livre troisième[88]. Cette controverse doit être à l’adresse des Manichéens, qui n’admettent pas les saintes Ecriture de l’Ancien Testament, où est relaté le péché originel, et qui prétendent avec une impudence détestable que tous les passages des écrits apostoliques qui en sont tirés, ont été interpolés par des faussaires de l’Écriture sainte, comme si les Apôtres n’en avaient jamais parlé. Mais les Pélagiens faisant profession d’accepter l’Ancien et le Nouveau Testament, c’est contre eux qu’il faut défendre ce que nous enseignent l’un et l’autre. L’ouvrage commence ainsi : « Dites-moi, je vous prie, si Dieu n’est pas l’auteur du mal. »


CHAPITRE X.

de la genèse contre les manichéens. — deux livres.


1. Établi en Afrique, j’ai écrit deux livres sur la Genèse contre les Manichéens. En montrant, par les dissertations de mes précédents ouvrages, que Dieu est le souverain bien, l’immuable Créateur de toutes les natures muables, et qu’il n’y a pas de nature ou de substance mauvaise en tant que nature et que substance, mon intention était en éveil contre les Manichéens ; cependant j’ai voulu publier ostensiblement contre eux ces deux livres pour la défense de l’ancienne loi, parce qu’ils l’attaquent dans leur folie avec une ardeur véhémente. Le premier traite de cette parole : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre[89], » et suit l’œuvre des sept jours jusqu’à celui où Dieu se repose. Le second explique depuis ces mots : « Ce livre est celui de la création du ciel et de la terre[90], » jusqu’à l’expulsion d’Adam et d’Ève du paradis et la garde de l’arbre de vie confiée au chérubin. À la fin du livre, j’ai opposé la croyance de la vérité catholique à l’erreur des Manichéens, résumant avec rapidité et clarté ce qu’ils disent et ce que nous disons.

2. Quand j’ai dit : « Il ne repaît pas les regards des êtres sans raison, mais les cœurs purs de ceux qui croient en Dieu et qui s’élèvent de l’amour des choses visibles et temporelles, à l’accomplissement de ses préceptes ; ce que les hommes peuvent tous, pourvu qu’ils le veuillent[91] ; » il ne faut pas que les Pélagiens, ces nouveaux hérétiques, s’imaginent que j’ai parlé dans leur sens. Il est absolument vrai, en effet, que tous les hommes ont ce pouvoir, pourvu qu’ils le veuillent ; mais la volonté est préparée par le Seigneur, et elle est tellement aidée par le don de la charité qu’elle peut y parvenir. Si je n’ai pas donné alors cette explication, c’est qu’elle n’était point nécessaire à la question présente. J’ai écrit que cette bénédiction de Dieu : « Croissez et multipliez[92], » s’est appliquée, après le péché, à la fécondité charnelle[93] ; mais je ne l’approuve nullement, si on ne peut l’expliquer que par la pensée que les hommes ne devaient pas avoir de fils à moins qu’ils ne péchassent. Parce qu’il y a des quadrupèdes et des oiseaux qu’on voit se nourrir exclusivement de chair, il ne serait pas non plus logique de supposer qu’il n’y a qu’une allégorie dans ce qui est dit que les plantes et les arbres à fruits sont donnés en nourriture, dans le livre de la Genèse, à toutes les espèces d’animaux, d’oiseaux et de reptiles[94]. Il pourrait en effet se faire que les animaux fussent aussi nourris par les hommes avec les fruits de la terre, si par l’obéissance dont ces hommes eux-mêmes, dans l’état d’innocence, auraient fait profession au service de Dieu, ils avaient mérité que tous les animaux et les oiseaux mêmes leur fussent absolument soumis. De même on peut s’étonner que j’aie dit du peuple d’Israël : « Par la circoncision corporelle et par les sacrifices, ce peuple, au milieu de l’océan des nations, suivait la loi de Dieu[95] » puisque le peuple d’Israël ne pouvait sacrifier au milieu des nations, et qu’il restait plutôt sans sacrifices comme nous le voyons encore aujourd’hui ; à moins toutefois qu’on ne considère comme un sacrifice l’agneau qui s’immole pour la pâque.

3. Dans le second livre, quand j’ai avancé que le nom de « nourriture » pouvait s’expliquer par la vie[96] ; comme les meilleures traductions portent non pas « nourriture », mais « foin », je n’ai pas été assez exact. On ne peut pas étendre la signification du mot « foin» à l’idée de vie, comme on peut le faire pour « nourriture. » Il me semble aussi que[97] je n’ai pas eu raison de traiter de prophétiques ces paroles : « Que t’enorgueillis-tu, terre et cendre[98] ? » Car elles ne sont pas dans le livre d’un de ces écrivains que nous soyons sûrs de pouvoir appeler prophètes. Et ce mot de l’Apôtre, quand il cite le témoignage suivant de la Genèse : « Le premier homme, Adam, a été « fait âme vivante[99], » je ne l’ai pas compris comme le voulait l’Apôtre. J’exposais en effet ceci : « Dieu souffla sur sa face un souffle de « vie, et l’homme fut fait âme vive ou âme « vivante[100]. » Or, l’Apôtre invoque cette citation pour prouver que le corps est animé, et moi j’ai voulu montrer que non pas le corps de l’homme seulement, mais tout l’homme avait été animé dès l’abord[101]. Quand ensuite j’ai dit : « Les péchés ne nuisent qu’à la nature qui les commet[102] ; » je l’ai dit en ce sens que celui qui nuit au juste, ne lui nuit pas véritablement, puisqu’il augmente sa récompense dans le ciel ; mais il se nuit à soi-même en péchant, parce que, à cause de sa volonté perverse, il recevra l’équivalent du dommage qu’il a causé. Les Pélagiens, sans doute, peuvent abuser de cette pensée dans leur sens et dire que les péchés d’autrui n’ont pas nui aux petits enfants, puisque selon moi : « Les péchés ne nuisent qu’à la nature qui les commet. » Mais ils ne considèrent pas que les petits enfants qui participent à la nature humaine, en subissent le péché originel, puisque la nature humaine a péché dans nos premiers parents et que, par suite, aucun péché ne nuit à la nature humaine excepté les siens. « Car le péché est entré dans le monde par un seul homme en qui tous ont péché[103]. » Aussi ai-je dit : « Les péchés ne nuisent qu’à la nature, et « non pas à l’homme qui les commet. » J’ai dit peu après : « Il n’y a pas de mal naturel[104] ; » ces hérétiques pourraient aussi peut-être s’en prévaloir frauduleusement ; mais ce mot s’applique à la nature telle qu’elle a été primitivement constituée sans défaut ; c’est elle qui s’appelle vraiment et proprement la nature de l’homme. En étendant le sens de cette expression, nous appelons aussi nature, celle que l’homme apporte en naissant ; ainsi l’Apôtre a dit : « Car nous avons été par nature, enfants de colère comme les autres[105]. » Cet ouvrage commence ainsi : « Si les Manichéens choisissaient ceux qu’ils veulent tromper. »


CHAPITRE XI.

les six livres de la musique.


1. Ainsi que je l’ai dit plus haut[106], j’ai écrit ensuite six livres sur la Musique ; le sixième, surtout, a été le plus répandu, -parce qu’on y agite une question digne d’être connue, à savoir comment, par les nombres corporels et spirituels, mais muables, on arrive aux nombres immuables, lesquels sont dans l’immuable vérité elle-même, et comment ainsi on voit les perfections invisibles de Dieu par les choses qu’il a créées[107]. Ceux qui n’y peuvent parvenir, tout en vivant de la foi du Christ, en obtiennent la vue avec plus de félicité et de certitude après cette vie, Mais si ceux qui le peuvent, n’ont pas la foi du Christ, du Christ, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes, ils périssent avec toute leur sagesse.

2. Lorsque j’ai dit, dans ce livre : « Les corps sont d’autant meilleurs qu’ils renferment plus de nombres pareils ; mais l’âme, en manquant de ceux qu’elle reçoit par le «corps, devient meilleure ; puisqu’elle s’éloigne des sens charnels et qu’elle se réforme selon les nombres divins de la sagesse[108] ; »ces paroles ne doivent pas être prises comme s’il ne devait pas y avoir de nombres corporels dans les corps incorruptibles et spirituels, puisqu’ils doivent être beaucoup plus beaux et plus harmonieux : il ne faut pas non plus y voir la pensée que l’âme ne doit pas y être sensible quand elle sera excellente, de même qu’elle devient meilleure ici-bas quand elle en est privée. Ici, en effet, l’âme a besoin de s’éloigner des sens charnels pour comprendre les choses intellectuelles, parce qu’elle est faible et impropre à appliquer son attention aux uns et aux autres ensemble. Dans les objets corporels, elle doit fuir la séduction maintenant et aussi longtemps qu’elle peut être entraînée à de honteux plaisirs ; mais alors elle sera si ferme et si parfaite que les nombres corporels ne pourront pas la détourner de la contemplation de la sagesse ; elle y sera sensible sans en être séduite, et ne devra pas en être privée pour devenir meilleure ; au contraire, elle sera si bonne et si droite que ces nombres corporels ne pourront la décevoir ni l’arrêter.

3. De même ces paroles : « La santé sera toute ferme et tout assurée, alors que notre « corps aura été rendu en son temps et selon u son ordre à sa stabilité première[109], » ne sont pas employées pour signifier qu’après la résurrection les corps ne seront pas meilleurs que ceux du premier couple dans le paradis, puisqu’ils n’auront pas à se nourrir des aliments corporels dont ceux-là se nourrissaient ; mais la stabilité première doit être comprise en tant que ces corps ne souffriront plus aucune maladie, de même que ceux-là n’en pouvaient souffrir avant le péché.

4. Ailleurs : « L’amour de ce monde est bien plus laborieux, ai-je dit. En effet, ce que l’âme cherche en lui, à savoir la constance et l’éternité, elle ne l’y trouve pas ; car cette infime beauté du monde n’existe que par le mouvement des choses, et ce qui imite en elle la constance lui vient de Dieu par l’âme ; par l’âme qui ne changeant qu’avec le temps prime le monde qui change avec le temps et les lieux[110]. » Si ces paroles peuvent être prises en ce sens qu’elles ne montrent l’infime beauté que dans le corps des hommes et des animaux qui vivent avec le sentiment de leurs corps, elles sont manifestement fondées en raison. En effet, ce qui dans cette beauté imite la constance, c’est la cohésion qui conserve ces corps dans leur identité tout le temps qu’ils existent : et cela leur vient de Dieu par l’âme. Car l’âme est le lien de cette cohésion qui empêche la dissolution et la dispersion que nous voyons arriver dans les corps des animaux quand l’âme les quitte. Mais si on entend cette infime beauté de tous les corps, une telle pensée contraint de croire que le monde aussi est animé. Dans ce cas, en effet, ce qui en lui imite la constance lui viendrait de Dieu par l’âme.

Or, cette pensée d’un monde animé qu’a eue Platon et qu’ont soutenue plusieurs autres philosophes, je n’ai pu ni la justifier par la raison, ni la démontrer par l’autorité des divines Écritures. C’est pourquoi si on a pu interpréter en ce sens quelqu’une de mes paroles, je l’ai notée déjà comme téméraire dans le livre de l’Immortalité de l’Âme[111] ; non pas que j’affirme qu’il soit faux que le monde soit animé, mais parce que je ne comprends pas que ce soit vrai. Ce que je tiens comme inébranlablement assuré, c’est que ce monde n’est pas un Dieu pour nous, qu’il ait une âme ou n’en ait point. S’il en a une, celui qui l’a faite est notre Dieu ; s’il n’en a pas, ce monde ne peut être le Dieu de rien, encore moins peut-il être le nôtre. Cependant lors même que le monde n’aurait pas d’âme, on croit avec beaucoup de raison qu’il y a en lui une vertu vitale et spirituelle ; cette vertu dans les saints Anges sert à orner et à gouverner le monde pour la gloire de Dieu et l’avantage de ceux mêmes qui ne la comprennent pas. J’appelle maintenant du nom de saints Anges toute sainte créature spirituelle consacrée au service secret et caché de Dieu ; mais les divines Écritures n’ont pas coutume de donner le nom d’âmes aux esprits angéliques. Ainsi donc, dans ce que j’ai écrit vers la fin de ce livre : « Les nombres raisonnables et intellectuels des âmes bienheureuses et saintes reçoivent, sans aucune nature intermédiaire, la loi de Dieu, de ce Dieu sans la volonté de qui une feuille ne tombe pas, de ce Dieu qui a compté tous les cheveux de notre tête ; et ils transmettent cette loi jusqu’aux domaines de la terre et des enfers[112] ; » je ne trouve pas que ce mot d’âmes puisse être usité d’après la

sainte Ecriture, puisque je n’ai voulu parler ici que des saints Anges, et que je ne me souviens pas d’avoir jamais lu dans les livres canoniques qu’ils aient des âmes. Ce livre commence ainsi : « Assez longtemps déjà. »


CHAPITRE XII.

du maître. — un livre.


Dans le même temps j’ai écrit un livre intitulé : du Maître. On y examine, on y recherche et on y trouve cette vérité qu’il n’y a, pour enseigner la science à l’homme, d’autre maître que Dieu, selon ce qui est écrit dans l’Évangile : « Votre unique Maître est le Christ[113]. » Ce livre commence ainsi : « Que vous semble-t-il que nous voulions réaliser quand nous parlons ? »



CHAPITRE XIII.

de la vraie religion. — un livre.


1. C’est aussi en ce moment que j’écrivis le livre de la Vraie Religion. On y expose à fond et avec étendue que le seul vrai Dieu, c’est-à-dire la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, doit être l’objet du culte de la vraie religion ; par quelle grande miséricorde ce Dieu a accordé aux hommes dans l’économie des temps la religion chrétienne, qui est la vraie religion, et combien l’homme doit s’assujettir à ce culte divin par un genre de vie déterminé. Mais c’est surtout contre les deux natures des Manichéens que ce livre s’élève.

2. Je dis en un endroit : « Tenez pour manifeste et pour acquis qu’il n’aurait jamais pu y avoir d’erreur dans la religion, si l’âme ne rendait les honneurs divins à l’âme, au corps, ou à ses fantastiques imaginations[114]. » J’ai employé ici le mot d’âme pour signifier toute créature incorporelle ; en cela je n’ai pas suivi l’usage des Écritures. Quand elles se servent du mot âme sans métaphore, j’ignore si elles veulent qu’on comprenne seulement celle qui anime les animaux mortels, parmi lesquels sont les hommes eux-mêmes en tant que mortels. Peu après, j’ai mieux et plus brièvement exprimé le même sens en disant : « Ne servons donc point la créature de préférence au Créateur, et ne nous perdons pas dans la vanité de nos pensées : voilà la religion parfaite[115]. » En employant ici le seul mot de créature, j’ai désigné à la fois la créature spirituelle et la créature corporelle. Et au lieu des « fantastiques imaginations, » j’ai dit : « Et ne nous perdons pas dans la vanité de nos pensées.»

3. Quand j’ai ajouté : « C’est de notre temps la religion chrétienne dont la connaissance et la pratique fait la certitude et la sécurité du salut ; » j’ai eu égard au nom et non à la chose qu’il exprime. Car ce qui se nomme aujourd’hui religion chrétienne, existait dans l’antiquité et dès l’origine du genre humain jusqu’à ce que le Christ s’incarnât, et c’est de lui que la vraie religion qui existait déjà, commença à s’appeler chrétienne. En effet lorsque, après sa résurrection et son ascension, les Apôtres se mirent à le prêcher et que beaucoup croyaient déjà, ses disciples commencèrent à être appelés chrétiens à Antioche d’abord, comme il est écrit[116]. C’est pourquoi j’ai dit : « C’est de notre temps la religion chrétienne, » non pas qu’elle n’ait point existé dans les temps antérieurs, mais parce qu’elle a reçu ce nom dans les temps postérieurs.

4. Ailleurs j’ai dit : « Appliquez-vous donc à ce qui suit, avec piété et avec soin, autant que vous le pourrez ; car Dieu aide ceux qui sont tels[117]. » Il ne faudrait pas comprendre ce mot tels dans le sens que Dieu n’aide que ceux qui sont tels, puisqu’il aide ceux-là mêmes qui ne le sont point pour les rendre tels, c’est-à-dire qu’il les aide pour qu’ils cherchent avec piété et avec diligence ; tandis que ceux qui sont tels, il les aide pour qu’ils trouvent. Plus loin : « Il sera ensuite équitable qu’après la mort corporelle, que nous devons au péché originel, ce corps soit rendu, à son temps et dans son ordre, à sa stabilité primitive[118]. »Cette phrase doit se prendre dans le sens que la stabilité primitive du corps que nous avons perdue par le péché, comportait tant de félicité, qu’il ne devait pas éprouver le déclin de la vieillesse. Cette stabilité primitive lui sera restituée à la résurrection des morts. Il aura davantage encore ; car il n’aura pas besoin d’être entretenu par les aliments corporels. Mais il sera suffisamment animé par l’esprit seul lorsqu’il ressuscitera pour s’unir à un esprit vivifiant et que par là il sera devenu un corps spirituel ; tandis que dans l’origine, bien qu’il ne dût pas mourir si l’homme n’eût pas péché, comme il était formé pour une âme vivante il était simplement un corps animal.

5. Ailleurs encore : « Le péché est un mal si volontaire, qu’il n’y a pas de péché là où il n’y a pas de volonté[119]. » Cette définition peut paraître fausse ; mais en la discutant avec soin, on trouve qu’elle est parfaitement vraie. En effet, il faut nommer péché ce qui est seulement péché, et non pas ce qui est aussi la peine du péché, comme je l’ai montré ci-dessus à propos d’un passage du livre troisième du traité du Libre Arbitre[120]. Néanmoins, même des actes qu’à bon droit on appelle des péchés involontaires, parce qu’ils sont commis ou sans qu’on le sache, ou sous la contrainte, ne peuvent pas être commis absolument sans volonté. Car, celui qui pèche par ignorance, agit cependant volontairement, pensant accomplir un acte licite quand cet acte ne l’est pas ; et celui qui, dans la concupiscence de la chair contre l’esprit, ne fait pas ce qu’il veut, éprouve à la vérité des désirs malgré lui ; et, en cela, il fait ce qu’il ne veut pas ; mais s’il est vaincu, il consent volontairement à la concupiscence ; et en cela il ne fait que ce qu’il veut : libre à l’égard de la justice, esclave à l’égard du péché. Quant au péché que dans les enfants on nomme péché originel, lorsqu’ils n’ont pas encore l’usage de leur libre arbitre, on n’a pas tort non plus de l’appeler volontaire, puisque, contracté à l’origine par la volonté dépravée de l’homme, il est devenu en quelque façon héréditaire. Je n’ai donc pas été en faute quand j’ai dit : « Le péché est un mal si volontaire, qu’il n’y a pas de péché s’il n’y a pas de volonté. » C’est pourquoi la grâce de Dieu enlève non-seulement les fautes antérieures chez tous ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ, ce qui arrive par l’esprit de régénération ; mais même dans les adultes, le Seigneur assainit la volonté et la prépare, ce qui arrive par l’esprit de foi et de charité.

6. Dans un autre endroit, quand j’ai dit de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Il n’a rien fait par force, mais tout par conseil et par persuasion[121] ; » je n’avais pas présent à l’esprit qu’il avait chassé à coups de fouet les vendeurs et les acheteurs du temple. Mais qu’est-ce que cela ? Quelle en est l’importance ? Il est vrai aussi que, quand il chassait malgré eux les démons qui possédaient les hommes, il employait non le langage de la persuasion, mais la force de la puissance.

Ailleurs aussi j’ai dit : « Il faut d’abord suivre ceux qui enseignent qu’il n’y a qu’un seul Dieu suprême, qu’un seul vrai Dieu, et qu’il faut l’adorer seul ; si la vérité ne brille pas en eux, il faudra alors quitter la place. » On pourrait croire que je parais en cela douter en quelque sorte de la vérité de cette religion. J’ai écrit ces paroles dans le sens qui convenait à celui à qui je m’adressais ; car lorsque j’ai dit : « Si la vérité ne brille pas en eux, » je n’ai jamais douté qu’elle n’y brillât. Absolument comme parle l’Apôtre : « Si le Christ n’est pas ressuscité[122] ; » et certes, il ne doute pas de sa résurrection.

7. J’ai écrit en un autre passage : « La continuation de ces miracles jusqu’à notre temps n’a pas été permise, de peur que l’âme ne cherchât toujours que des choses visibles, et de peur que le genre humain ne se refroidît par l’habitude à l’égard des merveilles dont « la nouveauté l’avait enflammé[123]. » Cela est très-vrai ; maintenant, en effet, l’imposition des mains qu’on donne à ceux qu’on baptise, ne leur confère pas le Saint-Esprit, de façon qu’ils parlent toutes les langues ; les prédicateurs du Christ, quand ils passent, ne vont pas jusqu’à guérir les infirmes par leur ombre ; les grands faits d’alors ont cessé, cela est manifeste. Mais il ne faudrait pas prendre mes paroles dans ce sens, qu’il n’y a point à croire qu’aucun miracle ne se fasse plus au nom du Christ. Moi-même, quand j’ai écrit ce livre, je savais qu’un aveugle avait été guéri à Milan près des corps des saints martyrs de cette ville[124]. Il y a beaucoup d’autres faits de ce genre qui arrivent de notre temps, tellement que nous ne pouvons les connaître tous, ni même énumérer tous ceux que nous connaissons.

8. Je me suis servi ailleurs de cette citation : « Tout ordre vient de Dieu, comme dit l’Apôtre. » Ce ne sont pas les propres paroles de l’Apôtre, quoique ce paraisse être sa pensée. Il dit : « Ce qui est, est ordonné de Dieu[125]. »Ailleurs j’ai dit : « Que personne ne nous trompe ; tout ce qui est blâmé à bon droit « est rejeté en comparaison de ce qui est meilleur[126]. » Cela s’applique aux substances et aux natures ; car c’est d’elles qu’on discutait et non des bonnes actions et des mauvaises. De même aussi ai-je dit : « Un homme ne doit pas être chéri d’un autre homme comme sont chéris les frères, les fils, les époux, les parents, selon la chair ; non plus que les voisins et les concitoyens ; car c’est là un amour temporel. Nous n’aurions pas, en effet, de telles affections qui dépendent de la naissance et de la mort, si notre nature, «persévérant dans l’accomplissement des préceptes et dans la ressemblance de Dieu, n’était pas réduite à cette vie corruptible[127] ». Je désapprouve complètement cette pensée, que j’ai déjà blâmée au premier livre sur la Genèse contre les Manichéens[128]. Elle conduit en effet à croire que les premiers époux n’auraient pas engendré de postérité, s’ils n’avaient pas péché ; comme s’il avait été nécessaire que les hommes fussent destinés à la mort, pour être Produits par l’union de l’homme et de la femme. Je ne voyais pas encore comment il se pouvait que des êtres non destinés à la mort naquissent d’autres êtres non destinés à la mort, si ce péché d’origine n’avait pas changé en pire la nature humaine ; je ne voyais pas non plus que, si par suite la fécondité et la félicité avaient demeuré le partage des parents comme des enfants, il naîtrait, jusqu’à ce que fût atteint un nombre fixe de saints prédestinés de Dieu, des hommes qui devaient régner avec leurs pères vivants et non succéder à leurs parents défunts. Ces parentés et ces alliances existeraient donc, même si personne n’eût péché et que personne ne mourût.

9. De même, j’ai écrit en un autre endroit «Tendons vers le même Dieu, et reliant nos âmes à lui seul, ce qui est, à ce que l’on croit, l’étymologie du mot religion, abstenons-nous de tout culte superstitieux[129]. » Je préfère l’étymologie que je cite. Pourtant je n’ignore pas que des auteurs latins donnent au mot de religion une autre origine, le faisant venir non de religare, mais de religere, mot composé de legere, pour eligere, élire, choisir, d’où religo, je choisis.

Ce livre commence ainsi : « Comme toute voie de vie bonne et heureuse. »


CHAPITRE XIV.

de l’utilité de la foi. — un livre à honorat.


1. J’étais prêtre à Hippone lorsque j’ai composé le livre de l’Utilité de la Foi que j’ai adressé à un de mes amis, séduit par les Manichéens. Je savais qu’il était encore engagé dans cette erreur, et qu’en se moquant il reprochait à la discipline catholique d’obliger les hommes à croire, sans leur enseigner la vérité par des raisons absolument certaines. J’ai dit dans ce livre[130] : « Dans les préceptes et les ordonnances de la Loi qu’il n’est pas aujourd’hui permis à un chrétien d’observer, tels que le sabbat, la « circoncision, les sacrifices, et autres semblables, il y a de tels mystères, que toute âme pieuse comprendra que rien n’est plus « périlleux que de les prendre au mot et à la lettre ; rien de plus salutaire que de les entendre dans l’esprit. Aussi est-il écrit : La lettre tue et l’esprit vivifie[131]. » Dans le livre intitulé De l’Esprit et de la Lettre, j’ai expliqué autrement ces paroles de l’apôtre saint Paul, et, si je m’en crois, ou plutôt si j’en crois à l’évidence même des choses, avec beaucoup plus de convenance et de vérité. Cependant ce sens n’est pas à rejeter.

2. J’ai dit aussi : « Il y a deux ordres de personnes dignes de louanges dans la religion. Le premier se compose de celles qui l’ont déjà trouvée, et celles-là doivent être jugées bienheureuses. Le second se compose de celles qui la recherchent avec zèle et avec droiture. Les premières sont en possession, les autres sont sur le chemin ; muais par ce « chemin, on est sûr d’arriver au but. » Si les bienheureux qui ont déjà trouvé, et qui sont en possession, ne sont plus en cette vie, mais en celle que nous espérons et où nous tendons par la foi, il n’y a pas d’erreur dans mes paroles ; car on doit affirmer que ceux-là ont trouvé ce qu’il faut chercher, puisqu’ils sont arrivés là où en cherchant et en croyant, c’est-à-dire en suivant la vie de la foi, nous espérons parvenir. Si au contraire on croyait qu’ils sont, ou ont été bienheureux dès cette vie, cela ne serait pas exact ; non pas qu’il ne puisse s’y découvrir aucune vérité qui soit vue de l’intelligence sans être crue par la foi ; mais parce que tout ce qui est ici-bas ne va pas jusqu’à produire la béatitude. En effet, ce dont l’Apôtre dit : « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, » et : « Maintenant je connais imparfaitement, » est vu par l’esprit, vu pleinement, et cependant ne produit pas encore la béatitude. Ce qui la produit, l’Apôtre le dit : « Mais alors nous verrons face à face ; » et « Alors je connaîtrai aussi bien que je suis connu[132]. » Ceux qui ont trouvé cela sont, on peut le dire, établis dans la possession de la béatitude, à laquelle conduit le chemin de la foi que nous suivons, et à laquelle nous souhaitons d’arriver par la foi. Mais quels sont ces bienheureux qui sont déjà en possession du but où conduit cette route ? c’est une grande question. Que les saints anges y soient, il n’y a pas de doute. Mais les hommes saints, déjà morts, peut-on dire qu’ils soient réellement dans cette possession ? C’est une question à examiner. Ils sont, il est vrai, délivrés, de ce corps de corruption qui est à charge à l’âme ; mais ils attendent encore eux-mêmes la rédemption de leurs corps ; leur chair se repose dans L’espoir, mais elle ne brille pas encore de l’éclat de l’incorruptibilité future. Du reste ce n’est pas ici le lieu de rechercher s’ils n’ont pas moins la jouissance de la contemplation de la vérité par les yeux du cœur, et, comme il est écrit : « face à face. » J’ai dit également : «Savoir ce qui est grand, ce qui est honnête, et même ce qui est divin, voilà la béatitude ; » il faut rapporter ces mots à la béatitude dont je viens de parler. Car, tout ce qu’on sait de cela dans la vie d’ici-bas, n’est pas encore la béatitude ; et ce qu’on en ignore est incomparablement supérieur à ce qu’on cri sait.

3. Et ce que j’ai dit : « Il y a une grande différence entre ce que nous tenons par la ferme raison de notre intelligence, ce que nous appelons savoir, et ce que la renommée ou l’histoire recommandent à la croyance de la postérité ; » et peu après : « Ce que nous savons, nous le devons à la raison ; ce que nous croyons, à l’autorité[133] ; » il ne faut pas le prendre en ce sens que dans le langage usuel nous craignions de dire que nous savons ce que des témoins, dignes de foi nous engagent à croire. Quand nous parlons rigoureusement, nous ne disons savoir que ce que nous comprenons par la ferme raison de notre intelligence. Quand nous parlons selon des termes plus habituels, comme parle elle-même la divine Écriture, n’hésitons pas à dire que nous savons, et ce que nous percevons par les sens de notre corps, et ce que nous croyons sur des témoignages dignes de foi. Il suffit que nous comprenions la distance qu’il y a entre l’un et l’autre.

4. Quand j’ai dit : « Personne ne saurait «douter que tous les hommes sont ou des fous ou des sages[134] ; » cette parole peut paraître contraire à ce que j’ai dit dans le troisième livre du Libre Arbitre : « Comme si la nature « humaine n’avait pas une sorte de milieu entre «la folle et la sagesse[135] ! » Mais dans le premier passage il s’agissait d’examiner si le premier homme a été créé sage ou insensé, ou ni l’un ni l’autre. On ne pouvait pas appeler insensé celui qui avait été créé sans défaut, puisque la folie est un grand défaut ; d’un autre côté, comment appeler sage celui qui a pu être séduit ? J’ai donc dit en manière de résumé «Comme si la nature humaine n’avait pas une « sorte de milieu entre la sagesse et la folie. » J’avais aussi en vue les petits enfants que nous reconnaissons entachés du péché originel mais que nous ne pouvons, proprement appeler ni sages ni fous, puisqu’ils n’usent encore de leur libre arbitre ni en bien ni en mal. Et quand j’ai dit ici que tous les hommes sont sages ou fous, j’ai voulu parler de ceux qui usent de leur raison, laquelle les distingue des animaux et fait qu’ils sont hommes. C’est dans le même sens que nous disons que tous les hommes veulent être heureux. En effet, en émettant cette pensée si vraie et si évidente, est-ce que nous craignons qu’on n’y comprenne les enfants qui ne peuvent pas avoir encore une volonté pareille ?

5. Ailleurs, rappelant ce que le Seigneur Jésus a fait lorsqu’il était en ce monde, j’ai ajouté : « Pourquoi ces merveilles ne s’opèrent-elles plus aujourd’hui ? » Et j’ai répondu : « Parce qu’elles n’auraient pas la puissance d’émouvoir si elles n’étaient pas des merveilles, et elles ne seraient plus merveilles si elles étaient habituelles[136]. » J’ai voulu dire qu’il ne s’en opère plus d’aussi grandes et d’aussi nombreuses, et non pas qu’il ne s’en opère plus du tout.

6. À la fin du livre on lit : « Mais comme notre discours s’est prolongé beaucoup plus que je ne pensais, arrêtons-le ici ; je souhaite que vous vous souveniez que je n’ai pas encore commencé de réfuter les Manichéens, que je n’ai pas abordé leurs niaiseries et que je ne vous ai rien découvert des grandeurs de l’Église catholique. J’ai voulu seulement détruire en vous, si je le pouvais, la fausse opinion qui nous avait été suggérée avec malice et maladresse, à propos des vrais chrétiens, et vous engager à vomis livrer aux grandes et divines études. Que ce volume reste donc ce qu’il est ; ayant calmé votre esprit, je serai peut-être mieux disposé et plus habile sur le reste[137].» Je n’ai pas entendu dire par là que je n’eusse encore rien écrit contre les Manichéens, ou que je n’eusse en rien traité de la doctrine catholique, puisque tant de volumes antérieurs prouvent que je n’ai gardé le silence ni sur l’un ni sur l’autre de ces sujets ; mais c’est que dans ce livre, adressé à Honorat, je n’avais pas encore commencé à réfuter le manichéisme, ni abordé ses niaiseries, ni rien dévoilé des grandeurs de la Religion catholique ; j’espérais en effet, après ce commencement, pouvoir lui écrire ce que je n’avais pas écrit ici.

Ce livre commence ainsi : « S’il semblait que ce fût pour moi, Honorat, une seule et même chose. »


CHAPITRE XV.

DES DEUX ÂMES, CONTRE LES MANICHÉENS. — UN LIVRE.


1. Après cet ouvrage, et étant encore prêtre, j’ai écrit contre les Manichéens un traite sur ces deux âmes dont ils prétendent que l’une est une partie émanée de Dieu, tandis que l’autre est de la race des ténèbres que Dieu n’a pas constituée, et qui lui est coéternelle. Ils ont la folie de dire que le même homme a ces deux âmes, l’une bonne, l’autre mauvaise ; la mauvaise, propre à la chair, qu’ils estiment elle-même être de la race des ténèbres ; la bonne, issue d’une partie émanée de Dieu, partie qui aurait lutté avec la race des ténèbres et qui aurait produit le mélange de l’une et de l’autre. Ils attribuent tous les biens de l’homme à cette âme bonne et tous ses maux à la mauvaise. Or, quand, dans ce livre, j’ai dit : « Il n’y a pas de vie quelconque qui, par cela même qu’elle est la vie et en tant qu’elle l’est, n’appartienne au principe souverain et à la source de la vie[138] ; » je l’ai dit dans ce sens que la créature appartient au Créateur et non pas qu’elle est une partie de lui-même.

2. De même ce que j’ai dit que « nulle part il n’y a de péché sinon dans la volonté, » les Pélagiens peuvent s’en prévaloir, au sujet des enfants qui, selon eux, n’auraient pas de péché à remettre par le baptême, parce qu’ils n’ont pas l’usage de leur libre arbitre. Mais est-ce que le péché qu’ils ont contracté originellement, c’est-à-dire en étant impliqués dans la faute et par conséquent soumis à la peine de cette faute, a pu être ailleurs que dans la volonté, volonté qui l’a commis au moment où a eu lieu la transgression du précepte divin ? On pourrait aussi trouver fausse cette maxime : « Nulle part il n’y a de péché que dans la volonté, » en la rapprochant des paroles de l’Apôtre : « Si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui opère, mais le péché qui habite en moi. » En effet ce péché est si peu dans la volonté que l’Apôtre dit : « Ce que je ne veux pas, je le fais. » Comment donc alors dire que le péché ne saurait être ailleurs que dans la volonté ? Le voici : ce péché dont parle l’Apôtre est nommé péché parce qu’il est la suite du péché et la peine du péché. En effet, il s’agit ici de la concupiscence de la chair, comme il le montre par la suite lorsqu’il dit : « Je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair ; car le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l’y trouve pas[139]. » La perfection du bien, en effet, c’est que la concupiscence elle-même ne soit pas dans l’homme ; je parle de cette concupiscence à laquelle, quand on vit bien, la volonté ne consent pas. Mais l’homme n’accomplit pas le bien parce qu’il y a en lui la concupiscence à laquelle répugne la volonté. Le baptême enlève la culpabilité de cette concupiscence, mais l’infirmité demeure ; et tout fidèle qui avance bien, lutte contre cette infirmité avec le plus grand soin jusqu’à ce qu’elle soit guérie. Quant au péché qui n’est jamais ailleurs que dans la volonté, c’est particulièrement celui qu’a suivi une juste condamnation. C’est celui-là qui est entré dans le monde par un seul homme. Toutefois le péché par lequel on consent à la concupiscence du péché ne se commet jamais sans la volonté. Aussi ai-je dit ailleurs : « On ne pèche que par la volonté[140]. »

3. En un autre endroit, j’ai défini la volonté elle-même ainsi : « La volonté est un mouvement de l’âme, exempt de toute coaction, et qui se porte à acquérir une chose ou à ne la pas perdre[141]. » Cette définition a été adoptée afin de discerner qui veut et qui ne veut pas ; et ainsi la pensée se reporte à ceux qui, dans le Paradis, furent les premiers la source du mal pour le genre humain, et qui ont péché, personne ne les y forçant, mais de leur libre volonté, agissant contre le précepte et le sachant, le tentateur les y engageant mais ne les forçant point. Celui, en effet, qui pèche sans le savoir, on peut dire avec raison qu’il pèche sans le vouloir, quoiqu’il ait fait volontairement ce qu’il a fait par ignorance ; aussi, même chez lui, il n’y a pas eu de péché sans volonté. Cette volonté, ainsi qu’elle a été définie, a été en lui un mouvement de l’âme, exempt de toute coaction, et se portant à acquérir une chose ou à ne pas la perdre. Ce qu’il n’aurait pas fait s’il n’avait pas voulu, il n’était pas forcé à le faire. Il l’a donc fait parce qu’il a voulu ; mais il n’a pas péché parce qu’il a voulu, puisqu’il ne savait pas que ce qu’il a fait fût un péché. Aussi un tel péché n’a pas pu être sans volonté ; mais il n’y a eu que volonté de fait et non volonté de péché, quoique le fait fût péché ; car on a fait ce qui ne devait pas être fait. Quiconque pèche sciemment, s’il peut résister sans péché à celui qui le force à pécher, et s’il ne le fait pas, pèche volontairement ; car qui peut résister, n’est pas forcé de céder. Mais celui qui ne peut pas résister d’une volonté ferme à la coaction de la cupidité, agit ainsi contre les préceptes de la justice ; et c’est là un péché qui est aussi la peine du péché. C’est pourquoi il est de la plus profonde vérité qu’il n’y a pas de péché sans la volonté.

4. De même la définition que j’ai donnée du péché : « Le péché est une volonté de retenir ou d’acquérir ce que défend la justice et ce dont on est libre de s’abstenir[142], » est vraie ; parce qu’elle ne s’applique qu’au péché et non à ce qui est aussi la peine du péché. En effet, quand le péché est de telle nature qu’il est aussi la peine du péché, que peut la volonté sous la pression dominante de la cupidité, sinon, lorsqu’elle est pieuse, de prier et d’implorer secours ? Elle n’est libre qu’en tant qu’elle a été délivrée ; et c’est en cela seulement qu’elle s’appelle volonté. Autrement il la faudrait appeler plutôt cupidité que volonté ; et cette cupidité n’est pas, comme le disent faussement les Manichéens, une addition d’une nature étrangère, mais un vice de notre nature qui ne se peut guérir que par la grâce du Sauveur. Que si l’on veut dire que la cupidité elle-même n’est rien autre que la volonté, mais pervertie et asservie au péché, il n’y a pas à contredire ; et pourvu que la chose soit constante, il n’y a point à disputer sur les mots. Et ainsi se trouve encore démontré que, sans volonté, il n’y a pas de péché ni originel ni actuel.

5. De nouveau j’ai dit : « J’avais commencé à chercher si cette mauvaise espèce d’âmes avait eu quelque volonté avant d’être mêlée à la bonne espèce. Si elle n’en avait pas, elle était innocente et sans péché ; et en conséquence elle n’était pas mauvaise[143]. » Pourquoi donc alors, me répond-on, parlez-vous de péché chez les enfants dont vous ne tenez pas la volonté pour coupable ? Je réplique : Les enfants sont coupables non par leur volonté propre, mais par leur origine. Tout homme vivant sur cette terre, de qui tire-t-il son origine, sinon d’Adam ? Or, Adam avait certes bien sa volonté ; et quand il eut péché par cette volonté, le péché est entré par lui dans le monde.

6. De même, pour ces paroles : «Les âmes ne peuvent nullement être mauvaises par nature ; » si on me demande comment je les accorde avec celles de l’Apôtre : « Nous étions par nature enfants de colère comme les autres[144], » je répondrai qu’en me servant du mot nature, j’ai voulu le prendre dans son acception propre, à savoir la nature dans laquelle nous avons été créés et qui est sans défaut.

L’autre acception se prend de la nature entendue en vue de notre origine, origine souillée, ce qui est contre la nature. Ainsi encore, à propos de cette phrase : « Tenir quelqu’un pour coupable de péché parce qu’il n’a pas fait ce qu’il n’a pu faire, c’est le comble de l’iniquité et de la folie ; » eh bien ! me dit-on, pourquoi tenez-vous les enfants pour coupables ? Parce qu’ils le sont d’origine en celui qui n’a pas fait ce qu’il pouvait faire, à savoir, garder le précepte divin. D’ailleurs, ce que j’ai dit : « Si tout ce que font ces âmes, elles le font naturellement et non volontairement, c’est-à-dire si elles manquent du libre mouvement pour faire ou ne pas faire ; ou si elles n’ont pas la puissance de s’abstenir de leurs actes, elles ne peuvent pas être arguées de péché ; » cela, dis-je, n’est en rien affecté par la question des enfants ; car ils sont tenus pour coupables à cause de l’origine qu’ils tirent de celui qui a péché volontairement, puisqu’il avait le libre mouvement pour faire ou ne pas faire et possédait la plus grande puissance pour s’abstenir du mal. Ce que les Manichéens ne disent point de cette race de ténèbres qu’ils ont fabuleusement inventée et à laquelle ils attribuent une nature qui a été toujours mauvaise et jamais bonne.

7. On peut demander pourquoi j’ai dit : «Quand même il y aurait des âmes, ce qui est incertain, livrées non par le péché mais par nature, aux fonctions corporelles, et quand même elles nous toucheraient, quoiqu’inférieures à nous, par une sorte de voisinage intime, il ne faudrait pas cependant les tenir pour mauvaises, parce que nous, en les suivant et en aimant les choses corporelles, nous serions mauvais ; » on pourrait, dis-je, demander pourquoi j’ai parlé ainsi de ces âmes dont auparavant j’avais dit : «Concédât-on aux Manichéens que nous sommes entraînés aux choses honteuses par une espèce inférieure d’âmes, ils n’en peuvent pas conclure que ces âmes soient mauvaises par nature, ni que les autres soient le souverain bien[145]. » J’ai conduit l’examen et l’étude de ce point jusqu’à ce passage : « Quand même il y aurait des âmes, ce qui est incertain, etc. » On peut donc demander pourquoi j’ai dit : « Ce qui est incertain, » lorsque je n’aurais pas dû mettre en doute qu’il n’y a pas d’âmes pareilles. Mais voici pourquoi je une suis exprimé ainsi : c’est que j’ai rencontré des personnes qui prétendaient que le démon et ses anges sont bons dans leur genre et dans la nature où Dieu les a créés, tels qu’ils sont et par un dessein particulier ; que le mal, c’est de nous laisser charmer et séduire par eux ; le bien et la gloire, de nous en défier et de les vaincre. Et ceux qui parlent de la sorte se figurent prouver leur assertion par des témoignages tirés de l’Écriture : ainsi, dans le livre de Job[146], quand le démon est défini : « C’est le chef-d’œuvre du Seigneur, qui l’a fait pour s’en jouer par ses anges, » ou ce verset du psaume : « C’est le dragon que vous avez créé pour vous jouer de lui[147]. » Cette question, qui ne regarde pas les Manichéens, lesquels n’ont pas d’opinion semblable, mais qui regarde ceux qui partagent cette manière de voir, je n’ai pas voulu la traiter en ce moment et la résoudre, car elle aurait augmenté mon livre plus que je ne le désirais. Je voyais d’ailleurs que même en concédant ce point, les Manichéens pouvaient et devaient être convaincus d’introduire une erreur insensée, à savoir la nature du mal coéternelle au bien éternel. Aussi ai-je dit : « Ce qui est encore incertain ; » non pas que j’en doutasse moi-même, mais parce que la question n’avait pas encore été résolue entre moi et les adversaires que j’avais en vile. Je l’ai résolue du reste, dans mes livres écrits longtemps après sur la Genèse prise à la lettre, d’après les saintes Écritures et avec autant de clarté que j’ai pu.

8. Ailleurs je dis : « Nous péchons en aimant les choses corporelles, parce que la justice nous ordonne d’aimer les choses spirituelles, que la nature nous en donne la possibilité et qu’alors, dans notre espèce, nous sommes très-bons et très-heureux[148]. » On pourrait me demander pourquoi j’ai dit : « La nature, » et non pas « la grâce » nous en donne la possibilité. Mais le débat sur la nature était alors contre les Manichéens. Et ce que fait la grâce, c’est de guérir la nature afin qu’elle puisse, étant guérie, ce qu’elle ne peut pas étant viciée, et qu’elle le puisse par Celui qui est venu chercher et sauver ce qui périssait. Cette grâce, même alors, je l’ai implorée pour unes plus tendres amis qui étaient encore livrés à cette mortelle erreur et j’ai dit : «Dieu grand, Dieu tout-puissant, Dieu souverainement bon, vous qu’il est permis de croire et de comprendre inviolable et immuable, Unité et Trinité tout ensemble, vous qu’adore l’Église catholique, je vous en supplie et vous en conjure, moi qui ai éprouvé votre miséricorde, ne permettez pas que des hommes avec qui j’ai, depuis mon enfance, vécu toujours dans la plus affectueuse concorde, soient en désaccord avec moi sur le culte qui vous est dû[149] ! » En priant de la sorte, je gardais la foi non-seulement que Dieu seul par sa grâce aide les convertis, afin qu’ils progressent et se perfectionnent, sur quoi l’on peut dire aussi que cette grâce est accordée au mérite de leur conversion ; mais encore que c’est à la grâce de Dieu qu’il appartient d’opérer la conversion même. Car j’ai prié pour ceux qui étaient bien éloignés de Dieu, et j’ai demandé qu’ils revinssent à lui. Ce livre commence ainsi : « Avec l’aide de la miséricorde divine. »


CHAPITRE XVI.

actes contre fortunat, manichéen. — un livre.


1. Dans le même temps, durant ma prêtrise, j’ai discuté contre un certain Fortunat, prêtre manichéen, qui avait vécu longtemps à Hippone et y avait séduit tant de personnes, que ce séjour lui était devenu très-agréable à cause de ses adeptes. Cette discussion fut recueillie au moment même par des sténographes, comme s’il s’agissait de faits mémorables ; car la relation porte la date du jour et l’indication du Consulat. C’est cette discussion que nous avons pris soin de réunir en un livre. On y traite la question de l’origine du mal. J’affirmais que le mal vient pour l’homme du libre arbitre de sa volonté ; et lui, s’efforçait d’établir que la nature du mal est coéternelle à Dieu. Le jour suivant il finit par avouer qu’il ne trouvait plus rien à nous répondre. Toutefois il ne se fit pas catholique, mais du moins il quitta Hippone.

2. Ce que j’ai dit en ce livre : que «l’âme est faite par Dieu, comme toutes les autres choses qui ont été faites par lui ; et qu’entre tout ce que le Dieu tout-puissant a fait, elle occupe le rang principal[150] ; » ne se doit prendre que dans le sens général qui s’applique à toute créature raisonnable, bien qu’il soit difficile, ainsi que je l’ai dit, de trouver dans les saintes Écritures le nom d’âme appliqué aux Anges. De même ailleurs : « Je dis qu’il n’y a pas de péché si on ne pèche pas jar sa propre volonté[151]. » J’ai voulu entendre ici le péché qui n’est pas en même temps la peine du péché ; car j’ai expliqué dans cette discussion même ce qu’il faut dire de cette peine[152]. J’ai dit encore : « Afin que cette même chair, qui nous a torturés de ses peines quand nous demeurions dans le péché, nous soit soumise dans la résurrection, et qu’elle ne nous tourmente d’aucune souffrance pour nous empêcher de garder la loi et les préceptes divins[153]. » Il ne faudrait pas comprendre ces paroles en ce sens que dans le royaume de Dieu, où nous posséderons nos corps incorruptibles et immortels, nous ayons à emprunter aux divines Écritures la loi et les préceptes ; mais dans ce sens que la loi éternelle sera là, parfaitement observée, et que nous trouverons les deux préceptes de l’amour de Dieu et du prochain non dans la lecture, mais dans la charité parfaite et éternelle.

Cet ouvrage commence ainsi : « Le cinq des calendes de septembre, les très-illustres Arcadius, Auguste pour la deuxième fois, et Rufin étant consuls. »


CHAPITRE XVII.

de la foi et du symbole. — un livre.


Vers la même époque, par l’ordre et en présence des évêques qui célébraient à Hippone un concile plénier de toute l’Afrique, je fis, étant prêtre, une conférence sur la foi et sur le symbole. C’est cette conférence dont j’ai formé un livre, sur les instances pressantes de quelques-uns de nos plus chers et intimes amis. J’y disserte sur ces grands sujets, en m’attachant plus aux choses elles-mêmes qu’à l’arrangement des mots que l’on donne à retenir à ceux qui demandent le baptême. Parlant dans ce livre de la résurrection de la chair, je dis : « Selon la foi chrétienne, qui est infaillible, le corps ressuscitera. Cette vérité paraît incroyable à qui ne fait attention qu’à la chair en son état actuel, et ne considère pas ce qu’elle doit être dans son état futur : dans ce temps d’angélique changement, il n’y aura plus de chair et de sang, il n’y aura plus qu’un corps[154]. » Ajoutez tout ce que j’ai enseigné sur la commutation des corps terrestres en corps célestes, selon ce que dit l’Apôtre : « La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. » Si l’on comprenait mes paroles en ce sens que le corps terrestre tel que nous l’avons sera changé par la résurrection en un corps céleste, de telle façon qu’il n’ait ni ses membres ni la substance de sa chair actuelle, ce serait une erreur, et il la faudrait corriger. Car nous savons que le corps de Notre-Seigneur, après sa résurrection, a été non-seulement montré aux regards avec les mêmes membres, mais s’est livré au toucher, et que lui-même confirmait la réalité de sa chair par ces paroles : « Voyez et touchez : un esprit n’a pas de chair et d’os comme vous voyez que j’en ai[155]. » D’où il suit que l’Apôtre n’a pas nié que la substance de la chair ne se retrouvât au royaume de Dieu ; il a voulu seulement, par ce nom de chair et de sang, désigner ou les hommes qui vivent selon la chair, ou bien la corruption de la chair, qui n’existera plus alors. Lorsqu’en effet il dit : « La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu », on comprend bien qu’il explique lui-même ce qu’il a dit en ajoutant aussitôt : « Et la corruption ne possédera pas l’incorruptibilité[156]. » Sur ce point difficile à persuader aux infidèles, on trouvera une dissertation aussi complète que j’ai pu la faire dans mon dernier livre de la Cité de Dieu. Ce livre commence ainsi : « Puisqu’il est écrit. »

CHAPITRE XVIII.

COMMENTAIRE LITTÉRAL SUR LA GENÈSE. — UN LIVRE INCOMPLET.

J’avais composé les deux livres sur la Genèse contre les Manichéens ; ayant commenté les paroles de la sainte Écriture au sens allégorique, et n’ayant pas osé alors expliquer les secrets des choses de la nature selon le sens littéral, c’est-à-dire selon la propriété historique qui doit être attribuée aux récits du livre saint, j’ai voulu essayer mes forces sur cette entreprise si difficile et si laborieuse ; mais mon inexpérience dans l’exposition des Écritures a succombé sous un si lourd fardeau. J’avais à peine achevé un premier livre que je dus renoncer à ce travail, trop considérable pour moi. En me livrant à la révision de mes écrits, ce livre me tomba sous la main, tout imparfait qu’il est. Je ne lui avais pas laissé voir le jour et j’avais résolu de l’anéantir, ayant écrit depuis douze livres de commentaire littéral sur la Genèse. Bien qu’il y ait dans ces livres beaucoup plus de questions posées que résolues, mon premier traité ne saurait leur être comparé. Toutefois après l’avoir revu, j’ai voulu le conserver comme une preuve, non sans intérêt, à ce que je crois, de mes premiers essais pour étudier et élucider les Écritures sacrées, et je lui ai donné pour titre : De la Genèse, commentaire littéral inachevé. Je l’ai trouvé dicté jusqu’à ces mots : « Le Père est seulement Père, et le Fils n’est pas autre que Fils ; aussi quand on appelle le Fils ressemblance de son Père, bien qu’on ne montre aucune dissemblance avec le Père, le Père n’est cependant pas seul, s’il a une ressemblance[157] ; » puis j’ai reproduit les paroles de la sainte Écriture que j’avais à examiner de nouveau : « Et Dieu dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance[158]. » J’avais laissé là le livre inachevé. J’ai pensé en le révisant, qu’il y fallait ajouter ce qui suit ; et cependant je ne l’ai pas achevé complètement, car cette addition ne le termine pas. Si je l’eusse terminé en effet, j’aurais au moins étudié les œuvres et les paroles divines qui appartiennent au sixième jour. Il m’a paru inutile de relever dans ce livre ce qui peut me déplaire et de défendre ce qui peut ne pas être bien compris. Je me borne à avertir brièvement qu’il vaut mieux lire les douze livres que, longtemps après et étant évêque, j’ai écrit sur ce sujet ; c’est d’après eux qu’il en faut juger. Il commence donc ainsi : « Il s’agit de traiter, non en manière d’affirmation, mais à titre de recherches, des secrets de ces choses naturelles que nous savons produites de Dieu, le souverain artisan. »

CHAPITRE XIX.

DU SERMON SUR LA MONTAGNE. — DEUX LIVRES.

1. C’est vers le même temps que j’écrivis deux volumes du sermon sur la montagne selon saint Matthieu. Quant à ce qu’on lit au premier de ces livres : « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu[159]; » « la sagesse, dis-je, appartient aux pacifiques, dans lesquels tout est déjà en ordre, chez lesquels il n’y a pas de mouvement rebelle à la raison, mais où tout obéit à l’esprit de l’homme, qui lui-même obéit à Dieu[160]; » il faut que je m’explique. Il ne peut en effet arriver à personne en cette vie, de n’avoir point dans ses membres une loi qui répugne à la loi de l’esprit. Quand même l’esprit de l’homme résisterait à cette loi, au point que jamais sa volonté ne faillit, cependant la répugnance et la lutte y seraient. Cette parole : « Il n’y a pas de mouvement rebelle à la raison », ne se peut donc prendre que dans ce sens que les pacifiques domptent les concupiscences de la chair pour arriver un jour à la paix pleine et entière.

2. Aussi, lorsqu’ensuite, répétant cette sentence de l’Évangile : « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu[161] », j’ai ajouté : « On y peut arriver même en cette vie, comme nous croyons que les Apôtres y sont parvenus[162] ; » cela ne se doit pas entendre dans le sens que les Apôtres, durant leur vie, n’éprouvaient aucun mouvement de la chair contraire à l’esprit ; mais que l’on peut arriver jusqu’où nous croyons que les Apôtres sont parvenus, c’est-à-dire, dans la mesure de la perfection humaine aussi complète qu’elle peut être dans cette vie. Je n’ai pas dit : « On peut y arriver dans cette vie, car nous croyons que les Apôtres y sont arrivés, »mais « comme nous croyons que les Apôtres y sont arrivés ; » en sorte qu’on y arrive comme ils y sont parvenus, c’est-à-dire dans la perfection qu’ils, ont atteinte et qui est celle dont la vie présente est capable, non pas celle que nous espérons un jour posséder dans la paix parfaite quand nous dirons : « O Mort, où est ton aiguillon[163]? »

3. Ailleurs[164], en citant ce témoignage : « Dieu ne donne pas l’esprit en le mesurant[165] », je n’avais pas compris que ce passage ne s’appliquait avec vérité qu’à Jésus-Christ. En effet, si Dieu ne donnait pas son esprit aux autres hommes en le mesurant, Elisée n’en aurait pas demandé le double de ce qu’avait reçu Élie. En exposant cette parole : « Il ne sera pas enlevé un iota, pas un accent à la loi avant que toutes ces choses arrivent[166] », j’ai dit qu’on ne pourrait la comprendre que comme l’expression véhémente de la perfection[167]. Alors naturellement on peut me demander. si cette perfection peut s’entendre en ce sens qu’il soit vrai que personne, usant de son libre arbitre, ne puisse vivre ici-bas sans péché. Par qui en effet la loi peut-elle être accomplie jusqu’à un accent, sinon par celui qui observe tous les préceptes divins ? Or, dans ces préceptes il y en a un qui nous ordonne de dire : « Pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[168] », et cette prière, l’Église tout entière la dit et la redira jusqu’à la fin des siècles. Donc tous les préceptes sont regardés comme accomplis, quand tout ce qui ne se fait pas est pardonné.

4. Assurément ce que dit le Seigneur : « Quiconque violera un seul de ces moindres commandements, et enseignera ainsi », et le reste, jusqu’à ces mots : « Si votre justice n’est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux[169];» je l’ai beaucoup mieux exposé dans mes discours postérieurs ; mais il serait trop long de le répéter en ce moment. Le sens donné ici à ces paroles[170], c’est que ceux qui disent et qui font, ont une justice plus grande que celle des scribes et des pharisiens. Car Notre-Seigneur dit des pharisiens et des scribes : « Ils disent et ils ne font pas[171]. » Nous avons aussi beaucoup mieux compris dans la suite la parole : « Celui qui se met en colère contre son frère [172]. » Les manuscrits grecs ne portent pas : « sans cause », comme je l’ai mis, quoique le sens soit le même. En effet j’ai dit qu’il fallait considérer ce que c’est que de se mettre en colère contre son frère ; or, ce n’est pas se mettre en colère contre son frère que de s’irriter du péché de son frère ; celui-là donc qui s’irrite non contre le péché, mais contre son frère, se met en colère sans cause.

5. De même lorsque j’ai écrit : « C’est du père et de la mère, et des autres liens du sang qu’il faut comprendre cette parole, pour haïr en eux ce que le genre humain tire de la naissance et de la mort [173]; » il semble que j’ai voulu dire que ces liens naturels ne dussent pas exister au cas où l’homme n’ayant pas péché, personne n’eût été soumis à la mort ; ce sens-là, je l’ai réprouvé plus haut. Il y aurait eu, en effet, des parentés et des alliances, même si le péché originel n’eût pas été commis, et que le genre humain eût crû et se fût multiplié sans mourir. C’est ce qui doit servir à résoudre autrement cette question : pourquoi Dieu nous a ordonné d’aimer nos ennemis[174] tandis qu’ailleurs il nous a ordonné de haïr nos parents et nos enfants[175] ? Elle ne doit pas en effet être résolue comme nous l’avons fait ici, mais comme nous l’avons souvent fait postérieurement, à savoir : nous devons aimer nos ennemis pour les gagner au royaume de Dieu, et haïr nos parents, s’il nous en éloignent.

6. Semblablement, le précepte qui interdit à un mari de répudier sa femme, si ce n’est pour cause de fornication, je l’ai discuté ici avec le soin le plus scrupuleux[176]. Mais quelle est la fornication pour laquelle le Seigneur permet la répudiation ? Est-ce celle qui se compte parmi les crimes honteux, ou celle de laquelle il est écrit : « Vous avez perdu quiconque commet une fornication contre vous[177] », et dont la première fait aussi partie ; car il n’est pas sans commettre la fornication contre Je Seigneur celui qui corrompt les membres du Christ et les transforme en membres d’une courtisane ? Voilà ce qu’il faut examiner, rechercher et méditer à fond. En une matière si importante et si difficile, je ne voudrais pas que le lecteur pût penser que ma discussion suffise ; qu’il veuille bien, au contraire, lire d’autres écrits, soit ceux que j’ai composés depuis, soit ceux qui ont été mieux rédigés et médités par d’autres. Que lui-même, s’il le peut, débatte dans son intelligence avec plus de sagacité et de prudence les raisons qui peuvent à bon droit être invoquées ici. En effet tout péché n’est pas une fornication ; Dieu ne perd pas tous les pécheurs, lui qui chaque jour exauce les saints qui lui disent : « Pardonnez-nous nos péchés[178]; » et cependant il condamne, il perd quiconque commet une fornication contre lui. Quelle est donc cette fornication ? Comment l’entendre et comment la limiter ? Est-il aussi permis pour elle de répudier une épouse ? La question est des plus obscures. Quant à la permission de répudier basée sur la fornication en tant que crime honteux, cela rie fait pas de doute. Seulement, quand j’ai dit que cette répudiation était permise mais non ordonnée, je n’avais pas fait attention à cette autre parole de l’Écriture « Celui qui garde une adultère est un fou et un impie[179]. » Il est bien entendu que je n’appellerai pas non plus adultère la femme de qui le Seigneur a dit : « Moi je ne vous condamnerai pas, allez et ne péchez plus[180] », pourvu qu’elle lui ait obéi.

7. En un autre endroit j’ai défini le péché mortel contre un frère, duquel saint Jean dit : « Je ne dis pas que personne prie pour lui[181];» je l’ai défini, dis-je, en ces mots : « Le péché mortel contre un frère est, je pense, celui que l’on commet quand, après que l’on a connu Dieu par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’on porte atteinte à la fraternité et que l’on est poussé, par les flammes de l’envie, contre cette grâce par laquelle on a été réconcilié avec Dieu[182] ». Je n’ai pas prouvé mon dire, parce que je l’ai énoncé comme étant seulement ma pensée. Mais il fallait ajouter : si toutefois on achève sa vie dans cette atroce perversité ; car il ne faut jamais désespérer ici-bas même des plus méchants ; et on a raison de prier toujours pour celui de qui on ne désespère pas.

8. Dans le second livre je dis : « Il ne sera permis à personne d’ignorer le royaume de Dieu, lorsque le Fils unique de Dieu sera venu du ciel non-seulement d’une façon intelligible, mais d’une façon visible comme homme du Seigneur, pour juger les vivants et les morts[183]. » Je ne pense pas que l’on puisse se servir à bon droit de cette expression, homme du Seigneur, pour le Médiateur entre Dieu et les hommes, pour Jésus-Christ homme, puisqu’il est le Seigneur. Quel est en effet l’homme de qui on ne puisse pas dire dans sa sainte famille qu’il est l’homme du Seigneur ? Si je me suis servi de ce terme, c’est que je l’ai lu dans quelques écrivains catholiques, interprètes des saintes Écritures. Je voudrais ne pas l’avoir employé partout où je m’en suis servi. En effet j’ai vu plus tard qu’il n’était pas absolument propre, quoiqu’il puisse se défendre par quelques bonnes raisons. De même j’ai dit « La conscience de personne, ou à peu près, ne peut détester Dieu[184]. » Je n’aurais pas dû parler ainsi ; car il y a beaucoup de personnes de qui il est écrit : « L’orgueil de ceux qui vous détestent, Seigneur[185]. »

9. Ailleurs j’ai écrit : « Quand le Seigneur a dit : À chaque jour suffit son mal[186], il a voulu nommer mal la nécessité où nous sommes de prendre chaque jour de la nourriture, parce que cette nécessité est une peine ; elle appartient à cette fragilité que le péché nous a méritée[187]. » Mais je n’ai pas fait attention que dans le paradis des aliments avaient été donnés à nos premiers parents, avant que le péché ne leur attirât cette peine de mort. Ils étaient alors immortels et revêtus d’un corps, non pas spirituel, mais animal, et dans cet état d’immortalité, ils devaient cependant user de nourriture. Lorsque j’ai dit aussi[188] : « Cette Église que Dieu s’est choisie, glorieuse et n’ayant ni tache ni ride[189]; » je n’ai pas entendu que l’Église fût actuellement absolument telle et dans toutes ses parties. On ne peut douter qu’elle ait été choisie pour être telle quand le Christ, sa vie, apparaîtra ; elle,

CHAPITRE XX.

CANTIQUE CONTRE LE PARTI DE DONAT.

Dans le désir de porter à la connaissance du vulgaire et des hommes illettrés et ignorants l’affaire des Donatistes, et pour en graver la mémoire dans la multitude, j’ai composé suivant l’ordre des lettres latines un cantique qu’ils pussent chanter. Je ne l’ai fait que jusqu’à la lettre V. On appelle ces chants alphabétiques. J’ai laissé de côté les trois dernières lettres ; mais je les ai remplacées par un épilogue où l’Église s’adresse à eux comme une bonne mère. Le refrain qu’on devait reprendre, et l’exposé de l’affaire, qui se chante, ne suivent pas l’ordre dis lettres ; cet ordre ne commence qu’après le prologue. Je n’ai pas voulu employer de forme métrique absolue, de peur que la nécessité du vers ne me forçât de recourir à des termes moins connus du vulgaire. Ce cantique commence ainsi : « Vous tous qui jouissez de la paix, jugez la vérité. » C’est le refrain.

CHAPITRE XXI.

CONTRE LA LETTRE DE L’HÉRÉTIQUE DONAT. — UN LIVRE.

(N’existe plus.)

1. Pendant que j’étais prêtre ; j’écrivis encore un livre contre une lettre de Donat, qui fut à Carthage le second évêque du parti donatiste après Majorinus. Dans cette lettre, il prétendait que si on n’était pas de sa communion on n’était pas baptisé en Jésus-Christ. Mon livre le combat. En un passage j’ai dit de l’apôtre saint Pierre que l’Église a été fondée sur lui comme sur la pierre ; c’est le sens que célèbre l’hymne très-répandue du bienheureux Ambroise dans ces vers sur le chant du coq : « À ce chant, la pierre de l’Église efface sa faute. » Mais je sais que très-souvent, dans la suite, j’ai expliqué cette parole du Seigneur : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église », en ce sens que cette pierre est Celui que Pierre a confessé en disant : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant 1 ; » de la sorte, Pierre tirant son nom de cette pierre, figurait la personne de l’Église, qui est élevée sur elle et qui a reçu les clefs du royaume des cieux. Il ne lui a pas été dit en effet : « Tu es la pierre (petra), » mais : « Tu es Pierre (Petrus). »

Car la pierre était le Christ ; et Simon, l’ayant confessé comme toute L’Église le confesse, a été nommé Pierre. Que le lecteur choisisse de ces deux interprétations celle qui lui semblera la plus probable.

2. J’ai dit ailleurs : « Dieu ne cherche la mort de personne, » ce qui se doit entendre que l’homme s’est procuré la mort en s’éloignant de Dieu, et que celui qui ne recourt pas à Dieu, se la procure selon qu’il est écrit : « Ce n’est pas Dieu qui a fait la mort[190] ». Mais cette autre parole n’en est pas moins vraie. « La vie et la mort viennent du Seigneur Dieu[191] ; » la vie venant de lui comme un don, la mort comme un châtiment.

3. J’ai dit également que Donat, dont je réfutais la lettre, avait demandé à l’Empereur de lui donner pour juges entre Cécilien et lui des évêques d’au-delà de la mer ; il est probable que ce n’est pas lui-même qui a été l’auteur de cette demande, mais l’autre Donat, qui appartenait au même schisme que lui. Ce dernier n’était pas évêque des Donatistes de Carthage, mais des Cases-Noires ; et c’est lui cependant qui le premier a consommé le schisme fatal, à Carthage. Ce n’est pas non plus Donat de Carthage qui a établi que les chrétiens fussent rebaptisés ; je l’avais cru à tort quand je répondais à sa lettre. Ce n’est pas lui non plus qui a enlevé d’une citation du livre de l’Ecclésiastique des paroles essentielles. « À celui qui s’est « purifié après avoir touché min mort, et qui le touche de nouveau, que sert de s’être purifié[192] ? » dit le livre saint ; et lui les a citées ainsi : « À celui qui s’est purifié après avoir touché un mort, que sert de s’être purifié ? » Nous aussi, mais plus tard, et avant que le parti des Donatistes eût paru, nous avons appris qu’il y avait plusieurs manuscrits, africains, il est vrai, qui ne portaient pas la phrase incidente : « et qui le touche de nouveau. » Si je l’eusse su plus tôt, je ne l’aurais pas si sévèrement traité de corrupteur et de larron de la divine Écriture. Ce livre commence ainsi : « Je vous avais entendu dire à vous-même quand vous étiez présent. »

CHAPITRE XXII.

CONTRE ADIMANTE, DISCIPLE DE MANÈS. — UN LIVRE.

1. Vers le même temps, il me tomba entre les mains certaines dissertations d’Adimante, qui avait été disciple de Manès ; elles étaient dirigées contre la Loi et les Prophètes, qu’il prétendait mettre en opposition avec les Évangiles et les Écrits apostoliques. Je lui ai répondu, citant ses paroles et ajoutant mes répliques. J’ai renfermé ces réponses en un volume, et dans ce volume j’ai résolu plusieurs questions non une seule fois, mais une seconde, parce que mes premières réponses avaient été perdues et elles n’ont été retrouvées que quand j’avais déjà répondu de nouveau. Quelques-unes de ces questions, il est vrai, ont été traitées par moi à l’église dans des discours aux fidèles ; il en est certaines même que je n’ai pas abordées ; d’autres enfin ont été délaissées, d’abord parce que des affaires plus urgentes m’ont occupé, et ensuite parce que je les ai mises en oubli.

2. Dans ce livre je dis : « Avant la venue du Seigneur, le peuple qui avait reçu l’Ancien Testament était assurément environné de certaines ombres et de certaines figures de la réalité, selon l’admirable et très-sage distribution des temps ; cependant il y a dans l’Ancien Testament une telle préparation et une telle prédication du Nouveau que, malgré la hauteur et la divinité des préceptes et des promesses, rien ne se trouve dans la doctrine des Évangélistes et des Apôtres qui manque à ces livres[193]. » Il fallait ajouter « à peu près, » et il fallait dire : « Malgré la hauteur et la divinité des préceptes et des promesses, rien à peu près ne se trouve dans la doctrine des Évangélistes et des Apôtres, qui manque aux livres de l’Ancien Testament. »

Le Seigneur, en effet, aurait-il dit dans le sermon sur la montagne : « Vous avez entendu « que cela a été dit à vos pères : moi voici ce que je vous dis[194], » s’il n’avait rien enseigné de plus que ce qui est ordonné dans l’Ancien Testament ? Nous ne voyons pas que le royaume des cieux ait été promis au peuple parmi les promesses que contenait la loi donnée à Moïse sur le Sinaï[195], laquelle se nomme proprement l’Ancien Testament ; et l’Apôtre nous apprend que cet Ancien Testament est figuré par la servante de Sara et par son fils, tandis que le Nouveau est figuré par Sara même et par son fils[196]. Que si ensuite on examine les figures, on trouve prophétisé tout ce qui a été réalisé ou tout ce dont on attend la réalisation par le Christ. Cependant, à cause de certains préceptes non figurés, mais directs, qui ne sont pas dans l’Ancien Testament et qui sont dans le Nouveau, il est plus sûr et plus sage de dire : « À peu près, » que de dire : « Rien, » sans correctif ; bien que réellement on trouve dans l’Ancienne Loi les deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, auxquels se rapportent ensemble la Loi, les Prophètes, les Évangiles et les Apôtres.

3. Semblablement, quand j’ai dit : « Dans l’Écriture, le nom de Fils se trouve pris de trois manières[197], » j’ai parlé un peu inconsidérément ; car j’en ai oublié plusieurs. Ainsi on trouve Fils de la géhenne[198], Fils d’adoption[199] ; acceptions qui ne sont ni selon la nature, ni selon la doctrine, ni selon l’imitation. Des trois modes ci-dessus, j’ai donné des exemples de filiation comme s’il n’y en avait pas d’autres : selon la nature, comme quand on dit que les Juifs sont fils d’Abraham[200] ; selon la doctrine, comme lorsque l’Apôtre appelle ses fils, ceux à qui il a enseigné l’Évangile[201] ; selon l’imitation, quand nous sommes nommés fils d’Abraham, parce que nous imitons sa foi[202]. Quand j’ai dit[203] : « Lorsque l’homme aura revêtu l’immortalité et l’incorruptibilité, alors il n’y aura plus ni chair ni sang[204] », j’ai voulu exprimer qu’il n’y aura plus de chair en tant que corruption charnelle et non en tant que substance ; car en tant que substance le corps du Seigneur est appelé chair, même après sa résurrection[205].

4. Ailleurs[206] : « Si l’on ne change pas sa volonté, ai-je dit, on ne peut pas opérer le bien ce que l’Évangile nous enseigne être en notre « pouvoir dans ces paroles : Faites l’arbre « bon, et son fruit sera bon ; faites l’arbre mauvais, et le fruit sera mauvais[207]. » Et cela n’est pas contraire à la doctrine de la grâce que nous prêchons. Il est en effet dans la puissance de l’homme de changer en mieux sa volonté ; mais cette puissance ne saurait exister que si elle est donnée de Dieu, de qui il est écrit : « Il leur a donné puissance d’être faits enfants de Dieu[208]. » En effet, comme ce que nous faisons quand nous le voulons, est dans notre puissance, rien n’est plus en notre puissance que la volonté même ; mais la volonté est préparée de Dieu. De cette manière, c’est lui qui donne la puissance. C’est en ce sens aussi qu’il faut entendre ce que j’ai dit plus loin : « Il est dans notre puissance de mériter d’être tentés par sa bonté, ou d’être abattus par sa sévérité ; » car il n’y a dans notre puissance que ce qui résulte de notre volonté ; et quand elle est préparée de Dieu forte et puissante, l’œuvre de piété devient facile lors même qu’elle était difficile ou impossible. Ce livre commence ainsi : « Sur cette parole de l’Écriture : Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre. »

CHAPITRE XXIII.

EXPOSITION DE QUELQUES PROPOSITIONS TIRÉES DE L’ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS.

1. Étant encore prêtre, il m’arriva avec ceux de nos frères qui étaient à Carthage, de lire l’Épître de saint Paul aux Romains ; ils m’adressaient des questions sur divers points, et comme je leur répondais autant que je le pouvais, ils désirèrent ne pas laisser perdre ce que je disais et le recueillir par écrit. J’y consentis, et il en résulta un livre qui s’ajouta à mes autres opuscules. Dans ce livre, quand je m’exprime ainsi : « Ce que dit l’Apôtre : Nous savons que la loi est spirituelle et moi je suis charnel, prouve assez qu’on ne peut accomplir la loi sans être spirituel, ce qui est un don de la grâce de Dieu ; » je n’ai certainement pas voulu qu’on l’appliquât à la personne de l’Apôtre, qui était déjà spirituel ; mais à l’homme soumis à la loi et non à la grâce. C’est ainsi que je comprenais ces paroles. Plus tard, ayant lu plusieurs écrivains qui traitent de la divine Écriture, et dont l’autorité était d’un grand prix à mes yeux, j’ai examiné de plus près et j’ai vu que ces mots : « Nous savons que la loi est spirituelle et moi je suis un « homme charnel, » pouvaient s’entendre de l’Apôtre lui-même. C’est ce que j’ai montré aussi bien que je l’ai pu dans les livres que j’ai récemment composés contre les Pélagiens. Ce que j’ai dit encore dans ce livre sur ces mots « Moi je suis un homme charnel, » etc, jusqu’à : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ[209] » je l’ai entendu appliquer à l’homme soumis encore à la loi et non encore à la grâce, voulant bien faire mais faisant mal, vaincu par la concupiscence de la chair[210]. Cette domination de la concupiscence, rien n’en délivre, si ce n’est la grâce de Dieu, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai don du Saint-Esprit, par lequel la charité, répandue dans nos cœurs, triomphe des concupiscences de la chair de telle sorte que nous n’y consentions pas pour faire le mal, mais — que nous opérions le bien. Par là se trouve renversée l’hérésie de Pélage qui voudrait que la charité, qui nous fait vivre dans le bien et dans la piété, vienne de nous et non pas de Dieu. Mais dans les livres que j’ai publiés contre les Pélagiens, j’ai montré que ces paroles s’appliquaient mieux encore à l’homme spirituel et déjà constitué dans la grâce ; et cela tant à cause de ce corps de chair, qui, n’étant pas spirituel ici-bas, le sera à la résurrection ; qu’à cause de la concupiscence de la chair, avec laquelle les saints combattent, sans lui obéir pour le mal, mais en résistant à ses mouvements, dont ils ne sont pas exemptés pendant cette vie et dont ils ne seront délivrés que dans l’autre, où la mort sera absorbée par la victoire. Cette concupiscence et ses mouvements, auxquels on résiste sans qu’ils cessent d’être, permettent que toute personne sainte, constituée en grâce, puisse employer ces termes que j’ai dit être propres à un homme soumis encore à la loi et non à la grâce. Il serait long de l’expliquer et j’ai indiqué où se trouve cette explication à[211].

2. De même, examinant ce qu’a choisi Dieu dans l’enfant qui n’était pas encore né, et à qui il a dit que son allié serait son serviteur ; examinant aussi ce que Dieu a repoussé dans cet enfant qui n’était pas encore né et qui devait être l’aîné, je remarque que c’est à eux que s’applique la parole prophétique, bien que proférée longtemps après : « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü[212] », et je poursuis ainsi mon raisonnement : « Dieu ne choisit donc pas les œuvres de chacun par sa prescience des œuvres qu’il donnera à chacun d’opérer ; mais il choisit la foi par sa prescience, en choisissant pour lui donner l’Esprit Saint, celui qu’il sait devoir croire en lui, afin qu’il obtienne la vie éternelle en faisant le bien[213]. » Je n’avais pas alors recherché avec assez de soin, ni trouvé exactement ce qu’est l’élection de la grâce. L’Apôtre dit à ce sujet : « Ceux qui étaient de reste ont été sauvés par l’élection de la grâce[214]. » Elle ne serait pas grâce s’il y avait des mérites qui la précédassent ; sans quoi ce qui serait donné, serait moins donné comme une grâce que rendu aux mérites comme une dette. D’où il suit que ce que j’ai dit aussitôt après : « L’Apôtre remarque en effet que c’est le même Dieu qui opère tout en tous[215] ; mais il n’est dit nulle part : « Dieu croit tout en tous ; » et ce que j’ai ajouté : « Si nous croyons, c’est notre œuvre, mais ce que nous faisons de bon vient de Celui qui donne l’Esprit-Saint aux croyants[216] ;» je ne l’eusse pas dit, si j’avais su que la foi elle-même est comptée au nombre des dons de Dieu, lesquels sont faits par le même Esprit. L’un et l’autre nous appartient à cause du libre arbitre de notre volonté ; et cependant l’un et l’autre nous est donné par l’Esprit de foi et de charité. La charité en effet n’est pas seule, mais, comme il est écrit : « La charité avec la foi vient de Dieu le Père, et de Notre-Seigneur Jésus-Christ[217] »

3. Quand j’ai dit peu après : « Il nous appartient de croire et de vouloir ; il appartient à Dieu de donner à ceux qui croient et qui veulent, la faculté de faire le bien par le Saint-Esprit, par lequel la charité est répandue dans nos cœurs[218] ; » j’ai eu raison ; mais par la même règle l’un et l’autre appartient à Celui qui lui-même prépare la volonté, comme l’un et l’autre appartient à nous, puisque rien ne se 1. Rom. 9,13. fait sans notre volonté. Lorsque j’ai dit ensuite : « Nous ne pouvons vouloir sans que nous soyons appelés ; et quand nous avons voulu, en suite de cet appel, notre volonté et notre course ne suffisent pas, à moins que Dieu ne fournisse des forces à ceux qui courent et les conduise là où il les appelle ; » et aussi quand j’ai ajouté : « Il est donc manifeste que le bien que nous faisons n’est pas l’œuvre de notre volonté et de notre mouvement, mais de la miséricorde de Dieu[219] », j’ai été absolument dans le vrai. Mais je n’ai que très-peu parlé de la vocation elle-même qui a lieu selon le dessein de Dieu ; elle n’est pas telle chez tous les appelés, mais seulement chez les élus. C’est pourquoi mes paroles ajoutées peu après : « De même que les élus de Dieu commencent par la foi, non par les œuvres, à mériter le don de Dieu pour faire le bien ; ainsi les damnés commencent par l’infidélité et l’impiété à mériter la peine, cette peine qui est elle-même le principe de leurs mauvaises actions ; » ces paroles sont très justes : mais que le mérite de la foi est lui-même un don de Dieu, je ne l’ai pas dit, je n’ai pas pensé non plus qu’il le fallait rechercher.

4. Ailleurs j’ai dit : « Celui dont il a pitié, Dieu le fait bien agir ; celui qu’il endurcit[220], il le laisse mal agir. Mais cette miséricorde est accordée au mérite précédent de la foi ; et cet endurcissement est dû à l’impiété précédente[221]. » Cela est vrai ; mais il fallait, de plus, rechercher si le mérite de la foi vient de la miséricorde de Dieu, c’est-à-dire, si cette miséricorde se rencontre dans l’homme seulement parce qu’il est fidèle, ou si elle s’y est rencontrée afin qu’il le soit. Nous avons lu en effet ce que dit l’Apôtre : « J’ai obtenu miséricorde pour être fidèle[222] ; » il ne dit pas : parce que j’étais fidèle. Au fidèle est donc accordée la miséricorde, mais elle lui fut aussi accordée pour être fidèle ; aussi ai-je eu parfaitement le droit d’écrire en un autre endroit du même livre « Si nous sommes appelés à croire, non par nos œuvres, mais par la miséricorde de Dieu ; et si par cette même miséricorde il est accordé aux croyants de bien faire, cette miséricorde ne doit pas être refusée aux Gentils[223] ; » cependant je n’ai pas assez soigneusement traité de cette vocation qui a lieu par le dessein de Dieu. Ce livre commence ainsi : « Dans l’Épître de saint Paul aux Romains, voici les sens. »

CHAPITRE XXIV.

EXPOSITION DE L’ÉPÎTRE AUX GALATES. — UN LIVRE.

1. Après ce livre, j’ai composé une exposition de l’épître du même apôtre saint Paul aux Galates ; non pas par fragments et en prenant des passages par intervalles, mais de suite et sans rien omettre. Cette exposition comprend un volume. Lorsque je dis dans ce volume « Les premiers Apôtres étaient des témoins véridiques envoyés non par les hommes, mais de Dieu par un homme, c’est-à-dire par Jésus-Christ, encore mortel : alors il est aussi n véridique le dernier des Apôtres qui a été envoyé par Jésus-Christ déjà tout Dieu, après sa résurrection ; » ces mots : Déjà tout Dieu, je les ai employés à cause de l’immortalité qu’il a prise après sa résurrection. Je ne les ai pas employés à cause de la divinité ; car la divinité toujours immortelle n’a pas un instant quitté Jésus-Christ, et il était tout Dieu en elle, même lorsqu’il allait mourir. Ce sens ressort manifestement de ce qui suit, car j’ai ajouté « Les premiers, ce sont les autres Apôtres, envoyés par Jésus-Christ, qui, en partie, était homme, c’est-à-dire mortel ; le dernier, c’est Paul, qui l’a été par Jésus-Christ déjà tout Dieu, c’est-à-dire immortel dans toutes ses parties[224]. » Je me suis exprimé ainsi, en exposant ce que dit l’Apôtre : « Non des hommes ni par l’homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père ; » comme si J.-C. n’était plus homme. Il dit en effet aussitôt : « Qui l’a ressuscité des morts[225]. » afin que l’on comprît bien pourquoi il disait : « Ni par l’homme. » En effet, au point de vue de l’immortalité, J.-C. Dieu n’est plus homme actuellement ; mais au point de vue de la substance de la nature humaine, avec laquelle il est monté au ciel, J.-C. homme est encore maintenant médiateur entre Dieu et les hommes[226], puisqu’il viendra dans le même état où l’ont vu ceux qui l’ont vu monter au ciel[227].

2. De même, ce que j’ai dit : « La grâce de Dieu est celle qui nous fait pardonner nos péchés afin que nous soyons réconciliés avec Dieu ; la paix est ce qui nous réconcilie avec Dieu[228], » doit être pris en ce sens que l’une et l’autre appartiennent à la grâce de Dieu en général ; de la même manière que lorsqu’on parle du peuple de Dieu, on dit d’une façon spéciale, autre est Juda, autre est Israël, et cependant, d’une manière générale, Israël peut signifier l’un et l’autre. De même, quand j’expliquais ces mots : « Quoi donc ? La loi a été établie à cause des transgressions[229], » j’ai pensé qu’il fallait faire une distinction et considérer : « Quoi donc ? » comme l’interrogation, et : « La loi a été établie à cause des transgressions », comme la réponse[230]. Ce système n’est pas absolument erroné ; mais je préfère cette lecture : « Qu’est-ce que la loi ? » à titre d’interrogation, et : « Elle a été établie à cause des transgressions, » à titre de réponse. Quand ensuite j’ai écrit : « C’est avec la plus grande raison que l’Apôtre ajoute : Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes plus sous la loi, afin que nous comprenions que ceux-là sont sous la loi, dont l’esprit a des désirs contraires à ceux de la chair, de telle sorte qu’ils ne fassent pas ce qu’ils veulent ; c’est-à-dire qu’ils ne se tiennent pas invaincus dans l’amour de la justice, mais qu’ils soient vaincus par la chair qui con » voile contre eux[231] ; » cela se doit prendre dans le sens que j’attribuais à ces paroles « La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit ; et l’esprit en a de contraires à ceux de la chair ; ils luttent l’un contre l’autre et vous empêchent de faire ce que vous voulez[232] ;» croyant qu’elles regardaient ceux qui sont sous la loi et ne sont pas encore sous la grâce. Je n’avais pas encore compris que ces paroles conviennent aussi à ceux qui sont sous la grâce et non sous la loi, parce que eux aussi, bien qu’ils n’y consentent pas éprouvent cependant les concupiscences de la chair auxquelles sont opposés les désirs de leurs esprits, et voudraient ne les pas éprouver s’ils le pouvaient. C’est pourquoi ils ne font pas tout ce qu’ils veulent, parce qu’ils veulent se soustraire à ces concupiscences et ne le peuvent. Ils cesseront de les éprouver, quand ils n’auront plus cette chair corruptible. Ce livre commence ainsi : « La cause pour laquelle l’Apôtre écrit. »

CHAPITRE XXV.

EXPOSITION COMMENCÉE DE L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS. — UN LIVRE.

J’avais aussi entrepris d’expliquer l’Épître aux Romains comme l’Épître aux Galates. Cette œuvre, pour être complète, demandait plusieurs livres ; j’en ai fait un de la seule discussion sur la salutation, c’est-à-dire depuis le commencement de cette lettre jusqu’à l’endroit où l’Apôtre dit : « La grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu notre Père et de N.-S.-J.-C. » Il nous arriva de nous arrêter à vouloir résoudre une question incidente des plus difficiles, celle du péché contre le Saint-Esprit, lequel n’est remis ni en ce monde ni en l’autre. Mais je cessai d’ajouter d’autres volumes pour expliquer l’Épître entière, effrayé par la grandeur et la fatigue d’une telle entreprise, et je me livrai à d’autres plus faciles. Il en résulta que je laissai seul le livre qui devait être le premier, et je lui donnai pour titre : Exposition commencée de l’Épître aux Romains. J’y ai dit que « la grâce est dans la rémission des péchés, et la paix dans la réconciliation avec Dieu. » Partout où je me suis exprimé ainsi, je n’ai pas voulu dire que la paix et la réconciliation elles-mêmes n’appartiennent pas à la grâce en général, mais que l’Apôtre a désigné spécialement par le nom de grâce, la rémission des péchés. De la même manière que nous disons dans un sens spécial, la Loi, selon cette parole : « La Loi et les Prophètes[233] », et dans un sens général, la Loi, comprenant aussi les Prophètes sous ce mot. Ce livre commence ainsi : « Dans l’Épître que l’apôtre saint Paul a écrite aux Romains, »

CHAPITRE XXVI.

DE QUATRE-VINGT-TROIS QUESTIONS DIVERSES. — UN LIVRE.

Il y a parmi nos œuvres un écrit très-étendu qui cependant n’est compté que comme un seul livre et qui est intitulé : De quatre-vingt-trois questions diverses. Ces matières avaient été disséminées sur un grand nombre de petits feuillets. Car, dans les premiers temps de ma conversion, après mon arrivée en Afrique, comme mes frères m’interrogeaient sur divers points quand ils me voyaient quelques loisirs, je dictais des réponses sans observer aucun ordre. Devenu évêque, je fis recueillir ces réponses, je les réunis en un volume et j’y mis des numéros pour la commodité du lecteur. La première de ces questions est celle-ci : L’âme est-elle par elle-même ? La seconde traite du Libre arbitre. La troisième est celle-ci : Dieu est-il l’auteur du mal dans l’homme ? La quatrième : Quelle est la cause de la méchanceté de l’homme ? La cinquième : Un animal sans raison peut-il arriver à la béatitude ? La sixième : Du mal. La septième : Ce qu’est proprement l’âme dans un animal. La huitième : Si l’âme se meut par elle-même ? La neuvième : Si la vérité peut être perçue par les sens corporels ? Dans cette question, j’ai dit : « Tout ce qu’atteignent les sens corporels, tout ce que l’on appelle sensible change sans aucune interruption : » cela n’est pas vrai assurément des corps devenus incorruptibles après la résurrection ; mais, dans la vie présente, aucun de nos sens corporels n’y atteint, si ce n’est peut-être par une révélation divine. La dixième : Le corps vient-il de Dieu ? La onzième : Pourquoi le Christ est né d’une femme. La douzième, en ce qui est intitulé : Sentence d’un sage, n’est pas de moi ; mais comme c’est moi qui l’ai fait connaître à quelques-uns de mes frères qui réunissaient avec soin nos travaux d’alors, et comme celui-là leur a plu, ils ont voulu l’insérer dans mes œuvres Cette question a été traitée par un certain Fonteius de Carthage ; elle montre qu’il faut purifier l’âme pour voir Dieu. Fonteius l’a écrite étant encore païen ; mais il est mort chrétien baptisé. La treizième donne les preuves de la supériorité de l’homme sur les bêtes. La quatorzième établit que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ n’était pas un fantôme. La quinzième traite de l’Intellect. La seizième : Du Fils de Dieu. La dix-septième : De la science de Dieu. La dix-huitième : De la Trinité. La dix-neuvième : De Dieu et de la créature. La vingtième : Du lieu de Dieu. La vingt-unième : Si Dieu n’est pas l’auteur du mal. Il faut avoir soin de ne pas interpréter en mal ce que j’y ai dit : « Il n’est pas l’auteur du mal, puisqu’il est l’auteur de tout ce qui est ; car autant les choses sont, autant sont-elles bonnes ; » et il faut aussi avoir soin de ne pas penser d’après cela que ce n’est pas de lui que vient la peine du. mal, laquelle est assurément un mal pour ceux qui sont punis. J’ai parlé ainsi dans le sens de ce qui est écrit : « Ce n’est pas Dieu qui a fait la mort[234] », tandis qu’il est dit ailleurs : « La mort et la vie sont du Seigneur Dieu[235]. » Donc la peine du mal, laquelle vient de Dieu, est, à la vérité, un mal pour les méchants ; mais elle est parmi les bonnes œuvres de Dieu, puisqu’il est juste que les méchants soient punis, et que tout ce qui est juste est bon. La vingt-deuxième question traite de ceci : Dieu ne subit pas la nécessité. La vingt-troisième s’occupe du Père et du Fils. J’y ai dit que le Père a engendré la sagesse par laquelle il est appelé Sage : mais j’ai mieux approfondi cette question dans le livre de la Trinité qui est postérieur. La vingt-quatrième est : Le péché et l’acte vertueux sont-ils dans le libre arbitre de la volonté ? Cela est vrai de tout point ; mais, pour être libre de faire le bien, il est affranchi par la grâce de Dieu. La vingt-cinquième traite de la Croix du Christ. La vingt-sixième : De la différence des péchés. La vingt-septième : De la Providence. La vingt-huitième : Pourquoi Dieu a voulu faire le monde. La vingt-neuvième : S’il y a quelque chose dans l’univers au-dessus ou au-dessous.

La trentième : Si toutes choses ont été créées pour l’utilité de l’homme. La trente et unième ne m’appartient pas ; elle est de Cicéron[236] ; mais comme c’est par moi qu’elle a été connue de nos frères, ils l’ont transcrite dans mes ouvrages en les réunissant, parce qu’ils désiraient savoir comment les vertus de l’âme ont été divisées et définies par lui. La trente-deuxième : Si une personne comprend mieux qu’une autre un sujet quelconque et si, par conséquent, la même chose peut être comprise jusqu’à l’infini. La trente-troisième : De la crainte. La trente-quatrième : S’il ne faut pas aimer autre chose que d’être sans crainte. La trente-cinquième : Que faut-il aimer ? J’ai dit à cette occasion : « Il faut aimer ce qu’on possède en le connaissant ; » je désapprouve cette parole. Ils n’étaient pas sans posséder Dieu, en effet, ceux à qui il a été dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous[237] ? » et cependant ils ne le connaissaient pas, ou ne le connaissaient pas tel qu’il doit être connu. De même quand j’ai dit : « Personne ne connaît donc la vie bienheureuse et est malheureux, » j’ai voulu dire « ne la connaît comme elle doit être connue. » Qui donc en effet l’ignore entièrement, de ceux du moins qui ont l’usage de la raison, puisqu’ils savent qu’ils veulent être bienheureux ? La trente-sixième : Comment nourrir la charité ? J’ai dit en cet endroit : « Dieu donc et la cœur qui l’aime est proprement appelé charité épurée et consommée, quand on n’aime rien autre chose. » Si cela est vrai, comment l’Apôtre a-t-il dit : « Personne ne hait sa propre chair[238] ? » Et il part de là pour exhorter les maris à aimer leurs femmes. Aussi j’ai dit : « Est proprement appelé dilection », parce que si l’on aime la chair, ce n’est pas pour elle-même, mais pour l’âme à qui elle est soumise et qu’elle sert. Bien qu’elle paraisse être aimée pour elle-même, quand nous ne voulons pas qu’elle soit difforme, nous devons reporter sa beauté à une autre cause, à Celui de qui vient toute beauté. La trente-septième : De celui qui est né toujours. La trente-huitième : De la Conformation de l’âme.

La trente-neuvième : Des aliments. La quarantième : La nature des âmes étant une, d’où vient que les volontés des hommes sont diverses ? La quarante et unième : Puisque Dieu a fait toutes choses, comment ne les a-t-il pas faites toutes égales ? La quarante-deuxième Comment Notre-Seigneur Jésus-Christ, la Sagesse de Dieu, a été à la fois au ciel et dans le sein de sa mère. La quarante-troisième : Pourquoi le Fils de Dieu a paru en homme et le Saint-Esprit en colombe[239]. La quarante-quatrième : Pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu si tard. En rappelant les âges du genre humain et en les indiquant comme ceux d’un seul homme, j’ai dit : « Il fallait que le Maître divin, à l’imitation de qui devaient se former les bonnes mœurs, descendit d’en haut, au temps de la jeunesse. » j’ai ajouté en preuve la parole de l’Apôtre, qui dit que les hommes étaient placés sous la garde de la Loi comme de petits enfants sous celle de leur instituteur[240]. On pourrait demander pourquoi nous avons avancé ailleurs : Que le Christ est venu comme dans la vieillesse du monde, dans le sixième âge du genre humain[241]. Ce que j’ai appelé la jeunesse du monde doit se rapporter à la vigueur et à la ferveur de la foi qui agit par amour ; ce que j’ai appelé la vieillesse fait allusion au calcul des temps. L’une et l’autre acception peuvent en effet convenir à l’universalité des hommes et non pas à l’âge de chacun ; de même que dans le corps il ne peut y avoir ensemble jeunesse et vieillesse, tandis que les deux se peuvent rencontrer dans l’âme, jeunesse eu égard à sa vigueur, vieillesse eu égard à sa gravité. La quarante-cinquième : Contre les mathématiciens. La quarante-sixième : Sur les idées. La quarante-septième : Si nous pouvons quelquefois voir nos pensées. J’y ai dit : « Les corps angéliques, tels que nous espérons un jour en posséder, seront, il le faut croire, éthérés et lumineux ; » si on entendait par là que nous n’aurons pas les mêmes membres que nous possédons, ni la substance de notre chair, quoique devenue incorruptible, on se tromperait. Du reste, cette question : De la vue de nos pensées, a été bien mieux traitée dans notre ouvrage de la Cité de Dieu[242]. La quarante-huitième : Des choses croyables. La quarante-neuvième : Pourquoi les enfants d’Israël sacrifiaient sensiblement des animaux comme victimes. La cinquantième : De l’égalité du Fils.

La cinquante et unième : De l’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est là que j’ai dit : « On n’appelle pas à bon droit homme, l’homme sans vie ; » on appelle cependant homme le cadavre d’un homme. J’aurais dû dire on appelle « improprement, » et non pas on n’appelle point « à bon droit. » De même aussi : « On distingue à bon escient, ai-je dit, qu’autre chose est l’image et la ressemblance de Dieu, autre chose est d’être fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, ainsi que nous savons qu’il en a été pour l’homme. » Il ne faudrait pas comprendre par là que l’homme ne doit pas être appelé « image de Dieu, » puisque l’Apôtre dit : « L’homme ne doit pas se couvrir la tête puisqu’il est l’image et la gloire de Dieu » Mais on le nomme fait à l’image de Dieu pour ne pas le confondre avec le Fils unique qui seul est l’image et non fait à l’image de Dieu. La cinquante-deuxième traite de cette parole : « Je me repens d’avoir fait l’homme[243]. » La cinquante-troisième : De l’or et de l’argent que les Israélites reçurent des Égyptiens[244]. La cinquante-quatrième, de cette parole : « Il m’est bon de m’attacher à Dieu[245]. » J’ai dit à ce sujet : « L’Être qui est meilleur que toute âme, nous l’appelons Dieu ; » j’aurais dû dire plutôt : « L’Être qui est meilleur que tout esprit créé. » La cinquante-cinquième traite de cette parole « Il y a soixante reines, quatre-vingts concubines et des jeunes filles sans nombre[246]. »

La cinquante-sixième : Des quarante-six années de la construction du temple. La cinquante-septième : Des cent cinquante-trois poissons. La cinquante-huitième : De saint Jean-Baptiste. La cinquante-neuvième : Des dix Vierges. La soixantième : « Mais pour ce jour et cette heure, personne ne les sait, ni les Anges du ciel, ni le Fils de l’homme ; il n’y a que le Père[247]. » La soixante et unième : De ce passage de l’Évangile où il est rapporté que le Seigneur rassasia la multitude avec cinq pains sur la montagne[248]. J’y ai dit « que les deux poissons signifiaient ces deux personnes, la personne royale et la personne sacerdotale auxquelles il appartient de recevoir l’onction sainte : » j’aurais dû dire plutôt auxquelles il appartient « surtout, » car nous lisons que les Prophètes aussi ont reçu quelquefois cette onction, Là aussi j’ai écrit : « Saint Luc, qui fait remonter en quelque sorte Notre-Seigneur, le prêtre véritable, après l’abolition des péchés, s’élève par Nathan jusqu’à David[249], parce que Nathan le prophète avait été envoyé vers David, et que sous sa correction David, ayant fait pénitence, obtint l’abolition de son péché ; » il ne faudrait pas s’imaginer par mes paroles que Nathan le prophète a été le même que Nathan fils de David. Il n’est pas dit ici, en effet, parce que ce prophète avait été envoyé ; il est dit : « parce que Nathan le prophète avait été envoyé, » afin que l’on comprît que le mystère n’est pas dans le même homme, mais dans le même nom.

La soixante-deuxième question traite de ce qui est écrit dans l’Évangile : « Que Jésus baptisait plus de personnes que Jean ; quoique ce ne fût pas lui-même qui baptisât, mais bien ses disciples[250]. » J’y ai écrit : « Le voleur à qui il est dit : En vérité, je te le déclare, aujourd’hui tu seras avec moi en paradis[251] n’avait pas reçu le baptême lui-même ; » j’ai trouvé cette opinion professée avant moi par d’autres docteurs de la sainte Église[252] ; mais sur quels documents s’appuie-t-on pour montrer que ce voleur n’a pas été baptisé ? je l’ignore. Au reste, j’ai discuté ce point avec plus de soin dans d’autres de mes ouvrages, spécialement dans celui que j’ai adressé à Vincentius Victor sur l’origine de l’âme[253]. La soixante-troisième question traite du Verbe. La soixante-quatrième : De la Samaritaine. La soixante-cinquième : De la résurrection de Lazare. La soixante-sixième, de ce passage : « Ignorez-vous, mes frères (car je parle à ceux qui connaissent la loi), que la loi ne domine l’homme que tout le temps qu’il vit ? » jusqu’à ces mots : « Il vivifiera vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous[254]. » Voulant exposer cette parole de l’Apôtre : « Nous « savons que la loi est spirituelle, mais moi je suis charnel, » j’ai dit : « Cela signifie : je cède à la chair, n’étant pas encore affranchi par la grâce spirituelle ; » il ne faut pas prendre cela dans le sens que l’homme spirituel établi déjà dans la grâce, ne peut pas dire de lui-même ces paroles et les autres jusqu’à : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort[255] ? » Je ne l’ai appris que plus tard comme j’en suis déjà convenu. De plus exposant ce que dit l’Apôtre : Le corps est mort à cause du péché[256], « l’Apôtre, ai-je dit, appelle le corps mort, tant qu’il est tel que par le besoin des choses temporelles il tourmente l’âme. » Mais il m’a semblé ultérieurement beaucoup préférable de penser que le corps est appelé mort, parce qu’il subit à présent la nécessité de mourir, à laquelle il n’était pas soumis avant le péché.

La soixante-septième question traite de cette parole : « J’estime que les souffrances de ce temps ne sont pas dignes de la gloire future qui sera découverte en nous, » jusqu’à : « En effet, c’est par l’espérance que nous avons été sauvés[257] » Comme j’expliquais ce passage : « Et la créature elle-même sera délivrée de la servitude de la mort, » je disais : « La créature elle-même, c’est-à-dire l’homme, qui, après avoir perdu par le péché le cachet de l’image de Dieu, est simplement demeuré une créature. » Que l’on ne prenne pas cela comme si l’homme avait perdu tout ce qu’il avait de l’image de Dieu. Car s’il n’en avait rien perdu on n’aurait pas pu dire : « Réformez-vous par le renouvellement de votre esprit[258] ; » et : « nous sommes transformés en 1. De l’Origine de l’Âme, liv. 3, C. 9,43.

cette même image[259] » S’il l’eût perdu totalement, on ne pourrait pas davantage dire  : « Bien que l’homme marche à l’image de Dieu, cependant il se trouble en vain[260]. » De même ce que j’ai dit : « Les anges supérieurs vivent d’une vie spirituelle, les inférieurs d’une vie animale ;» est à l’égard des anges inférieurs d’une audace qui ne se peut justifier ni par les Écritures, ni par le fait : ou si elle le pouvait, ce serait très-difficilement.

La soixante-huitième question traite de cette parole : « O homme, qui es-tu pour répondre à Dieu[261] ? » J’ai dit : « Quiconque, pour des fautes légères, ou même pour des fautes graves et nombreuses, s’est rendu digne de la miséricorde de Dieu par ses grands gémissements et par une profonde douleur de pénitence, n’obtient pas cependant cela de lui-même, car il périrait s’il était abandonné ; mais il l’obtient de la miséricorde de Dieu qui a exaucé ses prières et ses douleurs. C’est peu de vouloir, si Dieu ne fait pas miséricorde ; mais Dieu ne fait pas miséricorde, lui qui appelle à la paix, si la volonté ne cherche pas d’abord la paix. » Cela doit s’entendre après la pénitence. Car il y a une miséricorde de Dieu qui prévient la volonté elle-même, et si elle n’existait pas, la volonté ne serait pas préparée par le Seigneur. C’est aussi à cette miséricorde qu’appartient la vocation qui prévient même la foi. Comme j’en traitais peu après, je disais : « Cette vocation qui, soit dans chaque homme, soit dans les peuples et même dans le genre humain, opère selon l’opportunité des temps, est d’un ordre élevé et profond. C’est à elle que se rapportent ces paroles : Je vous ai sanctifié dès les entrailles de votre mère[262] ;» et celles-ci : « Lorsque vous étiez dans les reins « de votre père, je vous ai vu ; » celles-ci également : « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü[263], etc. » Quant à ce passage : « Lorsque vous étiez encore dans les reins de votre père, je vous ai vu », je ne sais comment il s’est présenté à moi, et d’où il m’a paru tiré.

La soixante-neuvième question traite de ce passage : « Alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses[264]. » La soixante-dixième, de ces mots de l’Apôtre « La mort a été absorbée dans sa victoire ; ô mort ! où est mon effort ? ô mort ! où est ton aiguillon ? Or, l’aiguillon de la mort, c’est le «  péché ; et la force du péché, la loi[265], » La soixante et onzième traite de cette parole : « Portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la loi du Christ[266]. » La soixante-douzième traite des temps éternels. La soixante-treizième : De cette parole : « Et par les dehors il a été reconnu pour un homme[267]. »La soixante-quatorzième, de ce passage de l’Épître de saint Paul aux Colossiens : « En qui nous avons la rédemption et la rémission des péchés ; qui est l’image du Dieu invisible[268]. » La soixante-quinzième traite de l’héritage de Dieu. La soixante-seizième, de cette parole de l’apôtre saint Jacques : « Veux-tu savoir, ô homme vain, que la foi sans les œuvres est inutile[269] ? » La soixante-dix-septième : De la crainte, est-elle un péché ? La soixante-dix-huitième : De la beauté des simulacres. La soixante-dix-neuvième : Pourquoi les mages de Pharaon firent quelques miracles comme Moïse, serviteur de Dieu[270]. La quatre-vingtième est dirigée contre les Apollinaristes. La quatre-vingts et unième traite du Carême et de la Quinquagésime. La quatre-vingt-deuxième, de cette parole : « Le Seigneur châtie celui qu’il aime ; et « il frappe de verges tout fils qu’il reçoit[271]. » La quatre-vingt-troisième : Du mariage, au sujet de cette parole du Seigneur : « Si quelqu’un renvoie son épouse, si ce n’est pour cause d’adultère[272]. » Cet ouvrage commence ainsi : « L’âme existe-t-elle d’elle-même ? »

CHAPITRE XXVII.

SUR LE MENSONGE. — UN LIVRE.

J’ai aussi écrit un livre sur le Mensonge ; bien qu’il exige quelques efforts pour être compris, il peut servir d’utile exercice à l’esprit et à l’intelligence, et plus encore être avantageux aux mœurs en faisant aimer la sincérité dans le langage. J’avais également résolu de retirer ce livre de mes œuvres, parce qu’il est obscur et plein d’anfractuosités ; il me semblait tout à fait insupportable, aussi je ne l’avais pas publié. Plus tard, quand j’en eus écrit un autre intitulé : « Contre le Mensonge », j’avais bien plus sévèrement encore résolu et ordonné de le détruire. Cela ne fut pas exécuté. Je l’ai retrouvé sain et sauf dans la révision de mes œuvres ; et après l’avoir revu j’ai décidé qu’il resterait ; il y a en effet des choses fort nécessaires qui ne sont pas dans l’autre. Le titre de ce dernier est : Contre le Mensonge; le titre de l’autre est : Sur le Mensonge. Celui-là est tout entier une agression ouverte contre le mensonge, celui-ci est en grande partie une recherche et une discussion. Le but néanmoins des deux est le même. L’ouvrage commence ainsi : « C’est une grande question que celle du mensonge. »

  1. Liv. I, C. I, n. 1 et 7.
  2. Ibid.
  3. Ibid. n. 3.
  4. Liv. I, C. II, n. 5.
  5. Ibid. C. IV, n. 11.
  6. Il y est cependant une fois au Livre III des Rois, xx, 33. Mais saint Augustin ne l’avait pas peut-être dans la version dont il se servait, ou bien, comme il est question des Païens, il pensait que l’usage d’un mot profane n’était pas digne d’approbation.
  7. Liv. II, C. III n. 7.
  8. Liv. II, C. IX, n. 22.
  9. ce sont les Platoniciens qui professaient cette doctrine, comme on le peut voir dans la Cité de Dieu, livre XCI, ch. 26.
  10. S. Cyp. liv. de l’Oraison dominicale.
  11. Eccl. XII, 7.
  12. Ép. aux Rom. C. IX, 11.
  13. Liv. III, C. XII, n. 27.
  14. Ibid. C. XVI, n. 35.
  15. Liv. III, C. XVII, n. 37.
  16. Ibid. C. XX, n. 45.
  17. Préf. n. 7 et suiv.
  18. Trois. disc.
  19. Liv. II, C. IX, n. 27.
  20. Liv. I, C. I, II, et suiv.
  21. Ibid. C. VIII et liv. II, C. XIV.
  22. Ibid. C. III, n. 6.
  23. Ibid. n. 8.
  24. Jean, XVIII, 36.
  25. Matth. VI, 10.
  26. Liv. II, C. XX, n. 52.
  27. Jean, IX, 30, 31.
  28. Liv. II, C. XX, n. 53.
  29. Liv. I, C. I, n. 2.
  30. Ibid. C. I, n. 3.
  31. Rétr. Liv. I, C. I et III.
  32. Lib. I, c. I, n. 4.
  33. Jean, X, 30.
  34. Liv. I, C. XIII, n. 23.
  35. Jean, XIV, 6.
  36. Ps. XXIV, 4.
  37. Liv. I, n. XXV, n. 24.
  38. Liv. II, C. XX, n. 35.
  39. Liv. XII, C. XV.
  40. C. I, n. 1.
  41. C. IV, n. 5.
  42. C I, n. I.
  43. C. VI, n. 11.
  44. Isa. LIX, 2.
  45. C. XIII, n. 22.
  46. C. XV, n. 24.
  47. Ps. XLIII, 23 ; Rom. VIII, 36.
  48. Liv. I, C. IX, n. 14, 15.
  49. Ibid. C. xvi, n. 26-29.
  50. Sap. VIII, 7.
  51. Liv. I, C. XVI, n. 27.
  52. Ecclés. I, 2.
  53. Liv. I, C. XXI, n. 39.
  54. Liv. I, C. XXV, n. 47.
  55. Liv. I, C. XXVII, n. 53.
  56. Ibid. C. XXX, n. 64.
  57. Deut. IV, 24 ; Héb. XII, 29.
  58. Éph. V, 25-27.
  59. Matth. VI, 12.
  60. Liv. II, C. VII, n. 9.
  61. Ibid. C. XVII, n. 63.
  62. C. XX, n. 34.
  63. C. IV, n. 4.
  64. Luc, XV, 18.
  65. C. XXVIII, n. 55.
  66. Liv. I, C. I, n. 1.
  67. Ibid. C. XII, n, 26.
  68. Ibid. C. XIII, n. 28.
  69. Ibid. n. 29.
  70. Ibid. C. XIV, n. 30.
  71. Ibid. C. XVI, n. 34.
  72. Liv. II, C. I, n. 2.
  73. Ibid. C. XVIII, n. 47.
  74. Liv. III, C. I, n. 2.
  75. Ibid. C. III, n. 7.
  76. Ibid. C. XVI, n. 46.
  77. Ibid. C. XVII, n. 49.
  78. Ibid. C. XVIII, n. 50.
  79. Liv. II, C. XIX, n. 50.
  80. Ibid. C. XX, n. 54.
  81. 1 Tim. I, 13.
  82. Ps. XXIV, 8.
  83. Rom. VII, 15-18.
  84. Galat. V, 17.
  85. Liv. III, C. XVIII, n. 50-51.
  86. Liv. iii, C. XVIII, n. 52.
  87. Liv. II, C. XX ; liv. III, C. XVIII.
  88. Liv. III, C. XX et XXX.
  89. Gen. I, 1.
  90. Gen. ii, 4.
  91. Liv. I, C. III, n.6.
  92. Gen. I, 28.
  93. Liv. I, C. XXX, n. 30.
  94. Liv. I, C. XX, n. 31.
  95. Ibid. C. XXIII, n. 40.
  96. Liv. II, C. III, n. 4.
  97. Ibid. C. V, n. 6.
  98. Eccli. X, 9.
  99. I Cor. XV, 45.
  100. Gen. ii, 7.
  101. Lib. ii, C. viii, n. 10.
  102. Ibid. C. XXIX, n. 43.
  103. Rom. V, 12.
  104. Liv. II, C. XXIX, n. 43.
  105. Éph. XI, 3.
  106. Rétr. Liv. I, C. VI
  107. Rom. I, 20.
  108. Liv. VI, C. IV, n. 7.
  109. Ibid, C. V, n. 13.
  110. Ibid. C. XIV, n. 43.
  111. Rétr. Liv. I, C. V, n. 3.
  112. Liv. VI, C. XVII, n. 28.
  113. Matth. XXIII, 10.
  114. C. X, II. 18.
  115. Ibid. XIX.
  116. Act. XI, 26.
  117. C. X, n. 18-20.
  118. C. XII, n. 25.
  119. C. XIV, n. 27.
  120. Ci-dess., C. IX, n. 5.
  121. C. XVI, n. 31
  122. I Cor. XV, n. 14.
  123. C. XXV, n. 46, 47.
  124. Saint Gervais et saint Protais. Conf. liv. IX, C. VII, n. 16.
  125. Rom. XIII, 1.
  126. C. XLI, n. 77-78.
  127. C. XLVI, n. 88.
  128. Rétr. Liv. i, c. X, n. 2.
  129. C. LV, n. 111.
  130. C. III, 9.
  131. II Cor, III. 6.
  132. I Cor. XIII, 12.
  133. C. XI, n. 25.
  134. C. XII, n. 27.
  135. C. XXIV, n. 71.
  136. C. XVI, n. 34.
  137. C. XVII, n. 36.
  138. C. I, n. 1.
  139. Rom. VII, 16-18.
  140. C, IX, n. 12.
  141. C. IX, n. 14
  142. C. XI, n. 15
  143. C. XVI, n. 17.
  144. Éphés. II, 3.
  145. C. XIII, n. 20.
  146. Job. XL, 14.
  147. Ps. CIII, 26.
  148. C. XIII, n. 20
  149. C. XV, n 24.
  150. Disc. I, n. 13.
  151. Disc. II, n. 21.
  152. Disc. I, n. 15
  153. Disc. II, n. 22.
  154. C. X, n. 23.
  155. Luc, XXIV, 39.
  156. 1Co. 15, 50
  157. C. 16, n. 60
  158. Gen. 10, 26
  159. Mat. 5, 9
  160. Liv. 1, C. 4, n. 11
  161. Mat. 5, 9
  162. Liv. 1, C. 4, n. 12
  163. 1Co. 15, 55
  164. Liv. 1, C. 6, n. 17
  165. Jn. 3, 34
  166. Mat. 5, 18
  167. Liv. 1, C. 8, n.20
  168. Mat. 6, 12
  169. Id. 5, 18-20
  170. Liv. 1, C. 20, n. 21.
  171. Mat. 23.
  172. Id. 5, 22
  173. Liv. 1, C. 15, n. 41
  174. Mat. 5, 44
  175. Luc. 14, 26
  176. Liv. 1, C. XII
  177. Psa. 67, 27
  178. Mat. 6, 12
  179. Pro. 18, 22
  180. Jn. 8, 11
  181. 1 Jean, 5, 16
  182. Liv. 1, C. 22, n. 73
  183. Liv. 2, C. 6, n. 20
  184. Liv. II, C. 14, n. 48
  185. Psa. 73, 23
  186. Mat. 6, 34
  187. Liv. 2, C. 17, n. 56
  188. Id. C. 19, n. 66
  189. Eph. 5, 27
  190. Mat. 7,7,11
  191. Sir. 11,14
  192. Id. 34,30
  193. C. 3, n.4.
  194. Mat. 5,21
  195. Exo. 19,3
  196. Gal. 4,22
  197. C. 5, n. 1.
  198. Mat. 23,15
  199. Rom. 8,14-15
  200. Jn. 8,37
  201. 1Co. 4,14
  202. Gal. 4,28
  203. C. 12, n.5.
  204. 1Co. 15,54
  205. Luc. 24,39
  206. C. XXVI.
  207. Mat. 12,33
  208. Jn. 1,12
  209. Rom. 7,14
  210. Prop. 41
  211. C. VI.
  212. Rom. 9,16
  213. Prop. 60.
  214. Rom. 11,5
  215. 1Co. 11,6
  216. Prop. 61.
  217. Eph. 6,23
  218. Prop. 61.
  219. Rom. 9,16
  220. Id.18.
  221. Prop. 62.
  222. 1Co. 7,25
  223. Prop. 64.
  224. N.2.
  225. Gal. 1,1
  226. 1Ti. 2,5
  227. Act. 1,11
  228. N.3.
  229. Gal. 3,19
  230. N.24.
  231. N. 47.
  232. Gal. 5,17.18.
  233. Mat. 22,40
  234. Mat. 22,40
  235. Mat. 3,16
  236. Cic. Des Devoirs, liv, I.
  237. 1Co. 3,16
  238. Eph. 5,29
  239. Mat. 3,16
  240. Gal. 3,23
  241. Liv. 1, de la Genèse contre les Manichéens, C. 33, n. 40.
  242. Liv. 22, C. XXIX.
  243. Gen. 6,6-7
  244. Exo. 3,22 et 12,35.
  245. Psa. 72,28
  246. Can. 6,7
  247. Mat. 24,36
  248. Id. 14,15
  249. Luc. 3,31
  250. Jn. 4,1,2
  251. Luc. 13,43
  252. Entre autres, saint Cyprien, épit.73 à. Jubaïanus.
  253. 2 Cor, 3,18.
  254. Rom. VII-VIII, 11.
  255. Id. 7,14
  256. Id. 8,10
  257. Id.18
  258. Rom. 12,2
  259. 2 Cor, 3,18.
  260. Psa. 38,7
  261. Rom. 9,20
  262. Jer. 1,5
  263. Rom. 9,13 ; Mal. 1,2,3.
  264. 1Co. 15,28
  265. 1Co. 15,54
  266. Gal. 6,2
  267. Phi. 2,7
  268. Col.. 1,14,5.
  269. Jac. 2,20
  270. Exo. 7,22
  271. Heb. 12,6
  272. Mat. 19,9