Les Rétractations (Augustin)/I/IV

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Œuvres complètes de Saint Augustin, Texte établi par Poujoulat et Raulx, L. Guérin & Cie (p. 310-311).
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CHAPITRE IV.

les deux livres des soliloques


1. En même temps j’écrivis, sous l’inspiration de mon zèle et de mon amour, deux livres pour chercher la vérité sur des choses que je désirais surtout connaître, m’interrogeant et me répondant, comme si nous étions deux, la raison et moi, quoique je fusse seul. C’est pour cela que j’ai nommé ce traité Soliloques ; mais il est resté imparfait ; et cependant le premier livre recherche et montre ce que doit être celui qui veut posséder la sagesse, cette sagesse qu’on perçoit non pas par les sens, mais par l’intelligence : et à la fin de ce même livre il est établi par une certaine argumentation que ce qui est vrai est immortel. Dans le second, il est longtemps question de l’immortalité de l’âme, mais la discussion n’est pas menée complètement à fin.

2. Dans ces livres, je n’approuve pas ce que j’ai dit dans une prière : « Dieu qui n’avez voulu faire savoir la vérité qu’aux cœurs purs[1] ». Car on peut répondre que beaucoup de gens qui n’ont pas le cœur pur savent beaucoup de vérités ; et je ne définis pas ici quel est le genre de vérité que les cœurs purs peuvent seuls connaître ; je ne définis pas non plus ce que c’est que savoir. De même pour ce passage : « Dieu, dont le royaume est tout le monde qu’ignorent les sens[2] ; » il fallait ajouter, s’il est question de Dieu : « Vous qu’ignorent les sens d’un corps mortel.» Et s’il est question du monde que les sens ignorent, c’est-à-dire du monde futur formé d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle, il fallait y ajouter aussi : les sens d’un corps mortel. Mais je me servais encore de cette manière de parler qui attache au mot de « sens » la signification de sens corporels. Aussi n’ai-je pas à revenir sans cesse sur les remarques que j’ai faites plus haut à ce sujet[3] ; on voudra bien s’y reporter chaque fois que pareille locution se présentera dans mes ouvrages.

3. Quand j’ai dit du Père et du Fils : « Celui qui engendre et celui qu’il engendre est un[4] ; »je devais dire sont un, comme la divine Vérité le dit elle-même : « Mon Père et moi nous sommes un[5]. » Il me déplaît aussi d’avoir dit que dans cette vie l’âme, en con naissant Dieu, est déjà bienheureuse, à moins que ce ne soit en espérance. De même, ce passage est mal sonnant : « Il n’y a pas qu’une seule voie qui mène à la sagesse[6]. » Car il ne peut y avoir d’autre voie que le Christ qui a dit : « Je suis la voie[7]. » J’aurais dû éviter d’offenser ici les oreilles religieuses ; quoique pourtant autre soit cette voie universelle, autres les voies

que chante le Psalmiste : « Faites-moi connaître vos voies, Seigneur, et enseignez-moi vos sentiers[8]. » Ensuite lorsque j’ai écrit : « Il faut absolument fuir ces choses[9], » je devais prendre garde de paraître incliner vers la fausse maxime de Porphyre qui affirme qu’il faut fuir tout ce qui est corps. Il est vrai, je n’ai pas dit « toutes les choses sensibles : j’ai dit « ces choses, » c’est-à-dire les choses corruptibles. Mais il valait mieux dire : De telles choses sensibles n’existeront pas dans les nouveaux cieux et la nouvelle terre du siècle futur.

4. En un autre endroit j’ai dit encore : « Les savants formés aux connaissances libérales, les tirent certainement d’eux-mêmes par l’étude, comme si elles y étaient ensevelies dans l’oubli, et ils les en déterrent en quelque sorte[10]. » Je blâme cette phrase ; il est en effet plus croyable que si des esprits qu’on interroge bien font une réponse vraie sur certaines matières qu’ils n’ont pas étudiées ; cela vient de ce que la lumière de la raison éternelle dans laquelle ils voient ces vérités immuables, leur est présente autant qu’ils peuvent la recevoir, et non pas de ce qu’ils les avaient connues autrefois et qu’ils les ont oubliées, comme le pensent Platon et quelques autres. C’est une opinion que j’ai combattue autant que l’occasion m’en a été offerte dans le 12e livre de la Trinité[11]. Cet écrit commence ainsi : « Je roulais en moi-même beaucoup de sujets différents. »

  1. Liv. I, C. I, n. 2.
  2. Ibid. C. I, n. 3.
  3. Rétr. Liv. I, C. I et III.
  4. Lib. I, c. I, n. 4.
  5. Jean, X, 30.
  6. Liv. I, C. XIII, n. 23.
  7. Jean, XIV, 6.
  8. Ps. XXIV, 4.
  9. Liv. I, n. XXV, n. 24.
  10. Liv. II, C. XX, n. 35.
  11. Liv. XII, C. XV.