Les Romanesques/Acte I
ACTE PREMIER
La scène est coupée en deux par un vieux mur moussu et tout enguirlandé de folles plantes grimpantes. À droite, un coin du parc de Bergamin ; à gauche, un coin du parc de Pasquinot. De chaque côté, contre le mur, un banc.
Quand le rideau se lève, Percinet est assis sur la crête du mur, ayant, sur son genou, un livre, dont il donne lecture à Sylvette, attentive, debout sur le banc, de l’autre côté du mur, auquel elle s’accoude.
Scène première
Ah ! Monsieur Percinet, mais comme c’est donc beau !
N’est-ce pas ?… Écoutez répondre Roméo :
Il lit.
« C’est l’alouette, Amour, je te dis que c’est elle !
« Vois, le bord des vapeurs légères se dentelle,
« Et là-bas, au sommet rose du mont lointain,
« Sur le bout de son pied se dresse le matin !
« Il faut fuir… »
Chut !
Ne prenez pas ces airs effarouchés d’oiselle
Qui de la branche, au moindre bruit, va s’envoler…
Écoutez les Amants Immortels se parler :
Elle : « Amour, amour cher, non, ce n’est pas l’aurore,
« Mais c’est, pour éclairer ta fuite, un météore ! »
Lui : « Puisqu’elle le veut, eh bien, soit ! ce n’est point
« L’alouette qui chante et l’aurore qui point :
« Ce reflet, c’est le tien, Cynthia, dans la nue !
« Vienne la Mort, la Mort sera la bienvenue ! »
Oh ! non, je ne veux pas qu’il parle de cela,
Ou bien je vais pleurer…
Et, jusques à demain refermant notre livre,
Laissons, puisqu’il vous plaît, le doux Roméo vivre.
Quel adorable endroit, fait exprès, semble-t-il,
Pour s’y venir bercer aux beaux vers du grand Will !
Oui, ces vers sont très beaux, et le divin murmure
Les accompagne bien, c’est vrai, de la ramure,
Et le décor leur sied, de ces ombrages verts ;
Oui, Monsieur Percinet, ils sont très beaux, ces vers !
Mais ce qui fait pour moi leur beauté plus touchante,
C’est que vous les lisez de votre voix qui chante.
La vilaine flatteuse !
Que leur sort est cruel, qu’on fut méchant pour eux !
Avec un soupir.
Ah ! je pense…
À quoi donc ?
À rien !..
Qui vous a fait soudain devenir toute rose !
À rien !…
Je le vois, à quoi vous pensez !…
À nos parents !
Peut-être…
Qui les divise !
Ce qui me fait pleurer en cachette, souvent.
Lorsque, le mois dernier, je revins du couvent,
Mon père, me montrant le parc de votre père,
Me dit : « Ma chère enfant, tu vois là le repaire
De mon vieil ennemi mortel, de Bergamin.
De ce gueux, de son fils, détourne ton chemin ;
Promets-moi bien, sinon, vois-tu, je te renie,
D’être, pour ces gens-là, toujours, une ennemie,
Car, de tous temps, les leurs ont exécré les tiens ! »
J’ai promis… Vous voyez, Monsieur, comme je tiens.
Et n’ai-je pas promis à mon père, de même,
De vous haïr toujours, Sylvette ? — et je vous aime !
Sainte Vierge !
Et je t’aime, enfant !
C’est un péché !
Un gros… que voulez-vous ? Plus on est empêché
D’aimer quelqu’un, et plus il vous en prend l’envie.
Sylvette, embrassez-moi !
Mais jamais de la vie !
Vous m’aimez cependant !
Que dit-il ?
Je dis ce dont encor votre cœur se défend,
Mais ce dont plus longtemps douter serait un leurre !
Je dis… ce que vous-même avez dit tout à l’heure,
Oui, vous-même, Sylvette, en comparant ainsi
Les Amants de Vérone aux deux enfants d’ici.
Je n’ai pas comparé !…
À ceux de Juliette et de Roméo, chère !
C’est pourquoi Juliette et Roméo c’est nous,
Et c’est pourquoi nous nous aimons comme des fous !
Et je brave à la fois, malgré leur haine aiguë,
Pasquinot-Capulet, Bergamin-Montaiguë !
Alors, nous nous aimons ? Mais, Monsieur Percinet,
Comment ça s’est-il fait si vite ?…
On ne sait pas comment, pourquoi, quand il doit naître.
Je vous voyais souvent passer de ma fenêtre…
Moi de même…
Et nos yeux causaient en tapinois.
Un jour, là, près du mur, je ramassais des noix,
Par hasard…
Et — pour unir deux cœurs vois comme tout conspire…
Le vent fit envoler, psst !… chez vous, mon ruban !
Pour le rendre, aussitôt, je grimpai sur le banc…
Je grimpai sur le banc…
Chaque jour je t’attends, et chaque jour plus vite
Bat mon cœur lorsqu’enfin monte, signal béni !
Là, derrière le mur, ton doux rire de nid,
Qui ne s’achève pas sans que ta tête émerge
Du fouillis frémissant de folle vigne vierge !
Puisque nous nous aimons, il faut nous fiancer.
C’est à quoi justement je venais de penser.
Dernier des Bergamin, c’est à toi que se lie
La dernière des Pasquinot !
Noble folie !
On parlera de nous dans les âges futurs !
Oh ! trop tendres enfants de deux pères trop durs !
Mais, qui sait, mon ami, peut-être l’heure tinte
Où Dieu veut que, par nous, leur haine soit éteinte ?
J’en doute.
Et j’entrevois déjà cinq ou six dénoûments
Très possibles.
Vraiment, et lesquels ?
— Dans plus d’un vieux roman j’ai lu pareille chose —
Que le Prince Régnant vienne à passer un jour…
Je cours le supplier, lui conte notre amour,
Que nos pères entre eux ont une vieille haine…
— Un roi maria bien don Rodrigue et Chimène —
Le Prince fait venir mon père et Bergamin,
Et les réconcilie…
Et me donne ta main !
Ou bien, cela s’arrange ainsi que dans Peau d’Âne.
Tu dépéris, un sot médecin te condamne…
Mon père me demande, affolé : « Que veux-tu ? »
Tu dis : « Je veux Sylvette ! »
Est contraint de fléchir !
Un vieux duc, ayant vu de moi quelque peinture,
M’aime, envoie un superbe écuyer, en son nom,
M’offrir d’être duchesse…
Alors, tu réponds : « Non ! »
Il se fâche : un beau soir, dans quelque sombre allée
Du parc, où pour rêver à toi je suis allée,
On m’enlève !… Je crie !…
À surgir près de toi ; je mets la dague au poing,
Me bats comme un lion, pourfends…
Mon père accourt, te prend dans ses bras ; tu te nommes ;
Alors, il s’attendrit, me donne à mon sauveur,
Et ton père consent, tout fier de ta valeur !
Et nous vivons longtemps et très heureux ensemble !
Et tout cela n’a rien d’impossible, il me semble ?
On vient !
Embrassons-nous !
À l’heure du Salut, tu viendras, dis ?
Non.
Si !
Ton père !
Scène II
Seul, en ce coin de parc ?
Ce coin de parc !… J’adore être assis sur ce banc
Que la vigne du mur abrite en retombant !…
Voyez-vous comme elle est gracieuse, la vigne ?
Remarquez ces festons d’une arabesque insigne.
On est si bien ici pour respirer l’air pur !
Si bien devant ce mur ?
Je l’adore, ce mur !
Je ne vois pas ce que ce mur a d’adorable.
Il ne peut pas le voir !
Ce vieux mur, crêté d’herbe ; enguirlandé, couvert
Ici de vigne rouge, ici de lierre vert,
Là de glycine mauve aux longues grappes floches,
Et là de chèvrefeuille, et là d’aristoloches !
Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous
Laissent pendre au soleil d’étranges cheveux roux,
Qui de petites fleurs charmantes se constelle,
Ce mur sur qui la mousse est d’une épaisseur telle
Qu’il fait à l’humble banc scellé dans sa paroi
Un dossier de velours comme au trône d’un roi !
Ta ! ta ! ta ! Voudrais-tu, blanc-bec, me faire accroire
Que tu viens ici pour les beaux yeux du mur ?
Pour les beaux yeux du mur !…
Frais sourires d’azur, doux étonnements bleus,
Fleurs profondes, clairs yeux, vous êtes nos délices,
Et si jamais des pleurs emperlent vos calices,
D’un seul baiser nous les volatiliserons !…
Mais le mur n’a pas d’yeux !
Il a les liserons.
Est-il spirituel, doux Jésus !
Mais je connais ce qui te fait perdre la tête.
Tu viens lire en cachette !
Et du théâtre !…
Des vers !… Voilà pourquoi, la cervelle à l’envers,
Vous rêvez, vous errez, évitant les approches,
Pourquoi vous me venez parler d’aristoloches,
Et pourquoi vous voyez des yeux bleus à ce mur !
Un mur n’a pas besoin d’être joli, — mais sûr !
Je vais faire enlever toutes ces choses vertes
Qui pourraient nous cacher quelques brèches ouvertes,
Et, pour mieux nous garder d’un voisin insolent,
Remaçonner ce pan, bâtir un beau mur blanc,
Bien blanc, bien net, bien propre ; au lieu… d’aristoloches,
Le garnir, dans le plâtre ayant fait des encoches,
De tessons de bouteille au tranchant acéré
Qu’on verra s’en aller en bataillon serré…
Oh ! grâce !
Tout le long, tout le long, tout le long de la crête !
Oh !
Çà, causons !
Mais, hum !… les murs, s’ils n’ont pas d’yeux,
Ont des oreilles !
Vois si quelque curieux…
À ce soir !
Je viendrai devant que l’heure sonne.
J’y serai !
Je t’adore !
Eh bien ?
Eh bien, — personne !
Alors, causons… Mon fils, je veux vous marier.
Ah !
Qu’est-ce ?
Rien.
On vient de faiblement crier.
Quelque oiselet blessé…
Hélas !…
dans la ramure !…
Or donc, mon fils, après réflexion très mûre,
J’ai fait pour vous un choix.
Tu ! tu !
Et je vous forcerai, Monsieur…
Tu ! tu ! tu ! tu !
Voulez-vous bien finir de siffler, mauvais merle !…
Une femme encor jeune, et très riche, — une perle !
Et si je n’en veux pas de votre perle !
Je m’en vais te montrer, polisson !…
A rempli les buissons, mon père, de bruits d’ailes,
Et les sources des bois voient s’abattre auprès d’elles
Des couples de petits oiseaux se caressant…
Impudique !
Les papillons…
Pendard !
Pour aller épouser toutes les fleurs qu’ils aiment !…
L’Amour…
Bandit !
Et vous me voulez voir marié de raison !
Oui, certes, garnement !
Je jure… sur ce mur — qui m’entend, je l’espère ! —
Que je me marierai si romanesquement,
Que l’on n’aura jamais vu dans aucun roman
Quelque chose de plus follement romanesque !
Oh ! je t’attraperai !
Scène III
La haine de papa pour ce méchant…
Que fait-on par ici, Mademoiselle ?
On se promène.
Vous n’avez donc pas peur ?
Je ne suis pas peureuse.
Seule près de ce mur !… Mais je vous le défends,
D’approcher de ce mur ! Mais, imprudente enfant,
Regarde bien ce parc : tu vois là le repaire
De mon vieil ennemi mortel !…
Je sais, mon père.
Et tu viens t’exposer à des mots outrageants,
À des ?… Sait-on de quoi sont capables ces gens ?
Si ce gueux, ou son fils, connaissaient que ma fille
Vient seule rêvasser dessous cette charmille…
Oh ! rien que d’y penser, je me sens frissonner !
Mais je vais le barder, le caparaçonner,
Ce mur, le hérisser de fer pour qu’on s’éventre,
Qu’on s’empale, en voulant le franchir, et qu’on s’entre,
Rien qu’en s’en approchant, des pointes dans la chair.
Il ne le fera pas, ça coûterait trop cher.
Il est un peu serré, papa.
Rentre, — un peu vite !
Scène IV
Ce billet à Monsieur Straforel, tout de suite.
Bergamin !
Pasquinot !
Comment va ?
Pas trop mal.
Ta goutte ?
Mieux. Et ton coryza ?
Me tient toujours.
Eh bien, c’est fait, le mariage !
Hein ?
Ils s’adorent !
Bravo !
Brusquons le dénoûment !
Ha ! ha ! tous les deux veufs, et pères mêmement,
Moi, d’un fils qu’une mère un peu trop romanesque
Appela Percinet…
Oui, c’est un nom grotesque.
Toi, d’un tendron rêveur, Sylvette, âme d’azur !
Quel était notre but, le seul ?
Ôter ce mur.
Pour vivre ensemble…
Et fondre en une nos deux terres.
Calcul de vieux amis…
Et de propriétaires !
Pour ce, que fallait-il ?
Marier nos enfants !
Les marier ! Oui, mais… serions-nous triomphants
S’ils avaient soupçonné nos désirs, notre entente ?
Mariage arrangé n’est pas chose tentante
Pour deux jeunes serins poétiques. Aussi,
Profitant de ce qu’ils ont vécu loin d’ici,
Leur avons-nous caché tout projet d’hyménée.
Mais collège et couvent les lâchaient cette année :
Lors, m’étant avisé que de les empêcher
De se voir, sûrement les ferait se chercher,
Que s’aimer en secret et d’un amour coupable
Leur plairait, — j’inventai cette haine admirable !…
Vous doutiez du succès de ce plan inouï ?
Eh bien, nous n’avons plus qu’à dire nos deux oui
Soit ! mais comment ?… Comment, avec assez d’astuce,
Consentir, sans leur mettre, à l’oreille, la puce ?
Moi qui t’appelais gueux, idiot…
Gueux suffisait ! Ne dis que juste ce qu’il faut.
Quel prétexte ?…
Vient de me suggérer l’ultime stratagème !
Tandis qu’elle parlait, mon plan se dessinait :
Le soir, ils ont ici rendez-vous ; Percinet
Arrive le premier ; au moment où Sylvette
Paraît, des hommes noirs, surgis d’une cachette,
L’enlèvent ! elle crie ! Alors, mon jeune coq
Court sus aux ravisseurs, chamaille à coups d’estoc ;
Ils font semblant de fuir ; tu te montres ; j’arrive ;
Ta fille et son honneur sont saufs ; ta joie est vive ;
Tu bénis, laissant choir de tes yeux un peu d’eau,
L’héroïque sauveur ; je m’attendris : — tableau.
Ah çà, c’est du génie !… Ah ! non ça, par exemple,
C’est du génie !…
Celui qui vient ! C’est Straforel, le spadassin,
À qui j’ai, tout à l’heure, écrit de mon dessein…
Oui, notre enlèvement, c’est lui qui va le mettre
En scène.
Straforel, dans un pompeux costume de spadassin, paraît au fond et s’avance majestueusement.
Scène V
Mon ami Pasquinot…
Monsieur…
Là, sur le mur.
Exercice étonnant pour un homme aussi mûr.
Mon plan vous paraît-il, cher maître ?…
Élémentaire.
Oui, vous savez comprendre, agir vite..
Et me taire.
Simulacre de rapt, n’est-ce pas, combat feint ?
C’est tout compris.
Ayez d’adroits bretteurs, afin
Qu’ils n’aillent pas blesser mon garçonnet. Je l’aime,
C’est mon unique enfant !
J’opérerai moi-même.
Ah ! très bien ! Dans ce cas, je ne saurais douter…
Dis donc, demande-lui ce que ça va coûter.
Pour un enlèvement, que prenez-vous, cher maître ?
Cela dépend, Monsieur, de ce qu’on veut y mettre.
On fait l’enlèvement un peu dans tous les prix.
Mais, dans le cas présent, et si j’ai bien compris,
Il ne faut pas compter du tout. À votre place,
J’en prendrais un, Monsieur, là, — de première classe !
Ah ! vous avez plusieurs classes ?
Songez que nous avons, Monsieur, l’enlèvement
Avec deux hommes noirs, l’enlèvement vulgaire,
En fiacre, — celui-là ne se demande guère, —
L’enlèvement de nuit, l’enlèvement de jour,
L’enlèvement pompeux, en carrosse de cour,
Avec laquais poudrés et frisés — les perruques
Se payent en dehors, — avec muets, eunuques,
Nègres, sbires, brigands, mousquetaires, au choix !
L’enlèvement en poste, avec deux chevaux, trois,
Quatre, cinq, — on augmente ad libitum le nombre, —
L’enlèvement discret, en berline, — un peu sombre, —
L’enlèvement plaisant, qui se fait dans un sac,
Romantique, en bateau, — mais il faudrait un lac ! —
Vénitien, en gondole, — il faudrait la lagune ! —
L’enlèvement avec ou sans le clair de lune,
— Les clairs de lune, étant recherchés, sont plus chers ! —
L’enlèvement sinistre aux lueurs des éclairs,
Avec appels de pied, combat, bruit de ferraille,
Chapeaux à larges bords, manteaux couleur muraille,
L’enlèvement brutal, l’enlèvement poli,
L’enlèvement avec des torches — très joli ! —
L’enlèvement masqué qu’on appelle classique,
L’enlèvement galant qui se fait en musique,
L’enlèvement en chaise à porteurs, le plus gai,
Le plus nouveau, Monsieur, et le plus distingué !
Voyons, que penses-tu ?
Hon… Et toi ?
Qu’il faut frapper très fort — tant pis si l’on dépense —
L’imagination !… Avoir de tout un peu !…
Faire un enlèvement…
Panaché ? Ça se peut.
Donnons-en pour longtemps à nos jeunes fantasques :
Chaise à porteurs, manteaux, torches, musique, masques !
Nous prendrons, pour grouper ces divers éléments,
Une première classe, — avec des suppléments.
Soit !
Je vais revenir bientôt…
Que Monsieur, de son parc, entre-bâille la porte…
Il entre-bâillera.
Messieurs, mes compliments !
Une première classe avec des suppléments !
Scène VI
Avec tous ses grands airs, il s’en va, l’homme honnête,
Sans qu’on ait fait le prix !
On abattra le mur. Nous n’aurons qu’un foyer !
Et l’hiver, à la ville, ô douceur ! qu’un loyer !
Nous ferons dans le parc des choses ravissantes !
Nous taillerons les ifs !
Nous sablerons les sentes !
Nos chiffres, au milieu de chaque massif rond,
Bien calligraphiés, en fleurs, s’enlaceront !
Comme cette verdure est un peu trop sévère…
Nous allons l’égayer par des boules de verre !
Nous aurons des poissons dans un bassin tout neuf !
Nous aurons un jet d’eau faisant danser un œuf !
Nous aurons un rocher ! — Hein ! coquin, que t’en semble !
Tous nos vœux sont comblés !
Nous vieillirons ensemble
Et ta fille est casée !
Ainsi que ton gamin !
Ah ! mon vieux Pasquinot !
Ah ! mon vieux Bergamin !
Scène VII
Ah !
Ta fille !
Ah !
Ton fils !
Battons-nous !
Ah ! canaille !
Ah ! gueux !
Papa !…
Papa !…
Laissez-nous donc, marmaille !
C’est lui qui m’insulta !
C’est lui qui me frappa !
Lâche !
Papa !
Filou !
Papa !!
Brigand !
Papa !!!
Rentre, il est tard !
Ma rage est à son paroxysme !
J’écume !
L’air fraîchit. Pense à ton rhumatisme !
Scène VIII
D’une étoile déjà le ciel clair s’étoila.
Le jour fuit…
Oui, l’heure du Salut déjà doit être proche :
Blanche, elle apparaîtra quand tintera la cloche ;
Alors, je sifflerai…
Nous n’aurons pas manqué, ce soir, un seul effet !
Excellents, les manteaux !… Que la colichemarde
Les retrousse un peu plus : appuyez sur la garde !
La chaise, ici, dans l’ombre.
Ah ! les nègres, pas mal !
Les torches, vous n’entrez, n’est-ce pas, qu’au signal ?
Les musiciens ? — là ! sur fond de clartés roses…
De la grâce, du flou ! Variez donc les poses !
Debout, la mandoline ! Asseyez-vous, l’alto !
Comme dans le Concert Champêtre de Watteau !
Premier Homme Masqué, que vois-je ? On se dandine ?
Ça, de l’allure ! — Bien ! — Instruments, en sourdine,
Veuillez vous accorder… Oh ! très bien ! — Sol, mi, si !
Scène IX
Mon père s’est calmé… J’ai pu fuir jusqu’ici.
Le jour baisse… L’odeur des sureaux flotte et grise !…
Les fleurs vont s’effaçant dans la pénombre grise…
Musique !
Qu’ai-je donc ?… Elle va venir !
Amoroso !…
Mon premier rendez-vous, le soir… Ah ! je défaille !…
La brise fait le bruit d’une robe de faille…
On ne voit plus les fleurs… j’ai des larmes aux yeux…
On ne voit plus les fleurs… mais on les sent bien mieux !
Oh ! ce grand arbre, avec une étoile à son faîte !…
Mais qui donc joue ainsi des airs ? — La nuit s’est faite.
Oui, la douce nuit s’est faite, et voici
Qu’en l’azur foncé du ciel obscurci,
S’allumant partout, par là, par ici,
Et l’une après l’une,
Tandis que l’étang est tout coassant,
Les étoiles vont en nombre croissant
Tout autour, autour du grêle croissant
De la pâle lune !
Éclats de saphir et de diamant,
Étoiles, je fus longtemps votre amant,
Et je vous parlais, le soir, ardemment,
Perdu dans la nue !…
Mais ma poésie a changé de cours
Depuis que, tenant de naïfs discours,
Ses petits cheveux au front coupés courts,
Sylvette est venue !
Chers astres du ciel, astres familiers,
Vous êtes bien beaux, là-haut, par milliers,
Mais, allez ! serez bien humiliés
Quand, parmi ses voiles,
Elle apparaîtra dans le bleu jardin,
Et, voyant ses yeux, vous serez soudain
Pour vos propres feux prises de dédain,
Mes pauvres étoiles !
Scène X
Le Salut sonne. Il doit m’attendre.
Ah !
Au secours !
Juste ciel !
Percinet, on m’enlève !
J’accours !
Tiens, — tiens, — tiens !
Trémolo !
Straforel, d’une voix de théâtre :
Que cet enfant !
Le coup… est irrémédiable !
Sylvette !
Mon sauveur !
Ton sauveur !… ton sauveur ?… Je lui donne ta main !
Ciel !
Et faisons leur bonheur !
Ma haine m’abandonne !
Sylvette, nous rêvons, Sylvette, parlons bas,
Que le bruit de nos voix ne nous réveille pas !…
Les haines finiront toujours en hyménées.
La paix est faite.
Il n’y a plus de Pyrénées !
Qui l’aurait cru qu’ainsi mon père changerait ?
Quand je vous le disais que tout s’arrangerait !
Hein ! Quoi donc ? ce papier, et votre signature…
Qu’est cela, s’il vous plaît ?
Monsieur, c’est ma facture !