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Les Singularitez de la France antarctique/46

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 233-237).


CHAPITRE XLVI.

Des maladies plus frequêtes en l’Amerique, et la methode qu’ils obseruêt à se guerir.


Il n’y a celuy de tant rude esprit, qui n’entende bien ces Ameriques estre côposez des quatre elemens, comme sont tous corps naturels, et par ainsi subiets à mesmes affections, que nous autres, iusques à la dissolution des elemens. Vray est que les maladies peuuêt aucunement estre diuerses, selon la temperature de l’air, de la maniere de viure. Ceux qui habitent en ce païs pres de la mer, sont fort subiets à maladies putredineuses, fieures, caterres et autres. En quoy sont ces pauures gens tant persuadez et abusez de leurs prophetes, dont nous auons parlé, lesquels sont appellez pour les guérir, quâd ils sont malades : Folle opinion des Sauuages l’endroit de leurs prophetes et de leurs maladies. et ont ceste folle opinion, qu’ils les peuuent guerir. On ne sçauroit à mieux comparer tels galans, qu’à plusieurs batteleurs empiriques, imposteurs, que nous auons par deça, qui persuadent aysement au simple peuple, et font profession de guerir toutes maladies curables et incurables. Ce que ie croiray fort bien, mais que science soit deuenue ignorance, ou au contraire. Doncques ces prophetes donnât à entendre à ces bestiaux, qu’ils parlent aux esprits et ames de leurs parens, et que rien ne leur est impossible, qu’ils ont puissance de faire parler l’ame dedans le corps. Aussi quand un malade ralle, ayant quelque humeur en l’estomac et poul mons, laquelle par debilité, ou autremêt il ne peut ietter, ils estimêt que c’est son ame qui se plaint. Methode de guerir les maladies obseruées entre les Sauuages. Or ces beaux prophetes, pour les guerir les suceront auec la bouche en la partie où ils sentiront mal, pensans que par ce moyen ils tirent et emportent la maladie[1] dehors. Ils se sucent pareillement l’un l’autre. mais ce n’est auec telle foy et opinion, tes femmes ea usent autrement. Elles mettront un fil de coton long de deux pieds en la bouche du patiêt, lequel après elles sucent, estimant aussi auec ce fil emporter la maladie. Si l’un blesse l’autre par mal ou autrement, il est tenu de luy sucer sa plaie, iusques à ce qu’il soit guéri : et ce pendant ils s’abstiennêt de certaines viâdes, lesquelles ils estiment estre contraires. Ils ont ceste méthode de faire incisiôs entre les espaules, et en tiret quelque quantité de sang : ce qu’ils font auec une espèce d’herbe fort trenchante, ou biê auec dents de quelques bestes. Leur manière de viure estas malades est, qu’ils ne donneront iamais à manger au patiêt, si premièrement il n’en demande, et le laisseront plus tost languir un moys. Les maladies, comme i’ay veu, n’y sont tant fréquentes que par deçà, encores qu’ils demeurent nuds iour et nuit : aussi ne font-ils aucun excès à boire ou à manger. Manière de viure des patiêes et malades. Premièrement ils ne goutteront de fruit corrompu, qu’il ne soit iustement meur : la viande biê cuitte. Au surplus, fort curieux de congnoistre les arbres et fruits, et leurs propriétés pour en user en leurs maladies. Nana, fruit fort excellêt. Le fruit duquel plus cômunement ils usent en, leurs maladies, est nommé nana[2], gros comme une moyenne citrouille, fait tout autour côme une pomme Fol. 90. de pin, ainsi que pouvez voir par la présente figure. Ce fruit deuient iaune en maturité, lequel est merueilleusement excellent, tant pour sa douceur que saueur, autant amoureuse que fin sucre, et plus. Il n’est possible d’en aporter par deça, sinon en confiture, car estant meur il ne se peut longuement garder. D’auantage il ne porte aucune graine : parquoy il se plante par certains petits reiets, comme vous diriez les greffes de ce païs à enter. Ainsi auât qu’estre meur il est si rude à manger, qu’il vous escorche la bouche. La fueille de cest arbrisseau, quâd il croist, est semblable à celle d’un large ionc. Ie ne veux oblier côme par singularité entre les maladies d’une indisposition merueilleuse, que leur causent certains petis vers qui leur entrêt es pieds, appellez en leur langue Tom[3], lesquels ne sont gueres plus gros que cirons : et croirais qu’ils s’engendrent et concréent dedans ces mesmes parties, car il y en a aucunesfois telle multitude en un endroit, qu’il se fait une grosse tumeur comme une febue, auec douleur et demangeaison en la partie. Ce que nous est pareillement aduenu estans par delà, tellemêt que noz pieds estoyent couuerts de petites bossettes, ausquelles quâd sont creuées l’on trouue seulemêt un ver tout blâc auec quelque boue. Hiboucouhu, fruit et son usage. Et pour obuier à cela, les gens du païs font certaine huile d’un fruit nômé hiboucouhu, semblant une date, lequel n’est bon à manger : laquelle huille[4] ils reseruent en petits vaisseaux de fruits, nommés en leur langue caramemo, et en frottent les parties offensées : chose propre, ainsi qu’ils affermêt, contre ces vers. Aussi s’en oignent quelquefois tout le corps, quand ils se trouuent lassez. Ceste huile en outre est propre aux playes et ulceres, ainsi qu’ils ont cogneu par experience. Voyla des maladies et remedes dont usent les Ameriques.

  1. Cet usage est fort répandu chez les nations sauvages. D’après le Père Dobritzhoffer (Historia de Abiponibus. Vol. ii. P. 249), « Les Abipons appliquent leurs lèvres à la partie malade et la sucent, crachant après chaque succion. Par intervalles ils tirent leur haleine du fond même de leur poitrine et soufflent sur la partie malade du corps. Ils répètent alternativement ces succions et ces exhalaisons… car ils croyent que ces succions débarrassent le corps de toutes les causes de maladie. Les jongleurs encouragent constamment cette croyance par de nouveaux artifices, car, quand ils se préparent à sucer un homme malade, ils cachent dans leur bouche des épines, des insectes, des vers, puis les crachent après avoir sucé quelque temps, en disant au malade : Voici la cause de votre maladie. » Cf. Spix et Martius. Travelz in Brazil. T. ii. P. 77. — Bret. Indian Tribes of Guiana P. 364. « Après bien des momeries le sorcier tire de sa bouche quelque substance étrangère telle qu’une épine, un gravier, une arête de poisson ou un fil de métal que quelque méchant esprit a inséré dans la partie malade. Voir encore Wilkes. {{|United states exploring expedition}}. T. iv. P. 400. — Schoolcraft. Indian Tribes. Vol. i. P. 250. — Crantz. History of Greenland. Vol. i. P. 214. — Peut-être la trace de cette coutume s’est-elle perpétuée jusqu’à nous, quand nous disons à nos enfants ; « Viens que je t’embrasse, et tu seras guéri ? »
  2. L’ananas fut très apprécié dès que les Européens le connurent. Léry n’hésite pas à affirmer sa supériorité sur les autres fruits (§ xiii) : « Quand les ananas sont venus à maturité, estons de couleur iaune azurée, ils ont une telle odeur de framr boise que non seulement en allant par les bois et autres lieux où ils croissent, on les sent de fort loin, mais aussi quant au goust fondans en la bouche, et estans naturellement si doux qu’il n’y a confitures de ce pays qui les surpassent. » GANDAVO (Santa Cru\. P. 57.J en fait aussi le plus grand cas : « Il n’y a pas de fruit dans notre patrie qui puisse lui être comparé. »
  3. Léry. § xi. U. Schmiedel. Ouv. cit. P. 220. — Hans Staden. (P. 311,). « Les Sauvages nomment attun une espèce d’insecte plus petit qu’une puce, que la malpropreté engendre dans les cabanes. Ces insectes entrent dans les pieds, produisent une légère démangeaison et s’établissent dans les chairs presque sans qu’on les sente. Si l’on n’y fait pas attention, ils y produisent un paquet d’œufs de la grosseur d’un pois. » Cf. Biard. Voyage au Brésil. (Tour du Monde. no 81) Gomara. Hist. gen. de las Indias. P. 37. — Thevet. Cosm. univ. P. 935.
  4. D’après Léry. (§ xi) cette huile se nommerait Couroq.