Les Singularitez de la France antarctique/49

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 250-255).


CHAPITRE XLIX.

Des venaisons et sauuagines que prennent ces Sauuages.


Il me semble n’estre hors de propos, si te recite les bestes qui se trouuent es bois et montagnes de l’Amerique, et comme les habitans du païs les prennêt pour leur nourriture. Mode des Ameriques à prêdre bestes sauuages. Il me souuiêt auoir dit en quelque endroit, comme ils ne nourissent aucûs animaux domestiques, mais se nourrist par les bois grande quantité de sauuages, comme cerfs, biches, sangliers, et autres. Quand ces bestes se détraquent à l’escart pour chercher leur vie, ils vous feront une fosse profonde couuerte de feuillages, au lieu auquel la beste hantera le plus souuent, mais de telle ruse et finesse, qu’à grand peine pourra eschapper : et la prendrôt toute viue, ou la feront mourir là dedans, quelquefois à coups de flesches. Sanglier de l’Amerique. Le sanglier[1] est trop plus difficile. Iceluy ne ressemble du tout le nostre, mais est plus furieux et dangereux : et a la dent plus longue et apparente. Il est totalement noir et sans queue, d’auantage il porte sur le dos un euent semblable de grandeur à celuy du marsouïn, auec lequel il respire en l’eau. Ce porc sauuage iette un cry fort espouuentable, aussi entend t’on ses dents claqueter et faire bruit, soit en mangeàt ou autrement. Les Sauuages nous en amenerêt une fois un lié, lequel toutesfois eschappa en nostre presence. Cerf de l’Amerique. Le cerf[2] et la biche n’ont le poil tant uni et delié comme par deça, mais fort boureux et tressonné, assez long toutefois. Les cerfs portent cornes petites au regard des nostres. Les Sauuages en font grande estime pource qu’apres auoir percé la leure à leurs petis enfans, ils mettront souuent dedâs le pertuis quelque pièce de ceste corne de cerf, pour l’augmenter, estimans qu’elle ne porte venin aucun : mais au contraire elle repugne et empesche qu’à l’endroit ne s’engendre quelque mal. Propriété de la corne de cerf. Pline[3] afferme la corne de cerf estre remede et antidote contre tous venins. Aussi les medecins la mettêt entre les medicamês cordiaux, comme roborant et confortant l’estomac de certaine proprieté, comme l’iuoire et autres. La fumée de ceste corne bruslée a puissance de chasser les serpens. Aucuns veulent dire que le cerf fait tous les ans cornes nouuelles : et lors qu’il est destitué de ses cornes, se cache, mesmes quand les cornes luy veulent tomber. Les anciens ont estimé à mauuais presage la rencôtre d’un cerf et d’un lieure : mais nous sommes tout au contraire, aussi est ceste opinion folle superstitieuse et repugnante à nostre religion. Les Turcs et Arabes sont encores auiourd’huy en cest erreur. Resuerie des Sauuages. A ce propos noz Sauuages se sont persuadez une autre resuerie[4], et sera bien subtil qui leur pourra dissuader : laquelle est, qu’ayans pris un cerf ou biche, ils ne les oseroient porter en leurs cabannes, qu’ils ne leur ayent couppé cuisses et iâbes de derriere, estimans que s’ils les portoyent auec leurs quatre membres, cela leur osteroit le moyen à eux et à leurs enfans de pouuoir prendre leurs ennemis à la course : outre plusieurs resueries, dont leur cerueau est perfumé. Et n’ont autre raison, sinon que leur grâd Charaïbe leur a fait ainsi entendre : aussi que leurs Pages et médecins le défendent. Ils vous ferôt cuire[5] leur venaison par pièces, mais auec la peau : et après qu’elle est cuitte sera distribuée à chacû ménage, qui habitent en une loge tous ensemble, côme escoliers aux collèges. Ils ne mâgeront iamais chair de beste rauissante, ou qui se nourrisse de choses impures, tât priuée soit elle : Description du Coaty, animal estrange. aussi ne s’efforcerôt d’appriuoiser telle beste, côme une qu’ils appellent Coaty[6], grande corne un regnard de ce païs, ayât le museau d’un pied de long, noir côme une taupe, et menu côme celuy d’un rat : le reste enfumé, le poil rude, la queue gresle côme celle d’un chat sauuage, moucheté de blanc et noir, ayant les oreilles comme un regnard. Ceste beste est rauissète, et vit de proye autour des ruisseaux. Espèce de faisan. En oultre se trouue là une espèce de faisans[7], gros comme chappons mais de plumage noir, hors-mis la teste, qui est grisatre ayant une petite creste rouge pendante comme celle d’une petite poulle d’Inde, et les pieds rouges. Macouacana, espece de perdris. Aussi y a des perdris nommées en leur lâgue Macouacanna, qui sont plus grosses que les nostres. Tapihire, animal. Il se trouue d’auantage en l’Amerique grande quantité de ces bestes, qu’ils nomment Tapihire, desirées et recômandables pour leur deformité. Aussi les Sauuages les poursuyuent à la chasse, nô seulement pour la chair qui est tresbonne, mais aussi pour les peaux dont ces Sauuages font boucliers, desquels ils usent en guerre. Et est la peau de ceste beste si forte, qu’à grâde difficulté un trait d’arbaleste la pourra percer. Ils les prennêt ainsi que le cerf et le sanglier, dont nous auôs parlé n’agueres. Description du Tapihire.Ces bestes[8] sont de la grandeur d’un grand asne, mais le col plus gros, et la teste côme celle d’un taureau d’un an : les dents tranchâtes et agues : toutesfois elle n’est dangereuse. Quâd on la pourchasse, elle ne fait autre resistence que la fuite, cherchant lieu propre à se cacher, courant plus legerement que le cerf. Elle n’a point de queue, sinô bien peu, de la longueur de trois ou quatre doigts, laquelle est sans poil, côme celle de l’Agoutin. Et de telles bestes sans queue se trouue grande multitude par de là. Elle a le pié forchu, auec une corne plus longue, autant presque deuant côme derrière. Sô poil est rougeatre, côme celuy d’aucunes mules ou vaches de par deça : et voila pourquoy les Chrestiês qui sont par de là, nomment telles bestes vaches, non differentes d’autre chose à une vache, hors-mis quelle ne porte point de cornes : et à la verité, elle me semble participer autât de l’asne que de la vache : car il se trouue peu de bestos d’especes diuerses, qui se ressemblent entierement sans quelque grande difference. Espéce de poisson estrâge. Comme aussi des poissons, que nous auons veu sur la mer à la coste de l’Amerique, se presenta un entre les autres ayant la teste côme d’un veau, et le corps fort bizarre. Et en cela pouuez voir l’industrie de Nature, qui a diuersifié les animaux selon la diuersité de leurs especes, tant en l’eau qu’en la terre.

  1. D’après Léryxi), le sanglier brésilien se nomme le Taïassou. On lui donne plus communément le nom de pécari. Cf. Gandavo. Santa Cruz. P. 67. — Gomara. Hist. gen. Ind. § 205.
  2. Léryx) les nomme seouassous : « mais, outre qu’il s’en faut beaucoup qu’ils soyent si grans que les nostres, et que leurs cornes aussi soyent sans comparaison plus petites, encore different ils en cela qu’ils ont le poil aussi grand que celuy des cheures de par deça. »
  3. Pline. H. N. xxxviii. 46, 64.
  4. Cette opinion était fort répandue chez tous les Américains. Ainsi les Caraïbes ne voulaient manger ni cochons ni tortues parce qu’ils craignaient que leurs yeux ne devinssent aussi petits que ceux de ces animaux ; les Dacotahs mangent encore le foie des chiens afin d’acquérir leur sagacité et leur courage. Les Esquimaux sont même persuadés que les qualités corporelles des Européens se communiquent à leurs vêtements, et ils récoltent les vieilles semelles des matelots norwégiens ou Danois, qu’ils font porter aux femmes stériles. Lubbock. Origines de la Civilisation. P. 18. Curieux passage de Brett. Indian Tribes of Guiana. P. 355. « Les Acawoios et les Caraïbes, quand ils attendent l’accouchement de leurs femmes, s’abstiennent de certaines sortes de viandes, de peur que l’enfant qui va naître ne s’en ressente mystérieusement. »
  5. C’est ce qu’on nomme le boucan. Ce mode de cuisson est encore en usage chez toutes les peuplades américaines.
  6. Le coati ou agouty a été décrit par Léryxi). Aussi bien sur tous ces animaux américains on peut consulter Roulin. Causeries sur l’Histoire naturelle. P. 41-79.
  7. Ces prétendus faisans sont tout bonnement les dindons qui ne commencèrent à être connus en Europe qu’au XVIe siècle. Champier, qui publia en 1560 son traité De re cibaria, parle en ces termes des dindons : « Depuis peu d’années, il nous est arrivé en France certains oiseaux étrangers qu’on appelle poules d’Inde, nom qui leur a été donné parce qu’ils ont été pour la première fois transportés dans nos climats des îles indiennes qui viennent d’être découvertes. »
  8. Gandavo (Santa Cruz. P. 68) : « Ces animaux ressemblent à des mules, mais ils ont la teste plus déliée, et les lèvres allongées comme une trompe. Leurs oreilles sont rondes et la queue courte ; ils sont cendrés sur le corps et blancs sur le ventre. Leur chair a tellement le goût du bœuf qu’on ne peut distinguer l’une de l’autre. » Cf. Thevet. Cosm. univ. P. 937. — Léry § xi.