Les Sources de l’électricité

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Les sources de l’électricité
Lazare Weiller

Revue des Deux Mondes tome 150, 1898



LES

SOURCES DE L’ÉLECTRICITÉ




Pendant de longs siècles, on n’a connu d’autres phénomènes électriques que ces deux faits élémentaires : certaines matières, telles que l’ambre jaune (électron), acquièrent par le frottement la propriété d’attirer les corps légers, et la pierre d’aimant possède naturellement celle d’attirer le fer. En dehors de l’ambre, toutes les résines, le verre, et en général tous les corps mauvais conducteurs de l’électricité peuvent acquérir cette faculté d’attraction après avoir été frottés. En changeant un peu les conditions de l’expérience, on arrive à produire une étincelle qui, lorsque l’électricité a atteint un degré de tension suffisant, s’élance vers les corps qui sont au voisinage du corps électrisé.

L’étincelle électrique n’a été connue qu’à la fin du XVIe siècle. Il a donc fallu à l’humanité près de deux mille ans pour écrire, en quelque sorte, la préface de l’histoire des découvertes électriques. L’antiquité et le moyen âge l’ont à peine soupçonnée. Il en est de même de toutes les grandes conquêtes de l’esprit humain : les débuts sont lents et pénibles.

La rapidité des progrès que toutes les connaissances font de nos jours contraste singulièrement avec les hésitations des premiers pas de la science. L’évolution suit la formule des progressions géométriques. Le concours d’un nombre sans cesse plus grand de chercheurs, la base de plus en plus large sur laquelle ils appuient leurs investigations, assurent des révélations toujours plus nombreuses et plus rapprochées. Chose digne de remarque, elles sont souvent simultanées en des pays divers. Plus l’arbre grandit, plus il produit de fruits dont la maturité a lieu au même moment, comme sous la chaude caresse du soleil d’été.


I

L’étincelle électrique, étudiée par Franklin dans les phénomènes météorologiques, n’aurait probablement pas beaucoup aidé au développement des connaissances de l’électricité sans le hasard qui vient toujours au secours du génie. C’est lui qui servit Galvani dans les recherches qui, à la fin du siècle dernier, ont été le véritable point de départ de la science électrique, alors que, jusque-là, n’existait qu’un ensemble d’expériences, enfantines, curieuses et amusantes.

L’expérience des grenouilles de Galvani est trop connue pour qu’il soit nécessaire de la raconter une fois de plus. Interprétée d’une façon inexacte par son auteur, elle eût égaré les recherches hors de la vraie voie, si le compatriote et contemporain de Galvani, Volta, n’avait démontré que les contractions des grenouilles sont dues non à un fluide animal, mais à une action chimique. C’est ainsi qu’il arriva à la notion du premier générateur continu d’électricité sous forme de courant : la pile électrique.

Volta reconnut que le contact de deux métaux humides donne naissance à l’agent des phénomènes de contraction qu’avait constatés Galvani. Il en renforça les effets en superposant des disques alternés de zinc, de cuivre et de draps imprégnés d’une solution saline. Il reconnut que les effets obtenus, en mettant en rapport la première rondelle de zinc avec la dernière rondelle de cuivre, sont d’autant plus puissans que la colonne est plus haute, c’est-à-dire que le nombre des élémens qui la composent est plus grand. Tant que les rondelles de drap conservent leur humidité, le flux d’électricité se produit d’une façon ininterrompue entre les pôles opposés, positif et négatif, de la pile. C’est le nom qu’on a donné aux deux corps différens qui la composent et qu’on réunit par un fil conducteur dans lequel s’écoule ou paraît s’écouler le courant. On a été amené immédiatement à assimiler ce phénomène à l’écoulement d’un fluide, qui se produit lorsque le circuit extérieur de la pile est fermé, et qui s’interrompt aussitôt que ce circuit est ouvert. Tout se passe, en effet, comme s’il s’agissait d’un fluide émanant de la pile et coulant dans la canalisation extérieure qui la complète. Seulement, ici, la canalisation n’est pas un tuyau, c’est un fil plein, qu’on doit choisir parmi les meilleurs conducteurs, et qui est généralement un fil de cuivre.

Les expériences de Volta, commencées en Italie et continuées en France, où il fut appelé par Bonaparte, eurent un retentissement immense. Elles ont dégagé la notion exacte des phénomènes électriques sous une forme qui a rendu possibles les grandes applications industrielles.

Peu à peu fut mise en évidence l’ubiquité de l’électricité. On sait maintenant que tout frottement des corps produit de l’électricité. Les nuages, quand ils glissent les uns sur les autres ou sur un obstacle, dégagent l’électricité sous sa forme la plus violente : l’éclair et le tonnerre. Les plus infimes parcelles des corps, lorsqu’elles s’associent entre elles ou se séparent au cours des réactions chimiques, dégagent une certaine quantité d’électricité. C’est un phénomène général qui domine toutes les transformations dues à l’affinité, aux élans qui portent les atomes les uns vers les autres ou qui les éloignent.

On voit, dès lors, combien a pu se développer la fabrication des piles électriques. La forme que leur avait donnée Volta n’a pas persisté autant que leur nom. Elle était peu appropriée à un usage pratique ; car, aussi bien sous l’influence du poids de la colonne que sous celle de l’évaporation, les rondelles se sèchent, et la pile cesse de fonctionner. Il faut, pour qu’une pile marche sans interruption, qu’elle baigne dans une solution liquide. Ordinairement, c’est plutôt sous la forme d’un vase, d’un bocal, que se présentent les piles. Aucune de celles qu’on emploie aujourd’hui n’a la forme que lui a donnée son créateur. La première, en date, est la pile dite à couronne de tasses, dont chaque élément est une tasse contenant un liquide acidulé, dans lequel on plonge des tiges ou électrodes de zinc et de cuivre. En réunissant chaque zinc au cuivre qui le suit et en terminant la couronne par une extrémité zinc d’un côté, et par une extrémité cuivre de l’autre, on a l’équivalent de la pile de Volta, avec une disposition différente des élémens et la possibilité d’un fonctionnement ininterrompu.

En variant la nature des corps en présence, leur forme, leur disposition réciproque, le ou les liquides qui les baignent, on a pu créer une quantité très considérable d’élémens qui peuvent être associés en nombre quelconque suivant les effets à obtenir. Un ensemble d’élémens forme une batterie. On les accouple, soit en réunissant chaque pôle d’un élément avec le pôle contraire de l’élément suivant (disposition en tension), soit en groupant ensemble tous les pôles positifs et tous les pôles négatifs et en réunissant les deux pôles composés, ainsi obtenus, par le circuit extérieur (disposition en quantité). Chacun de ces arrangemens convient à la nature des résultats qu’on a en vue : soit une forte pression, soit un fort débit.

C’est avec les phénomènes produits par de pareilles piles qu’ont été obtenus les premiers effets des courans électriques. Ils ont permis de dissocier divers corps, de décomposer l’eau et plusieurs sels en leurs élémens, et ont amené la découverte de quelques corps simples : le sodium, le potassium, etc. Mais la forme même de ces appareils, leur fragilité, leur volume, les liquides souvent corrosifs qu’ils renferment, les rendent peu transportables, difficiles à manier et, en définitive, peu commodes. La faible intensité des courans individuels de chaque élément nécessite de grands espaces et un matériel énorme pour obtenir un écoulement électrique susceptible de résultats pratiques. Aussi les piles n’occupent-elles, dans la hiérarchie, des générateurs d’électricité, qu’une place modeste. Néanmoins, c’est avec leur concours que fonctionnent encore pour la plupart les grands services de la télégraphie et de la téléphonie. En dehors de ces applications, elles fournissent l’électricité domestique : appels, sonneries, alimentation de petits moteurs.

Malgré le rôle considérable des piles dans l’histoire des grandes applications industrielles, celles-ci auraient donc été, pour ainsi dire, étouffées dans leur germe, s’il ne s’était trouvé un autre moyen de produire les courans électriques. Ce procédé nouveau a été imaginé à la suite des travaux qui ont conduit plusieurs savans, entre autres Œrsted et Ampère, à l’étude de l’action des courans sur les aimans et des aimans sur les courans, travaux qui ont eu pour couronnement la preuve de l’identité des sources du magnétisme, de l’électricité, de la lumière, peut-être même de l’attraction universelle : tous ces phénomènes ne sont, en définitive, que des formes de mouvement.

Ampère a découvert le principe des effets réciproques des aimans et des courans et la transmutation de l’un des phénomènes dans l’autre. Cette conception a eu des conséquences considérables dans l’ordre pratique comme dans l’ordre théorique ; car, d’une part, elle a préludé à l’invention des machines magnéto-électriques et dynamo-électriques, de l’autre aux recherches qui aboutissent à la démonstration, vaguement entrevue depuis longtemps, de l’unité des forces physiques et de l’unité de la matière.

Les travaux de l’Association britannique, complétés par ceux du Congrès réuni à Paris en 1881, lors de la première exposition d’électricité, ont donné à ces recherches une base solide en créant la terminologie électrique et en précisant les unités qui servent à mesurer les courans.

Tout courant électrique est assimilable à un courant d’eau circulant dans une canalisation, ouverte ou fermée, sous l’impulsion d’une pression ou d’une chute initiale. Le flux de liquide est réglé par cette pression ou par la différence de hauteur qui existe entre le point le plus haut et le point le plus bas de la canalisation. Pour une hauteur de chute déterminée, le débit ou intensité de l’écoulement dépend de la largeur et de la profondeur du canal, de sa longueur, de la nature plus ou moins rugueuse de ses parois, en un mot de la résistance de la conduite. Il en est de même des courans électriques, ou du moins tout s’y passe comme s’il y avait analogie complète entre l’écoulement du fluide électrique et celui de l’eau. On considère donc, dans les courans électriques, trois élémens principaux : la pression ou tension, qui détermine l’écoulement ; l’intensité ou la quantité du débit, et la résistance que le conducteur oppose au passage du courant. Ces élémens sont liés par une loi dont la découverte est due au célèbre physicien bavarois Ohm. La pression, l’intensité, la résistance et leurs dérivés sont mesurés à l’aide d’unités spéciales dont le nom consacre la mémoire des grands physiciens qui ont fait progresser la science électrique. L’unité de pression est appelée Volt, en l’honneur de Volta ; l’unité d’intensité est appelée Ampère ; l’unité de résistance électrique est appelée Ohm.

Ces unités étant définies, de même qu’on dit qu’un corps pèse tant de kilos, on dit qu’un conducteur a une résistance de tant d’ohms, qu’un courant s’écoule avec une intensité de tant d’ampères, sous une pression de tant de volts.

Les trois principales unités électriques qui résultent de la loi de Ohm : le volt, l’ampère et l’ohm, sont susceptibles d’expressions pratiques qui permettent de se représenter d’une façon précise ce que c’est qu’un courant de tant d’ampères, circulant dans une canalisation de tant d’ohms, sous une pression de tant de volts. L’habitude rend familières à l’électricien la notion de l’ampère, qui est l’intensité du courant capable de précipiter 4 grammes d’argent par heure ; celle du volt, qui est la force électromotrice ou pression d’un élément de pile Daniell ; celle de l’ohm, qui est approximativement la résistance électrique que présentent 100 mètres de fil de fer télégraphique de 4 millimètres au passage du courant. De cette façon un courant électrique peut être mesuré comme un courant d’eau circulant dans une conduite, ou comme une pièce de drap vendue par le marchand. Cela est indispensable pour la solution des problèmes multiples qu’entraînent les applications industrielles de l’électricité.


II

Ampère a attaché son nom aux lois qui régissent les actions réciproques des aimans et des courans. Il a montré qu’un courant électrique peut faire naître le magnétisme dans une masse de fer doux. L’expérience est facile à répéter. Si l’on place une aiguille de fer doux dans l’axe d’une spirale formée par un fil conducteur que traverse un courant, on constate que l’aiguille s’aimante dès que le courant passe, et se désaimante dès qu’il s’arrête. Cette expérience si simple contient le principe des électro-aimans et, par suite, celui du fonctionnement des machines magnéto et dynamo-électriques qui ont rendu possible la production de l’énergie électrique par grandes quantités.

Les premières machines magnéto-électriques, celles de Pixii et de Clarke, étaient surtout des curiosités de laboratoire. On ne connut de machine susceptible d’applications industrielles que lorsque l’électricien belge van Malderen construisit la machine qui reçut le nom de « Machine de l’Alliance. » Cet appareil, dont le type perfectionné par M. de Meritens n’existe plus qu’en de rares échantillons utilisés dans certains phares électriques, n’avait rien de comparable aux élégantes dynamos que l’on construit actuellement. C’était un ensemble disgracieux, lourd, mal ajusté, difficile à monter et facilement déréglable, d’aimans naturels en fer à cheval et de petites bobines de fils conducteurs disposées en couronnes sur des disques tournans. Cette machine, qui appartenait au type des générateurs de courans alternatifs, a servi, avec ses qualités et ses défauts, à l’alimentation des premières bougies Jablochkoff, lorsque celles-ci donnèrent son premier essor à l’éclairage électrique industriel.

Déjà, à la même époque, d’autres électriciens avaient réalisé des types de machines dynamo-électriques, moins coûteuses, plus puissantes et d’un emploi plus commode. Gramme surtout, puis Siemens, en Allemagne, suivis bientôt par de nombreux inventeurs, ont été les initiateurs de la construction de modèles répondant de plus en plus aux exigences croissantes de l’industrie. Les plus grosses machines « l’Alliance » absorbaient une force maxima de trois à quatre chevaux-vapeur. Les machines électriques construites aujourd’hui atteignent une puissance de plusieurs milliers de chevaux. Celles qui ont été construites en vue de capter les chutes du Niagara sont de cinq mille chevaux.

Le mode de fonctionnement des machines dynamo-électriques est difficile à expliquer d’une façon suffisamment claire, sans le double concours d’un langage scientifique précis et de dessins figuratifs soutenant la description. Nous allons cependant tenter d’en donner au moins une idée.

Toute machine de ce genre a deux organes principaux : les électro-aimans inducteurs qui déterminent la production du courant dans les bobines, et l’anneau induit, tournant avec une grande vitesse dans le champ magnétique, créé par les premiers.

Autant de mots à expliquer. L’électro-aimant comporte un noyau de fer doux, autour duquel est enroulé un fil de cuivre de grosseur variable, protégé par une enveloppe isolante, généralement en soie. Les spires successives de ce conducteur, soigneusement juxtaposées, se superposent ensuite en plusieurs couches, comme le fil de coton ordinaire dans la bobine sur laquelle il s’enroule. Un électro-aimant rappelle, du reste, dans sa construction, une bobine dans l’axe de laquelle serait placée la barre de fer doux qui doit acquérir l’aimantation. Cet organe, inerte tant que le fil n’est traversé par aucun courant, devient actif dès qu’il est mis en communication avec un générateur d’électricité. Le noyau de fer s’aimante et reste aimanté tant que le courant passe.

En disposant convenablement une série d’électro-aimans, on arrive à créer un milieu spécial, qu’on appelle champ magnétique, et à délimiter une portion de l’espace dans laquelle le magnétisme est perceptible à l’aide d’une boussole, comme la chaleur est constatée, à l’aide d’un thermomètre, autour d’un corps dégageant du calorique.

Si, maintenant, dans ce milieu qui est le siège de phénomènes magnétiques, on fait tourner, avec une grande vitesse, soit une bobine de fil de cuivre isolé, soit un ensemble de bobines disposées en couronne sur un disque, soit un anneau, en un mot un conducteur enroulé sur lui-même avec la variété de dispositions que comporte cet arrangement, ce fil devient, à son tour, le siège d’ondulations électriques qui se propagent dans sa masse et qu’on recueille pour les transformer en force, en lumière ou en chaleur. A première vue, cette disposition semble pécher par sa base, puisque, pour obtenir un courant, il faut exciter les électro-aimans et les rendre agissans à l’aide d’un autre courant initial. Cela paraît être un véritable cercle vicieux. C’est pour éviter cette pétition de principe qu’au début on employait non des électro-aimans, mais des aimans naturels ou fabriqués d’avance pour créer le champ magnétique. Par ce moyen, qui ne s’est pas généralisé, on n’obtient pas des intensités de courant suffisantes pour les besoins. Avec les électro-aimans, au contraire, il est possible, en graduant la puissance du courant excitateur, d’avoir un champ magnétique très intense.

Pour la production du courant excitateur, on profite de ce qu’on appelle le magnétisme rémanent du fer doux. Si doux qu’il soit, en effet, le fer, n’eût-il été soumis qu’une seule fois à l’action du courant, conserve toujours une quantité de magnétisme assez faible, mais suffisante pour amorcer la machine pendant une période très courte et permettre d’obtenir un courant, dont une partie est dès lors utilisée pour renforcer le champ magnétique et produire l’intensité nécessaire. Ordinairement, on dérive une portion du courant produit pour la faire servir au maintien de l’excitation des électro-aimans. Les machines susceptibles de s’amorcer d’elles-mêmes portent le nom caractéristique d’auto-excitatrices. En raison de la forme des élémens inducteurs et induits et de leurs dispositions réciproques, on peut varier à l’infini le mode de fonctionnement et l’aspect extérieur des dynamos. Le nombre de celles qu’on a imaginées est très grand, et il ne se passe pas de mois qu’on ne voie surgir des types nouveaux.

Les dynamos présentent cette différence capitale avec les piles que, dans ces dernières, le flux électrique se produit toujours dans le même sens, tandis que, dans les premières, le déplacement relatif des inducteurs et des induits détermine, à chaque tour de rotation du système, des changemens successifs du sens de l’ondulation. L’état normal des dynamos est donc de produire des courans alternativement dirigés dans un sens et dans l’autre, partant d’une intensité nulle, puis croissant jusqu’à un maximum positif, décroissant ensuite jusqu’à zéro, puis augmentant en sens inverse jusqu’à un maximum négatif, pour descendre jusqu’à zéro, et repasser alors par les mêmes phases.

On emploie quelquefois les courans alternatifs, tels qu’ils sont produits. Plus généralement, à l’aide d’artifices et d’organes spéciaux appelés collecteurs, on arrive à redresser le courant dans sa phase négative, c’est-à-dire à lui donner le même sens que dans sa phase positive. On obtient ainsi un flux, de sens constamment le même. Ces machines sont dites à courans continus.

En multipliant le nombre des sections des collecteurs, on superpose les effets des courans produits par chacune des sections induites et on arrive à les uniformiser de telle façon qu’on recueille aux balais de la dynamo, non pas un flux variable passant par des oscillations répétées de zéro à maximum et de ce maximum à zéro, mais un flux régulier présentant des variations pratiquement insensibles.

Par ces explications un peu arides, bien que nous les ayons simplifiées autant que possible, nous avons indiqué quel est, dans ses lignes générales, le principe du fonctionnement des machines qui utilisent les phénomènes d’induction pour la génération des courans électriques. Il ne reste plus qu’à signaler un dernier exemple de production des courans électriques, qui montre combien sont multiples les causes qui les engendrent.

Cette fois, ce n’est pas une réaction chimique, ni un frottement, ni une action magnétique que nous avons à considérer. Le phénomène est tout autre. Imaginez une sorte d’anneau formé de deux métaux disposés en demi-circonférences soudées à leurs extrémités. Chauffons l’une des soudures et refroidissons l’autre, de manière à produire une différence de température. De même qu’une différence de niveau ou de pression entre deux points d’une canalisation liquide détermine un écoulement de ce liquide, de même cette différence de température détermine un courant, de la soudure la plus chaude à la soudure la plus froide, courant qu’on met en évidence avec une aiguille aimantée. Ce phénomène, reconnu par Seebeck, a servi de base à la construction des piles dites thermo-électriques. Il est facile de combiner une série d’élémens formés de deux métaux et de les réunir dans une sorte de poêle à gaz, de façon à chauffer tout un groupe de soudures, tandis que l’autre groupe se refroidit à l’air extérieur. Tel est le principe de l’appareil de M. Clamond, appareil théoriquement intéressant, mais dont l’emploi est resté limité aux usages des laboratoires de recherches.

Il existe, enfin, deux types d’appareils qui prennent une place très importante à côté des générateurs d’électricité : les transformateurs et les accumulateurs.

Les premiers, dont le prototype est la bobine de Ruhmkorff, sont fondés sur le principe suivant : le travail que développe un courant est égal au produit de sa force électromotrice, ou pression, par son intensité. Une somme de travail déterminée peut donc être obtenue en faisant varier en sens inverse ces deux élémens. Leur produit ne changera pas si, par exemple, doublant la force électromotrice, on réduit de moitié l’intensité.

L’importance pratique de cette transformation est évidente. Supposons qu’on ait à utiliser, pour l’éclairage d’une ville, le courant électrique obtenu au moyen d’une chute d’eau assez éloignée ; il y a intérêt à transporter le courant de l’usine génératrice jusqu’aux abords de la ville, à une tension ou pression assez élevée, afin de pouvoir employer des conducteurs de diamètre aussi petit que possible. En effet, pour une même somme d’énergie à transporter, plus la pression est forte, moins le courant est considérable, et plus on peut diminuer les dimensions de la canalisation. Le cuivre coûte cher, et la canalisation est toujours un élément de dépense important. C’est ainsi qu’on établit quelquefois des distributions d’air comprimé à de très fortes pressions pour diminuer le diamètre des conduites de transmission. Pour le courant électrique, ce principe est le même. Le courant transporté est détendu au voisinage des points où il doit être utilisé, et ce sont les transformateurs qui produisent cette modification des facteurs du courant, en lui conservant la même production d’énergie.

Les transformateurs ont de fréquentes applications en maintes circonstances, et ils déterminent souvent le choix du courant alternatif de préférence au courant continu. La priorité de leur invention a été très chaudement disputée et a donné lieu à des conflits judiciaires retentissans.

L’application des transformateurs et des courans alternatifs aux transports de force à grande distance s’est surtout généralisée depuis les expériences de Francfort-Lauffen, dans lesquelles on a, pour la première fois, employé non pas des courans alternatifs ordinaires, mais les groupes de 3 courans alternatifs de phases différentes.

Pour développer ici la théorie des courans polyphasés, il faudrait entrer dans des explications mathématiques qui n’ont leur place que dans les ouvrages spéciaux. Bornons-nous à dire que l’emploi des courans alternatifs polyphasés rend possible le transport de l’énergie électrique dans des conditions économiques qui ne pouvaient être atteintes en bien des cas par les courans directs et par les courans alternatifs ordinaires. Leur découverte est certainement le plus grand progrès qu’on ait réalisé depuis dix ans dans le domaine des applications électriques.

Tout autre est le mode de fonctionnement et d’application des appareils qu’on a appelés accumulateurs et dont le prototype est la pile secondaire imaginée par Planté. Ils donnent un moyen de conserver l’électricité fabriquée d’avance et de ne la consommer qu’au moment voulu, soit sur place, soit en transportant les récipiens dans lesquels elle est accumulée aux points où elle doit être mise en œuvre. Les accumulateurs sont fondés sur l’expérience suivante.

Tout le monde connaît le voltamètre, petit appareil qui sert ordinairement à démontrer, dans les cours de physique, comment se fait l’électrolyse de l’eau, c’est-à-dire sa décomposition par l’électricité. Cet appareil est un simple vase en verre, à la base duquel aboutissent, par leurs extrémités, les conducteurs d’une pile communiquant avec deux lames de platine. Si le voltamètre est rempli d’eau acidulée par quelques gouttes d’acide sulfurique on constate, dès que le courant passe, la production de bulles d’oxygène au pôle positif, de bulles d’hydrogène au pôle négatif. Séparons le vase de la pile et réunissons les deux lames de platine par un fil métallique, nous reconnaîtrons que ce fil est traversé par un courant de sens inverse au premier. C’est ce phénomène élémentaire qui a été le principe des piles secondaires, ou accumulateurs, qui restituent l’électricité qu’elles ont reçue.

M. Planté, le premier, a donné une forme pratique à ces appareils, en remarquant que, si l’on emploie pour électrolyser l’eau deux lames ou électrodes de plomb, on obtient un contre-courant énergique. Le phénomène qui se produit est le suivant : l’oxygène qui se dégage au pôle positif attaque la feuille de plomb et la recouvre d’une couche d’oxyde pulvérulent ; l’hydrogène se dégage au pôle négatif. Lorsqu’on passe de la période de charge à la période de décharge, le phénomène inverse se produit : l’hydrogène se dégage à la plaque positive, y réduit le peroxyde ou protoxyde, qui se combine avec l’acide sulfurique et forme du sulfate de plomb, l’oxygène se dégage sur la plaque négative et produit aussi de l’oxyde. Si l’on procède à une nouvelle période de charge, on revient à la décomposition primitive, et les électrodes se recouvrent, l’une d’une couche plus épaisse de peroxyde, l’autre d’une couche pulvérulente de plomb réduit. Ces couches, dont l’épaisseur augmente avec la durée de la période dite de formation, facilitent la pénétration de la masse des électrodes et sont, par conséquent, favorables à une production de courans de plus longue durée. Aussi l’ingéniosité des inventeurs s’est-elle exercée à trouver des combinaisons d’élémens qui permettent de supprimer la période de formation en couvrant les électrodes de matières pulvérulentes, facilitant la pénétration du liquide, tout en ayant une adhérence suffisante et une solidité qui les empêche de se transformer en boue.

De là, un très grand nombre de types différens, dont la plupart consistent en cadres de plomb présentant des rainures, des sillons et des cavités, dans lesquels on applique une pâte composée d’oxyde de plomb malaxé avec une dissolution sulfurique qui transforme partiellement l’oxyde en sulfate. De telles plaques séchées à l’air prennent une consistance assez grande pour que l’oxyde ne se désagrège pas au contact du liquide acidulé. Une seule charge suffit alors pour mettre l’élément en état de donner une puissance considérable d’emmagasinement. Les élémens de même polarité sont réunis entre eux électriquement et placés dans des récipiens en verre ou en bois doublés intérieurement de plomb ou de caoutchouc durci. On préfère généralement les bacs en verre lorsque les dimensions des accumulateurs ne sont pas trop grandes, cette disposition permettant de suivre plus attentivement les phases de l’opération.

La plupart des accumulateurs ont pour base l’emploi du plomb, qui est, sinon le seul, du moins le meilleur corps utilisable pour cet usage. Or, le plomb est lourd et les accumulateurs sont des appareils dont le principal mérite est d’être transportables. Il y a donc entre les conditions de leur utilisation et celles de leur fabrication une contradiction qui limite, ou du moins restreint encore leur emploi. Néanmoins les accumulateurs d’électricité sont beaucoup moins encombrans que les accumulateurs de gaz, d’air ou d’eau sous pression ; aussi ces sortes d’appareils rendent-ils de grands services. L’usage en est déjà très répandu aux États-Unis pour le mouvement des voitures automobiles ; il commence à l’être également en Europe et notamment à Paris.


III

La première en date des applications industrielles de l’électricité est la production de la lumière. Du jour où l’on a constaté que l’électricité fait naître une étincelle, le problème était posé : il ne s’agissait plus que de donner de la continuité à cette étincelle et de transformer en phénomène permanent un phénomène essentiellement fugitif et discontinu.

C’est Humphry Davy qui l’a résolu en créant le foyer lumineux auquel on a donné le nom d’arc voltaïque. Si l’on interrompt le circuit d’un courant électrique et si l’on réunit les extrémités ainsi disjointes par deux baguettes de graphite, on voit, dès qu’on les rapproche, jaillir entre leurs pointes une série d’étincelles qui produisent une lueur éclatante et une véritable flamme, dans laquelle sont transportées les particules de charbon qui vont du pôle positif au pôle négatif. Le charbon positif s’use ainsi deux fois plus vite que le charbon négatif. Si l’on veut avoir une lumière permanente, il faut qu’un mécanisme approprié rapproche les charbons au fur et à mesure de leur usure.

Ce mécanisme a reçu le nom de régulateur. Le plus ancien est celui qui fut imaginé par le constructeur français Serrin et qui, pendant de longues années, a été la seule lampe électrique connue. Combinée avec la machine l’Alliance ou la machine Gramme, elle a, jusqu’en 1876, servi à quelques rares expériences d’éclairage électrique : éclairage de chantiers de travaux, projections à distance, etc. Au moment du siège de Paris, un projecteur était installé à Montmartre. L’éclairage électrique n’en était qu’à de très modestes débuts. L’inconvénient du régulateur Serrin et des appareils analogues réside en ce qu’il n’est possible de placer qu’une lampe par circuit et qu’on ne peut ainsi diviser la lumière électrique. De là, la nécessité d’avoir des foyers puissans qui produisent des ombres très nettement accusées et fonctionnent, par conséquent, dans des conditions d’éclairage très défavorables.

La première tentative de division de la lumière électrique fut faite par Jablochkoff, qui supprima, du même coup, le mécanisme d’horlogerie compliqué, délicat et coûteux des régulateurs. L’invention de la bougie Jablochkoff eut un grand retentissement en 1876. On peut dire que Gramme, Jablochkoff et Edison ont été les véritables initiateurs de l’éclairage électrique.

La bougie Jablochkoff peut être citée comme pendant à l’anecdote célèbre de Christophe Colomb. Alors que de nombreux ingénieurs s’efforçaient de réaliser des mécanismes compliqués pour opérer le rapprochement des pointes de charbon au fur et à mesure de leur usure, Jablochkoff eut l’idée de les juxtaposer parallèlement en les séparant par une matière isolante qui oblige le courant à remonter aux extrémités des charbons. Ceux-ci étant parallèles, l’arc a toujours la même longueur, à la condition que l’usure de chacun soit exactement la même, ce qui nécessite l’emploi des courans alternatifs. Avec les courans directs, le charbon positif s’usant deux fois plus vite que le charbon négatif, la bougie Jablochkoff aurait exigé l’usage de deux charbons de diamètres inégaux, ce qui aurait nui à la simplicité qui est la caractéristique du système.

La bougie Jablochkoff a eu son heure de vogue, et celui qui l’inventa, son heure de célébrité. On se rappelle l’éclat dont elle brilla sur l’avenue de l’Opéra au moment de l’exposition de 1878. Elle a suscité de nombreuses imitations et, en même temps, elle a stimulé l’ingéniosité des partisans des lampes à arc : les mécanismes en ont été simplifiés, et avec elles on a fini par résoudre le problème de la division de la lumière électrique.

Mais l’invention des lampes à incandescence a porté un coup fatal à la bougie Jablochkoff. Cette invention, dont Edison a eu le bénéfice moral et matériel, bien que l’idée ne soit pas de lui, est fondée sur la propriété qu’ont les corps faiblement conducteurs, tels que le charbon, de s’échauffer et de devenir incandescens lorsqu’ils sont traversés par un courant électrique. Mais le charbon incandescent brûle et se consume au contact de l’air. Pour assurer aux lampes une certaine durée, il fallait donc soustraire le filament de charbon traversé par le courant au contact de l’air. C’est ainsi qu’on a été conduit à enfermer ce filament dans une ampoule de verre dans laquelle on a préalablement fait le vide. Tout le monde est familiarisé avec la vue de ces petits globes lumineux, dont l’allumage se fait en tournant un simple bouton. Ils donnent un éclat très vif, mais non blafard, comme celui des lampes à arc ; ils ne chauffent ni ne vicient l’atmosphère. Aussi l’emploi s’en est-il si rapidement généralisé, qu’à Paris plusieurs grandes compagnies sont venues disputer au gaz un monopole jusqu’alors incontesté.

La substitution d’un éclairage à l’autre n’a même apporté aucun trouble aux habitudes des consommateurs. De part et d’autre, c’est par un compteur que la dépense est évaluée. Les appareils à gaz, les lustres ont prêté aux petites lampes à incandescence leurs formes simples et élégantes ; les canalisations extérieures et intérieures se dissimulent facilement soit dans le sol, soit dans les tentures des appartemens.

Ce n’est guère que sous le rapport de la dépense que l’éclairage à incandescence peut être considéré comme inférieur jusqu’ici à l’éclairage au gaz. Mais en attendant que le premier cesse d’être un éclairage de luxe, il faut songer aux avantages accessoires qu’il procure, à l’air qu’il ne vicie plus, aux peintures qu’il n’altère pas, à la facilité avec laquelle il s’allume et s’éteint : avantages dont on jouit, et dont on s’habitue à ne pas chiffrer la valeur.

L’éclairage par les lampes à arc H redoute aucune comparaison d’économie, ni avec le gaz, ni avec le pétrole, ni avec le bec Auer, et il pourra en être prochainement de même pour l’éclairage à incandescence, lorsque les grandes compagnies auront trouvé, ce qui ne tardera pas, des consommateurs d’électricité sous forme de chauffage ou de force motrice, pendant les heures du jour où le besoin de lumière électrique ne se fait pas sentir.

Dans le domaine du transport et de la distribution de l’énergie, l’électricité a apporté une solution nouvelle, dont le germe se trouve dans une expérience que M. II. Fontaine fit, en 1873, à l’exposition de Vienne. Cette expérience est fondée sur le principe de la réversibilité des dynamos. Ce principe est le suivant : une dynamo produit un courant électrique par rotation ; réciproquement, si on introduit un courant dans une dynamo, elle se mettra à tourner. Dans l’expérience de Vienne, une dynamo, actionnée par un moteur, envoyait son courant à une seconde dynamo qui était en rapport avec une pompe.

On se rappelle le retentissement qu’ont eu, vers 1881, les expériences de transport de force faites entre Paris et Creil, le long de la ligne du Nord, et sous le patronage de la Compagnie, par M. Marcel Deprez. Ces expériences, les comptes rendus qui en ont été faits, les polémiques qu’elles ont suscitées et les expériences nouvelles de M. H. Fontaine ont définitivement posé le problème sur le terrain industriel. Les expériences qui, une dizaine d’années après, ont eu lieu entre Francfort et Lauffen, ont définitivement mis le transport de la force dans le domaine des choses industrielles, et il y a pris, depuis, un incomparable essor.

En principe, une transmission électrique de force comporte toujours deux dynamos dont l’une, dite génératrice, peut être installée au point où se trouve la force à transporter, et dont l’autre, dite réceptrice, est placée à la distance où elle doit être employée.

Dans un grand nombre de circonstances, la force à utiliser est une chute d’eau perdue dans la montagne. C’est un cas qui se présente fréquemment dans les Alpes ou dans les Pyrénées. Cette force, jusqu’alors stérile, peut être mise en œuvre pour l’éclairage des villages voisins ou pour la création de centres industriels, comme ceux du Niagara, aux Etats-Unis, et de Bellegarde, en France. Dans d’autres cas, quoiqu’on n’ait pas à sa disposition de forces naturelles, il y a souvent avantage à se servir de transmission électrique pour la répartition, dans une grande usine, d’une puissante force initiale obtenue avec un groupe de machines.

Il est, enfin, une industrie qui a reçu une extension véritablement extraordinaire par le concours que lui a donné l’électricité : c’est l’industrie des chemins de fer et des tramways.

Deux solutions sont en présence. La première est applicable aux villes dans lesquelles on ne veut pas de lignes aériennes, à Paris, par exemple. Les voitures de tramways portent dans deux coffres, placés sous les banquettes, des accumulateurs qui sont chargés dans une usine centrale. Le courant de ces accumulateurs est dirigé dans une dynamo placée sous le châssis de la voiture. Cette dynamo tourne sous l’impulsion de ce courant et actionne l’essieu de la voiture par l’intermédiaire d’une chaîne d’engrenage.

La seconde solution, plus économique et plus généralisée, est appliquée à la plupart des villes où les considérations esthétiques sont mises au second plan. Dans ce cas, l’usine électrique, placée aux abords de la ville dans laquelle doit s’étendre le réseau de tramways, est reliée, d’un côté, à une canalisation électrique formée d’un gros fil de cuivre suspendu au-dessus des voies, de l’autre, aux rails eux-mêmes. Le circuit est donc ouvert si aucune voiture ne circule sur la voie. Quand, au contraire, une voiture vient à entrer sur la ligne et que, par un système quelconque, on établit une connexion entre le fil supérieur et le rail, le circuit est fermé par la voiture. En pratique, le châssis de celle-ci porte une dynamo qui actionne l’essieu moteur du tramway. Le courant du fil supérieur est recueilli à l’aide d’une longue tige métallique qui porte, à son extrémité, une petite poulie en cuivre dont la gorge vient rouler au-dessous du fil. C’est par cette poulie, ou trolley, que le courant électrique pénètre dans la dynamo et lui imprime un mouvement de rotation. Le courant retourne au réservoir commun par les rails.

Ce procédé est si simple, d’une pratique si commode, que l’industrie des tramways électriques par trolley s’est développée au-delà de toute prévision. Avant peu d’années, il n’est pas une ville de France, d’une importance moyenne, qui ne sera dotée de son réseau municipal. De l’intérieur de la ville, ce réseau poussera des pointes jusqu’à la banlieue, jusqu’aux villages voisins et, bientôt, notre pays possédera un réseau de communications secondaires, qui remplira les mailles du grand réseau des chemins de fer.

Dans l’énumération de toutes les applications de l’électricité, il faut ajouter l’électro-métallurgie, car il n’est, pour ainsi dire, pas de branche de l’art de l’ingénieur à laquelle elle ne soit appelée à donner un utile concours.

L’application de l’électricité aux procédés de préparation et de réduction des métaux comprend deux branches principales : l’électro-métallurgie par voie humide ; l’électro-métallurgie par voie sèche.

La première a été pendant longtemps limitée à la galvanoplastie, mais depuis que l’on connaît un moyen d’obtenir des courans plus intenses que ceux des piles, diverses industries électrométallurgiques par voie humide ont pris naissance et ont créé une branche absolument nouvelle d’applications industrielles de l’électricité. La galvanoplastie, découverte par Jacobi, a pour but la reproduction en relief, par un dépôt métallique, d’objets moulés en creux. L’électrotypie qui permet d’obtenir des planches de cuivre, reproduisant des gravures, en est l’une des applications les plus intéressantes.

L’argenture, la dorure, le cuivrage, le nickelage et, d’une façon générale, la production de dépôts superficiels sur certains objets pour en modifier l’aspect, les soustraire à l’oxydation, etc., sont des procédés variés de la galvanoplastie. On sait l’essor qu’ils ont pris en France.

Plus récemment, c’est à la production même des métaux les plus usuels que l’électro-métallurgie par voie humide a été appliquée ; elle fournit un moyen de les obtenir à un état de pureté absolue. Or on sait l’influence énorme que peut avoir cette pureté dans certains cas. Pour le cuivre, elle est liée, d’une façon intime, avec sa conductibilité, c’est-à-dire avec le développement même des plus considérables applications électriques. Aussi l’électrolyse du cuivre brut, en vue d’avoir ce métal raffiné, a-t-elle pris une importance croissante avec les progrès de l’électricité et a-t-elle été entraînée par le même mouvement en avant. Les cuivres bruts renferment généralement des impuretés dont les unes, comme l’or et l’argent, doivent être extraites en raison de leur grande valeur, bien qu’elles ne soient pas toujours nuisibles, et dont les autres, comme l’arsenic, le fer, l’étain, etc., exercent, au contraire, l’influence la plus fâcheuse sur les qualités électriques du métal. L’électrolyse permet de les séparer et d’obtenir des cathodes de cuivre cristallisé, tout à fait pur, avec lesquelles la conductibilité du cuivre atteint son degré le plus élevé et devient presque égale à celle de l’argent.

L’électro-métallurgie par voie sèche est plus récente. Elle n’a été rendue possible que lorsqu’on a trouvé le moyen d’utiliser la chaleur considérable de l’arc voltaïque, en modifiant les conditions de production de cet arc et en en concentrant la chaleur dans des creusets absolument infusibles. Il nous suffira de citer, parmi ces applications les plus récentes : la production de l’aluminium et celle du carbure de calcium.

On connaît les propriétés précieuses de l’aluminium, ce métal léger qu’on n’avait pu obtenir, jusqu’à ces dernières années, que par des procédés de laboratoire et qui avait conservé un prix extrêmement élevé, encore que les corps dont on l’extrait soient des plus répandus dans la nature. L’argile peut être considérée comme le premier et le plus abondant des minerais, bien qu’on s’adresse plus ordinairement, pour avoir l’aluminium, à des corps moins connus, tels que la bauxite, ou alumine hydratée, ou la cryolite (fluorure double d’aluminium et de sodium), corps plus rares qu’on ne trouve guère qu’au Groënland.

Le traitement électrique de ces corps a été, tout d’abord, utilisé pour la production du bronze d’aluminium, dont les qualités spéciales de dureté sont connues et appréciées des constructeurs. Puis, avec les progrès de l’électro-métallurgie, on l’a appliqué à la production de l’aluminium lui-même, industrie qui met en œuvre actuellement, en France, en Allemagne et aux États-Unis, des usines très considérables. Cette production, surexcitée par l’introduction de l’aluminium dans le petit matériel léger des armées, a fait rapidement descendre le prix de ce métal, qu’on peut obtenir aujourd’hui à environ 4 francs le kilo. Il valait plus de 80 francs il y a quelques années. Comme il arrive souvent, on l’a cru bon à tous les usages et il y a eu quelques mécomptes dans son application à la construction de petits navires de peu de poids, destinés à la navigation sur les grands cours d’eau africains. Néanmoins, sa légèreté extraordinaire lui assure des débouchés commerciaux de plus en plus nombreux.

Pleine d’avenir aussi, malgré quelques déboires de début, plutôt imputables à l’ignorance et à la trop grande précipitation de quelques inexpérimentés, est l’industrie de l’éclairage par l’acétylène, à la base de laquelle est un procédé électro-métallurgique.

L’acétylène est un gaz carburé obtenu en traitant par l’eau le carbure de calcium, matière nouvelle que M. Moissan a découverte en 1892 en traitant, dans un four électrique, un mélange de charbon et de chaux vive en poudre. C’est là une des applications électro-métallurgiques dont les progrès ont été les plus rapides.

Enfin, il faut citer, comme un procédé électrique, susceptible d’utilisation dans la pratique, celui de la soudure employée à réunir par fusion les extrémités de corps métalliques, tels que les rails, les conducteurs de cuivre, etc.

L’électricité justifie donc les espérances qu’on fonde sur elle pour les progrès de l’industrie dans le siècle prochain. Il sera le siècle de l’électricité, comme celui qui se termine a été le siècle de la vapeur.


Lazare Weiller.