Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589/Si vous avez au cœur autant de courtoisie

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ELEGIE. I.



Si vous avez au cœur autant de courtoisie
Que de douceur aux yeux, escoutez je vous prie
Comme par mes destins heureusement forcé,
Je fus pour vous aymer en vos lien poussé :

Et si quelque amitié vous a jamais atteinte,
Vous sçaurez comme moy mon ame fut contrainte
Se consumer pour vous des lors que j'eu conceu
Le doux feu qui m'estoit encores incongnu,
Et si vostre loisir vous permet de tout lire,
Vous verrez la douleur que pour vous je souspire.
Et le but où je tens pour me resoudre en fin,
Selon vostre vouloir à mon dernier destin.
Le ciel m'est vray tesmoin, que jamais de ma vie
Je n'avois resenti ceste aggreable envie
Qui me contraint aymer, & dans mon cœur transi
Pour quelque autre beauté loge quelque soucy.
Je vivois franc de soin, & d'un amour vulgaire
J'aymois comme chacun tout cela qui peut plaire,
S'il avenoit parfois que pour une beauté
Mon esprit faut dans moy doucemetn agitté,
Cela passoit soudain, & de ma fantasie
J'arrachoix aisement ceste belle follie :
Parfois je me plaignois, mais ceste passion
En la continuant se trouvoit fixion.
Je ne pouvois ancrer quoy que je le voulusse
Cest amour en mon cœur, & encor que j'y eusse
Pour quelque peu de temps, gravé quelque desir,
D'un autre aussi soudain je me sentois saisir,
Oubliant le premier pour faire à l'autre place
Selon que m'incitoit de mon objet la grace.
Je faisois tout ainsi que les filles du ciel,
Qui recueillent des fleurs la substance du miel,
Remarquant des beautez ce qui plus nous attire
Et qui les cœur aymans doux aigrement martire,
Et sans en reserver nulles impressions,
Par la comparaison de leurs perfections
Je me sentois contant, ne mettant d'avantage

Fors le devoir commun d’amour en mon courage.
Mais quand le sort voulut que je vy vos beautez,
Autrement que jamais mille divinitez
Agitterent mon coeur, & d’un mal non semblable
À mes premiers desirs, mais cruel agreable
Je me senti vaincu, & hors d’une froideur
Mon cœur estre alteré, & puis d’une chaleur
Aussi tost refroidi & sentis en ma playe,
Un mal qui n’est cognu qu’à celuy qui l’essaye.
Hé ! mon dieu que l’amour eut lors de force en moy,
Qu’il peut dessus mes sens, qu’il peut dessus ma foy,
De m’avoir tant changé que m’oubliant moy-mesme,
En tout autre amitié, seule mon cœur vous aime,
À l’heure de vous voir j’euz bien peu de loisir,
Et j’ay beaucoup de temps ores de desplaisir,
Seulement vos beaux yeux au premier m’apparurent,
Dont milles amours nouveaux en mes veines coururent
Mais les recognoissant lors je les desdaignois
En les admirant plus que je ne les cognois.
Un peu de temps apres la venerable Idee
De vos perfections fut en moy imprimee,
De sorte que dehors touché heureusement
Je n’euz plus dedans moy desir ni mouvement
Qui ne tendis à vous, & sentis en mon ame
Autrement que devant une divine flame
Qui ne receut adonc en cest effort premier,
Que les avancoureurs de mon chaste brasier.
Quand je m’en dus allé & que la nuict muette
Eut tiré en conseil ma pauvre ame seulette,
Las ! je sentis combien il me faudroit souffrir
Sous l’espoir incertain, qui or' me fait languir,
Sans me pouvoir resoudre, ains remettant ma vie
Au gré de la beauté qui la tient asservie,

Et retiendra encor tant que j’auray pouvoir
Mesmes apres la mort esprit de m'esmouvoir,
Mais dés cest heureux temps & que j'ose vous dire,
Ou de bouche ou par vers mon bien heureus martyre,
Ha ! que j'ay eu au cœur vray & fidele amant,
De soucy, de travail, de peine, de tourment,
Vous ne l'ignorez pas : car ma perseverance
Peut de mon juste amour vous donner cognoissance,
Si vous n'avez cruelle en la place du cœur,
D'un acier, d'un glaçon, la durté, la froideur,
Car depuis qu'au premier je vous voue ma vie
Vous estes a desdain d'estre de moy servie,
Vous monstrant assez douce, & d'asseurant d'avoir
Part en vostre amitié telle que peut avoir
Le serviteur fidele, & receutes facile
Les souspirs que j'avois arrestez sous le stile,
Qui par vostre faveur se rehaussant tousjours,
Vous a esté tesmoins de mes humbles amours.
La Lune ce pendant diversement rouante,
Par vingt & quatre fois en sa course inconstante
A marqué mesme point, qu'a vostre volonté
J'ose rendre en vos mains seve ma liberté,
Mené diversement sur l'incertain Neptune
Ou conduit par l'amour je vay courant fortune,
En mon divers destin, quelquefois bien heureux
Lors que je respirois d'un œil tout langoureux
Je ne puis dire quoy tant mon ame contente,
Se perd en ce plaisir, quelle se represente,
Puis aussi quelquefois malheureux quand le sort
Dessus mon pauvre cœur s'aigrissoit, mais à tort,
Et que de l'air heureux dont la vie il me donne
Il formoit le tourment dont la rigueur m'estonne,
Car vrayment vos beaux yeux m'ont jetté doucement

Une humeur, un esprit, une grace, un tourment,
Une aise, une fureur, un plaisir, une peine,
Qui en me contentant, doux-aigrement me gesne,
Selon le doux effait duquel vous balancez.
Affin de l'esprouver, mon cœur, que vous avez,
Qui tient de vous la vie & qui l'en a tenue,
En fait que je tiendray ma vie par ma veuë,
Ainsi est mon espoir par fois desesperé
J'ay en vous honorant diversement erré,
Et ayant eu ce bien de vous dire en partie
Les plus secrets desirs dont mon ame saisie
Se consumoit pour vous, seul je me retirois
Ou plain de passion mes souspirs je tirois
Hors de mon estomac, pour vous faire paroistre
Par ces pleurs mes tesmoins, ce que je vous veux estre,
Ainsi absent de vous, vous ayant seule au cœur
Je ne recherchois rien que vous rendre l'honneur
Que je dois à vous seule, & d'un destin propice
Le temps & le moyen de vous faire service.
Voila comme en mon mal je me suis arresté
En mon contentement tant qu'un sort irrité
Voulant qu'en vous aymant je fusse miserable,
Aigrissoit les douceurs de ma vie aggreable,
En me faisant sentir, jusqu'au centre du cœur
Les iniques effaits de sa fiere rigueur :
Adonc je souspiré une douleur mortelle
Despitant les horreurs de ma peine cruelle.
Mais tout cela n'est rien, un doux contentement
Par un beau souvenir en chasse le tourment :
Ainsi en ma douleur me souvenant Madame,
Que je vous ay donné le pourtrait de ame,
Avecques mes regrets que vous avez receus

D'un œil tant adoucy que je suis tout confus
Lors que j'y pense encor, m'encourageant moy mesme
J'ai bravement forcé, du sort la force extreme,
Allegeant mon ennuy heureux toutes les fois
Que sous un tendre accent avec vous je parlois.
Helas, ce n'est pas tout, n'ayant pour tesmoignage
Que vous continuez de semblable courage,
Suivy de mes malheurs, je n'ay peu estimer
Que pour mon amitié vous me deussiez aymer,
Car las ! je suis si peu, & si peu je merite
Que si par la pitié vostre cœur ne s'incite
Je me tien pour perdu, & je ne pense pas
Que quand vous aymeriez, vous aymassiez si bas,
Qui me fait desirer au sort qui se presente,
De finir sous l'horreur du mal qui me tourmente.
Je veux donc sans espoir perir en mon mal heur,
Je veux d'un coup mortel perçant mon triste cœur
Tomber ombre legere, & croistre miserable
Le nombre des esprits de la plaine effroyable,
Qui sans corps vains legers tousjours surpris de peur
Sont la bas vagabons tallonnez de l'horreur,
Afin qu'à tout le moins une esperance vaine,
Ne se loge dans moy passant de veine en veine,
Pour me tromper cruelle, & en mon sort malin
Me faire mille fois sentir ma triste fin,
Tandis que trop fidelle, helas ! en mon martire,
Dessous un trop bel œil langoureux je souspire,
Et que par mille pleurs je tasche d'adoucir
Le mal perpetuel ou je meurs sans mourir,
Ha ! que tarde ma main, que tarde ceste lame
De donner vistement liberté à mon ame,
Que tardent mes destins, puis qu'aussi bien le sort
Ne me presente rien que soin, que peur, que mort,

Que tourne tant le ciel pour mes tristes journees,
Puis qu'il ne change point mes fieres destinees ?
Ha ! faut il encor', faut il souspirer l'air,
Faut il sentir son ame, & encores l'aymer,
Non il faut tout hair, & mesme ce qu'on ayme
S'il se peut, puis qu'ainsi on ne s'ayme soy-mesme :
Que donques à jamais je deteste l'amour,
Que je cherche la nuit, que j'abhorre le jour,
Et encor s'il se peut qu'en ces plaintes funebres
Afin de n'aymer rien je haye les tenebres :
Que je sois à mon ame ennemy si mortel,
Que je la gesne en moy d'un despit eternel :
Et que pour achever le comble de ma peine
Que je sois sans espoir comme une image vaine,
Insensible, sans vie, & sans contentement
Autre que la douleur de mon fascheux tourment :
Puis en tombant soudain, d'une grande blessure
Je termine ma vie & ma triste aventure.
Mais quel œil me retient, quelle belle clarté
A mon inique bras doucement arresté ?
Que Soleil est cecy qui veut qu'encor je vive
Et que vivant de luy mes destins je poursuyve ?
Ha c'est l’œil que j'adore, ha ! c'est luy, je le vois,
Mon ame le sçay bien, à son feu je cognois
La force, & la douceur, dont la fleur de ma vie
Par mille heureux souspirs a esté recueillie.
Je sors donc de ce trouble en reprenant l'espoir,
Ais pris que dans mon sang je me sens esmouvoir
D'une chaleur plus douce, & respirant encore
Les esprits amoureux du bel œil que j'honore,
Essayer la fortune, & me conduire heureux
Au sentir incognu du sort avantureux
Que vous m'ordonnerez, pensez y ma Deesse,

Me montrant de mon bien la bien heureuse adresse :
Et si vous eustes onc de mes larmes pitié
Recompensez mon soin d'une mesme amitié.